History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LVII. Voici l’énuméralion des peuples qui, de part et d’autre, vinrent combattre devant Syracuse pour ou contre la Sicile, afin de concourir, ceux-ci à la conquête, ceux-là à la défense du pays. Ce n’était ni la justice ni la parenté qui avaient formé les liaisons réciproques; chacun avait cédé aux circonstances, à l’intérêt, à la nécessité.

Les Athéniens, Ioniens d’origine, marchèrent avec joie contre les Syracusains, de race dorienne. Avec eux combattaient des peuples qui conservaient encore la langue et les institutions athéniennes, les habitants de Lemnos, d’lmbros, les possesseurs actuels d’Égine[*](Les Athéniens avaient, au commencement de la guerre, expulsé tous les habitants d’Égine, et s’y étaient eux-mêmes établis (Thuc., 11, 27).) et [*](1 Les Athéniens avaient, au commencement de la guerre, expulsé tous les habitants d’Égine, et s’y étaient eux-mêmes établis (Thuc., 11, 27).)

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d’Hestiée[*](Ils avaient également chassé les habitants d’Hestiée pour occuper eux-mêmes le pays (Thcc., I, 114).) en Eubée, tous colons d'Athènes. D’autres prirent part à l’expédition comme sujets, comme alliés libres, quelques-uns comme mercenaires : parmi les peuples sujets et tributaires, étaient les habitants de l’Eubée, Érétriens, Chalcidéens, Styréens, Carystiens; les insulaires de Céos, d’Andros, de Ténos; de l’Ionie étaient venus les Milésiens, les Samiens et ceux de Chio. Ces derniers toutefois, non tributaires, et ne devant que des vaisseaux, avaient gardé leur autonomie. Tous ces peuples, presque entièrement Ioniens et d’origine athénienne, — à l’exception des Carystiens, qui sont des Dryopes, — prenaient part à l’expédition comme sujets et astreints au service; mais du moins c’étaient des Ioniens combattant contre des Doriens. Venaient ensuite les peuples de race éolique; les Méthymnéens fournissaient, comme sujets, un contingent de vaisseaux, mais ne payaient pas tribut; ceux de Ténédos et d’Énos étaient tributaires. Ceux-là, quoique Éoliens, étaient forcés à porter les armes contre des Éoliens, leurs fondateurs, contre les Béotiens alliés des Syracusains. Les Platéens, tout au contraire, étaient les seuls Béotiens armés contre des Béotiens par un juste sentiment de haine. Les habitants de Rhodes et de Cythère, Doriens les uns et les autres, prenaient également part à la guerre : ceux de Cythère, colons de Lacédémone, marchaient avec les Athéniens contre les Lacédémoniens compagnons de Gylippe; ceux de Rhodes, Argiens d’origine, étaient contraints à faire la guerre aux Syracusains qui étaient Doriens, [*](1 Ils avaient également chassé les habitants d’Hestiée pour occuper eux-mêmes le pays (Thcc., I, 114).)
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et aux habitants de Géla, leurs propres colons, engagés dans le parti de Syracuse. Parmi les insulaires voisins du Péloponnèse, ceux de Céphallénie et de Zacynthe, indépendants il est vrai, cédaient surtout, en suivant les Athéniens, aux nécessités de leur position d’insulaires vis-à-vis des maîtres de la mer; les Corcyréens, qui sont non seulement des Doriens, mais de véritables Corinthiens, marchaient à la suite des Athéniens contre les Corinthiens dont ils descendent, et contre les Syracusains qui ont avec eux même origine; en apparence ils cédaient à la force, en réalité ils n’étaient pas fâchés de satisfaire leur haine contre les Corinthiens. Ceux qu’on appelle aujourd’hui Messéniens de Naupacte, et les Messéniens de Pylos, qui était alors au pouvoir des Athéniens, furent également enrôlés pour cette guerre. Des exilés mégariens, en petit nombre, combattirent aussi, par le malheur de leur situation, contre les Sélinontins originaires de Mégare. Quant aux autres peuples, la part qu’ils prirent à l’expédition fut plutôt toute volontaire. Les Argiens y vinrent, moins à titré d’alliés qu’en haine des Lacédémoniens el par des considérations toutes personnelles : Doriens, ils suivaient contre des Doriens les Athéniens qui sont Ioniens. Les Mantinéens et les autres mercenaires arcadiens, accoutumés à marcher toujours contre quiconque est désigné à leurs coups, ne faisaient alors aucune différence, grâce à la solde qu’ils touchaient, entre les Arcadiens venus avec les Corinthiens et les autres ennemis. Les Crétois et les Étoliens avaient aussi été entraînés par l’appât d’une solde : les Crétois, qui avaient fondé Géla de concert avec les Rhodiens, se trouvèrent ainsi, à titre de mercenaires, marcher
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sans le vouloir contre leur colonie, au lieu de la défendre. Parmi les Acarnanes, quelques-uns avaient cédé à l’attrait du gain; mais la plupart obéissaient à leur affection pour Démosthènes, à leur penchant pour les Athéniens, et les secondaient en qualité d’alliés. Indépendamment de ces peuples qu’embrasse le golfe d'lonie, quelques villes d’ltalie, Thurium et Métaponte, participèrent à l’expédition, réduites à cette nécessité par les malheurs d’un temps de sédition. En Sicile, Naxos et Catane; parmi les barbares, les Égestains, qui avaient appelé les Athéniens, et la plupart des Sicèles; en dehors de la Sicile, quelques Tyrséniens en hostilité avec Syracuse et des lapyges mercenaires : tels sont les peuples qui marchaient avec les Athéniens.

