History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
XXIX. Les Mantinéens et leurs alliés s’y rangèrent les premiers, par crainte des Lacédémoniens : ils avaient réduit sous leur obéissance une partie del’Arcadie, pendant que durait encore la guerre contre les Athéniens, et ils pensaient bien que les Lacédémoniens, maintenant tranquilles d’ailleurs, ne manqueraient pas de leur contester cette conquête. Ils se tournèrent donc avec joie vers les Argiens; car ils voyaient en eux un grand peuple, toujours ennemi des Lacédémoniens, et soumis, comme eux-mêmes, au gouvernement démocratique. Une fois la défection des Mantinéens déclarée, le reste du Péloponnèse murmura qu’il fallait les imiter : on pensait que, pour changer ainsi leurs alliances, il fallait qu’ils fussent mieux renseignés que les autres; on était d’ailleurs profondément irrité contre les Lacédémoniens; on leur reprochait, entre autres choses, la clause par laquelle les Lacédémoniens et les Athéniens se réservaient le droit de faire, sans violer leur serment, toute addition, tout retranchement mutuellement consenti par les deux peuples. Cette clause surtout inquiétait les Péloponnésiens; elle leur faisait craindre que les Lacédémoniens, d’accord avec les Athéniens, ne voulussent les asservir; car, autrement, il eût été juste d’attribuer le même droit de modification à tous les alliés. Aussi, sans qu’il y eût concert entre eux, beaucoup, sous le coup de ces inquiétudes, se tournèrent avec un égal empressement vers l’alliance d’Argos.
XXX. Les Lacédémoniens, sachant que le Péloponnèse était en proie à cette agitation, que le signal en était parti des Corinthiens, et que ceux-ci se disposaient eux-mêmes à traiter avec Argos, leur envoyèrent des députés afin de tâcher de prévenir cet événement. Ils les accusaient d’avoir organisé tout ce trouble et d’être sur le point d’abandonner leur alliance pour celle d’Argos. Ils ajoutaient que ce serait là une violation de leurs serments, qu’ils étaient même déjà coupables de n’avoir pas adhéré à la paix avec les Athéniens, lorsqu’il était formellement stipulé[*](Dans les traités antérieurs entre les peuples du Péloponnèse.) que les décisions prises par la majorité des alliés sortiraient leur entier effet, à moins d’empêchement de la part des dieux et des héros[*](Cette formule, insérée dans la plupart des traités, était une porte ouverte à la mauvaise foi, et pouvait se traduire ainsi dans la pratique : à moins que l’une des parties ne se croie intéressée à rompre le traité.)! Les Corinthiens répondirent aux Lacédémoniens en présence de tous ceux des alliés qui n’avaient pas adhéré au traité, car ils les avaient convoqués précédemment. Ils ne se prévalurent pas des griefs qui leur étaient personnels; ils ne parlèrent ni de Sollion[*](Voyez liv. n, 30.) qui ne leur avait pas été restituée par les Athéniens, ni d’Anactorion[*](Les Athéniens avaient pris Anactorion par trahison; iv, 49.), ni d’aucun des points sur lesquels ils se croyaient lésés; ils affectèrent à dessein d’alléguer pour unique motif qu’ils ne pouvaient trahir les peuples de l’Épithrace, avec lesquels ils s’étaient engagés par serments, en leur propre nom, aussitôt après leur défection avec les [*](1 Dans les traités antérieurs entre les peuples du Péloponnèse.) [*](2 Cette formule, insérée dans la plupart des traités, était une porte ouverte à la mauvaise foi, et pouvait se traduire ainsi dans la pratique : à moins que l’une des parties ne se croie intéressée à rompre le traité.) [*](8 Voyez liv. n, 30.) [*](* Les Athéniens avaient pris Anactorion par trahison; iv, 49.)
XXXI. Aussitôt après arrivèrent des ambassadeurs d’Élée, qui contractèrent alliance avec les Corinthiens, puis se rendirent à Argos et firent alliance avec les Argiens sur les bases décrétées[*](Décrétées à Argos, sur la proposition dps Corinthiens.). Ils étaient en différend avec les Lacédémoniens au sujet de Lépréon : les Lépréates ayant eu autrefois une guerre à soutenir contre quelques Arcadiens, avaient sollicité l’alliance des Éléens, en leur offrant la moitié de leur territoire; les Éléens avaient mis fin à la guerre et laissé aux Lépréates la jouissance de leur pays, moyennant une of- [*](1 Lorsque tous les alliés de Lacédéinone avaient contracté alliance avec les villes grecques de la Chalcidiqne soumises par Brasidas.) [*](* Leur alliance antérieure avec les Grecs de Thrace.) [*](3 Décrétées à Argos, sur la proposition dps Corinthiens.)
