History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXXXV. Les Athéniens. « Si l’on nous interdit de parler devant le peuple, c’est sans doute de peur que l’attrait d’un discours suivi, prononcé sans interruption, sans le contre-poids d’aucune réfutation, ne séduise la multitude. — Car nous sentons bien que c’est dans cette crainte que vous ne nous admettez à parler que devant les principaux citoyens. — Mais alors, vous [*](1 L’une dea Cyclades.)

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qui siégez ici, prenez encore mieux vos sûretés : au lieu de nous faire vous-mêmes une réponse unique, prenez chaque point isolément, réfutez sur-le-champ tout cé qui dans nos observations ne vous paraîtra pas fondé, et décidez ensuite. Et d’abord, dîtes-nous si cette proposition vous convient. » Le conseil des Méliens répondit :

LXXXVI. Les Méliens. « On ne peut qu’approuver cette façon courtoise de s’éclairer mutuellement; mais les actes, les hostilités, non point imminentes, mais déjà commencées, ne semblent guère d'accord avec ces procédés; car nous voyons bien qu’en venant ici vous vous érigez juges de ce qui va se dire, et que dès lors il ne peut sortir pour nous de cette conférence que la guerre, si, forts de l’évidence de notre droit, nous refusons de céder, ou la servitude si nous nous rendons à vos raisons.

LXXXVII. Les Athéniens. « Si vous êtes assemblés pour raisonner sur vos défiances de l’avenir; si vous n’avez pas pour but unique d’aviser au salut de votre ville, en partant du présent, de ce qui est sous vos yeux, nous n’insisterons pas; mais si telle est au contraire votre intention, nous parlerons.

LXXXVIII. Les Méliens. « Il est naturel et pardonnable, dans une telle situation, de laisser la parole et la pensée tenter toutes les voies; mais, puisque l’objet de cette conférence est de pourvoir à notre salut, que la discussion ait lieu, s’il vous convient, suivant le mode que vous avez proposé.

LXXXIX. Les Athéniens. Nous laisserons donc de côté, pour notre compte, les belles paroles; nous ne vous prouverons pas, par de longs discours qui ne con-

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vaincraient personne, que, vainqueurs des Mèdes, l’empire nous est justement acquis, ou que c’est pour venger de justes griefs que nous vous attaquons aujourd’hui; mais, par contre, nous ne voulons pas que vous vous figuriez nous convaincre en prétextant que c’est comme colons de Lacédémone que vous avez refusé de marcher avec nous, ou bien encore que vous ne nous avez fait aucun tort. Il faut s’en tenir à poursuivre ce qui est possible, étant donné pour base un principe sur lequel nous pensons de même, et n’avons rien à nous apprendre mutuellement : c’est que, dans les affaires humaines, on se soumet aux règles delà justice quand on y est contraint par une mutuelle nécessité, mais que, pour les forts, le pouvoir est la seule règle, et pour les faibles la soumission.

XC. Les Méliens. « Eh bien, au point de vue de l’utilité (il faut bien partir de là, puisque vous nous provoquez à laisser le juste à l’écart, pour parler intérêt), vous auriez tort, à notre avis, de mettre de côté l’intérêt général[*](C’est-à-dire, vous auriez tort, dans votre intérêt même, de ne tenir aucun compte de l'intérêt d’autrui.); il est bon, au contraire, d’accorder toujours à qui est dans une situation critique ce qui est juste et convenable, de le laisser même demander à la persuasion quelques avantages au delà du droit strict et rigoureux. Vous y êtes intéressés plus que personne, d’autant mieux que par des châtiments excessifs vous fourniriez aux autres un précédent, si vous veniez à éprouver quelque échec.

XCI. Les Athéniens. « La fin de notre domination, si elle doit finir, nous laisse sans inquiétudes; car ce ne sont pas les peuples habitués à la domination, comme [*](1 C’est-à-dire, vous auriez tort, dans votre intérêt même, de ne tenir aucun compte de l'intérêt d’autrui.)

