History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
LXXI. — Avant qu’on se fût encore abordé, voici ce qu’imagina Agis. Il arrive, en général, dans toute armée, qu’au moment de l’attaque, on s’appuie sur l’aile droite et que de part et d’autre on déborde la gauche de l’ennemi. Cela tient à ce que chacun, par [*](1 Thucydide fait évidemment allusion ici aux chants de Tyrtée, dont il semble donner en quelques mots l’analyse.)
LXXII. Mais il arriva que, cet ordre étant donné à l’improviste et pendant la charge, Aristoclès et Hipponoïdas refusèrent d’avancer. — Ils furent plus tard, pour ce fait, exilés de Sparte, comme coupables de lâcheté. — Il s’ensuivit que les ennemis attaquèrent [*](1 On portait le bouclier de la main gauche; la droite maniait la lance; le corps se trouvait donc à découvert de ce côté.) [*](a N’ayant aucun voisin sous le bouclier duquel il pût s’abriter, il tendait toujours à dépasser la ligne ennemie.)
LXXIII. Les Argiens et leurs alliés ayant cédé sur ce point, l’armée se trouva coupée[*](Παρερρήγνυντο άμα καί έφ’ έκάτερα. Ils furent rompus et portés dans des directions différentes, l’aile droite avançant pendant que lu gauche commençait à céder.). En même temps [*](1 C’est à dire la cavalerie lacédéraonienne placée à cette aile, les scirites et les soldats de Brasidas.) [*](* Jusqu’au camp.) [*](8 Παρερρήγνυντο άμα καί έφ’ έκάτερα. Ils furent rompus et portés dans des directions différentes, l’aile droite avançant pendant que lu gauche commençait à céder.)
LXXIV. Tel fut, sans insister sur quelques détails analogues, l’ensemble de ce combat le plus important qui eût été livré depuis bien des années entre les Grecs, et auquel concoururent les États les plus considérables. Les Lacédémoniens exposèrent les armes des ennemis morts, élevèrent aussitôt un trophée et dépouillèrent les cadavres[*](Élien dit, vi, 6, qu’il n’était pas permis aux Lacédémoniens de dépouiller les ennemis.). Ils recueillirent leurs morts, pour les transporter à Tégée, où ils les enter- [*](1 Élien dit, vi, 6, qu’il n’était pas permis aux Lacédémoniens de dépouiller les ennemis.)
LXXV. Au moment où il fut question de livrer bataille, le second roi de Lacédémone, Plistoanax, prit avec lui les vieillards et les jeunes gens pour rejoindre l’armée[*](Il y avait cependant une loi qui défendait aux deux rois de se mettre en campagne en même temps.); mais, arrivé à Tégée, il apprit la victoire et s’en retourna. Les Lacédémoniens envoyèrent contremandcr les Corinthiens et les alliés de l’autre côté de l’isthme; comme on était alors au mois carnéen, ils se retirèrent eux-mêmes, congédièrent leurs alliés et célébrèrent les fêtes[*](Ou célébrait dans ce mois des fêtes miliiaires.). Par ce seul fait d’armes, ils se lavèrent en même temps et de l’accusation de lâcheté que leur adressaient les Grecs pour leur désastre de Sphactérie, et des reproches d’indécision et de lenteur. On vit que la fortune avait pu les trahir, mais qu’ils étaient restés les mêmes par le coeur.
La veille de cet engagement, les Épidauriens avaient envahi en masse le territoire d’Argos, qu’ils savaient abandonné, et avaient tué un grand nombre des soldats laissés à la garde du pays, pendant que le reste de l’armée, était au dehors; mais les Mantinéens ayant été renforcés, après le combat, par trois mille hoplites [*](1 Lâchés et Nicostratos, suivant le scolinste d’Aristophane.) [*](* Il y avait cependant une loi qui défendait aux deux rois de se mettre en campagne en même temps.) [*](3 Ou célébrait dans ce mois des fêtes miliiaires.)
LXXVI. Dès le commencement de l’hiver suivant, les Lacédémoniens, après la célébration des fêtes Carnéennes, se mirent en campagne. Arrivés à Tégée, ils envoyèrent des propositions de paix à Argos, où ils avaient précédemment formé des intelligences : leurs partisans, décidés à renverser le gouvernement démocratique à Argos, avaient bien plus de chances, depuis le combat, d’amener le peuple à un accord; leur intention était de conclure avec les Lacédémoniens d’abord une trêve, ensuite une alliance, et de s’attaquer alors au gouvernement populaire. Lichas, fils d’Arcésilas, proxène des Argiens, arriva à Argos, apportant, au nom des Lacédémoniens, une double proposition, de guerre ou de paix, à lèur volonté. Après de nombreuses contestations, — car Alcibiade se trouvait alors à Argos, — les partisans des Lacédémoniens, ne craignant plus d’agir ouvertement, déterminèrent les Argiens à accepter les propositions de paix. En voici la teneur :
LXXVII. « L’assemblée des Lacédémoniens a décidé qu’un accord serait fait avec les Argiens aux condi-·
« Si les Athéniens n’évacuent pas Épidaure, ils seront ennemis des Argiens et des Lacédémoniens, des alliés des Lacédémoniens et de ceux des Argiens.
