History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LVII. Au milieu de l’été suivant[*](418 avant notre ère 5 juin.), les Lacédémoniens, voyant la détresse des Épidauriens, leurs alliés, la défection d’une partie du Péloponnèse et les mauvaises dispositions du reste, songèrent que le mal ne ferait qu’empirer s’ils ne le prévenaient au plus tôt. Ils se portèrent en masse contre Argos, eux et les Hilotes, sous [*](1 Quand on déclarait le traité rompu, on renversait la colonne sur laquelle il était inscrit; les Athéniens, ne voulant pas encore reprendre les hostilités, se contentaient, comme vengeance, d’une insulte publique aux Lacédémoniens.) [*](2 Voyez même livre, ch. 35.) [*](3 Par suite de la dispersion des troupes dans tout le pays.) [*](4 418 avant notre ère 5 juin.)

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la conduite d’Agis, fils d’Archidamos, leur roi. Les Tégéates prirent part à cette expédition, ainsi que tous les alliés des Lacédémoniens dans l’Arcadie. Les alliés du reste du Péloponnèse et ceux du dehors se rassemblèrent à Phlionte : les Béotiens avaient cinq mille hoplites, autant de troupes légères, cinq cents cavaliers et même nombre d’hamippes[*](Soldats légers, intercalés dans les rangs des cavaliers, comme l’inclique leur nom, et combattant soit à pied; soit à cheval.). Les Corinthiens avaient fourni deux mille hoplites; les autres en proportion. Les Phliasiens prirent les armes en masse, l’armée se trouvant sur leur territoire.

LVIII. Les Argiens avaient été tout d’abord informés des préparatifs des Lacédémoniens; lors qu’ils les surent en marche pour rejoindre leurs alliés à Phlionte, ils se mirent eux-mêmes en campagne. Les Mantinéens, assistés de leurs alliés, et trois mille hoplites éléens, vinrent à leur secours. Ils se portèrent en avant, et rencontrèrent les Lacédémoniens à Méthydrion, en Arcadie; chacune des deux armées occupa une colline. Les Argiens se disposaient à profiter de l’isolement des Lacédémoniens pour attaquer, lorsque Agis leva secrètement son camp pendant la nuit et se porta vers Phlionte à la rencontre de ses alliés. Lorsque les Argiens s’en aperçurent, au point du jour, ils marchèrent d’abord vers Argos et suivirent ensuite la route de Némée, par où ils supposaient que les Lacédémoniens descendraient avec leurs alliés. Mais Agis, au lieu de suivre ce chemin, comme ils s’y étaient attendus, prit avec lui les Lacédémoniens, les Arcadiens et les Épidauriens, s’engagea dans une autre [*](1 Soldats légers, intercalés dans les rangs des cavaliers, comme l’inclique leur nom, et combattant soit à pied; soit à cheval.)

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route d'un difficile accès, et déboucha dans la plaine d’Argos. Les Corinthiens, les Pelléniens et les Phliasiens prirent un autre chemin par les hauteurs. Les Béotiens, les Mégariens et les Sicyoniens avaient ordre de descendre par la route de Némée, occupée par les Argiens, afin de les prendre par derrière avec la cavalerie, s’ils venaient attaquer les Lacédémoniens dans la plaine. Ces dispositions prises, Agis, après avoir débouché dans la plaine, ravagea Saminthos et d’autres points.

LIX. Il était déjà jour quand les Argiens, mieux renseignés, descendirent de Némée. Ils donnèrent au milieu des troupes de Phlionte et de Corinthe, tuèrent quelques Phliasiens et éprouvèrent eux-mêmes, de la part des Corinthiens, des pertes qui ne furent pas beaucoup plus considérables. Les Béotiens, les Mégariens et les Sicyoniens s’avancèrent vers Némée, suivant leurs instructions, mais n’y trouvèrent plus les Argiens; ceux-ci étaient déjà descendus, et, à la vue de leur territoire ravagé, s’étaient mis en ordre de bataille. En face d’eux étaient les Lacédémoniens, également en ordre de combat. Les Argiens se trouvaient cernés au milieu des ennemis : du côté de la plaine, les Lacédémoniens et les alliés qu’ils avaient avec eux leur fermaient toute communication avec la ville; les Corinthiens, les Phliasiens et les Pelléniens occupaient les hauteurs; la route de Némée était fermée par les Béotiens, les Sicyoniens et les Mégariens. Ils n’avaient pas de cavalerie; car, de tous leurs alliés, les Athéniens étaient les seuls qui ne fussent pas encore arrivés. Toutefois les Argiens et leurs alliés ne croyaient pas généralement la situation aussi critique :

