History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXIX. Les Mantinéens et leurs alliés s’y rangèrent les premiers, par crainte des Lacédémoniens : ils avaient réduit sous leur obéissance une partie del’Arcadie, pendant que durait encore la guerre contre les Athéniens, et ils pensaient bien que les Lacédémoniens, maintenant tranquilles d’ailleurs, ne manqueraient pas de leur contester cette conquête. Ils se tournèrent donc avec joie vers les Argiens; car ils voyaient en eux un grand peuple, toujours ennemi des Lacédémoniens, et soumis, comme eux-mêmes, au gouvernement démocratique. Une fois la défection des Mantinéens déclarée, le reste du Péloponnèse murmura qu’il fallait les imiter : on pensait que, pour changer ainsi leurs alliances, il fallait qu’ils fussent mieux renseignés que les autres; on était d’ailleurs profondément irrité contre les Lacédémoniens; on leur reprochait, entre autres choses, la clause par laquelle les Lacédémoniens et les Athéniens se réservaient le droit de faire, sans violer leur serment, toute addition, tout retranchement mutuellement consenti par les deux peuples. Cette clause surtout inquiétait les Péloponnésiens; elle leur faisait craindre que les Lacédémoniens, d’accord avec les Athéniens, ne voulussent les asservir; car, autrement, il eût été juste d’attribuer le même droit de modification à tous les alliés. Aussi, sans qu’il y eût concert entre eux, beaucoup, sous le coup de ces inquiétudes, se tournèrent avec un égal empressement vers l’alliance d’Argos.

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XXX. Les Lacédémoniens, sachant que le Péloponnèse était en proie à cette agitation, que le signal en était parti des Corinthiens, et que ceux-ci se disposaient eux-mêmes à traiter avec Argos, leur envoyèrent des députés afin de tâcher de prévenir cet événement. Ils les accusaient d’avoir organisé tout ce trouble et d’être sur le point d’abandonner leur alliance pour celle d’Argos. Ils ajoutaient que ce serait là une violation de leurs serments, qu’ils étaient même déjà coupables de n’avoir pas adhéré à la paix avec les Athéniens, lorsqu’il était formellement stipulé[*](Dans les traités antérieurs entre les peuples du Péloponnèse.) que les décisions prises par la majorité des alliés sortiraient leur entier effet, à moins d’empêchement de la part des dieux et des héros[*](Cette formule, insérée dans la plupart des traités, était une porte ouverte à la mauvaise foi, et pouvait se traduire ainsi dans la pratique : à moins que l’une des parties ne se croie intéressée à rompre le traité.)! Les Corinthiens répondirent aux Lacédémoniens en présence de tous ceux des alliés qui n’avaient pas adhéré au traité, car ils les avaient convoqués précédemment. Ils ne se prévalurent pas des griefs qui leur étaient personnels; ils ne parlèrent ni de Sollion[*](Voyez liv. n, 30.) qui ne leur avait pas été restituée par les Athéniens, ni d’Anactorion[*](Les Athéniens avaient pris Anactorion par trahison; iv, 49.), ni d’aucun des points sur lesquels ils se croyaient lésés; ils affectèrent à dessein d’alléguer pour unique motif qu’ils ne pouvaient trahir les peuples de l’Épithrace, avec lesquels ils s’étaient engagés par serments, en leur propre nom, aussitôt après leur défection avec les [*](1 Dans les traités antérieurs entre les peuples du Péloponnèse.) [*](2 Cette formule, insérée dans la plupart des traités, était une porte ouverte à la mauvaise foi, et pouvait se traduire ainsi dans la pratique : à moins que l’une des parties ne se croie intéressée à rompre le traité.) [*](8 Voyez liv. n, 30.) [*](* Les Athéniens avaient pris Anactorion par trahison; iv, 49.)

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Potidéates, serments renouvelés depuis[*](Lorsque tous les alliés de Lacédéinone avaient contracté alliance avec les villes grecques de la Chalcidiqne soumises par Brasidas.). Ils ne manquaient donc pas, disaient-ils, à leurs serments comme membres de la ligue, en refusant d’entrer dans le traité avec Athènes; car, ayant pris les dieux à témoin de leurs engagements avec les villes de Thrace, ils seraient parjures s’ils les trahissaient. Qu’il était stipulé dans les traités : « A moins d’empêchement de la part des dieux et des héros; » et que le motif qu’ils invoquaient[*](Leur alliance antérieure avec les Grecs de Thrace.) leur paraissait un empêchement divin. Telle fut leur réponse au sujet des anciens serments. Quant à l’alliance avec Argos, ils dirent qu’ils se consulteraient avec leurs amis, et feraient ce qui serait juste. Les députés lacédémoniens se retirèrent. Il se trouvait aussi à Corinthe, en ce moment, des députés d’Argos qui invitèrent les Corinthiens à entrer sans différer dans leur alliance. Les Corinthiens les engagèrent à venir au prochain congrès qui se tiendrait chez eux.

