History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
L’assemblée dissoute et ces divers articles sanctionnés, sans opposition, il fut immédiatement procédé à l’installation des Quatre-Cents dans la salle du conseil. Les Athéniens étaient continuellement en armes, ou sur les murailles ou dans les corps de réserve, depuis que les ennemis occupaient Décélie. Ce jour-là on licencia, comme dé coutume, ceux qui n’étaient pas du complot; les autres eurent pour consigne d’attendre paisiblement, non sur la place d’armes, mais à une certaine distance, prêts à donner main-forte en cas d’obstacle. C’étaient des gens d’Andros, de Ténos, trois cents Carystiens, quelques Athéniens de la colonie d’Égine, venus tout armés dans ce but [*](Sans doute les hoplites que Pisandros avait ra- massés pendant sa traversée (ch. lxv). Sur la colonie athénienne d’Ëgine, voyez liv. II, ch. xxvn. ). Ces mesures prises, les Quatre-Cents, munis de poignards sous leurs vêtements et accompagnés des cent vingt jeunes Grecs [*](Cette désignation, regardée par quelques éditeurs comme superflue, est ajoutée par opposition au corps ordinaire des soldats de police (archers scythes), composé d’étrangers. ) qui les servaient dans les coups de main, se présentèrent à la porte du conseil élu au scrutin des fèves [*](Voyez ch. lxvi, note 1. ). Ils sommèrent les membres de se retirer en recevant leur indemnité. Ils avaient apporté eux-mêmes la somme nécessaire pour le reste du temps à courir, et ils la leur distribuèrent à leur sortie [*](L’indemnité ou droit de présence des membres du conseil des Cinq-Cents était d’une drachme par jour de séance. L’année civile athénienne commençant au moisHécatombéon (juillet-août), il restait encore à l’ancien conseil environ quatre mois jusqu’à l’expiration de ses fonctions. ).
Le conseil s’était écoulé sans mot dire et les citoyens ne faisant aucun mouvement, les Quatre-Cents entrèrent dans la salle, tirèrent au sort parmi eux des Prytanes [*](Le conseil des Cinq-Cents, composé de cinquante membres de chaque tribu, se trouvait naturellement divisé en dix sections, dont chacune à son tour exerçait la platanie ou présidence, et devait consacrer tout son temps aux affaires publiques pendant la dixième partie de l’année. Les Quatre-Cents, n’étant pas également tirés des dix tribus, étaient obligés de recourir au sort pour constituer entre eux des prytanies de quarante membres. ), et s’installèrent dans leurs fonctions avec les cérémonies, les vœux et les sacrifices d’usage. Ensuite ils modifièrent profondément la constitution démocratique, sans toutefois, à cause d’Alcibiade, rappeler tous les bannis. En général leur administration fut violente. Ils se défirent de quelques citoyens qui leur portaient ombrage ; ils en condamnèrent d’autres aux fers ou à la déportation; enfin ils envoyèrent un héraut à Décélie auprès d’Agis, roi de Lacédémone, pour lui dire qu’ils étaient prêts à conclure un accord, et qu’il aimerait mieux sans doute traiter avec eux qu’avec une populace indigne de confiance.
Mais Agis se refusait à croire qu’Athènes fût tranquille et le peuple résigné à la perte de son antique liberté. Il s’imagina qu’il lui suffirait de se présenter en forces pour faire éclater un mouvement déjà tout préparé. Aussi ne fit-il aux envoyés des Quatre-Cents aucune réponse pacifique : au contraire, il manda du Péloponèse des troupes nombreuses; et, peu de temps après, joignant ce renfort à la garnison de Décélie, il descendit jusque sous les murs d’Athènes. Il espérait que les
Ils firent aussi partir pour Samos dix commissaires chargés de tranquilliser l’armée et de lui faire entendre que ce n’était pas au détriment de la ville ou des particuliers que l’oligarchie avait été établie,.mais dans un but d’intérêt général ; que c’étaient cinq mille citoyens et non pas seulement quatre cents qui géraient les affaires ; que les Athéniens, distraits par les guerres et les occupations lointaines, n’avaieht jamais dans aucune assemblée atteint le nombre de cinq mille, quelle que fût l’importance de la délibération. Ils leur dictèrent le langage à tenir et les expédièrent aussitôt après leur entrée en charge. Ils craignaient, comme il arriva, que la foule des marins ne voulût pas de l’oligarchie, et que de là ne partît un mouvement qui les emporterait eux-mêmes.
