History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXXXI. Ainsi parla Hermocrate. Après lui Euphémos, ambassadeur des Athéniens, prit la parole en ces termes :

LXXXII. « Nous sommes venus pour le renouvellement de l’ancienne alliance; mais, provoqués par les attaques du Syracusain, nous sommes dans la nécessité de parler de notre empire et d’en démontrer la légitimité. Il en a donné lui-même la meilleure preuve en disant qu’il y a éternelle inimitié entre les Ioniens et les Doriens, ce qui est en effet. Nous, qui sommes loniens, placés en présence des Péloponnésiens, nation dorienne, plus nombreux que nous, nos voisins, nous avons cherché les moyens d’échapper entièrement à leur domination. Après la guerre médique, en possession d’une flotte, nous nous sommes soustraits à l’empire et au commandement des Lacédémoniens; car, à part leur puissance alors prépondérante, ils n’avaient

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pas plus le droit de nous dicter des lois que nous de leur en imposer. Placés nous-mêmes à la tête des peuples auparavant soumis au Roi, nous administrons leurs affaires, parce que nous avons pensé que le meilleur moyen de nous soustraire à l’empire des Péloponnésiens était d’avoir une force pour nous défendre. Et, pour parler vrai, il n’y a eu aucune injustice de notre part à sou mettre ces Ioniens et ces insulaires, que les Syracusains nous accusent d’avoir asservis malgré les liens d’une commune origine : car ils ont marché contre la métropole, contre nous, d’accord avec le Mède; ils n’ont point osé émigrer en détruisant leurs propriétés, comme nous l’avons fait lors de l’abandon de notre ville; ils ont choisi pour eux la servitude, et ils ont voulu nous l’apporter également.

LXXXIII. « Voilà ce qui légitime notre domination[*](L’intérêt de notre propre sécurité et Tunion des Chalcidéens avec les Mèdes.) : d’une part, nous avons mis au service des Grecs la marine la plus nombreuse, et une ardeur qui ne s'est jamais démentie; les Ioniens, au contraire, ont volontairement agi de concert avec le Mède pour nous nuire; d’un autre côté, nous aspirons à nous fortifier contre les Péloponnésiens. Nous ne voulons pas nous couvrir de beaux prétextes; dire, par exemple, qu’ayant seuls anéanti le Barbare, il est juste que nous ayons l’empire; ou bien que nous avons bravé les périls plus encore pour la liberté des Péloponnésiens que pour celle de tous les Grecs et pour la nôtre propre : la vérité est que nous avons pourvu à notre propre sécurité, ce que personne ne saurait blâmer : aujourd’hui encore, c’est en vue de notre sécurité que nous sommes ici; et nous [*](1 L’intérêt de notre propre sécurité et Tunion des Chalcidéens avec les Mèdes.)

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voyons d’ailleurs que nos intérêts sont les vôtres. Nous le prouvons par les faits mêmes que les Syracusains nous reprochent, par ceux qui vous disposent surtout aux soupçons et à la crainte[*](Ces faits sont les conquêtes des Athéniens, l’asservissement des alliés.). Car nous savons que, sous le coup de la crainte et de la défiance, on peut bien se laisser prendre un moment au charme de la parole; mais qu’ensuite, quand il faut agir, c’est l’intérêt qu’on consulte. Nous le répétons donc : c’est la crainte qui nous a fait prendre l’empire en Grèce; c’est la même cause qui nous amène ici, pour y établir avec nos amis l’ordre qui convient à notre sûreté; non pour imposer l’esclavage, mais pour empêcher qu’on ne le subisse.

LXXXIV. « Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’il ne nous appartient nullement de prendre ainsi souci de vous : sachez que, si vous restez indépendants et assez forts pour tenir tête aux Syracusains, nous aurons bien moins à souffrir des forces qu’ils pourraient envoyer aux Péloponnésiens. C’est en cela que vos affaires nous intéressent au plus haut point. C’est dans les mêmes vues que nous trouvons convenable de rétablir les Léontins, non pour les asservir comme leurs compatriotes d’Eubée, mais pour leur donner au contraire le plus de puissance possible, afin que, limitrophes des Syracusains, ils puissent de chez eux les inquiéter dans notre intérêt. En Grèce, nous nous suffisons à nous-mêmes contre nos ennemis. Dès lors ces Chalcidéens, à propos desquels on nous objecte que nous n'avons aucune raison pour tenir leéuns asservis si nous venons ici affranchir les autres, nous avons avantage à ce qu’ils n’aient pas une puissance propre, et nous four- [*](1 Ces faits sont les conquêtes des Athéniens, l’asservissement des alliés.)

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nissent seulement des subsides; ce qu'il nous faut ici, au contraire, c’est que les Léontins et nos autres amis aient la plus entière indépendance.

LXXXV. « Pour un tyran, pour une ville qui exerce la domination, rien de ce qui est utile n’est sans raison; point d’amitié là où il n’y a pas de sécurité; en toutes choses ce sont les circonstances qui doivent décider des dispositions amicales ou hostiles. Or notre intérêt ici n’est pas de maltraiter nos amis, mais bien de les fortifier pour réduire nos ennemis à l’impuissance. Ce qui doit vous ôter toute défiance, c’est qu’en Grèce, avec nos alliés, nous traitons chacun en raison de l'utilité que nous en pouvons tirer : les habitants de Chio et de Méthymne sont indépendants, à la condition de fournir des vaisseaux; d’autres, soumis à un régime plus dur, nous payent tribut; d’autres enfin, quoique insulaires et à notre discrétion, sont dans notre alliance avec une entière indépendance, parce qu’ils occupent des positions favorables autour du Péloponnèse. Il est donc à croire qu’ici également ce sera notre intérêt et, comme nous l’avons dit, la crainte des Syracusains qui nous guidera dans nos mesures. Car ils aspirent à vous dominer; ils veulent vous rallier à eux en nous rendant suspects, nous forcer à repartir sans avoir rien fait, et ensuite, de vive force ou grâce à voire isolement, soumettre la Sicile à leur propre domination. Et cela est inévitable si vous vous unissez à eux : car nous n’aurons plus alors, nous, une armée aussi nombreuse, réunie sur un seul point, tout entière soûs la main[*](Nous serons obliges de nous diviser pour tenir tête à vous et aux Syracusains, nous aurons moins de chances de succès, et une fois que nous aurons quitté la Sicile, vous serez à votre tour facilement vaincus.); et, d’un autre côté, les [*](1 Nous serons obliges de nous diviser pour tenir tête à vous et aux Syracusains, nous aurons moins de chances de succès, et une fois que nous aurons quitté la Sicile, vous serez à votre tour facilement vaincus.)

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Syracusains seront bien forts contre vous en notre absence.