XXXI. Aussitôt après arrivèrent des ambassadeurs d’Élée, qui contractèrent alliance avec les Corinthiens, puis se rendirent à Argos et firent alliance avec les Argiens sur les bases décrétées[*](Décrétées à Argos, sur la proposition dps Corinthiens.). Ils étaient en différend avec les Lacédémoniens au sujet de Lépréon : les Lépréates ayant eu autrefois une guerre à soutenir contre quelques Arcadiens, avaient sollicité l’alliance des Éléens, en leur offrant la moitié de leur territoire; les Éléens avaient mis fin à la guerre et laissé aux Lépréates la jouissance de leur pays, moyennant une of- [*](1 Lorsque tous les alliés de Lacédéinone avaient contracté alliance avec les villes grecques de la Chalcidiqne soumises par Brasidas.) [*](* Leur alliance antérieure avec les Grecs de Thrace.) [*](3 Décrétées à Argos, sur la proposition dps Corinthiens.)

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frande annuelle d’un talent à Jupiter Olympien[*](C’était moins un tribut qu’un aveu de dépendance de la part du peuple vaincu : de là l’intérêt qu’il croyait avoir à s’y soustraire.). Jusqu’à la guerre de l’Attique, ils payèrent ce tribut; mais ils cessèrent ensuite, sous prétexte de la guerre, et, les Éléens ayant voulu les contraindre, ils se tournèrent vers les Lacédémoniens, auxquels fut remis l’arbitrage. Les Éléens, soupçonnant qu’ils n’obtiendraient pas justice, déclinèrent l’arbitrage et ravagèrent le territoire des Lépréates. Les Lacédémoniens n’en prononcèrent pas moins que les Lépréates étaient autonomes, et donnèrent tort aux Éléens; puis, sous prétexte que ceux-ci avaient décliné l’arbitrage, ils envoyèrent une garnison d’hoplites à Lépréon. Les Éléens prétendirent alors que les Lacédémoniens accueillaient dans sa défection une ville de leur dépendance; ils invoquèrent l’article par lequel il était stipulé que chacun garderait à la fin de la guerre d’Attique ce qu’il possédait au moment où il y était entré; se croyant lésés, ils rompirent avec les Lacédémoniens et firent alliance, eux aussi, avec les Argiens, sur les bases précédemment décrétées. Aussitôt après, les Corinthiens et les Chalcidiens de l’Épithrace entrèrent aussi dans l’alliance d’Argos. Les Béotiens et les Mégariens, quoique formulant les mêmes plaintes[*](Contre les Lacédémoniens.), se tinrent cependant à l’écart : ils étaient traités avec égards par les Lacédémoniens et pensaient que le gouvernement démocratique d’Argos leur était moins favorable, avec leur constitution oligarchique, que celui de Lacédémone.

XXXII. Vers la même époque de cet été, les Athé- [*](1 C’était moins un tribut qu’un aveu de dépendance de la part du peuple vaincu : de là l’intérêt qu’il croyait avoir à s’y soustraire.) [*](* Contre les Lacédémoniens.)

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niens réduisirent les Scioniens assiégés; ils tuèrent tout ce qui avait âge d’homme, réduisirent en esclavage les enfants et les femmes, et donnèrent aux Platéens la jouissance du territoire. D’un autre côté, la pensée des tristes vicissitudes de la guerre et un oracle du dieu de Delphes les décidèrent à rétablir les Déliens dans leur île.

La lutte commença entre les Phocéens et les Locriens.

