History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
L’hiver suivant, Tissapherne, après avoir mis Iasos en état de défense, se rendit à Milet. Là, selon l’engagement qu’il avait pris avec Lacédémone, il paya un mois de solde aux équipages de tous les vaisseaux, à raison d’une drachme atti-que par homme; pour le reste du temps, il ne voulut donner que trois oboles, jusqu’à ce qu’il en eût référé au roi ; promettant, avec son autorisation, de donner la drachme entière. Le général syracusain Hermocratès fut seul à réclamer; car Théra-ménès, n’étant pas navarque, mais seulement chargé de remettre la flotte à Astyochos, prit médiocrement à cœur la question de la solde. Toutefois, il fut convenu que, par groupe de cinq vaisseaux, on donnerait aux équipages une légère somme en sus des trois oboles par homme : en effet, Tissapherne
Le même hiver, les Athéniens, qui étaient à Samos, reçurent (TAthènes un renfort de trente-cinq vaisseaux, commandés par Charminos, Strombichidès et Euctémon. Ils y réunirent ceux qu’ils avaient à Chios et ailleurs, dans le double dessein de bloquer Milet par mer et de diriger contre Chios une attaque combinée. Le sort consulté désigna StromBichidés, Onomaclès et Euctémon pour agir contre Chios. Ils partirent avec trente vaisseaux et des transports chargés d’une portion des mille hoplites qui avaient fait l’expédition de Milet. Les autres généraux, avec soixante-quatorze vaisseaux, restèrent à Samos, maîtres de la mer et faisant des courses contre Milet.
Astyochos, qui, dans le temps, s’était rendu à Chios pour choisir des otages par suite de la trahison [*](Voyez la fin du ch. xxrv. ), suspendit cette mesure en apprenant l’arrivée de la flotte que Théraménês lui amenait et la fortune meilleure des alliés. Il prit avec lui dix vaisseaux du Péîoponèse et dix de Chios, mit à la voile et alla attaquer Ptéléos ; mais n’ayant pu s’en emparer, il poussa jusqu’à Clazomènes. Là, il ordonna aux partisans d’Athènes de se retirer à Daphnonte et de faire leur soumission. Il était appuyé par Tamos, sous-gouverneur de l’Ionie. Sur leur refus, il assaillit la ville, qui n’était pas fortifiée ; mais ayant été repoussé, il repartit par un grand vent et aborda de sa personne à Phocée et à Cymé, tandis que le reste de sa flotte allait jeter l’ancre à Marathussa, Pélé et Drimussa, îles voisines de Clazomènes. Les vents les y retinrent huit jours, pendant lesquels ils pillèrent ou consommèrent sur place les provisions déposées dans ces Mes par les Clazoméniens ; puis ils se rembarquèrent en emportant leur butin, et rejoignirent Astyochos à Phocée et à Çymé.
Il était dans ces parages lorsqu’il reçut une députation des Lesbiens, qui offraient de nouveau de se révolter. Il accueillit leurs ouvertures; mais comme les Corinthiens et les autres alliés montraient de la tiédeur pour une entreprise avortée, il mit à la voile pour Chios, où ses vaisseaux, battus par une tempête, arrivèrent tard et isolément.