Déjà s’opérait à Samos, contre l’oligarchie, une réaction, dont l’origine datait de l’établissement des Quatre-Cents. Ceux des Samiens qui formaient le parti populaire et qui, dans le temps[*](Voyez ch. xxi. ), s’étaient soulevés contre les riches, avaient modifié leurs opinions. Sollicités par Pisandros pendant son séjour à Samos et par les conjurés athéniens qui étaient dans cette ville, trois cents d'entre eux avaient ourdi une conspiration dans le but d’attaquer les citoyens restés fidèles à la démocratie. Il y avait alors à Samos un Athénien nommé Hyper-bolos, homme pervers , qui avait été banni par l'ostracisme [*](Selon Plutarque (Alcibiade, ch. xm), le bannissement d’Hy-perbolos fut le résultat d'une coalition entre Nicias, Phéax et Alcibiade, lesquels se voyant menacés d’ôtre bannis eux-mêmes, s’entendirent ensemble pour faire tomber la sentence sur cet homme mal famé. La condamnation d’Hyperbolos fut le dernier exemple d’ostracisme à Athènes (quatre cent seize ans av. J. C.). ), non pas qu’on redoutât son pouvoir et son crédit, mais pour sa méchanceté et pour son infamie. Les conjurés l’assassinèrent, d’accord en cela avec Charminos, l’un des généraux, et
Les Samiens et les soldats, qui ne savaient pas encore les Quatre-Cents au pouvoir, firent promptement partir pour Athènes la Paralienne avec l’Athénien Chéréas, fils d'Ar-chestratos,l’un des principaux acteurs des derniers événements. Il devait annoncer ce qui venait de se passer. Mais à peine la Paralienne fût-ello arrivée, que les Quatre-Cents mirent aux fers deux ou trois de ses matelots, ôtèrent aux autres leur vaisseau, et les transférèrent sur un bâtiment de charge destiné à croiser autour de l’Eubée. Chéréas trouva moyen de s’évader; et, sitôt qu’il eut vu ce qui se passait à Athènes, il revint à Samos, apportant aux soldats des nouvelles étrangement exagérées. Il leur dit que les citoyens étaient battus de verges ; que nul ne pouvait ouvrir la bouche devant les maîtres de l’État; que ceux-ci outrageaient leurs femmes et leurs enfants ; qu’ils songeaient à saisir et à emprisonner les parents de tous ceux qui, dans l’armée de Samos, ne leur étaient pas favorables, afin de les mettre à mort si l’on refusait de leur obéir. Il ajouta encore beaucoup d’autres détails aussi peu véridiques.
À ce récit, les soldats faillirent lapider les principaux fauteurs de l'oligarchie et leurs adhérents. A la fin cependant ils se calmèrent, grâce à Γintervention des gens modérés, qui leur firent comprendre qu'en présence de la flotte ennemie, c’était le moyen de tout perdre. Alors voulant asseoir solidement la démocratie à Samos, Thrasybulos fils de Lycos, et Thrasylos, qui étaient à la tète du mouvement, firent prêter à tous les soldats, surtout à ceux qui avaient trempé dans l’oligarchie, les plus terribles serments de maintenir le régime démocratique, de vivre en bonne harmonie, de poursuivre avec ardeur la guerre contre les Péloponésiens , d’être ennemis des Quatre-Cents et de n’entretenir avec eux aucune relation quelconque. Tous les Samiens en âge de porter les armes se lièrent par le même serment. Les soldats mirent en commun avec eux tous leurs intérêts, toutes les éventualités, tous les périls, persuadés que c’était l’unique chance de salut pour les uns comme pour les autres, et qu’ils seraient perdus sans retour siles Quatre-Cents ou les ennemis postés à Milet prenaient le dessus.