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les Lacédémoniens, qui traitent durement les vaincus; — et d’ailleurs nous n’avons pas affaire aux Lacédémoniens : — ce sont au contraire les peuples soumis, lorsqu’ils attaquent leurs anciens maîtres et prennent sur eux l’avantage. Mais laissons de côté ces chances qui nous regardent : nous voulons établir que c’est l’intérêt de notre domination qui nous amène ici, et que nos propositions tendent au salut de votre ville; car notre but est de vous tenir sous notre puissance sans qu’il nous en coûte de peine, et de vous conserver pour votre avantage et pour le nôtre.

XCII. Les Méliens. « Et comment donc aurionsnous à la servitude le même intérêt que vous à la domination?

XCIII. Les Athéniens. « C’est que vous vous soumettriez alors sans passer par les plus dures extrémités; et, de notre côté, nous aurions avantage à ne pas vous exterminer.

XCIV. Les Méliens. « Ainsi la proposition de nous tenir en repos, d’être vos amis et de rester neutres, ne serait pas acceptée?

XCV. Les Athéniens. « Non; mieux vaudrait pour nous votre haine : car l’amitié passerait pour faiblesse; la haine deviendra un témoignage de notre puissance[*](Elle nous permettra de faire sur vous un exemple.) aux yeux de nos sujets.

XCVI Les Méliens. « Vos sujets ont-ils donc assez peu de sens droit pour mettre sur la même ligne des peuples qui ne vous tiennent par aucun lien et ceux qui ont été soumis par vous, soit comme colons athéniens, — c’est le plus grand nombre, — soit après défection?

[*](1 Elle nous permettra de faire sur vous un exemple.)
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XCVII Les Athéniens. « Ils pensent que le droit ne manque ni aux uns ni aux autres[*](Ni aux peuples soumis, ni à ceux qui sont restés indépendants.), et que si ceux-là[*](Ceux qui ne nous tiennent par aucun lien.) sont restés indépendants, c’est grâce à leur puissance, la crainte nous empêchant de les attaquer. Votre soumission, outre qu’elle accroîtra le. nombre de nos sujets, sera donc pour nous une nouvelle cause de sécurité[*](Car la vue d’un peuple libre peut devenir une tentation pour nos sujets.); d’ailleurs votre condition d’insulaires en face d’une puissance maritime prépondérante, et votre faiblesse relative[*](L’exemple serait d’autant plus pernicieux qu’il partirait d’un peuple faible. ·), nous permettent d’autant moins de vous laisser cette indépendance.

XCVIII. Les Méliens. « Mais croyez-vous que l’autre politique[*](Celle qui respecterait l’indépendance des peuples neutres.) ne contribuerait pas plus à votre sécurité? — Car il faut bien que nous partions de là[*](C’cst-à dire de votre intérêt, de votre sécurité.), puisque vous nous jetez en dehors des principes de justice, pour nous amener à vous suivre sur le terrain de votre intérêt; il faut que, nous aussi, si notre intérêt se trouve d’accord avec le vôtre, nous nous efforcions de vous le démontrer. — Comment sera-t-il donc possible que vous n’ayez pas pour ennemis tous les peuples neutres aujourd’hui, lorsque, tournant Jes yeux vers nous, ils penseront qu’un jour viendra où vous les attaquerez aussi à leur tour? Que faites-vous autre chose par là que de grandir vos ennemis actuels, et de tourner contre vous, en dépit d’eux-mêmes, ceux qui n’avaient aucune intention hostile?

[*](1 Ni aux peuples soumis, ni à ceux qui sont restés indépendants.)[*](2 Ceux qui ne nous tiennent par aucun lien.)[*](3 Car la vue d’un peuple libre peut devenir une tentation pour nos sujets.)[*](4 L’exemple serait d’autant plus pernicieux qu’il partirait d’un peuple faible. ·)[*](5 Celle qui respecterait l’indépendance des peuples neutres.)[*](6 C’cst-à dire de votre intérêt, de votre sécurité.)
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