Pédaritos, parti de Milet par voie de terre, avait traversé d'Érythres à Chios avec ses troupes. Il avait près de cinq cents hommes armés, provenant des cinq vaisseaux laissés par Chal-cidéus. Quelques Lesbiens garantissaient la défection de leur patrie. Astyochos proposa donc à Pédaritos et aux Chiotes d’aller avec leurs vaisseaux à Lesbos pour l’insurger. Par là, disait-il,
Astyochos prit avec lui les cinq vaisseaux de Corinthe, un de Mégare, un d’Hermione, indépendamment de ceux qu'il avait amenés de Laconie, et cingla vers Milet, où il devait se saisir du commandement de la flotte. En partant, il se répandit en menaces contre les Chiotes, et protesta que, si jamais ils avaient besoin de secours, ils ne devaient pas compter sur lui pour leur en fournir. Il toucha à Corycos, sur le territoire d^rythres, et y passa la nuit. Les Athéniens, partis de Samos pour aller attaquer Chios avec toutes leurs forces, vinrent jeter l’ancre au même lieu, mais derrière une éminence qui leur masquait la vue de l’ennemi ; en sorte que ni les uns ni les autres ne s’aperçurent. Pendant la nuit, il vint une lettre de Pédaritos annonçant que dès Ërythréens, prisonniers à Samos et relâchés dans un but de trahison, venaient d’arriver à Érythres. Sur cet avis, Astyochos reprit aussitôt la mer pour retourner dans cette ville. A cela tint qu’il n’allât donner au milieu des Athéniens. Pédaritos étant venu le rejoindre, l’enquête qu’ils firent ensemble prouva que cette prétendue conspiration n’était qu’un prétexte inventé par ces gens pour s'échapper de Samos; aussi furent-ils libérés. Pédaritos repartit pour Chios et Astyochos pour Milet, sa destination primitive.
Cependant la flotte athénienne avait quitté Corycos et tournait le rivage. A la hauteur d’Arginon[*](Arginon ou Argennon (aujourd’hui Cap Blanc)T promontoire du pays d’Érythres. ), elle fit la rencontre de trois vaisseaux longs de Chios, et à l'instant elle leur donna la chasse ; mais un violent orage s’étant élevé, les vaisseaux chiotes se réfugièrent à grand’peine dans leur pcft; quant à ceux d'Athènes, les trois qui s’étaient le plus avancés firent côte et furent jetés près de la ville de Chioè. Les équipages furent pris ou massacrés; le reste de la flotte chercha un asile au pied du Mimas[*](Montagne située sur la côte de l’Asie Mineure, en face de Chios. On croit que Phéniconte est la fameuse baie de Tchesmé. ), dans le port appelé Phéniconte. De là, les Athéniens allèrent mouiller à Lesbos et firent leurs préparatifs de siège.
Le même hiver, le Lacédémonien Hippocratès partit du Péloponèse avec dix vaisseaux de Thurii[*](On a vu (liv. VII, ch. xxxm) que, l’année précédente, les Thuriens, à la suite d’une révolution, s’étaient prononcés en faveur d’Athènes. Plutarque (Dix Orat.) nous apprend que, plus tard, le parti oligarchique reprit le dessus, et contracta une alliance avec Lacédémone. ) commandés par Doriéus, fils de Diagoras, lui troisième, un vaisseau de Laconie et un de Syracuse. Il prit terre à Cnide, que Tissapherne avait déjà fait révolter. Dès que son arrivée fut connue à Milet, la moitié de la flotte eut ordre de couvrir Cnide, tandis que
A l’époque où Astyochos vint à Milet prendre le commandement de la flotte, l’abondance régnait encore dans l’armée péloponésienne. La solde était servie avec régularité ; le pillage d’Iasos avait enrichi les soldats ; enfin les Milésiens supportaient courageusement les charges de la guerre. Néan-moins les Péloponésiens trouvèrent que le premier traité conclu entre Tissapherne et Chalcidéus laissait à désirer et n’était pas assez à leur 'avantage. Ils en firent donc un autre pendant que Théraménès était encore à Milet. Il était conçu en ces termes :
« Entre les Lacédémoniens et leurs alliés, d’une part, le roi Darius, ses fils et Tissapherne d’autre part, est conclu un traité de paix et d’amitié aux conditions suivantes :
« Tout le pays et toutes les villes qui sont au roi Darius ou qui étaient à son père ou à ses ancêtres, serônt à l’abri de toute hostilité et dommage quelconque de la part des Lacédémoniens et de leurs alliés. Aucun tribut ne sera levé sur lesdites villes n^par les Lacédémoniens ni par leurs alliés.
« Le roi Darius s’engage, ainsi que ses sujets, à ne commettre aucune hostilité ni dommage quelconque envers les Lacédémoniens et leurs alliés.
