History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXXXIX. «Soldats, vous voyant préoccupés du nombre de vos ennemis, je vous ai convoqués, parce que je ne crois pas convenable que vous vous inquiétiez de ce qui n’a rien de redoutable. Et d’abord c’est parce qu'ils ont déjà été vaincus, parce qu’ils ne s’estiment pas vos égaux, qu’ils ont rassemblé tant de vaisseaux, au lieu de se mesurer contre vous à forces égales. Ensuite, ce qui entretient surtout leur confiance[*](Bloomfield, pour expliquer le parallélisme des arguments dans les deux discours, suppose que Phormion avait connu par un espion l’allocution de Cnémus. Il était plus simple d’admettre que c’est Thucydide qui se donne ici la réplique.), ce qui leur fait croire qu’ils ont le privilege de la bravoure, c’est uniquement leur expérience des combats de terre : comme ils y sont ordinairement vainqueurs, ils pensent qu’elle leur assurera aussi l’avantage sur mer. Mais, à cet égard, la supériorité nous est justement acquise, si elle leur appartient sur terre : pour le courage ils ne l’emportent en rien sur nous ; et si, dans ces deux genres de combat, chacun de nous a sur son adversaire l’avantage de l'audace, c’est qu’il a aussi celui de l’expérience.

« Les Lacédémoniens qui, à la tête de leurs alliés, n’ont en vue que leur propre gloire, les entraînent au danger malgré eux, pour la plupart. Autrement[*](C’est-à-dire : s’ils n’y étaient pas contraints.) ceuxci n’auraient jamais tenté un second combat naval, après une défaite aussi complète. Ne craignez donc

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rien de leur audace ; c'est bien plutôt vous qui êtes pour eux, et avec plus de raison, un sujet de (??) ; car vous les avez déjà vaincus, et ils pensent que vous n'accepteriez pas le combat si vous ne comptiez faire quelque action d’éclat. Car, en général, pour attaquer, on veut, comme les Lacédémoniens, avoir des forces au moins égales, parce que l’on compte plus sur le nombre que sur le courage ; mais quand on ose résister avec des forces de beaucoup inférieures, et cela sans y être contraint, une pareille assurance ne peut avoir sa source que dans quelque grande pensée. C’est ainsi que raisonnent vos ennemis : ce que votre situation a d’étrange les effraie bien plus que ne le ferait une disproportion moins grande entre vos forces et les leurs.

« Bien des fois déjà on a vu des armées vaincues par des forces moindres, grâce à l’impéritie et aussi à la lâcheté. Sous ce double rapport nous n’avons rien à craindre.

« Autant qu’il dépendra de moi, le combat n’aura point lieu dans le golfe et je n’y entrerai pas ; car je sens que contre des vaisseaux nombreux et lourds à la manoeuvre, une mer resserrée ne convient pas à une petite flotte qui joint à l’habileté des manoeuvres la supériorité de la marche. On ne peut alors ni prendre l'élan convenable à l’attaque, comme quand on observe l’ennemi de loin, ni se retirer à propos quand on est pressé par lui. On ne saurait ni passer à travers la ligne ennemie, ni revenir en arrière, évolutions qui conviennent aux vaisseaux d'une marche supérieure ; le combat naval devient alors une lutte de pied ferme, et, dans ce cas, l’avantage est au nombre.

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« Je pourvoirai à tout cela, autant qu’il dépendra de moi. Pour vous, restez à vos postes, en bon ordre ; obéissez vivement au commandement, d’autant plus que l’ennemi est près, et qu’on l’aura bientôt joint. Dans l’action, songez que rien n’est au-dessus de l’ordre et du silence : rien n’est plus important à la guerre en général, mais surtout dans un combat naval. Montrez-vous au combat, dignes de vos premiers exploits. Cette journée sera grande par ses résultats : elle décidera si les Péloponnésiens doivent renoncer à l’espérance d'avoir une marine, ou si les Athéniens venont se rapprocher d'eux la crainte de perdre l'empire des mers. Je vous rappelle encore une fois que vous avez déjà vaincu la plupart de ceux qui sont ici, et que des vaincus ne sauraient apporter dans les mêmes dangers les mêmes sentiments de courage. »