LVIII. Les Syracusains, de leur côté, avaient pour auxiliaires les habitants de Camarina qui leur sont limitrophes, et ceux de Géla qui viennent ensuite. Les Agrigentins étaient neutres; mais, de l’autre côté d’Agrigente, les Sélinontins étaient avec Syracuse. Tous ces peuples habitent la partie de la Sicile tournée vers la Libye. Du côté qui regarde la mer Tyrsénienne, les Himériens, les seuls Grecs établis dans cette partie, furent aussi les seuls qui secoururent les Syracusains. Tels étaient les alliés de Syracuse parmi les peuples grecs de la Sicile; tous sont Doriens et autonomes. Parmi les barbares, ils n’avaient avec eux que ceux des Sicèles qui n’avaient point passé aux Athéniens. Quant aux Grecs du dehors, les Lacédémoniens fournirent un commandant Spartiate, des néodamodes et des hilotes (néodamode signifie affranchi). Les Corinthiens seuls amenèrent simultanément une flotte et une armée

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de terre; des liens de parenté engagèrent dans la ligue les Leucadiens et les Ambraciotes; il vint d’Arcadie des mercenaires envoyés par les Corinthiens; les Sicyoniens furent forcés à marcher. En dehors du Péloponnèse ils eurent avec eux les Béotiens. Mais comparativement, les secours fournis par les Siciliens furent, grâce à l’importance de leurs villes, supérieurs de beaucoup sous tous les rapports à ceux envoyés du dehors. Ils rassemblèrent un grand nombre d’hoplites, de vaisseaux, de cavalerie et une masse d’autres troupes. Toutefois les Syracusains contribuèrent, on peut le dire, plus que tous les autres ensemble, en raison de la puissance de leur ville et du péril extrême où ils étaient.

LIX. Telles furent les forces auxiliaires réunies de part et d’autre : toutes se trouvaient alors présentes à Syracuse, et, à partir de ce moment, ni l’un ni l’autre parti ne reçut plus aucun renfort.

Les Syracusains et leurs alliés pensèrent donc avec raison que ce serait pour eux un glorieux exploit, après la victoire navale qu’ils venaient de remporter, que de prendre en entier cette armée athénienne si nombreuse, et de ne lui laisser aucun moyen d’échapper ni par terre ni par mer. Ils se mirent aussitôt à fermer le grand port, qui avait environ huit stades d’ouverture, en mouillant transversalement des trirèmes, des vaisseaux de charge et des barques qu’ils affermirent sur des ancres. Ils faisaient d’ailleurs tous leurs préparatifs pour le cas où les Athéniens oseraient tenter un nouveau combat naval, et ne formaient plus que de vastes desseins.