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le combat leur semblait au contraire se présenter favorablement, et ils s’applaudissaient de tenir ainsi sur leur propre territoire et auprès de leur ville les Lacédémoniens enfermés. Mais, au moment même où les deux armées allaient en venir aux mains, deux Argiens, Thrasyllos, l’un des cinq généraux, et Alciphron, proxène des Lacédémoniens, allèrent trouver Agis et eurent avec lui une conférence pour empêcher le combat : ils disaient les Argiens disposés à donner et à recevoir toutes satisfactions réciproques sur le pied de l’égalité, si les Lacédémoniens avaient quelques griefs contre eux; à faire la paix pour l’avenir et à conclure un traité.

LX. Ceux des Argiens qui faisaient ces propositions parlaient en leur nom propre et sans aucune mission publique. Agis les accepta, également de sa propre autorité : sans aucune délibération générale, sans les communiquer à d’autres qu’à un des magistrats qui l’accompagnaient dans son expédition[*](Deux éphores accompagnaient toujours le roi dans ses expéditions.), il conclut une trêve de quatre mois, pendant laquelle les Argiens devaient exécuter leurs promesses. Aussitôt après il ramena son armée, sans rien dire à aucun des alliés. Les Lacédémoniens et les alliés obéirent aux ordres d’Agis, conformément à la loi[*](Quand le roi commandait, lui seul donnait les ordres.); mais, entre eux, ils le critiquèrent amèrement, en songeant qu’au moment même où s’offrait une si belle occasion de combattre, quand l’ennemi était enveloppé de toutes parts par la cavalerie et l’infanterie, ils se retiraient sans avoir rien fait qui répondît à leurs préparatifs. C’était, en effet, la [*](1 Deux éphores accompagnaient toujours le roi dans ses expéditions.) [*](* Quand le roi commandait, lui seul donnait les ordres.)

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plus belle armée grecque qui eût été rassemblée jusquelà : rien de plus brillant, surtout à Némée, quand elle s’y trouvait réunie tout entière. Là étaient les Lacédémoniens avec toutes leurs forces, les Arcadiens, les Béotiens, les Corinthiens, les Sicyoniens, les Pelléniens, les Phliasiens et les Mégariens; toutes troupes d’élite et qui semblaient capables de se mesurer, non-seulement avec la confédération des Argiens, mais avec bien d’autres forces encore réunies aux leurs. L’armée se retira donc, tout en accusant Agis; on se sépara, et chacun regagna son pays.

Les Argiens, de leur côté, accusaient bien plus amèrement encore ceux qui avaient traité sans l’aveu de la multitude : ils pensaient, eux aussi, que jamais plus belle occasion ne s’était présentée à eux que celle où les Lacédémoniens venaient de leur échapper; car ils auraient combattu au pied de leurs murailles, avec l’assistance d’alliés nombreux et braves. Aussi, à leur retour, se mirent-ils à lapider Thrasyllos dans le Charadron[*](Torrent près d’Argos, dans le lit duquel siégeait ce tribunal improvisé.), là où ils jugent, avant de rentrer, les délits militaires. Thrasyllos se réfugia au pied de l’autel, et échappa à la mort; mais ses biens furent confisqués[*](Diodore de Sicile ajoute que sa maison fut rasée.).

LXI. Après ces événements, il arriva d’Athènes mille hoplites et trois cents cavaliers, commandés par Lachés et Nicostratos. Les Argiens craignant, malgré tout[*](Malgré leur griefs contre les Lacédémoniens, énumérés plus haut.), de rompre la trêve avec les Lacédémoniens, les engagèrent à se retirer. Ils ne les introduisirent même [*](1 Torrent près d’Argos, dans le lit duquel siégeait ce tribunal improvisé.) [*](2 Diodore de Sicile ajoute que sa maison fut rasée.) [*](8 Malgré leur griefs contre les Lacédémoniens, énumérés plus haut.)