XXXII. Vers la même époque de cet été, les Athé- [*](1 C’était moins un tribut qu’un aveu de dépendance de la part du peuple vaincu : de là l’intérêt qu’il croyait avoir à s’y soustraire.) [*](* Contre les Lacédémoniens.)
La lutte commença entre les Phocéens et les Locriens.
Les Corinthiens et les Argiens, dès lors alliés, envoyèrent à Tégée pour la détacher des Lacédémoniens : ils pensaient qu’en se l’attachant ils auraient avec eux tout le Péloponnèse dont elle était une portion importante. Mais les Tégéates répondirent qu’ils n’entreprendraient rien contre Lacédémone; aussi les Corinthiens, qui jusqu’alors avaient agi avec beaucoup de vivacité, se relâchèrent-ils de leur animosité, dans la crainte qu’aucune des autres villes ne se joignît plus à eux. Cependant ils envoyèrent chez les Béotiens, pour les engager à entrer dans leur alliance et dans celle des Argiens, et à agir en tout de concert avec eux. Ils les prièrent aussi de les accompagner à Athènes et de faire étendre à Corinthe la trêve supplémentaire de dix jours conclue entre les Athéniens et les Béotiens peu de temps après le traité de cinquante ans. Dans le cas où les Athéniens refuseraient, ils voulaient que les Béotiens renonçassent à l’armistice, pour s’engager à ne traiter désormais que d’accord avec eux. A ces propositions des Corinthiens, les Béotiens demandèrent du temps pour se déterminer sur l’alliance d’Argos : ils accompagnèrent les Corinthiens à Athènes; mais ne purent leur obtenir la trêve de dix jours. Les Athéniens répondirent que les Corinthiens étaient compris dans
XXXIII. Le même été, les Lacédémoniens, sous la conduite de Plistoanax, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, se portèrent en masse en Arcadie sur le territoire des Parrhasiens, sujets de Mantinée. Appelés par une des factions qui agitaient alors le pays, ils avaient en outre pour but de détruire, s’il était possible, les murailles de Cypsèles. Cette place fortifiée par les Mantinéens, qui y tenaient garnison, était située dans le pays des Parrhasiens, près de la Sciritide en Laconie. Les Lacédémoniens ravagèrent le territoire des Parrhasiens. Les Mantinéens confièrent la défense de leur ville à une garnison argienne[*](Afin de se porter en masse à la défense de la Parrhasie.), et allèrent eux-mêmes garder leurs alliés; mais, dans l’impossibilité de sauver la forteresse de Cypsèles et les villes des Parrhasiens, ils se retirèrent. Les Lacédémoniens rendirent l’indépendance aux Parrhasiens, démolirent les fortifications, et rentrèrent chez eux.
XXXIV. Le même été, lorsque les troupes qui étaient parties avec Brasidas revinrent de Thrace, ramenées par Cléaridas, après la trêve, les Lacédémoniens décrétèrent pour les Hilotes qui avaient combattu avec Bradisas la liberté, et le droit d’habiter où ils voudraient; peu après, lorsque la guerre eut éclaté avec les Éléens, ils les établirent avec les Néodamodes[*](On ne connaît pas exactement la situation civile et politique des Néodamodes; c'étaient des affranchis, mais distincts des Hilotes auxquels on rendait la liberté pour prix de leurs services militaires. Ils ne jouissaient pas de tous les droits civils.) [*](1 Afin de se porter en masse à la défense de la Parrhasie.) [*](s On ne connaît pas exactement la situation civile et politique des Néodamodes; c'étaient des affranchis, mais distincts des Hilotes auxquels on rendait la liberté pour prix de leurs services militaires. Ils ne jouissaient pas de tous les droits civils.)
XXXV. Le même été les Diens prirent Thyssos, ville de l’Athos, alliée d’Athènes. Pendant tout cet été, il y eut commerce réciproque entre les Athéniens et les Péloponnésiens. Cependant, à peine la paix conclue, il s’était élevé entre les Athéniens et les Lacédémoniens des défiances mutuelles, fondées sur ce que ni les uns ni les autres ne restituaient les places. Les Lacédémoniens, désignés par le sort pour commencer les restitutions, ne rendaient ni Amphipolis ni les autres villes; ils n'avaient procuré l’adhésion au traité, ni de leurs alliés' de l’Épithrace, ni des Béotiens, ni des Corinthiens, quoiqu’ils promissent sans cesse de les contraindre d’accord avec les Athéniens, s’ils refusaient, et qu'ils eussent fixé, mais sans garantie écrite, une époque où tous ceux qui n’auraient pas accédé seraient ennemis des deux peuples. Les Athéniens, voyant qu’en réalité aucun de ces engagements n’aboutissait, soupçonnèrent les Lacédémoniens de n’avoir que de mauvais desseins, et refusèrent de leur restituer Pylos,
XXXVI. L’hiver suivant[*](421 avant notre ère, quatrième année de la qualre-vingt-ncnviômo olympiade.), il se trouva que les éphores en charge n’étaient plus ceux sous lesquels avait été conclu le traité; quelques-uns d’entre eux y étaient même opposés. Des députations des pays alliés vinrent à [*](1 421 avant notre ère, quatrième année de la qualre-vingt-ncnviômo olympiade.)
