History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXXVI. « Camarinéens, si nous venons vers vous en ambassade, ce n’est pas dans la crainte que les forces réunies ici par les Alhéniensvous causent le moindre trouble; ce que nous redoutons surtout, c'est que vous ne vous laissiez entraîner, avant de nous avoir entendus, par les discours qu’ils vont vous tenir. Ils viennent en Sicile sous le prétexte que vous savez, mais avec des desseins que nous soupçonnons tous. Leur but me paraît être, non de rétablir, les Léontins chez eux, mais de nous chasser de chez nous. Car il n’est pas vraisemblable que, destructeurs de villes en Grèce, ils viennent ici les rétablir, ni qu’au nom de la communauté de race ils s’intéressent aux Léontins, à titre de Chalcidéens, tandis qu’en Eubée ils tiennent asservis les Chalcidéens dont ceux-ci sont des colons. Le même principe qui les a dirigés dans cette conquête, les guide encore aujourd’hui dans leur nouvelle tentative. C’est ainsi qu’appelés au commandement, du consentement des Ioniens et de tous les peuples d’origine athénienne, sous prétexte de se venger du Mède, on les vit accuser les uns de ne pas fournir le contingent, les autres de se faire mutuellement la guerre, invoquer enfin contre chacun quelque prétexte spécieux et les subjuguer tous. Dans la lutte contre le Mède, les Athéniens n’ont donc pas plus combattu pour la liberté des Grecs que ceux-ci pour leur propre indépendance. Les premiers voulaient que la Grèce fût asservie à eux-mêmes et non au Mède; les Grecs échangeaient leur maître contre un autre plus habile, et surtout plus habile pour le mal.

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LXXVII. « Mais il est par trop facile d’accuser les Athéniens; aussi ne venons-nous pas vous démontrer leurs injustices, vous les connaissez; nous venons plutôt nous accuser nous-mêmes[*](II entend par là tous les Siciliens.) de ce que, quand nous avons sous les yeux l’exemple des Grecs du continent, asservis pour ne s’être pas défendus entre eux; quand les Athéniens invoquent maintenant avec nous les mêmes sophismes, — le rétablissement des Léontins, à titre de parenté, la défense des Égestains leurs alliés, — nous ne noue hâtons pas de nous tourner tous contre eux avec une égale ardeur, et de leur montrer qu’il ne s’agit plus ici de ces Ioniens, de ces Hellespontiens et de ces insulaires qui, toujours changeant de maître, quel qu’il soit, Mède ou autre, n’en restent pas moins esclaves; mais de Doriens, d’hommes libres, venus en Sicile d’un pays indépendant, fils du Péloponnèse. Attendrons-nous donc que nous soyons tous pris tour à tour, ville à ville, quand nous savous que nous ne sommes vulnérables que de cette façon; quand nous voyons que c’est précisément là le système qu’adoptent les Athéniens, semant ici par leurs discours des germes de division parmi nous, ailleurs nous mettant réciproquement aux mains par l’espoir de leur alliance; partout, enfin, s’efforçant de nous nuire par tous les moyens en leur pouvoir, tout en donnant à chacun de belles paroles. Croyons-nous, enfin, que dans un même pays une ville, même éloignée, puisse succomber, sans que nous ressentions, nous aussi, quelque contre-coup de ses maux, sans que le malheur s’étende au delà des premières victimes?

[*](1 II entend par là tous les Siciliens.)
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LXXVIII. « Si quelqu’un s’imagine que les Syracusains seuls sont en guerre avec Athènes, et que cela ne vous concerne en rien; s’il lui semble dur de s’exposer pour ma patrie, qu’il se mette bien dans l’esprit que ce n’est pas seulement pour mon pays, que c’est au contraire pour le sien également qu’il combattra chez nous; qu’il aura d’autant moins à craindre que, tant que nous ne serons pas tombés, il trouvera en nous des alliés pour la lutte, et des alliés qui ne sont pas sans ressources. Qu’il sache que le but des Athéniens n’est pas de servir sa haine à lui contre Syracuse, mais que nous sommes bien plutôt pour eux un prétexte pour s’assurer l’amitié de Camarina. Si quelqu’un, jaloux de Syracuse ou craignant sa puissance, — car ce sont là les deux sentiments que provoque la supériorité,— désire par suite que Syracuse soit humiliée, pour rabattre son orgueil; s’il souhaite d’un autre côté, dans un intérêt de sécurité personnelle, qu’elle finisse par triompher, ses voeux sortent du cercle des possibilités humaines[*](En désirant tout à la fois qu’elle soit humiliée, et triomphe en définitive.) : car on ne saurait régler la fortune au gré de ses désirs. Et s’il s’est trompé dans ses calculs, peutpeut-être alors, gémissant sur ses propres maux, il désirera pouvoir encore envier notre bonheur[*](C’est-à-dire nous voir encore paissants et en état de le secourir.); mais il ne sera plus temps, lorsqu’il nous aura abandonnés en refusant de prendre sa part de dangers qui sont les mêmes pour tous, si on consulte plus les choses que les-mots : car, à prendre les mots, c’est notre puissance qu’on sauvera, mais, en réalité, on pourvoira à son propre salut.

