History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXI. En Sicile, Gylippos revint à Syracuse vers la même époque du printemps, amenant le plus de troupes qu’il put de chacune des villes gagnées à son parti. Il convoqua les Syracusains, et leur dit qu’il fallait équiper le plus possible de vaisseaux et tenter un combat naval; qu’il espérait qu’on en tirerait pour

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l’issue de la guerre quelque avantage à la hauteur du péril. Hermocrates se joignit à lui et contribua puissamment à vaincre la répugnance qu’ils avaient à attaquer les Athéniens sur mer; il leur dit que l’expérience de la mer n’était pas un héritage éternellement dévolu aux Athéniens et transmis par leurs pères; qu’ils étaient, au contraire, bien plus que les Syracusains, un peuple continental, et n’étaient devenus marins que contraints par les Mèdes; que contre des hommes audacieux, comme les Athéniens, répondre par l’audace, c’était paraître d’autant plus redoutable; que les Athéniens, en effet, sans forces supérieures bien souvent, frappaient les autres d’épouvante par leurs attaques audacieuses, et qu’ils éprouveraient eux-mêmes ce qu’ils faisaient éprouver à leurs adversaires. Il engagea les Syracusains à se bien persuader que l’audace imprévue de leur attaque contre la flotte athénienne et l’épouvante qu’elle inspirerait à l’ennemi, compenseraient et au delà le mal que pourrait causer à leur inexpérience l’habileté des Athéniens; en conséquence, il leur conseilla de faire sans balancer l’essai de leurs forces maritimes. Les Syracusains, excités par ces exhortations de Gylippos, d'Hermocrates et de quelques autres, se décidèrent à livrer un combat naval et montèrent sur leurs vaisseaux.

XXII. Gylippos, après avoir fait préparer la flotte, prit avec lui, pendant la nuit, toutes les troupes de pied, afin d’attaquer lui-même par terre les forts de Plemmyrion. A un signal donné, toutes les galères syracusaines prirent la mer en même temps : trentecinq s’avançaient du grand port; quarante-cinq, parties du petit port où était aussi l’arsenal, tournè-

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rent l’île pour aller rejoindre celles qui étaient dans le grand et attaquer de concert Plemmyrion, afin de déconcerter les Athéniens en se présentant de deux côtés à la fois. Les Athéniens équipèrent à la hâte soixante vaisseaux : vingt-cinq allèrent combattre les trente-cinq galères syracusaines du grand port; le reste se porta à la rencontre de la flotte qui longeait l’île au sortir de l’arsenal. Le combat s’engagea immédiatement à l’entrée du grand port; la lutte fut vive de part et d’autre, les uns voulant forcer le passage, les autres le défendre.

XXIII. Pendant ce temps, Gylippos profita du moment où la garnison athénienne de Plemmyrion était descendue au rivage et concentrait toute son attention sur le combat naval, pour la surprendre et attaquer les forts à l’improviste dès la pointe du jour. Il s’empara d’abord du plus grand, puis des deux petits, la garnison n’ayant pas tenu lorsqu’elle vit avec quelle facilité le premier avait été emporté. Après la prise du premier fort, les hommes, réfugiés sur des barques et sur un bâtiment de charge, eurent grand’peine à regagner le camp : car, la division syracusaine du grand port ayant eu l’avantage dans l’engagement naval, une trirème d’une marche supérieure s’était mise à leur poursuite. Mais, lorsque les deux fortins furent emportés, la flotte syracusaine venait d’être vaincue, ce qui rendit plus facile la traversée du port à ceux qui s’en échappèrent. Les vaisseaux syracusains qui combattaient à l’entrée du port forcèrent d’abord la flotte athénienne; mais ils entrèrent sans aucun ordre, s’embarrassèrent mutuellement, et livrèrent ainsi la victoire aux Athéniens; ceux-ci les

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mirent en fuite, et en firent autant de ceux qui d’abord les avaient vaincus dans le port. Ils coulèrent onze des bâtiments syracusains et tuèrent la plupart des hommes, à l’exception des équipages de trois vaisseaux, qu’ils firent prisonniers. Ils perdirent de leur côté trois bâtiments. Après avoir remorqué à terre les débris des galères syracusaines et élevé un trophée sur l'ilot en face de Plemmyrion, ils retournèrent à leur camp.

XXIV. Telle fut pour les Syracusains l’issue de cet engagement naval; mais ils demeuraient maîtres des retranchements de Plemmyrion, pour la prise desquels ils élevèrent trois trophées. Un des deux forts pris en dernier lieu fut démoli; ils réparèrent les deux autres et y mirent garnison. Beaucoup d’hommes périrent à la prise des forts, beaucoup furent faits prisonniers; le butin était immense, et rien ne leur échappa. Comme ces forts servaient aux Athéniens de magasins, il s’y trouvait beaucoup d’argent déposé par les négociants, beaucoup de vivres et d’objets appartenant aux triérarques. On y avait même déposé les voiles et les autres agrès de quarante trirèmes, ainsi que trois trirèmes tirées à sec. Mais le plus grand et le plus notable dommage pour l’armée athénienne fut la prise même de Plemmyrion; de ce moment, il n’y eut plus de sécurité pour l’entrée des convois de vivres; car ils étaient interceptés par les vaisseaux syracusains qui croisaient en cet endroit; les arrivages n’avaient plus lieu sans combat; sous tous les rapports enfin, cet événement jeta le trouble et le découragement dans l’armée.