XC. Telles furent les exhortations de Phormion à ses soldats. Cependant les Péloponnésiens, voyant que les Athéniens ne voulaient pas s'engager dans le golfe[*](Ils stationnaient à Rhium de Molycrie, en dehors du détroit.) et combattre dans une mer resserrée, résolurent de les y attirer malgré eux. Ils mirent à la voile dès le lever de l’aurore, et, rangés sur quatre vaisseaux de profon- deur, ils voguèrent, comme pour rentrer chez eux[*](Les Péloponnésiens, mouillés à Panorme, sur la côte d’Achaïe, étaient déjà chez eux ; mais comme la plupart des vaisseaux appartenaient à Corinthe ou à Sicyone, l’expression έπίτήν αυτών doit désigner Corinthe et le fond du golfe.), vers l’intérieur du golfe, l’aile droite en avant, dans l’ordre où ils avaient mouillé. Vingt vaisseaux d’une marche supérieure avaient pris rang près de cette même aile. Ils avaient espéré que Phormion, dans la pensée

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qu’ils faisaient voile contre Naupacte, se porterait au secours de cette place en rangeant la côte ; qu’il ne pourrait alors échapper à la division naviguant en dehors de l’aile droite, et serait enveloppé. Ce qu’ils avaient prévu arriva : Phormion, craignant pour Naupacte qui était sans défense, ne les eut pas plutôt vus mettre à la voile, qu’il embarqua, quoiqu’à regret, ses soldats et se mit à longer la côte. L’infanterie messénienne suivait le rivage, prête à le secourir. Quand les Péloponnésiens virent que la flotte athénienne rangeait le rivage à la file et sur un seul vaisseau de front, que déjà elle était dans le golfe et près de la terre, ce qu’ils désiraient par-dessus tout, ils virèrent tout à coup de bord à un signal donné, et se dirigèrent en droite ligne sur les Athéniens de toute la vitesse de leurs navires. Ils comptaient envelopper toute la flotte ; mais les onze vaisseaux qui avaient la tête échappèrent à l’aile droite des Péloponnésiens et à ce mouvement de conversion, en gagnant le large. Les Péloponnésiens atteignirent les autres, les mirent en fuite, les poursuivirent à la côte et les désemparèrent. Ils tuèrent tous les Athéniens qui ne purent se sauver à la nage, se mirent à remorquer les bâtiments abandonnés, et en prirent même un avec son équipage. Mais à ce moment les Messéniens, qui avaient suivi le rivage, se précipitèrent au secours des Athéniens ; ils entrèrent tout armés dans la mer, montèrent sur quelques-uns des bâtiments qu’on remorquait déjà, et, combattant du haut des ponts, ils les arrachèrent à l’ennemi.

XCI. Sur ce point les Lacédémoniens étaient victorieux, et avaient mis hors de combat les vaisseaux

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athéniens. D’un autre côté, les vingt vaisseaux qui formaient une division séparée en dehors de l’aile droite, se mirent à la poursuite des onze bâtiments athéniens qui avaient échappé à leur manoeuvre en gagnant le large. Mais ceux-ci les prévinrent, un seul excepté, en venant se réfugier à Naupacte. Là, ils mouillèrent, la proue en dehors, devant le temple d’Apollon, disposés à se défendre si l’ennemi les poursuivait jusqu’au rivage. Les Péloponnésiens, en effet, arrivèrent à leur suite ; ils voguaient chantant le Péan, en signe de victoire. Un vaisseau de Leucade, qui avait beaucoup d’avance sur le reste de la flotte, serrait de près le seul vaisseau athénien resté en arrière. Mais celui-ci, prenant l’avance, fait le tour d’un bâtiment marchand qui se trouvait mouillé au large, va frapper par le milieu le navire leucadien qui le poursuivait, et le submerge. Un événement si inattendu et si étrange frappe de terreur les Lacédémoniens : au moment même où ils poursuivaient l'ennemi, sans ordre et confiants dans leur victoire, quelques-uns de leurs vaisseaux abaissent les rames et s’arrêtent, pour attendre le gros de la flotte (manoeuvre désavantageuse, l’ennemi n’ayant que peu d’espace à franchir pour les attaquer) ; d’autres, faute de connaître la plage, vont échouer sur les écueils.