Les Corinthiens et les Argiens, dès lors alliés, envoyèrent à Tégée pour la détacher des Lacédémoniens : ils pensaient qu’en se l’attachant ils auraient avec eux tout le Péloponnèse dont elle était une portion importante. Mais les Tégéates répondirent qu’ils n’entreprendraient rien contre Lacédémone; aussi les Corinthiens, qui jusqu’alors avaient agi avec beaucoup de vivacité, se relâchèrent-ils de leur animosité, dans la crainte qu’aucune des autres villes ne se joignît plus à eux. Cependant ils envoyèrent chez les Béotiens, pour les engager à entrer dans leur alliance et dans celle des Argiens, et à agir en tout de concert avec eux. Ils les prièrent aussi de les accompagner à Athènes et de faire étendre à Corinthe la trêve supplémentaire de dix jours conclue entre les Athéniens et les Béotiens peu de temps après le traité de cinquante ans. Dans le cas où les Athéniens refuseraient, ils voulaient que les Béotiens renonçassent à l’armistice, pour s’engager à ne traiter désormais que d’accord avec eux. A ces propositions des Corinthiens, les Béotiens demandèrent du temps pour se déterminer sur l’alliance d’Argos : ils accompagnèrent les Corinthiens à Athènes; mais ne purent leur obtenir la trêve de dix jours. Les Athéniens répondirent que les Corinthiens étaient compris dans

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le traité, à titre d’alliés de Lacédémone. Les Béotiens, du reste, ne renoncèrent pas à la trêve de dix jours, malgré les reproches des Corinthiens et leurs instances pour la conclusion d’une alliance. Il y eut néanmoins armistice entre Corinthe et Athènes, mais sans traité.

XXXIII. Le même été, les Lacédémoniens, sous la conduite de Plistoanax, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, se portèrent en masse en Arcadie sur le territoire des Parrhasiens, sujets de Mantinée. Appelés par une des factions qui agitaient alors le pays, ils avaient en outre pour but de détruire, s’il était possible, les murailles de Cypsèles. Cette place fortifiée par les Mantinéens, qui y tenaient garnison, était située dans le pays des Parrhasiens, près de la Sciritide en Laconie. Les Lacédémoniens ravagèrent le territoire des Parrhasiens. Les Mantinéens confièrent la défense de leur ville à une garnison argienne[*](Afin de se porter en masse à la défense de la Parrhasie.), et allèrent eux-mêmes garder leurs alliés; mais, dans l’impossibilité de sauver la forteresse de Cypsèles et les villes des Parrhasiens, ils se retirèrent. Les Lacédémoniens rendirent l’indépendance aux Parrhasiens, démolirent les fortifications, et rentrèrent chez eux.

XXXIV. Le même été, lorsque les troupes qui étaient parties avec Brasidas revinrent de Thrace, ramenées par Cléaridas, après la trêve, les Lacédémoniens décrétèrent pour les Hilotes qui avaient combattu avec Bradisas la liberté, et le droit d’habiter où ils voudraient; peu après, lorsque la guerre eut éclaté avec les Éléens, ils les établirent avec les Néodamodes[*](On ne connaît pas exactement la situation civile et politique des Néodamodes; c'étaient des affranchis, mais distincts des Hilotes auxquels on rendait la liberté pour prix de leurs services militaires. Ils ne jouissaient pas de tous les droits civils.) [*](1 Afin de se porter en masse à la défense de la Parrhasie.) [*](s On ne connaît pas exactement la situation civile et politique des Néodamodes; c'étaient des affranchis, mais distincts des Hilotes auxquels on rendait la liberté pour prix de leurs services militaires. Ils ne jouissaient pas de tous les droits civils.)

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à Lépréon, sur les confins de la Laconie et de l’Élide. Quant à leurs prisonniers de l’île, qui avaient posé les armes, ils craignirent qu’ils ne se crussent déchus, par suite de leur malheur, et ne tentassent dès lors quelque révolution, s’ils conservaient l’entière jouissance de leurs droits. Ils les frappèrent donc d’incapacité, quoique déjà quelques-uns fussent dans les charges : cette incapacité les rendait inhabiles à commander, à acheter et à vendre. Plus tard ces droits leur furent rendus.

XXXV. Le même été les Diens prirent Thyssos, ville de l’Athos, alliée d’Athènes. Pendant tout cet été, il y eut commerce réciproque entre les Athéniens et les Péloponnésiens. Cependant, à peine la paix conclue, il s’était élevé entre les Athéniens et les Lacédémoniens des défiances mutuelles, fondées sur ce que ni les uns ni les autres ne restituaient les places. Les Lacédémoniens, désignés par le sort pour commencer les restitutions, ne rendaient ni Amphipolis ni les autres villes; ils n'avaient procuré l’adhésion au traité, ni de leurs alliés' de l’Épithrace, ni des Béotiens, ni des Corinthiens, quoiqu’ils promissent sans cesse de les contraindre d’accord avec les Athéniens, s’ils refusaient, et qu'ils eussent fixé, mais sans garantie écrite, une époque où tous ceux qui n’auraient pas accédé seraient ennemis des deux peuples. Les Athéniens, voyant qu’en réalité aucun de ces engagements n’aboutissait, soupçonnèrent les Lacédémoniens de n’avoir que de mauvais desseins, et refusèrent de leur restituer Pylos,