« Si les Lacédémoniens et leurs alliés ont besoin de l’assistance du roi, si le roi a besoin de celle des Lacédémoniens on de leurs alliés, on s’entendra pour agir d’un commun accord.
« Les parties contractantes s’engagent à continuer ensemble la guerre avec les Athéniens et leurs alliés, et à ne la terminer que de concert.
« Tout corps de troupes qui, à la demande àu roi, se trouvera sur son territoire, sera défrayé par le roi.
« Si quelqu’une des villes comprises dans le traité attaque
« Si quelqu’un du pays du roi ou des États soumis à son empire attaque le pays des Lacédémoniens ou de leurs alliés, le roi s’y opposera et prêtera main-forte de tout son pouvoir. »
Après la conclusion de ce traité , Théraménès remit la flotte à Astyochos, monta sur un brigantin et disparut. Déjà les Athéniens étaient passés de Lesbos à Chios avec une armée; maîtres sur terre et sur mer , ils fortifiaient Delphi-nion, place défendue du côté de terre , pourvue de ports et située à proximité de la ville de Chios. Les Chiotes , battus antérieurement dans plusieurs rencontres, étaient en mésintelligence entre eux. Pédaritos avait fait périr comme partisans d’Athènes Tydéus fils d’ion et ses adhérents ; le reste de la population était soumis de force à un régime oligarchique ; aussi les citoyens , livrés à des défiances réciproques, restaient-ils dans l’inaction; ils ne comptaient,ni sur eux-mêmes ni sur les auxiliaires du Péloponèse pour résister aux ennemis. Cependant ils avaient envoyé à Milet demander des secours à Astyochos , et, sur son refus, Pédaritos avait écrit à Lacédémone pour se plaindre de lui. Telle était pour les Athéniens la situation des affaires à Chios. La division navale qu’ils avaient à Samos fit une démonstration contre la flotte stationnée à Milet; mais celle-ci ne sortant pas à sa rencontre, elle revint à Samos et s’y tint en repos.
Le même hiver, les vingt-sept vaisseaux armés par les Lacédémoniens à la sollicitation de Calligitos de Mé-gare et de Timagoras de Cyzique, agents de Pharnabaze, par-, tirent du Péloponèse pour l’Ionie, vers le solstice. Ils étaient commandés par le Spartiate Antisthénès. Les Lacédémoniens firent monter sur la même flotte onze Spartiates pour servir de conseil à Astyochos ; l’un d’eux était Lichas fils d’Arcésilaos. Ces commissaires avaient toute latitude pour prendre les mesures les plus convenables; pour envoyer, s’ils le jugeaient à propos, dans l’Hellespont vers Pharnabaze cette même flotte ou un nombre plus ou moins grand de vaisseaux, sous la conduite de Cléarque fils de Ramphias qui était à bord, enfin pour révoquer et remplacer par Antisthénès le navarque Astyochos, devenu suspect depuis la lettre de Pédaritos. Ces vaisseaux, partis de Malée, prirent le large et touchèrent à Mélos. Ils y trouvèrent dix bâtiments d’Athènes , en saisirent trois vid s et
Cependant les Chiotes et Pédaritos , nonobstant le mauvais vouloir d’Astyochos, lui envoyaient message sur message pour le presser de venir avec toute sa flotte au secours de leur ville assiégée, et de ne pas souffrir que la plus importante des cités alliées en Ionie fût bloquée par mer et infestée par terre. Aucune ville, celle de Lacédémone exceptée, ne possédait plus d’esclaves que Chios ; leur multitude nécessitait à leur égard un système de répression scvèrc [*](Etienne de Byzance (s. v. Χίος) dit : « Les Chiotes sont les premiers qui aient usé de serviteurs (θεράποντες) comme les Lacédémoniens usent des Hilotes, les Argiens des Gymnésiens, les Sicyoniens des Corynéphores, les Grecs d’Italie des Pélasges, les Crétois des Mnoïdes. » Athénée (VI, xxvm), en confirmant le fait, parle des séditions excitées à Chios par les esclaves, et ajoute que les Chiotes étaient les premiers des Grecs qui eussent établi la traite [σωματεμπορία) ou le commerce des esclaves. ). Aussi, dès qu’ils virent l’armée des Athéniens solidement établie dans une position retranchée, ils se mirent à déserter en foule ; et, par leur connaissance des localités, ils firent un mai incalculable. Les Chiotes insistaient donc pour être secourus. pendant qu'on avait encore l’espoir et le moyen d’arrêter les travaux inachevés de Delphinion , et avant que l'ennemi eût entouré d’ouvrages plus étendus son camp et sa flotte. Astyo-chos, d’après ses précédentes menaces, n’était guère disposé à les secourir ; cependant il se mit eu devoir de le faire, lorsqu’il vit les alliés en manifester le désir.