XXXVII. Les Béotiens et les Corinthiens se retirèrent chargés de ces communications pour leurs gouvernements respectifs par Xenarès, Cléobule et tous ceux des Lacédémoniens qui partageaient leurs vues. Deux Argiens, des principaux en dignité, les guettaient sur la route, à leur retour : les ayant rencontrés, ils se mirent en rapport avec eux, dans le but de rattacher les Béotiens à leur alliance, comme ils l’avaient fait pour les Corinthiens, les Éléens et les Mantinéens. Ils
XXXVIII. Cependant les Béotarques, les Corinthiens, les Mégariens et les députés de la Thrace jugèrent à propos de s’engager d’abord par des serments mutuels à s’entr’aider dans l’occurrence, et à ne faire ni la guerre ni la paix avec qui que ce fût que d’un commun accord. Ces réserves stipulées, les Béotiens et les Mégariens, qui faisaient cause commune, devaient ensuite traiter avec les Argiens. Avant de prêter le serment, les Béotarques firent part de ce projet aux quatre conseils
XXXIX. Le même hiver, les Olynthiens emportèrent d’emblée Mécyberna, défendue par une garnison athénienne.
Les conférences continuaient entre les Athéniens et les Lacédémoniens, au sujet des places qu’ils retenaient réciproquement. Les Lacédémoniens, espérant recouvrer Pylos, si les Béotiens rendaient Panacton aux [*](1 En s’alliant avec les Argiens.)
Ici finit la onzième année de la guerre.
XL. L’été suivant, dès le commencement du printemps, les Argiens, ne voyant pas arriver les députés que les Béotiens avaient promis de leur envoyer, informés d’ailleurs de la destruction de Panacton et de l’alliance particulière intervenue entre les Béotiens et les Lacédémoniens, craignirent de se trouver isolés, si tous les alliés venaient à se tourner du côté de Lacédémone; ils supposaient que c’était Lacédémone qui avait engagé les Béotiens à raser Panacton et à entrer dans l’alliance d’Athènes; que les Athéniens en étaient instruits; que dès lors il ne leur était plus possible, à eux-mêmes, de s’allier avec Athènes. Car ils avaient compté jusque-là que, si leur traité avec les Lacédémoniens ne pouvait [*](1 Les Béotiens démolirent les fortifications, afin de n’avoir rien à craindre lorsqu’ils la rendraient aux Athéniens.)
XLI. Les députés, à leur arrivée, entrèrent en conférences avec les Lacédémoniens sur les bases du traité : tout d’abord ils demandèrent qu’on remît à l’arbitrage soit d’une ville, soit d’un particulier, leur éternel différend au sujet de la Cynurie, pays limitrophe entre eux (elle renferme les villes de Thyréa et d'Anthéné, et est au pouvoir des Lacédémoniens). Les Lacédémoniens ne voulurent même pas qu’il fût fait mention de cette contrée; mais ils se déclarèrent prêts à traiter sur les anciennes bases, si les Argiens le voulaient. Cependant les ambassadeurs les amenèrent aux conditions suivantes; il y aurait pour le présent une trêve de cinquante ans; mais chacune des deux parties pourrait, après déclaration préalable, et sauf le cas de peste ou de guerre, soit à Lacédémone, soit à Argos, prendre les armes pour la possession de cette contrée, comme cela avait eu lieu autrefois lorsque de part et d’autre on s’était attribué la victoire; la poursuite ne pourrait
XLII. Pendant ces négociations des Àrgiens, les ambassadeurs lacédémoniens Andromèdes, Phédimos et Antiménidas, chargés de recevoir Panacton et les prisonniers des mains des Béotiens pour les remettre aux Athéniens, trouvèrent Panacton rasée par les Béotiens. Ceux-ci prétextaient qu’à la suite de différends au sujet de cette même place, il avait autrefois été convenu, sous la foi du serment, entre les Athéniens et les Béotiens, que ni les uns ni les autres ne la posséderaient exclusivement et qu’ils en jouiraient en commun. Quant aux prisonniers athéniens au pouvoir des Béotiens, remise en fut faite à Andromèdes et à ses collègues, qui les conduisirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aux Athéniens que Panacton était rasée, et prétendirent que cela équivalait à la remise de la place, puisqu’il n’y logerait plus aucun ennemi d’Athènes. A ces paroles, les Athéniens firent éclater leur indignation : ils faisaient un crime aux Lacédémoniens de la destruction de Panacton, qui devait leur être remise en bon état; ils avaient appris en outre leur alliance particulière avec les Béotiens, contrairement à l’engagement qu’ils avaient pris anté-