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malgré leurs réclamations. Ils regrettaient même d’avoir rendu les prisonniers de l’île, et gardaient les autres places, en attendant que les Lacédémoniens eussent rempli leurs promesses. Les Lacédémoniens prétendaient avoir fait tout ce qu’ils pouvaient : ils avaient rendu les prisonniers athéniens qui étaient entre leurs mains, retiré leurs soldats de l’Épithrace et fait tout ce qui dépendait d’eux personnellement : quant à Amphipolis, ils n’en étaient pas maîtres, disaient-ils, pour la rendre; ils feraient tous leurs efforts pour obtenir l’adhésion des Béotiens et des Corinthiens au traité, pour faire restituer Panacton et mettre en liberté les Athéniens prisonniers en Béotie; mais ils demandaient, de leur côté, la restitution de Pylos, ou tout au moins le rappel des Messéniens et des Hilotes, comme eux-mêmes avaient rappelé leurs soldats de Thrace, consentant à ce que les Athéniens missent personnellement garnison dans la place, s’ils le voulaient. Enfin, à force de négociations et de conférences, dans le cours de cet été, ils amenèrent les Athéniens à retirer de Pylos les Messéniens, les autres Hilotes et tous les transfuges de Laconie. Ils furent établis à Cranies, ville de Céphallénie. Ainsi il y eut, durant cet été, repos et liberté de communications entre les deux peuples.

XXXVI. L’hiver suivant[*](421 avant notre ère, quatrième année de la qualre-vingt-ncnviômo olympiade.), il se trouva que les éphores en charge n’étaient plus ceux sous lesquels avait été conclu le traité; quelques-uns d’entre eux y étaient même opposés. Des députations des pays alliés vinrent à [*](1 421 avant notre ère, quatrième année de la qualre-vingt-ncnviômo olympiade.)

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Lacédémone, et s’y rencontrèrent avec des ambassadeurs d’Athènes, de la Béotie et de Corinthe : de nombreuses conférences eurent lieu entre eux, mais sans amener aucun accord. Comme ils se retiraient, Cléobule et Xenarès, ceux des éphores qui étaient le plus prononcés pour la rupture du traité, prirent à part les députés béotiens et corinthiens; ils leur demandèrent de marcher d’accord autant que possible; puis d’amener les Béotiens, d’abord, à entrer dans l’alliance d’Argos, et ensuite à entraîner avec eux les Argiens dans celle de Lacédémone. C’était pour les Béotiens le meilleur moyen, disaient-ils, de ne pas subir les traités athéniens; car les Lacédémoniens désiraient par-dessus tout, même au prix de la haine des Athéniens et de la rupture des traités, l’amitié et l’alliance des Argiens; en effet, ajoutaient-ils, les Lacédémoniens ont de tout temps désiré une amitié avec Argos, persuadés qu’alors ils seraient dans de meilleures conditions pour faire la guerre hors du Péloponnèse. Du reste ils prièrent les Béotiens de remettre Panacton aux Lacédémoniens, afin de l’échanger, s’il était possible, contre Pylos, dont la restitution leur faciliterait la guerre avec Athènes.

XXXVII. Les Béotiens et les Corinthiens se retirèrent chargés de ces communications pour leurs gouvernements respectifs par Xenarès, Cléobule et tous ceux des Lacédémoniens qui partageaient leurs vues. Deux Argiens, des principaux en dignité, les guettaient sur la route, à leur retour : les ayant rencontrés, ils se mirent en rapport avec eux, dans le but de rattacher les Béotiens à leur alliance, comme ils l’avaient fait pour les Corinthiens, les Éléens et les Mantinéens. Ils