Sur ces entrefaites, on apprit de Caunos l’arrivée des vingt-sept vaisseaux et des commissaires lacédémoniens. Às-tyochos, jugeant que tout devait être subordonné à la double nécessité d’escorter une flotte si nombreuse, qui lui promettait l’empire de la mer, et d’assurer la traversée des Lacédémoniens chargés de contrôler sa conduite , renonça sur-le-champ à l’expédition de Chios et se mit en route pour Caunos. Dans le trajet, il descendit à Cos-la-Méropide[*](Méropis était l’ancien nom de l’île de Cos. On avait continué à la désigner par cette épithète, quoiqu’il n’existât pas en Grèce d’autre ville du même nom. ). Il pilla cette ville ouverte, et alors bouleversée par le plus violent tremblement dé terre qui, de mémoire d’homme , se soit fait sentir; les habitants s’étaient réfugiés sur les montagnes. Il fit des courses sur le territoire et enleva tout, à l’exception des hommes libres qu’il relâcha. De Cos, il arriva pendant la nuit à Cnide. Là il fut contraint par les instances des Cnidiens à ne pas débarquer ses équipages , mais à se porter sans désemparer contre les vingt vaisseaux d’Athènes, avec lesquels Charminos , l’un des généraux de Samos , guettait ces mêmes vingt-sept navires péloponésiens qu’Astyochos venait chercher. Un avis de Mélos
Astyochos, avant que sa marche fût signalée, cingla immédiatement vers Symé. afin de surprendre en pleine mer l’escadre ennemie. Mais la pluie et la brume dispersèrent sa flotte dans les ténèbres ; au point du jour elle était en désordre, et déjà l’aile gauche se trouvait en vue des Athéniens, tandis que le reste errait encore autour de ΓΪle. Charminos et les Athéniens s’avancent à la hâte, avec moins de vingt vaisseaux, dans la persuasion que cette flotte est celle de Caunos qu’ils épiaient. Ils attaquent à l’instant, coulent trois vaisseaux et en endommagent d’autres. L’affaire en était là et semblait tourner à leur avantage , lorsque le gros de la flotte ennemie parut à l’improviste et les cerna de toutes parts. Les Athéniens prirent alors la fuite et perdirent six vaisseaux : le reste se réfugia d’abord dans l’île de Teutlussa, puis à Halicarnasse. Après ce succès, les Péloponésiens abordèrent à Cnide, où ils furent rejoints par les vingt vaisseaux venant de Caunos. Les deux flottes réunies firent voile pour Symé, y érigèrent un trophée, et revinrent mouiller à Cnide.
A la nouvelle de ce combat naval, les Athéniens stationnés à Samos appareillèrent avec toutes leurs forces et firent voile vers Symé. Ils n’attaquèrent point la flotte qui était à Cnide et n’en furent pas attaqués ; mais ils prirent les gros bagages qu’elle avait déposés à Symé , touchèrent à Lorymes sur le continent et regagnèrent Samos.