Il y eut alors une scission bien prononcée, les uns voulant ramener la ville à la démocratie , les autres faire prévaloir l’oligarchie dans le camp. Aussitôt les soldats se formèrent en assemblée. Ils déposèrent les précédents généraux et tous ceux des triérarques qui leur étaient suspects ; à leur place ils en élurent d’autres, notamment Thrasybulos et Thrasylos. Les soldats se levaient pour s’adresser des exhortations mutuelles. Il ne fallait pas, disaient-ils, se laisser abattre parce que la ville avait fait divorce avec eux ; c’était la minorité qui s’était séparée d’une majorité bien plus puissante. Maîtres de toutes les forces navales, ils obligeraient les villes de leur dépendance à leur payer tribut, aussi bien qu’ils l’auraient fait en partant d’Athènes. Ils avaient dans Samos une cité considérable, qui, lors de sa guerre avec Athènes, avait failli lui enlever l’empire de la mer [*](Allusion à la guerre soutenue par Samos coptre Athènes du temps de Périclès. Voyez liv. I, ch. cxv. ). Elle leur servirait, comme auparavant, de point d'appui contre l’ennemi. Grâce à leurs vaisseaux, ils étaient mieux en état que les citoyens de la ville de se procurer des subsistances. C’était la flotte qui, de Samos oomme d’un poste avancé, avait jusqu’alors assuré les communications du Pirée. Dorénavant, si la ville leur déniait leurs droits, il ne tiendrait qu’à eux de lui fermer la mer , ce qu’ils n’avaient pas à craindre d’elle. Les secours à attendre d’Athènes pour la continuation de la guerre étaient nuis ou à peu
Tout en s’excitant de la sorte, les soldats n’en continuaient pas moins leurs préparatifs de guerre. Quant aux dix députés que les Quatre-Cents avaient envoyés à Samos, ils étaient déjà à Délos lorsqu’ils apprirent ces nouvelles ; ils ne poussèrent pas plus loin.
A cette même époque , les Péloponésiens de l’armée de Milet murmuraient tout haut contre Astyochos et Tissapherne qui, disaient-ils, ruinaient leurs affaires. Ils accusaient le premier de s’être refusé à livrer un combat naval, lorsque leur flotte était au grand complet et celle des Athéniens peu nombreuse ; de différer maintenant encore, quoique l’ennemi fût en dissension et n’eût pas concentré tous ses moyens; d’attendre indéfiniment, et au risque de tout compromettre, la flotte phénicienne, dont on parlait toujours et qui ne paraissait jamais. A Tissapherne ils reprochaient de ne point amener cette flotte et de paralyser leur marine en ne fournissant la solde ni régulièrement ni en son entier. Il fallait, selon eux, ne pas rester plus longtemps dans l’inaction, mais livrer une bataille décisive. Les Syracusains surtout se montraient exaspérés.
Les alliés et Astyochos, instruits de ces murmures et de l’agitation qui régnait à Samos, tinrent conseil et résolurent d’engager une action générale. En conséquence, ils se mirent en mer avec tous leurs bâtiments au nombre de cent douze, prescrivirent aux Milésiens de se rendre par terre au Mycale, et firent voile pour la même destination. Les Athéniens , avec quatre-vingt-deux vaisseaux, étaient alors en station à Glaucé près du Mycale, en face et à peu de distance de Samos. Dès qu’ils virent la flotte péloponésienne en marche contre eux, ils se retirèrent à Samos , car ils ne se croyaient
Le même été, peu de temps après ces événements, les Péloponésiens qui, malgré la concentration de leurs forces, ne s’étaient pas crus en état de se mesurer contre les Athéniens, se trouvèrent fort embarrassés pour l’entretien d'une flotte si considérable, surtout avec le peu de régularité que Tissapherne mettait dans ses payements. Ils songèrent donc à exécuter les instructions qu’ils avaient reçues à leur départ du Péloponèse, en envoyant vers Pharnabaze, Cléarchos fils de Ramphias avec quarante vaisseaux. Pharnabaze les appelait en leur offrant des subsides, et Byzance manifestait l’intention de se révolter. Ces vaisseaux prirent le large pour dérober leur marche aux Athéniens ; mais ils furent assaillis par une tempête : la plupart, avec Cléarchos, gagnèrent Délos et revinrent à Milet, d’où Cléarchos se rendit ensuite par terre dans l’Hel-lespont pour y prendre le commandement. Dix vaisseaux, conduits par Hélixos de Mégare, parvinrent heureusement dans l’Hellespont et firent soulever Byzance. A cette nouvelle, les Athéniens envoyèrent de Samos dans l’Hellespont un renfort de vaisseaux et de troupes. Il y eut même devant Byzance un léger engagement de huit vaisseaux contre huit.
