History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LI. Les Syracusains, informés de ces détails, eurent l'oeil plus ouvert encore à ne laisser aucun relâche aux Athéniens, puisque ceux-ci reconnaissaient eux-mêmes et prouvaient suffisamment par leurs projets de départ qu’ils n’avaient plus dès lors la supériorité ni sur terre ni sur mer; autrement ils n’auraient pas songé au départ. Voulant d’ailleurs les empêcher de s’établir sur quelque autre point de la Sicile, où ils seraient plus difficiles à combattre, ils résolurent de les forcer au plus vite sur place, et dans des conditions avantageuses

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pour eux-mêmes, à un combat naval. Ils équipèren donc leurs vaisseaux et s’exercèrent pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’ils se crussent suffisamment préparés. Le moment arrivé, ils attaquèrent dès la veille[*](La veille du jour fixé pour l’engagement général.) les murs des Athéniens. Un corps peu considérable d’hoplites et de cavaliers s’étant avancé contre eux par quelques portes de sortie, ils coupèrent quelques-uns des hoplites, les mirent en fuite et les poursuivirent. Comme l’entrée[*](Les portes pratiquées dans les murs.) était étroite, les Athéniens perdirent soixante-dix chevaux et des hoplites, mais ceux-ci en petit nombre.

LII. L’armée syracusaine rentra pour ce jour-là; mais le lendemain ils firent sortir soixante-seize vaisseaux, pendant que l’armée de terre marchait de son côté contre les retranchements. Les Athéniens opposèrent quatre-vingt-six vaisseaux; on s’aborda et le combat commença. Eurymédon, qui tenait la droite des Athéniens, avait étendu sa ligne et rasait de près la côte, afin d’envelopper la flotte ennemie; mais les Syracusains et leurs alliés, après avoir enfoncé le centre des Athéniens, le coupèrent du reste de la flotte, l’enfermèrent dans le golfe au fond du port[*](A l’embouchure de l’Anapos.) et détruisirent son vaisseau, ainsi que ceux qui l’accompagnaient. Ensuite ils se mirent à la poursuite du reste de la flotte et la poussèrent au rivage.

LIII. Gylippe voit la flotte ennemie vaincue et rejetée on dehorsdes pilotis et du camp des Athéniens[*](C’est-à-dire en dehors de l’abri que les Athéniens avaient établi dans le grand port au moyen de palissades, en avant de leur camp.); [*](1 La veille du jour fixé pour l’engagement général.) [*](2 Les portes pratiquées dans les murs.) [*](3 A l’embouchure de l’Anapos.) [*](4 C’est-à-dire en dehors de l’abri que les Athéniens avaient établi dans le grand port au moyen de palissades, en avant de leur camp.)

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voulant exterminer ceux qui en descendent et faciliter aux Syracusains la remorque des vaisseaux sur un rivage dont ils seraient maîtres, il se porte sur la jetée[*](Du côté d’Ortygie*) suivi d’un détachement. Les Tyrséniens, qui gardaient cette position pour les Athéniens, voyant l’ennemi s’avancer en désordre, se portent à sa rencontre, tombent sur l’avant-garde, la mettent en fuite et la rejettent dans le marais nommé Lysimélia. Les Syracusains et leurs alliés arrivent alors en forces; mais les Athéniens, craignant pour leurs vaisseaux, se portent au secours de leurs alliés, sont vainqueurs, poursuivent l’ennemi et lui tuent quelques hoplites. La plus grande partie de la flotte fut sauvée par là et put être recueillie en avant du camp, sauf dix-huit vaisseaux que les Syracusains avaient pris et dont ils tuèrent tous les équipages. Dans le dessein d’incendier les autres, ils remplirent de sarments et de torches un vieux bâtiment de charge, et, profitant du vent qui portait sur les Athéniens, ils y mirent le feu et le laissèrent aller en dérive. Les Athéniens, effrayés pour leur flotte, mirent tout en oeuvre pour arrêter l’incendie; ils parvinrent à étouffer la flamme, enpêchèrent le bâtiment d’approcher et échappèrent au danger.

LIV. Les Syracusains dressèrent un trophée pour leur victoire navale, et pour avoir, dans l’engagement précédent contre les retranchements, enveloppé les hoplites et pris quelques chevaux. Les Athéniens en élevèrent un, de leur côté, pour l’avantage remporté soit par les Tyrséniens sur l’infantrie, qui avait été mise en fuite et rejetée dans le marais, soit par euxmêmes sur le reste de l’armée.

[*](1 Du côté d’Ortygie*)
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LV. Cette victoire éclatante, surtout une victoire navale, remportée par les Syracusains qu’effrayait jusque-là la nouvelle flotte amenée par Démosthènes, jeta les Athéniens dans le plus complet découragement : la déception était grande, et plus grand encore le regret de l’entreprise. De toutes les villes auxquelles ils avaient fait la guerre jusque-là, celles de Sicile seules avaient mêmes institutions qu’eux, même gouvernement démocratique; elles étaient considérables, possédaient des flottes et de la cavalerie; il ne leur était possible par conséquent ni d’y semer des germes de sédition en vue de quelque révolution qui les leur soumît, ni de compter sur une grande supériorité de forces, puisqu’ils avaient le plus souvent échoué et se trouvaient dans une position critique même avant les derniers événements : aussi la défaite de leur flotte, qu’ils n’auraient pas supposée possible, mit-elle le comble à leur consternation.

LVI. De ce moment les Syracusains purent librement parcourir le port, et résolurent d’en fermer l’entrée, pour qu’il ne fût plus possible aux Athéniens d’en sortir à leur insu, quand bien même ils le voudraient. Car déjà ce n’était plus seulement à se sauver euxmêmes qu’ils donnaient leurs soins, ils voulaient interdire à l’ennemi toute voie de salut. Ils croyaient, ce qui était vrai, que déjà les faits accomplis leur assuraient une grande supériorité; que s’ils parvevenaient à vaincre les Athéniens et leurs alliés sur terre et sur mer, ce serait pour eux une glorieuse recommandation auprès des Grecs; que les autres nations helléniques seraient par cela seul affranchies, celles-ci de l’esclavage, celles-là de la crainte, les Athéniens,

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se trouvant dès lors hors d’état de soutenir, avec ce qui leur resterait de forces, la guerre qu’on leur ferait; qu’eux-mêmes enfin, regardés comme les auteurs de ce bienfait, seraient un objet d’admiration pour leurs contemporains et pour l’avenir. Certes, à ce point de vue et à d’autres égards encore, c’était une lutte glorieuse; ce n’était pas seulement des Athéniens qu’ils triomphaient, mais aussi d’un grand nombre d’alliés d’Athènes; de leur côté, ils n’étaient point restés isolés, mais avaient vu un grand nombre de peuples se ranger autour d’eux; ils avaient partagé le commandement avec les Corinthiens et les Lacédémoniens, exposé leur ville aux premiers périls, et grandement accru leur importance maritime. En effet, à part le rassemblement général qui dans cette guerre se fit à Athènes et à Lacédémone, jamais une seule ville n’avait vu pareil concours de peuples.