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devant le peuple, avec qui les Athéniens demandaient à négocier, que contraints par les prières des Mantinéens et des Argiens, qui étaient encore présents. Alcibiade était à Argos à titre d’ambassadeur; il déclara, au nom des Athéniens, en présence des Argiens et des alliés, que la trêve n’avait pu être légalement conclue sans l’assentiment des autres alliés; que dès lors il fallait sur-le-champ, puisqu’ils arrivaient à temps, commencer la guerre. Les confédérés goûtèrent ces raisons, et tous, à l’exception des Argiens, se portèrent sur Orchomène d’Arcadie. Les Argiens, quoique tout aussi convaincus que les autres, restèrent d’abord en arrière, mais ils rejoignirent ensuite. Tous ensemble allèrent camper devant Orchomène, y mirent le siége et donnèrent plusieurs assauts. A tous les motifs qu’ils avaient de s’en rendre maîtres s’ajoutait la présence des otages d’Arcadie, que les Lacédémoniens y avaient déposés. Les Orchoméniens, inquiets de la faiblesse de leurs remparts et du nombre des ennemis, ne voyant, d’ailleurs, personne leur venir en aide, craignirent de succomber avant d’être secourus : ils capitulèrent à la condition d’entrer dans l’alliance et de remettre aux Mantinéens des otages d’Orchomène, indépendamment de ceux que les Lacédémoniens leur avaient confiés.

LXII. Les confédérés, une fois maîtres d’Orchomène, mirent en délibération quelle place ils attaqueraient d’abord parmi celles qui restaient : les Éléens opinaient pour Lépréon, les Mantinéens pour Tégée. Les Athéniens et les Argiens s’étaient rangés à l’avis des Mantinéens; les Éléens, irrités de ce que le choix ne fût pas tombé sur Lépréon, se retirèrent. Le reste des

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alliés fit à Mantinée ses dispositions pour aller attaquer Tégée. Quelques-uns des Tégéates conspiraient avec eux pour la leur livrer.

LXIII. Les Lacédémoniens, depuis qu’ils avaient quitté Argos, après la conclusion de la trêve de quatre mois, accusaient amèrement Agis de n’avoir pas profité, pour soumettre cette place, de la plus belle occasion qui se fût jamais offerte, à ce qu’ils croyaient : car c’était chose rare que d’avoir réunis sous la main des alliés aussi nombreux et de si belles troupes. Mais l’indignation fut bien plus grande encore, quand on apprit la prise d’Orchomène. Dans le premier mouvement de colère, ils décidèrent sur-le-champ, contrairement à leurs habitudes[*](Les Lacédémoniens ne prononçaient jamais une condamnation, sans prendre le temps de s’éclairer à loisir. On en trouve la preuve dans Thucydide, livre i, ch. 132, à propos de Pausanias.), que la maison d’Agis serait rasée et qu’il payerait une amende de cent mille drachmes. Il les supplia de n’en rien faire, promettant que, dans la première campagne, il rachèterait par quelque action d’éclat ce qu’on lui imputait; sinon ils feraient alors ce qu’ils jugeraient à propos. Ils ajournèrent l’amende et la démolition; mais ils rendirent en cette circonstance une loi sans précédents chez eux : ils lui nommèrent un conseil de dix Spartiates, sans l'avis desquels il lui était interdit de faire aucune expédition.

LXIV. Cependant les Lacédémoniens reçurent avis de leurs partisans à Tégée que, s’ils ne se hâtaient d’arriver, cette ville allait faire défection pour passer aux Argiens et à leurs alliés; que cette défection était imminente. Aussitôt ils s’y portèrent en masse, eux et [*](1 Les Lacédémoniens ne prononçaient jamais une condamnation, sans prendre le temps de s’éclairer à loisir. On en trouve la preuve dans Thucydide, livre i, ch. 132, à propos de Pausanias.)