Cependant Thrasybulos, qui depuis la révolution opérée à Samos n’avait pas cessé de travailler au rappel d'Alcibiade, parvint enfin, de concert avec les meneurs, à obtenir l’assentiment des soldats assemblés. Dès qu’il eut fait voter par eux son rappel et sa grâce, il se rendit auprès de Tissapherne et ramena Alcibiade à Samos ; car à ses yeux le seul moyen de salut était de s’attacher Tissapherne en l’enlevant ani Péloponésiens.
Une assemblée fut convoquée. Alcibiade commença par déplorer les malheurs de son exil ; puis il s’étendit sur les affaires publiques et fit briller les plus belles perspectives pour l’avenir ; enfin il exagéra démesurément son crédit auprès de Tissapherne. Par là il voulait intimider les chefs de l'oligarchie d’Athènes, dissoudre les associations [*](Voyez ch. liv, note 1. Quoique ces associations eussent été travaillées dans le sens de son rappel (ch. xlviii), Alcibiade aspirait à les dissoudre à cause de la froideur que l’aristocratie avait montrée envers lui (ch. lxiii). ), inspirer à ceux de Samos plus de respect pour lui et de confiance en eux-mêmes, enfin brouiller toujours plus les ennemis avec Tissapherne, en faisant évanouir les espérances qu’ils avaient mises en lui. Alcibiade étala donc les promesses les plus pompeuses, affirmant que Tissapherne lui avait donné sa parole que, s’il pouvait se fier aux Athéniens, l’argent ne leur manquerait pas, tant qu’il lui resterait quelque ressource, dût-il faire monnayer son propre lit; qu’il amènerait pour eux, et non pour les Péloponésiens, la flotte phénicienne déjà arrivée à Aspendos ; mais qu’il ne se fierait aux Athéniens que lorsque Alcibiade rappçlé lui répondrait de leurs sentiments.
Après avoir entendu ces promesses et d’autres semblables, ils l’élurent aussitôt général, conjointement avec ceux qu’ils avaient déjà nommés, et lui remirent la direction des affaires. Dès lors chacun se crut tellement assuré de son salut et de la punition des Quatre-Cents, qu’il n’eût échangé cet espoir contre rien au monde. Déjà même, sur la foi de ce qu’ils venaient d’entendre, ils étaient tout disposés à cingler immédiatement contre le Pirée, sans s’inquiéter des ennemis qu’ils avaient devant eux. Mais Alcibiade, malgré leurs instances, s'opposa formellement à ce qu’ils prissent un tel parti en laissant des adversaires qu’ils avaient plus près d'eux. Il dit que, étant nommé général, son premier soin était d’aller trouver Tissapherne pour concerter un plan de guerre ; et en effet, au sortir de l’assemblée, il partit sur-le-champ. Il voulait d’une part faire croire à une entente complète entre lui et ce satrape, de l’autre se grandir à ses yeux en se montrant investi du commandement et désormais en mesure de lui faire ou du bien ou du mal. Alcibiade avait ainsi l’avantage d’effrayer les Athéniens par Tissapherne et Tissapherne par les Athéniens.