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étaient persuadés, disaient-ils, que, si ce projet aboutissait, il leur serait dès lors facile, en se concertant, de faire à leur gré la guerre et la paix, même avec les Lacédémoniens, et avec tout autre peuple, s’il le fallait. Les ambassadeurs des Béotiens accueillirent avec empressement ces ouvertures; car ce qu’on leur demandait se trouvait précisément d’accord avec les propositions dont les avaient chargés leurs amis de Lacédémone. Les Argiens, voyant leurs avances accueillies, dirent qu’ils enverraient des ambassadeurs en Béotie, et se retirèrent. Les Béotiens, à leur arrivée, communiquèrent aux Béotarques les ouvertures qui leur avaient été faités à Lacédémone, et celles des Argiens qu’ils avaient rencontrés : les Béotarques reçurent avec joie ces nouvelles; toute indécision cessa lorsqu’ils virent que, par une heureuse coïncidence, leurs amis de Lacédémone leur demandaient précisément ce qui était l’objet des avances empressées d’Argos. Peu après arrivèrent les ambassadeurs argiens chargés de les inviter à suivre le plan convenu. Les Béotarques agréèrent leurs propositions et les congédièrent avec la promesse d’envoyer à Argos’ des députés pour traiter de l’alliance.

XXXVIII. Cependant les Béotarques, les Corinthiens, les Mégariens et les députés de la Thrace jugèrent à propos de s’engager d’abord par des serments mutuels à s’entr’aider dans l’occurrence, et à ne faire ni la guerre ni la paix avec qui que ce fût que d’un commun accord. Ces réserves stipulées, les Béotiens et les Mégariens, qui faisaient cause commune, devaient ensuite traiter avec les Argiens. Avant de prêter le serment, les Béotarques firent part de ce projet aux quatre conseils

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de la Béotie, en qui résident tous les pouvoirs, et demandèrent qu’on se liât par serment avec toutes les villes qui voudraient prendre le même engagement avec eux pour la défense commune. Mais les conseils des Béotiens repoussèrent ces propositions, dans la crainte de se mettre en opposition avec les Lacédémoniens, en s’unissant aux Corinthiens qui avaient rompu avec eux[*](En s’alliant avec les Argiens.). Car les Béotarques ne leur avaient pas communiqué ce qui s’était passé à Lacédémone, à savoir l’invitation faite par les éphores Xenarès et Cléobule, ainsi que par leurs amis, de s’allier d’abord avec les Argiens et les Corinthiens, pour entrer ensuite dans l’alliance de Lacédémone : ils avaient pensé que, même sans cette déclaration, les conseils voteraient, sur leur proposition, tout ce qu’ils auraient arrêté d’avance. L’affaire ayant pris un tour différent, les Corinthiens et les députés de la Thrace s’en allèrent sans avoir rien fait. Les Béotarques, qui précédemment étaient résolus, s’ils avaient réussi sur ce point, à travailler à une alliance avec les Argiens, ne firent dès lors aucune proposition aux conseils relativement à Argos, et n’envoyèrent pasdans cette ville les députés qu’ils avaient promis : tout languit et fut ajourné.

XXXIX. Le même hiver, les Olynthiens emportèrent d’emblée Mécyberna, défendue par une garnison athénienne.

Les conférences continuaient entre les Athéniens et les Lacédémoniens, au sujet des places qu’ils retenaient réciproquement. Les Lacédémoniens, espérant recouvrer Pylos, si les Béotiens rendaient Panacton aux [*](1 En s’alliant avec les Argiens.)

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Athéniens, envoyèrent des ambassadeurs aux Béotiens, avec prière de leur remettre Panacton et les prisonniers athéniens, pour les échanger contre Pylos. Mais les Béotiens déclarèrent qu’ils ne les rendraient pas que Lacédémone ne fit avec eux une alliance particulière, comme elle avait fait avec les Athéniens. Les Lacédémoniens sentaient bien qu’ils allaient blesser les Athéniens, puisqu’il était stipulé entre eux qu’ils ne feraient ni paix ni guerre avec personne que d’un commun accord : mais ils voulaient se faire livrer Panacton comme moyen d’échange contre Pylos. D’un autre côté, ceux qui chez eux travaillaient à la rupture de la trêve avaient fort à coeur ces négociations avec les Béotiens; l’alliance fut donc conclue, sur la fin de l’hiver, aux approches du printemps. On commença aussitôt à démanteler Panacton[*](Les Béotiens démolirent les fortifications, afin de n’avoir rien à craindre lorsqu’ils la rendraient aux Athéniens.)

Ici finit la onzième année de la guerre.