« Les Lacédémoniens rendront à toutes les villes les enfants qu’ils peuvent avoir.
« Pour ce qui est du sacrifice au dieu[*](3 Objet premier du litige entre les Épidauriens et les Argiens.), le serment sera déféré aux Épidauriens, et les Argiens les admettront à le prononcer.
« Les villes du Péloponnèse, grandes et petites, seront toutes libres, conformément à ce qui est anciennement établi.
« Si quelque peuple étranger au Péloponnèse y pénètre avec des intentions hostiles, on se concertera pour le repousser, faisant en tout ce qui paraîtra le plus juste aux Péloponnésiens.
« Tous les alliés des Lacédémoniens hors du Péloponnèse seront dans la même situation que les alliés des Lacédémoniens et des Argiens dans le Péloponnèse; la jouissance de leurs droits leur est garantie.
On communiquera ce traité aux alliés pour qu’ils y adhèrent s’il leur agrée; si les alliés ont quelques [*](i C’est-à-dire feront rendre; car ces otages étaient entre les mains des Mantinéens. Voyez v, Cl.) [*](* Les otages arcadiens déposés par les Lacédémoniens à Orchomène, et transportés à Mantinée après la prise d’Orchomène par les Argiens.) [*](* 3 Objet premier du litige entre les Épidauriens et les Argiens.)
LXXVIII. Les Argiens commencèrent par accepter ces propositions : l’armée lacédémonienne quitta Tégée et opéra sa retraite. Les communications furent dès lors rétablies entre eux; et bientôt après les mêmes agents, poursuivant leur oeuvre, amenèrent les Argiens à renoncer à l’alliance des Mantinéens, des Éléens et des Athéniens, pour conclure avec Lacédémone un traité de paix et d’alliance dont voici la teneur:
LXXIX. « Il a été convenu entre les Lacédémoniens et les Argiens qu’il y aura paix et alliance entre eux pendant cinquante ans aux conditions suivantes :
« La justice sera égale et réciproque, conformément aux anciens usages.
« Cette paix et cette alliance seront communes aux autres villes du Péloponnèse : elles resteront autonomes et indépendantes, conserveront la jouissance de leur territoire et auront la justice égale et réciproque, conformément aux anciens usages.
« Tous les alliés des Lacédémoniens en dehors du Péloponnèse seront sur le même pied que les Lacédémoniens; les alliés des Argiens seront sur le même pied que les Argiens et conserveront leurs possessions.
« S’il est nécessaire de faire quelque expédition en commun, les Lacédémoniens et les Argiens se concerteront pour prendre dans l’intérêt des alliés les mesures les plus équitables.
« S’il s’élève un différend entre quelques-unes des villes du Péloponnèse ou du dehors, soit pour les frontières, soit pour quelque autre objet, il y aura arbitrage. Si, parmi les villes alliées, il en est qui ne peu-
« Les différends entre particuliers seront jugés suivant les anciens usages. »
LXXX. Tel fut ce traité de paix et d’alliance : les conquêtes furent restituées de part et d’autre et tous les différends terminés. Il y eut dès lors entre eux communauté d’action : ils décrétèrent de ne recevoir des Athéniens ni héraut ni ambassadeurs, que ceux-ci n’eûssent quitté le Péloponnèse et évacué les forteresses; et de ne faire ni paix ni guerre que d’un commun accord. De part et d’autre on témoignait une égale ardeur. Des ambassadeurs furent envoyés de Sparte et d’Argos aux villes de Thrace et à Perdiccas. Perdiccas, sollicité par eux d’entrer dans leur alliance, ne rompit pas sur-le-champ avec les Athéniens; mais déjà il y songeait en voyant la défection des Argiens; car il était lui-même originaire d’Argos. Quant aux Chalcidiens les anciens serments furent renouvelés avec eux[*](Les Chalcidiens s’étaient séparés des Athéniens dès le commencement de la guerre (Thücydid?, i, 58). C’est probablement à cette époque qu’ils firent alliance avec les Lacédémoniens.) et on en prêta de nouveaux. Les Argiens envoyèrent aussi des ambassadeurs aux Athéniens pour leur enjoindre d’évacuer la forteresse élevée près d’Épidaure. Ceux-ci, ne se sentant pas en forces, — car ils ne formaient qu’une faible partie de la garnison,— envoyèrent Démosthènes pour ramener leur contingent; mais, une fois arrivé, Démosthènes attira hors de la place les autres troupes de la garnison, sous prétexte d’un combat gymnique qu’il donna hors des [*](1 Les Chalcidiens s’étaient séparés des Athéniens dès le commencement de la guerre (Thücydid?, i, 58). C’est probablement à cette époque qu’ils firent alliance avec les Lacédémoniens.)