Quand les Péloponésiens de Milet connurent le rappel d’Alcibiade, la méfiance qu’ils avaient déjà pour Tissapherne s’accrut considérablement. Il s’y joignait encore un autre motif de haine, provenant de la négligence avec laquelle Tissapherne servait la solde depuis la démonstration faite par les Athéniens contre Milet, lorsque les Péloponésiens avaient refusé
Pendant qu’ils se livraient à ces réflexions, il s’éleva tout à coup une mutinerie contre Astyochos. Les matelots syracusains et thuriens, d’autant plus arrogants qu’ils étaient de condition libre, se portèrent en masse auprès de lui en réclamant la solde. Astyochos répondit avec hauteur ; il alla même jusqu’à lever son bâton sur Doriéus[*](Voyez ch. xxxv. Les chefs lacédémoniens portaient habituellement une canne, et s’en servaient pour se faire obéir. Cette rudesse leur est souvent reprochée par les Athéniens. Du reste, il ne faut pas conclure que le port d'un bâton Tût un insigne distinctif de leur charge; car à Lacédémone cet usage était général. ), qui s’était fait l’organe de son équipage. A cette vue, la foule des soldats, en véritables gens de mer, éclate avec furie contre Astyochos et s’apprête à le lapider. Il prévint le danger en se réfugiant près d’un autel. Il en fut quitte pour la peur, et la foule se dissipa.
Les Milésiens s’emparèrent par surprise du château que Tissapherne avait fait construire dans leur ville [*](Il paraît de là, quoique l’auteur n’en ait pas fait mention, qu’à la suite de l’accord fait avec les Milésiens (ch. lviii), Tissapherne avait élevé un château fort à Milet ), et en chassèrent la garnison. Cette action fut bien vue par les alliés, surtout par les Syracusains ; mais elle n'eut pas l’approbation de Lâchas. Selon lui, les Milésiens et tous les autres habitants du pays du roi devaient se soumettre à une servitude modérée et ménager Tissapherne jusqu’à ce que la guerre eût pris une heureuse fin. Ce propos et d’autres analogues indisposèrent contre lui les Milésiens ; aussi lorsque plus tard il fut mort de maladie, ils ne permirent pas qu’on l’enterrât à l’endroit qu’avaient choisi les Lacédémoniens présents.
Les choses en étaient là et l’irritation contre Astyochos et Tissapherne était parvenue à son comble, lorsque Min-daros arriva de Lacédémone pour remplacer Astyochos dans les fonctions de navarque [*](La charge de navarque était annuelle. ). Astyochos lui remit le commandement et s’embarqua. Il était accompagné par un ambassadeur de Tissapherne, leCarien Gaulitès, qui parlait les deux langues. Ce dernier était chargé de se plaindre des Milésiens au sujet du fort et de disculper Tissapherne ; car celui-ci n’ignorait pas que les Milésiens étaient partis dans l’intention de l’accusçr et qu’avec eux se trouvait Hermocratès, qui devait le représenter comme ruinant, de concert avec Alcibiade, les affaires des Pélo-ponésiens par ses fluctuations. Tissapherne ne lui avait pas
Là-dessus arrivèrent de Délos les députés envoyés dans le temps par les Quatre-Cents pour tranquilliser l’armée et lui faire entëndre raison. Alcibiade était alors à Samos. Une assemblée fut convoquée ; mais lorsque les députés voulurent prendre la parole, les soldats refusèrent de les écouter et s’écrièrent qu’il fallait tuer ces destructeurs de la démocratie. A la fin cependant ils se calmèrent, non sans peine, et consentirent à les laisser parler.