Les vaisseaux péloponésiens rassemblés à Cnide reçurent les réparations dont ils avaient besoin. Tissapherne s’y trouvait aussi. Les onze commissaires de Lacédémone entamèrent avec lui des conférences sur les points qu’ils n’approuvaient pas dans les conventions déjà faites, de même que sur la meilleure direction à donner aux affaires militaires dans l’intérêt com-paun. Lichas était celui qui apportait à cet examen l’attention la plus scrupuleuse. Il soutint que les deux traités, celui de Chalcidéus aussi bien que celui de Théraménès, étaient défectueux. Selon lui, il était inadmissible que le roi se prétendît maître de tous les pays que lui ou ses ancêtres avaient jadis possédés : c’était dire en effet que toutes les îles, la Thessalie, la Locride et jusqu’à la Béotie rentreraient sous sa domination [*](Ces divers pays avaient été anciennement soumis aux Perses, les uns, tels que les lies de la mer Egée et le littoral de la Thrace jusqu’à la Thessalie, dès avant le règne de Xerxès, les autres à l’époque de l’expédition de ce prince contre la Grèce. ),et que les Lacédémoniens, au lieu d’affranchir les Grecs,
Les Lacédémoniens formèrent le projet de passera Rhode, où ils étaient appelés par les principaux citoyens. L’acquisition de cette île avait pour eux de Pimportance par le grand nombre de ses marins et de ses soldats ; ils espéraient d’ailleurs, avec le concours de leurs alliés, pouvoir entretenir leur flotte sans demander d’argent à Tissapherne. Ils partirent donc aussitôt de Gnide ce même hiver, et allèrent premièrement aborder à Camiros sur terre de Rhode avec quatre-vingt-quatorze vaisseaux. Le peuple, qui ne savait rien des négociations entamées, s’enfuit épouvanté ; car la ville était ouverte. Les Lacédémoniens convoquèrent les habitants de Rhode avec ceux des deux villes de Lindos et d’Ialyssos, et les déterminèrent à se détacher d’Athènes. C’est ainsi que Rhode passa du côté des Péloponésiens.
Cependant, au premier avis reçu, les Athéniens étaient partis de Samos pour prévenir l’ennemi, et déjà ils se montraient au large ; mais il était trop tard : aussi remirent-ils à la voile, d’abord pour Chalcé , puis pour Samos. Ensuite ils se mirent en course contre Rhode, en partant de Chalcé, de Cos et de Samos. Les Péloponésiens levèrent sur les Rhodiens une contribution de trente-deux talents [*](Cent soixante-douze mille huit cent francs. ), tirèrent leurs vaisseaux à sec, et se tinrent dans l’inaction durant quatre-vingts jours.
Dans l’intervalle et même avant l’expédition de Rhode, il survint quelques incidents. Depuis la mort de Chalcidéus et la bataille de Milet, Alcibiade était devenu suspect aux Péloponésiens, comme ennemi d’Agis et comme traître, à tel point que de Lacédémone on avait mandé à Astyochos de le faire périr. Alcibiade effrayé se retira chez Tissapherne et s'attacha de tout son pouvoir à le brouiller avec les Péloponésiens. Devenu l’âme de ses conseils, il fit réduire la solde d’unq drachme attique à trois oboles[*](C’était la moitié de la solde promise (chap. xxix). La drachme attique (quatre-vingt-dix centimes) se subdivisait en six oboles. ), qui n’étaient même pas payées régulièrement. D’après ses conseils, Tissapherne déclara que, si les Athéniens, bien plus expérimentés dans la marine, donnaient seulement trois oboles à leurs matelots, c’était moins par économie que pour les empêcher de se pervertir par l’abondance, d’affaiblir et de ruiner leur santé par des excès, on d’abandonner leurs navires en laissant pour gage l’arriéré qui