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les Hilotes, avéc une célérité jusqu'alors sans exemple. Ils se dirigèrent vers Oresthion de Ménalie, et avertirent ceux des Arcadiens qui étaient leurs alliés de se réunir et de marcher sur leurs pas à Tégée. Eux-mêmes s’avancèrent jusqu’à Oresthion avec toutes leurs forces : de là ils renvoyèrent chez eux le sixième de leur monde, particulièrement les vieillards et les hommes les plus jeunes, pour garder le pays. Le reste arriva à Tégée, et fut rejoint peu après par les alliés d’Arcadie. Ils envoyèrent aussi à Corinthe, chez les Béotiens, les Phocéens et les Locriens, pour les inviter à se porter au plus vite sur Mantinée. Cet avis prit les alliés à l’improviste; il ne leur était pas facile, d’un autre côté, de traverser isolément et sans s’attendre mutuellement le pays ennemi, qui leur barrait le chemin. Cependant ils firent diligence. Quant aux Lacédémoniens, ils prirent avec eux leurs alliés d’Arcadie qui déjà avaient rejoint, envahirent le territoire de Mantinée, et, campés près du temple d’Hercule, ils ravagèrent le pays.

LXV. Dès que les Argiens et leurs alliés les eurent aperçus, ils allèrent occuper une position très-forte, d’un difficile accès, et se rangèrent en bataille. Les Lacédémoniens marchèrent aussitôt sur eux et s’avancèrent jusqu’à un jet de pierre ou de javelot; mais à ce moment un vieillard, voyant la force de la position contre laquelle ils allaient donner, cria à Agis qu’il voulait guérir un mal par un autre. C’était dire que par cette audace intempestive il voulait, en cette circonstance, prendre sa revanche de la retraite tant critiquée d’Argos. Soit qu’Agis fût frappé de cet avis, soit qu’une autre idée ou une réflexion analogue se

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fût présentée à lui tout à coup, il ramena sur-le-champ son armée en arrière, avant l’engagement, et entra sur le territoire de Tégée. Là il détourna vers Mantinée ies eaux qui sont un objet de contestation entre les Mantinéens et les Tégéates, à cause du dommage qu’elles causent de quelque côté qu'elles se portent[*](La plaine de Mantinée forme un bassin sans issue; les eaux se font jour à travers le calcaire poreux des montagnes et les cavernes, pour ne reparaître que plus loin. Cette plaine est d’ailleurs tellement basse que les eaux des torrents l’inonderaient, si on n’avait soin de les diriger par des canaux vers les gouffres où elles sont absorbées.). Il espérait qu’à cette nouvelle les Argiens et leurs alliés, campés sur la colline, en descendraient pour venir s’opposer à la dérivation des eaux, et que le combat s’engagerait dans la plaine. Il resta tout le jour à cet endroit, occupé à détourner les eaux. D’abord les Argiens et leurs alliés, étonnés de cette retraite subite au moment de l’action ne surent que conjecturer. Mais ensuite, lorsqu’ils virent que l’ennemi s’était dérobé sans qu’ils fissent un mouvement pour le poursuivre dans sa retraite, ils recommencèrent à accuser leurs généraux : « Ce n’était pas assez, disaient-ils, d’avoir une première fois laissé échapper les Lacédémoniens lorsqu’ils étaient si bien cernés près d’Argos; maintenant encore ils fuient sans que personne les poursuive; ils se sauvent en toute tranquillité, et nous sommes trahis, » Les généraux, déconcertés au premier abord, firent ensuite descendre l’armée de la colline; ils s’avancèrent dans la plaine, et y campèrent avec l’intention d’attaquer.

LXVI. Le lendemain, les Argiens et leurs alliés se rangèrent dans l’ordre où ils devaient combattre, si l’occasion s’en présentait. Les Lacédémoniens, en re- [*](1 La plaine de Mantinée forme un bassin sans issue; les eaux se font jour à travers le calcaire poreux des montagnes et les cavernes, pour ne reparaître que plus loin. Cette plaine est d’ailleurs tellement basse que les eaux des torrents l’inonderaient, si on n’avait soin de les diriger par des canaux vers les gouffres où elles sont absorbées.)