Les députés déclarèrent que la révolution avait eu pour but, non pas la ruine, mais le salut de la ville ; qu’on ne songeait aucunement à la livrer aux ennemis : et la preuve, c’est que rien n’était plus facile à faire lors de l’incursion des Péloponésiens, quand on était déjà, au pouvoir ; que tous les citoyens à tour de rôle feraient partie des Cinq-Mille ; que les familles des soldats n’étaient point outragées, comme Chéréas l’avait faussement annoncé ; qu’on ne leur faisait aucun mal et qu’elles vaquaient paisiblement à leurs affaires. Ils eurent beau répéter ces assertions, les soldats ne voulurent rien entendre ; la colère leur suggé-raittoute sorte d’avis, surtout celui d’aller au Pirée. En cette occasion, Alcibiade rendit à la patrie le service le plus signalé : au moment où l’armée, cédant à l’entraînement, allait faire voile pour Athènes, ce qui était évidemment livrer aux ennemis l’Ionie et l’Hellespont, il sut l’en empêcher. NuPautre que lui n’étaient alors capable de contenir la multitude. Alcibiade la fît renoncer à son dessein et apaisa par ses remontrances l’irritation contre les députés. Ce fut lui qui les congédia, en leur disant qu’il ne s’opposait point à ce que les Cinq-Mille gouvernassent ; mais que les Quatre-Cents devaient se démettre et rétablir l’ancien conàeil des Cinq-Cents ; que si l’on avait fait quelque réduction dans les dépenses pour alimenter l’armée, il y donnait son plein assentiment. Au surplus il recommandait de tenir ferme et de ne point céder aux ennemis : car, dit-il, la
Il y avait là des députés d’Argos, venus pour offrir leurs services au parti populaire résidant à Samos. Alcibiade les remercia, et leur dit en les renvoyant qu’on s'adresserait à eux en temps utile. Ces députés avaient fait leur traversée avec les Paraliens. Ceux-ci, comme on l’a vu,, avaient été placés par les Quatre-Cents sur un bâtiment de transport avec ordre de croiser autour de l'Eubée ; ensuite ils avaient été chargés de conduire à Lacédémone Lespodias, Aristophon et Mélésias, envoyés en députation' par les Quatre-Cents ; mais parvenus à la hauteur d’Argos, ils s’étaient saisis de ces ambassadeurs et les avaient livrés aux Argiens, comme coupables du renversement delà démocratie ; puis, au lieu de revenir à Athènes, ils avaient pris à bord des députés argiens et s’étaient rendus à Samos avec leur trirème.
Le même été, dans le temps ôù divers motifs et surtout le rappel d'Alcibiade avaient porté au comble l’Irritation des Péloponésiens contre Tissapherne, qu'ils regardaient comme partisan déclaré d’Athènes, celui-ci, voulant apparemment dissiper ces fâcheuses impressions , prit le parti d’aller à Aspendos au-devant de la flotte phénicienne. Il engagea Lichas à l’accompagner et promit que son lieutenant Tamos fournirait en son absence les subsides à l’armée. Les opinions varient au sujet de ce voyage, et il n’est pas facile de savoir dans quelle intention Tissapherne se rendit à Aspendos, ni pourquoi, après y être allé, il n’en ramena pas les vaisseaux. Que la flotte phénicienne , forte de cent quarante-sept voiles, soit venue jusqu’à Aspendos, c’est un fait avéré; mais pour quel motif ne poussa-t-elle pas plus loin? à cet égard le champ est ouvert aux conjectures. Les uns prétendent qu’en s'absentant ainsi il était fidèle à son système d’affaiblir les Péloponésiens, et pour preuve ils citent l’extrême négligence apportée par Tamos dans le règlement de la solde ; d’autres, qu’en faisant venir les Phéniciens à Aspendos, il voulait spéculer sur leur retraite, sans avoir la moindre intention de les employer ; d’autres enfin, qu’il n’avait pas d’autre but que de répondre aux plaintes élevées contre lui à Lacédémone, en disant à sa décharge qu’il était allé bien réellement chercher cette flotte, dont la présence n’était pas une fiction. Quant à moi, ce qui me paraît le plus probable, c’est que, s’il n'amena pas la flotte
Pour Alcibiade, il ne sut pas plutôt Tissapherne en route pour Aspendos, qu’il partit lui-même avec treize vaisseaux. Il dit à ceux de Samos qu’il ne manquerait pas de leur rendre un grand service en amenant aux Athéniens la flotte phénicienne, ou tout au moins en l’empêchant de se joindre aux Péloponésiens. Apparemment il savait depuis longtemps que l’intention de Tissapherne n’était pas de faire venir cette flotte; il voulait le brouiller de plus en plus avec les Péloponésiens, en le faisant passer pour son ami et pour celui d'Athènes , et le forcer ainsi de se jeter dans les bras des Athéniens. Il mit donc à la voile et se dirigea en droite ligne sur Phasélis et sur Caunos.