XXV. Les Syracusains expédièrent ensuite douze

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vaisseaux, sous le commandement du Syracusain Agatharchos. Un de ces bâtiments fut détaché vers le Péloponnèse : il portait des ambassadeurs chargés d’annoncer que leurs affaires donnaient bon espoir, et d’engager les Péloponnésiens à pousser de leur côté les hostilités avec plus de vigueur encore; les onze autres firent voile pour les côtes d’Ilalie, où l’on avait appris que se dirigeaient dix bâtiments richement chargés et destinés aux Athéniens. Ils les rencontrèrent, les détruisirent pour la plupart, et brûlèrent tous tes bois destinés à la construction des navires que les Athéniens avaient fait préparer dans les campagnes de Caulonia[*](Aujourd’hui Castro Vetere, à peu de distance de Locres.) De là ils allèrent à Locres. Pendant qu’ils y étaient à l’ancre, un des bâtiments de transport partis du Péloponnèse y aborda avec des hoplites de Thespies. Les Syracusains les prirent sur leurs vaisseaux et retournèrent chez eux. Les Athéniens les épiaient avec vingt vaisseaux, à la hauteur de Mégare, et prirent un de leurs bâtiments avec son équipage; mais ils ne purent s’emparer des autres, qui gagnèrent Syracuse.

Il y eut aussi une escarmouche dans le port, au sujet des pilotis que les Syracusains avaient enfoncés dans la mer, devant l’ancien bassin, pour que leurs bâtiments pussent se tenir à l’ancre dans l’intérieur, sans craindre d’être endommagés par le choc des vaisseaux athéniens. Les Athéniens firent arriver contre les pilotis un navire du port de dix milliers[*](Le port des vaisseaux se calculait par amphores; l’amphore avait environ la capacité d’un pied cube. On calculait aussi par talents; un bA'.imcntdc cinq cents talents était de très-petite dimension.), muni de tours [*](1 Aujourd’hui Castro Vetere, à peu de distance de Locres.) [*](* Le port des vaisseaux se calculait par amphores; l’amphore avait environ la capacité d’un pied cube. On calculait aussi par talents; un bA'.imcntdc cinq cents talents était de très-petite dimension.)

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de bois et de parapets[*](Ce petit bâtiment était destiné, non pas à agir contre les pilotis, mais à protéger les travailleurs.); montés sur des barques, ils attachaient les pieux à des câbles tirés par des cabestans, et les arrachaient; ou bien ils les sciaient en plongeant. Les Syracusains tiraient des bassins sur les Athéniens qui leur répondaient du haut de leur bâtiment. A la fin les Athéniens arrachèrent la plupart des pieux. Le plus difficile était la partie des pilotis cachée sous la mer; car, comme il y avait des pieux qui ne s’élevaient pas à fleur d’eau, il était fort dangereux aux vaisseaux d’en approcher; on ne les soupçonnait pas et on risquait de s’y échouer comme sur un écueil. Cependant des plongeurs parvinrent aussi à les scier sous l’eau, moyennant salaire. Mais les Syracusains établirent de nouveaux pilotis. Une foule d’autres expédients furent imaginés de part et d’autre, comme on devait l’attendre de deux armées ennemies campées en présence et à proximité; on escarmouchait, on se harcelait sans cesse.

Les Syracusains envoyèrent dans les diverses villes[*](Dans les villes de Sicile. Ils avaient choisi dos députés étrangers à Syracuse pour que leur témoignage ne fût pas suspect.) des députés corinthiens, ambraciotes et lacédémoniens pour annoncer la prise de Plemmyrion, et représenter que leur défaite dans le combat naval tenait moins à la supériorité de l’ennemi qu’à leur propre désordre. Ils devaient également annoncer qu’on avait bon espoir sous tous les rapports, et demander des renforts tant en vaisseaux qu’en infanterie, en se fondant sur l’envoi d’une nouvelle armée attendue par les Athéniens, et sur la possibilité d’en finir avec la guerre, [*](1 Ce petit bâtiment était destiné, non pas à agir contre les pilotis, mais à protéger les travailleurs.) [*](* Dans les villes de Sicile. Ils avaient choisi dos députés étrangers à Syracuse pour que leur témoignage ne fût pas suspect.)

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si, avant son arrivée, on pouvait anéantir la première. Tel était l’état des affaires en Sicile.