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venant des eaux pour reprendre leur position au temple d’Hercule, aperçurent tout à coup toute l’armée ennemie descendue de la colline et déjà rangée en bataille. A cet instant, les Lacédémoniens furent frappés d’une panique comme ils ne se rappelaient pas en avoir jamais éprouvé; car il leur fallut faire précipitammant leurs dispositions et prendre aussitôt leurs rangs en toute hâte. Agis, leur roi, donnait tous les ordres, conformément à la loi; car, lorsque le roi commande, tout émane de lui[*](Cela n’aurait rien d’extraordinaire partout ailleurs; mais Thucydide fait cette remarque, parce qu’en temps de paix le pouvoir du roi était extrêmement borné.) :il donne personnellement ses instructions aux polémarques[*](Les polémarques ne commandaient pas un corps particulier, puisque les lochos qui répondent à nos régiments avaient leurs chefs, les lochages. Les polémarques, placés immédiatement au-dessous du roi et chargés de transmettre ses ordres, pouvaient prendre suivant l’occurrence le commandement supérieur d’un ou de plusieurs lochos. Pour se former une idée des autres fonctions, il suffit de se rappeler que le lochos, commandé par un lochage, était composé d’environ cinq cent douze hommes; il se partageait en quatre pentécostys de cent vingt-huit hommes chacune, commandées par un pentécontère. La pentécostys se subdivisait en quatre énomoties; l’énomotarque avait donc trente-deux hommes scus ses ordres.); ceux-ci aux lochages; les lochages aux pentécontères, qui les transmettent aux énomotarques et ces derniers à l’énomotie. Tous les ordres qu’il peut y avoir à donner suivent cette voie et sont rapidement transmis; car telle est l’organisation de l’armée lacédémonienne, que chaque homme, ou peu s’en faut, commande à d’autres commandants placés sous lui, ce qui étend à un grand nombre de personnes la responsabilité de l’exécution.

LXVII. A l’aile gauche allèrent se placer les scirites[*](Les scirites paraissent, d’après le récit même de Thucydide, avoir été un corps de fantassins; ils avaient le privilège de n’ôtre jamais mêlés aux autres troupes, comme les vétérans chez les Romains; ils étaient toujours employés aux postes les plus périlleux; c’est pour cela qu’ils étaient placés à l’aile gauche, toujours exposée à être débordée par l’ennemi. ·), [*](1 Cela n’aurait rien d’extraordinaire partout ailleurs; mais Thucydide fait cette remarque, parce qu’en temps de paix le pouvoir du roi était extrêmement borné.) [*](* Les polémarques ne commandaient pas un corps particulier, puisque les lochos qui répondent à nos régiments avaient leurs chefs, les lochages. Les polémarques, placés immédiatement au-dessous du roi et chargés de transmettre ses ordres, pouvaient prendre suivant l’occurrence le commandement supérieur d’un ou de plusieurs lochos. Pour se former une idée des autres fonctions, il suffit de se rappeler que le lochos, commandé par un lochage, était composé d’environ cinq cent douze hommes; il se partageait en quatre pentécostys de cent vingt-huit hommes chacune, commandées par un pentécontère. La pentécostys se subdivisait en quatre énomoties; l’énomotarque avait donc trente-deux hommes scus ses ordres.) [*](3 Les scirites paraissent, d’après le récit même de Thucydide, avoir été un corps de fantassins; ils avaient le privilège de n’ôtre jamais mêlés aux autres troupes, comme les vétérans chez les Romains; ils étaient toujours employés aux postes les plus périlleux; c’est pour cela qu’ils étaient placés à l’aile gauche, toujours exposée à être débordée par l’ennemi. ·)

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qui occupent toujours ce poste, et qui, seuls parmi les Lacédémoniens, forment un corps spécial; venaient ensuite les soldats qui avaient fait l’expédition de Thrace sous Brasidas, et avec eux les Néodamodes; immédiatement après, les Lacédémoniens disposés par cohortes, et auprès d’eux les Arcadiens-Héréens[*](Héréa était située près des frontières de la Triphylie, sur la rive droite de l’Alphée.), puis les Ménaliens; à l’aile droite les Tégéates, avec quelques Lacédémoniens à l’extrémité; la cavalerie lacédémonienne aux deux ailes.

Dans l’armée opposée, les Mantinéens occupaient l’aile droite, parce que l’affaire avait lieu sur leur territoire; près d’eux étaient les Arcadiens alliés; ensuite les mille soldats d’élite que depuis longtemps Argos entretenait à ses frais et faisait exercer au métier des armes[*](Suivant Diodore, xu, 75, on choisissait pour former cette troupe les jeunes gens des familles les plus riches. Aussi passèrent-ils tous à l’aristocratie lorsqu’après la bataille de Mantinée, elle conspira la ruine du gouvernement populaire.); à la suite les autres Argiens, et après eux leurs alliés, les Cléoniens et les Ornéates; enfin les Athéniens, qui occupaient l’aile gauche et avaient avec eux leur cavalerie.