LXXXI. Les Argiens une fois détachés de l'alliance[*](De l’alliance athénienne.), les Mantinéens, après avoir tenté d’abord de résister, sentirent qu’ils ne pouvaient rien sans Argos; ils traitèrent donc à leur tour avec les Lacédémoniens, et renoncèrent à’ la suprématie des villes[*](Ils firent avec les Lacédémonicns une trêve de, trente ans (Xénophon, Helléniques, v, 2). Les villes dont il est ici question sont les petites villes d’Arcadie, objet de la guerre.).
Les Lacédémoniens et les Argiens mirent chacun de leur côté mille hommes sur pied pour une expédition commune : d’abord les Lacédémoniens allèrent seuls à Sicyone, où ils établirent un gouvernement plus oligarchique; réunis ensuite aux Argiens, ils abolirent de concert la démocratie à Argos, et y établirent l’oligarchie, plus favorable aux intérêts deLacédémone. Ces événements eurent lieu aux approches du printemps, vers la fin de l’hiver. Ici se termine la quatorzième année de la guerre.
LXXXII. L’été suivant, les Diens du mont Athos rompirent avec Athènes pour passer aux ChaJcidiens. Les Lacédémoniens établirent dans l’Achaïe un ordre plus favorable à leurs vues.
Le parti populaire à Argos se ligua peu à peu, reprit courage et attaqua les partisans de l’oligarchie. Il attendit pour cela le moment où les gymnopédies[*](Fêtes de la jeunesse, dans lesquelles des enfants formaient des choeurs en l’honneur d’Apollon; on y chantait aussi des hymnes à la gloire des guerriers morts dans les combats. Elles se tenaient au milieu de l’été.) se [*](1 De l’alliance athénienne.) [*](8 Ils firent avec les Lacédémonicns une trêve de, trente ans (Xénophon, Helléniques, v, 2). Les villes dont il est ici question sont les petites villes d’Arcadie, objet de la guerre.) [*](8 Fêtes de la jeunesse, dans lesquelles des enfants formaient des choeurs en l’honneur d’Apollon; on y chantait aussi des hymnes à la gloire des guerriers morts dans les combats. Elles se tenaient au milieu de l’été.)
LXXXIII. L’hiver suivant[*](Olympiade quatre-vingt-dixième, quatrième année, 417 avant l’ère vulgaire.), les Lacédémoniens, informés de la construction des murs, marchèrent contre Argos avec leurs alliés, les Corinthiens exceptés; alors encore ils avaient dans Argos même quelques intelligences. Agis, fils d’Archidamos, roi des Lacédémoniens, commandait l’expédition. Mais le succès qu’ils attendaient de leurs intelligences dans la ville leur fit encore défaut; ils s’emparèrent des murs en construction et les rasèrent; ils prirent aussi Hysies[*](Petite place au sud d’Argos, à trois ou quatre lieues de cette ville.), place del’Argie, où ils tuèrent tous les hommes libres qui leur tombèrent entre les mains; puis ils opérèrent leur retraite et se séparèrent.
Les Argiens, à leur tour, envahirent le territoire de Phlionte et ne se retirèrent qu’après l’avoir ravagé, parce qu’on y avait reçu leurs bannis; c’était là en effet que la plupart d’entre eux s’étaient établis. Le même hiver les Athéniens bloquèrent les côtes de Macédoine; ils reprochaient à Perdiccas d’être entré dans la ligue de Lacédémone et d’Argos, et d’avoir, — à l’époque où ils préparèrent une expédition contre les Chalcidiens de l’Épithrace et contre Amphipolis, sous la conduite de Nicias, fils de Nicostrate, — violé le contrat mutuel, et amené par son abstention la dissolution de leur armée. Ils le traitèrent donc en ennemi. L’hiver finit, et avec lui la quinzième année de la guerre.
LXXXIV. L’été suivant, Alcibiade fit voile pour Argos avec vingt vaisseaux, et enlèva trois cents des habitants [*](1 Olympiade quatre-vingt-dixième, quatrième année, 417 avant l’ère vulgaire.) [*](2 Petite place au sud d’Argos, à trois ou quatre lieues de cette ville.)