Alcibiade exhortait encore Tissapherne à ne pas trop se hâter de terminer la guerre, et à ne pas donner au même peuple l’empire de la terre et de la mer, soit en faisant venir, comme il en avait l’intention, la flotte phénicienne, soit en soudoyant un plus grand nombre de Grecs. Il valait mieux, lui disait-il, laisser la prépondérance indécise, afin que le roi, lorsqu’il aurait à se plaindre de l’un des deux partis, pût toujours lui opposer l’autre ; si au contraire la force continentale et la force maritime étaient concentrées dans les mêmes mains, il ne saurait plus à quels alliés recourir pour abattre la puissance prédominante , à moins qu’il ne voulût un jôur s’engager lui-même dans une lutte dispendieuse et pleine de périls; il était bien plus simple, moins coûteux et plus sûr pour lui de laisser les Grecs s’entre-détruire. Mieux vaut, ajoutait-il, partager l’empire avec les Athéniens ; moins ambitieux du côté de la terre ferme et plus accommodants soit en actions soit en paroles , ils soumettent la mer à leur autorité, mais ils abandonnent au roi les Grecs qui habitent son empire ; les Lacédémoniens au contraire se posent en libérateurs ; dès lors il n’est pas à croire que, venant pour affranchir les Grecs de la domination d’autres Grecs, ils ne veuillent pas aussi les délivrer de celle des Barbares, à moins qu’on ne les empêche de terrasser les Athéniens. Il lui conseillait donc de les affaiblir les uns au moyen des autres ; puis, lorsqu’il aurait autant que possible
Tissapherne entra en grande partie dans ces vues, à en juger du moins par sa conduite. Charmé des avis d’Alcibiade, il lui donna toute sa confiànce, fournit irrégulièrement la solde aoi Péloponésiens, et ne leur permit pas de livrer une bataille navale. En affirmant que la flotte phénicienne allait venir et qu'on aurait alors des forces de reste, il ruina leurs affaires et paralysa leur marine, si florissante jusqu’à ce moment. Enfin, dans toute la part qu’il prit à cette guerre, il manifesta trop d’inertie pour qu'on pût méconnaître ses véritables intentions.
Tout en donnant à Tissapherne et au roi, en retour de leur hospitalité, les conseils qu’il estimait les plus utiles; Alcibiade se ménageait les moyens de rentrer dans sa patrie, persuadé que, s’il la préservait de la ruine, il pourrait un jour obtenir son rappel ; dans ce but, il comptait en première ligne sur l’effet de ses liaisons avec Tissapherne. L’événement lui donna raison. Les soldats athéniens de Samos furent bientôt informés de son crédit auprès du satrape. D’autre part Alcibiade se mit en rapport avec les plus influents d’entre eux, pour qu’ils déclarassent de sa part aux honnêtes gens que, s’il était rappelé à Athènes sous le régime de l’aristocratie et non de l’odieuse démagogie qui l’avait chassé, il offrait de leur procurer l’amitié de Tissapherne et de partager le pouvoir avec eui. Ces propositions eurent d’autant plus de succès que les trié-rarques et les plus puissants des Athéniens en station à Samos étaient naturellement portés au renversement de la démocratie[*](Les triérarques ou commandants des trirèmes étaient pris exclusivement dans la classe des pmtocosiomédimnes, c’est-à-dire des plus riches citoyens. Us devaient donc avoir peu de goût pour la démocratie, qui faisait peser sur eux les charges les plus lourdes. ).
L’affaire fut d’abord agitée dans le camp, pois dans la ville. Quelques Athéniens étant venus de Samos pour s’aboucher avec Alcibiade, il se fit fort de leur concilier l’amitié de Tissapherne et ensuite celle du roi, pourvu qu’ils renonçassent à la démocratie, et qu’ainsi le roi pût avoir confiance en eux. Dès lors, les principaux citoyens, ceux qui supportent les plus lourdes charges, conçurent un grand espoir de se saisir de la direction des affaires et de triompher des ennemis. De retour à Samos, ils réunirent leurs affidés, se lièrent entre eux par serment, et déclarèrent sans détour à la foule que le roi serait l’ami des Athéniens et leur fournirait des subsides sitôt qu’Alcibiade aurait été rappelé et la démocratie abolie.
Bien qu’au premier moment la multitude ne vît pas de bon œil ces menées, la perspective des subsides fournis par le roi la fit tenir tranquille. Les chefs du parti oligarchique, après