LX. Les Athéniens, se voyant enfermer et devinant

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toute la pensée de l’ennemi, crurent devoir délibérer. Les généraux et les taxiarques[*](Les taxiarqnes ne prenaient pas part aux délibérations dans les circonstances normales.) tinrent conseil : l’armée manquait de tout; les vivres étaient épuisés, et comme on avait fait passer l’ordre à Catane, en vue du départ projeté, de suspendre les envois, on n’en pouvait espérer pour l’avenir, à moins d’une victoire navale. En présence de cette situation, ils s’arrêtèrent aux résolutions suivantes : abandonner la partie supérieure de leurs murailles[*](l.a partie qui se dirigeait vers Épipolæ, leur but étant de se concentrer sur le grand port.); retrancher auprès des vaisseaux l’espace strictement nécessaire pour le matériel et les malades, et y mettre garnison; embarquer le reste de l’armée de terre sur tous les vaisseaux, même sur ceux qui étaient moins propres au service, et forcer le passage en combattant; vainqueurs, se retirer à Catane : vaincus, brûler la flotte, prendre, en ordre de bataille, la voie de terre et occuper au plus tôt quelque place amie, soit grecque, soit barbare. Cette résolution prise, l’exécution suivit : ils abandonnèrent furtivement les retranchements supérieurs pour se rabattre vers la mer, équipèrent tous leurs vaisseaux et forcèrent à s’y embarquer sans distinction quiconque paraissait, par sa vigueur, propre à rendre le moindre service. On arma ainsi cent dix vaisseaux en tout; on y fit monter un grand nombre d’archers et des gens de trait étrangers, Acarnanes et autres; enfin on disposa tout le reste autant que le permettaient les nécessités du moment et un pareil dessein.

Les préparatifs à peu près terminés, Nicias, voyant [*](1 Les taxiarqnes ne prenaient pas part aux délibérations dans les circonstances normales.) [*](* l.a partie qui se dirigeait vers Épipolæ, leur but étant de se concentrer sur le grand port.)

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les soldats découragés de tant de défaites sur mer auxquelles ils n’étaient pas habitués, et résolus néanmoins, faute de vivres, à risquer au plus tôt le combat, les assembla tous et leur adressa pour la première fois quelques paroles d’encouragement. Il s’exprima en ces termes :

LXI. « Soldats athéniens, et vous, alliés, dans le combat qui va s’engager il y a parité pour tous; il s’agit pour chacun de vous, tout aussi bien que pour l’ennemi, du salut et de la patrie; car, si nous sommes aujourd’hui vainqueurs sur mer, chacun peut espérer encore revoir son pays. Mais il ne faut pas perdre courage, ni imiter ces hommes sans aucune expérience, qui, malheureux au début dans les combats, mesurent ensuite toutes leurs appréhensions à leurs premiers revers. Vous tous qui m’écoutez, vous Athéniens, éprouvés déjà dans bien des combats, et vous, alliés, associés à toutes nos luttes, rappelez-vous combien l’imprévu domine à la guerre; ne désespérez pas de voir la fortune se ranger aussi avec nous, et préparez-vous à prendre une revanche digne de vous, digne de cette armée dont vous voyez la masse imposante.

LXII. « Toutes les mesures qui nous ont semblé utiles dans les circonstances actuelles, soit en raison du peu d’étendue du port et de la multitude des vaisseaux, soit pour parer au mal que nous ont fait précédemment les troupes ennemies disposées sur les ponts, nous les avons étudiées et adoptées de concert avec les pilotes. Nous embarquons quantité d’archers et de gens de trait, une foule d’hommes que nous nous fussions bien gardés d’employer dans un combat au large, où la pesanteur des bâtiments aurait nui à la science

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de la manoeuvre, mais qui, dans la nécessité où nous sommes ici de livrer du haut de nos vaisseaux un combat de terre, nous seront utiles. Quant aux bâtiments, nous opposons de nouvelles dispositions à celles de l’ennemi; contre leurs antennes massives nous aurons des mains de fer qui, une fois jetées sur eux, ne laisseront pas à leurs bâtiments, pourvu que les équipages fassent ensuite leur devoir, la liberté de reculer après un premier choc pour revenir à la charge. Car, telle est la nécessité à laquelle nous sommes réduits : il nous faut, sur nos vaisseaux, engager un combat de terre ferme, et par suite ne pas rétrograder, ne pas permettre à l’ennemi de le faire, si nous trouvons avantage à cela; d’autant plus que toute la côte, à l’exception de l’espace occupé par notre armée de terre, est au pouvoir de l’ennemi.