XL. L’été suivant, dès le commencement du printemps, les Argiens, ne voyant pas arriver les députés que les Béotiens avaient promis de leur envoyer, informés d’ailleurs de la destruction de Panacton et de l’alliance particulière intervenue entre les Béotiens et les Lacédémoniens, craignirent de se trouver isolés, si tous les alliés venaient à se tourner du côté de Lacédémone; ils supposaient que c’était Lacédémone qui avait engagé les Béotiens à raser Panacton et à entrer dans l’alliance d’Athènes; que les Athéniens en étaient instruits; que dès lors il ne leur était plus possible, à eux-mêmes, de s’allier avec Athènes. Car ils avaient compté jusque-là que, si leur traité avec les Lacédémoniens ne pouvait [*](1 Les Béotiens démolirent les fortifications, afin de n’avoir rien à craindre lorsqu’ils la rendraient aux Athéniens.)

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pas tenir, par suite de leurs différends, ils pourraient du moins contracter alliance avec les Athéniens. Ainsi pris au dépourvu, les Argiens craignaient d’avoir à lutter en même temps contre les Lacédémoniens, les Tégéates, les Béotiens et les Athéniens. Eux qui précédemment avaient refusé d’accéder au traité des Lacédémoniens, qui avaient porté leurs prétentions jusqu'au commandement du Péloponnèse, ils envoyèrent en toute hâte à Lacédémone les ambassadeurs qu’ils croyaient y devoir être le mieux accueillis, Eustrophos et Eson. Ils pensaient qu’en faisant alliance avec les Lacédémoniens, aux meilleures conditions possibles dans les circonstances actuelles, ils auraient la tranquillité, quoi qu’il arrivât.

XLI. Les députés, à leur arrivée, entrèrent en conférences avec les Lacédémoniens sur les bases du traité : tout d’abord ils demandèrent qu’on remît à l’arbitrage soit d’une ville, soit d’un particulier, leur éternel différend au sujet de la Cynurie, pays limitrophe entre eux (elle renferme les villes de Thyréa et d'Anthéné, et est au pouvoir des Lacédémoniens). Les Lacédémoniens ne voulurent même pas qu’il fût fait mention de cette contrée; mais ils se déclarèrent prêts à traiter sur les anciennes bases, si les Argiens le voulaient. Cependant les ambassadeurs les amenèrent aux conditions suivantes; il y aurait pour le présent une trêve de cinquante ans; mais chacune des deux parties pourrait, après déclaration préalable, et sauf le cas de peste ou de guerre, soit à Lacédémone, soit à Argos, prendre les armes pour la possession de cette contrée, comme cela avait eu lieu autrefois lorsque de part et d’autre on s’était attribué la victoire; la poursuite ne pourrait

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avoir lieu au delà des frontières d’Argos et de Lacédémone. Ces propositions parurent d’abord insensées aux Lacédémoniens; mais ensuite le désir de se concilier à tout prix l’amitié des Argiens leur fit donner les mains à ce qu’on demandait, et le traité fut rédigé; toutefois les Lacédémoniens exigèrent, avant qu’il devînt définitif, que les députés retournassent à Argos le présenter au peuple; s’il était approuvé, ils devaient revenir aux fêtes d’Hyacinthe pour l’échange des serments. Les ambassadeurs se retirèrent.

XLII. Pendant ces négociations des Àrgiens, les ambassadeurs lacédémoniens Andromèdes, Phédimos et Antiménidas, chargés de recevoir Panacton et les prisonniers des mains des Béotiens pour les remettre aux Athéniens, trouvèrent Panacton rasée par les Béotiens. Ceux-ci prétextaient qu’à la suite de différends au sujet de cette même place, il avait autrefois été convenu, sous la foi du serment, entre les Athéniens et les Béotiens, que ni les uns ni les autres ne la posséderaient exclusivement et qu’ils en jouiraient en commun. Quant aux prisonniers athéniens au pouvoir des Béotiens, remise en fut faite à Andromèdes et à ses collègues, qui les conduisirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aux Athéniens que Panacton était rasée, et prétendirent que cela équivalait à la remise de la place, puisqu’il n’y logerait plus aucun ennemi d’Athènes. A ces paroles, les Athéniens firent éclater leur indignation : ils faisaient un crime aux Lacédémoniens de la destruction de Panacton, qui devait leur être remise en bon état; ils avaient appris en outre leur alliance particulière avec les Béotiens, contrairement à l’engagement qu’ils avaient pris anté-

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rieurement de contraindre de concert ceux qui n’accepteraient pas le traité; enfin ils se remémoraient toutes les stipulations dont l’exécution se faisait encore attendre, et se croyaient joués. Aussi répondirentils durement aux ambassadeurs, et ils les congédièrent.