[*](1 En désirant tout à la fois qu’elle soit humiliée, et triomphe en définitive.)[*](8 C’est-à-dire nous voir encore paissants et en état de le secourir.)
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« C’était à vous surtout, Camarinéens, vous, placés sur nos frontières, exposés après nous aux premiers dangers, à prévoir cela, au lieu de nous aider mollement comme vous le faites maintenant; bien plus, c’était à vous de nous prévenir, de faire maintenant ce que vous nous eussiez demandé avec instance si les Athéniens avaient attaqué d’abord Camarina, de nous exhorter à ne montrer aucune faiblesse; mais à cet égard, ni vous ni les autres n’avez témoigné le moindre empressement.

LXXIX. « Peut-être, par crainte, voudrez-vous garder une juste neutralité entre nous et nos agresseurs, sous prétexte que vous avez un traité d’alliance avec les Athéniens : mais cette alliance, ce n’est pas contre vos amis que vous l’avez faite, c’est contre les ennemis qui pourraient vous assaillir. Vous vous êtes engagés à secourir les Athéniens injustement attaques par d’autres, mais non à les soutenir lorsque eux-mêmes attaquent autrui, comme ils le font maintenant. Voyez les Rhégiens : quoique Chalcidéens, ils ne veulent pas rétablir les Léontins, Chalcidéens comme eux; et il est vraiment étrange que ce soient eux qui, suspectant les beaux sentiments dont les Athéniens couvrent leurs actes, montrent une réserve que n’autorise aucun prétexte, tandis que yous prétendez, vous, sur un prétexte spécieux, aider vos adversaires naturels, et, pour perdre ceux qui vous tiennent de bien plus près encore[*](A titre de Doriens et habitaot la même lie.), vous unir à leurs plus cruels ennemis. Celan’est point juste; vous devez, au contraire, nous venir en aide, sans craindre l’appareil de leurs forces; car il [*](1 A titre de Doriens et habitaot la même lie.)

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n’a rien de redoutable, si nous sommes tous unis; il le deviendra par une division à laquelle tendent tous leurs efforts. Ce qui le prouve, c’est que, lors même qu’ils s’attaquaient à nous seuls, ils n’ont pu, quoique vainqueurs dans un combat, réaliser leurs projets, et ont fait une retraite précipitée.

LXXX. « Aussi avec de l’union n’avons-nous aucune inquiétude sérieuse à concevoir. Marchons donc sans hésitation vers une commune alliance, d’autant mieux que nous allons être secourus par les Péloponnésiens qui, sous tous les rapports, leur sont bien supérieurs dans l’art de la guerre. N’allez pas croire d’ailleurs que cette prévoyante réserve qui consiste à ne secourir aucun des deux partis, parce que vous êtes alliés de l’un et de l’autre, soit de la justice à notre égard et un gage de sécurité pour vous : cela peut être juste en théorie, mais non en réalité : car si c’est par suite de ce défaut d’assistance qne le vaincu succombe et que le vainqueur l’emporte, qu'aurez-vous fait autre chose par votre abstention que de refuser aux uns un secours qui les eût sauvés, et de laisser aux autres la liberté de commettre l’injustice? Mieux vaudrait assurément vous unir aux victimes d’une injuste agression, surtout à des hommes de même sang que vous, pour protéger les intérêts communs de la Sicile; par là vous éviteriez en même temps une faute aux Athéniens, si tant est qu’ils soient vos amis.

« En résumé, voici ce que vous disent les Syracusains : Nous n’avons pas besoin d’exposer longuement, ni pour vous ni pour les autres[*](Pour les autres peuples do Sicile.), ce que vous-mêmes [*](1 Pour les autres peuples do Sicile.)

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n’ignorez pas plus que nous; mais nous vous supplions; nous protestons, si vous nous repoussez, qu’attaqués par les Ioniens nos éternels ennemis, nous sommes trahis, nous Doriens, par vous, par des Doriens! Si les Athéniens nous subjuguent, c’est à votre volonté qu’ils devront leur triomphe; ils en recueilleront la gloire en leur propre nom, et pour prix de la victoire ils auront l’esclavage de ceux qui la leur auront procurée. Que si, au contraire, nous sommes vainqueurs, c’est encore sur vous, cause de nos dangers, que tombera la vengeance. Réfléchissez donc et choisissez dès à présent : d’une part, la servitude immédiate et sans alternative; de l’autre, vainqueurs avec nous, vous échappez et à la honte de prendre les Athéniens pour maîtres, et à notre haine qui ne serait pas de courte durée. »