LXVIII. Telles étaient, de part et d’autre, les dispositions et l’ordonnance des armées. Celle des Lacédémoniens paraissait plus nombreuse : je ne saurais donner exactement le chiffre des forces de part et d’autre, ni en détail ni en totalité. Le nombre des Lacé- [*](* Héréa était située près des frontières de la Triphylie, sur la rive droite de l’Alphée.) [*](1 Suivant Diodore, xu, 75, on choisissait pour former cette troupe les jeunes gens des familles les plus riches. Aussi passèrent-ils tous à l’aristocratie lorsqu’après la bataille de Mantinée, elle conspira la ruine du gouvernement populaire.)

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moniens n’était pas connu, grâce au secret de leur gouvernement; et, de l’autre côté, la jactance naturelle aux hommes qui leur fait exagérer leur propre puissance, rend les assertions à peine croyables. On peut cependant estimer la force numérique des Lacédémoniens, à cette journée, au moyen du calcul suivant : sept lochos combattirent, sans compter les scirites au nombre de six cents; chaque lochos comprenait quatre pentécostys; la pentécostys était formée de quatre énomoties; chaque énomotie présentait un front de quatre hommes à la première ligne. La profondeur n’était pas partout la même; elle variait au gré de chaque lochage; cependant en général il y avait huit hommes de profondeur[*](Comme chaque énomotie, composée de trente-deux hommes, avait quatre hommes à la première ligne, il fallait, pour que la profondeur pût varier au gré des lochages, que les rangs autres que le premier fussent plus ou moins serrés.). En tout, la première ligne, sans les scirites, était de quatre cent quarante-huit hommes.

LXIX. Au moment où l’on allait s’aborder, les généraux firent, chacun de leur côté, les exhortations suivantes à leurs soldats : aux Mantinéens ils dirent qu’ils allaient combattre pour la patrie, que l’indépendance et la servitude étaient en cause; qu’il s’agissait pour eux de ne pas être dépouillés de l’une après en avoir eux joui, et de ne pas retomber dans l’autre; aux Argiens, ils rappelaient leur antique suprématie, l'égalité de pouvoir[*](La suprématie se rapporte au temps des Pélopides; l’égalité de pouvoir à l’époque de la guerre persique.) dont ils avaient joui autrefois dans le Péloponnèse et dont ils ne devaient pas se laisser dépouiller à jamais, les nombreux griefs qu’ils avaient [*](1 Comme chaque énomotie, composée de trente-deux hommes, avait quatre hommes à la première ligne, il fallait, pour que la profondeur pût varier au gré des lochages, que les rangs autres que le premier fussent plus ou moins serrés.) [*](8 La suprématie se rapporte au temps des Pélopides; l’égalité de pouvoir à l’époque de la guerre persique.)

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à venger sur un peuple tout à la fois leur voisin et leur ennemi; aux Athéniens, qu’il était beau, en combattant avec des alliés nombreux et braves, de ne le céder à personne; que, vainqueurs des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, ils affermiraient et agrandiraient leur empire, et qu’ils n’auraient plus à craindre désormais qu’aucun autre ennemi n’envahît leur territoire. Telles furent les exhortations adressées aux Argiens et à leurs alliés.

Les Lacédémoniens s’encourageaient entre eux; chacun, au bruit des chants guerriers, s’excitait lui-même en rappelant ses souvenirs et la conscience de sa propre valeur[*](Thucydide fait évidemment allusion ici aux chants de Tyrtée, dont il semble donner en quelques mots l’analyse.); car ils savaient que l’expérience, fruit de longs efforts, fait plus pour le succès qu’une exhortation brillante, mais fugitive.

LXX. Ensuite on s’ébranla de part et d’autre : les Argiens s’avancèrent avec impétuosité et colère, tandis que les Lacédémoniens marchaient lentement, aux modulations d’un corps nombreux de joueurs de flûtes institué, non dans un but religieux, mais pour imprimer à la marche une cadence régulière et empêcher les rangs de se rompre, comme il arrive ordinairement dans les grandes armées au moment de l’attaque.