History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Gylippe, voyant les vaisseaux ennemis vaincus et jetés hors de l’estacade et de leur camp, voulut faire main basse sur les hommes qui débarquaient, et faciliter aux Syracusains la remorque des vaisseaux en occupant le rivage. Il s’avança donc le long de la grève avec une partie de ses troupes; mais les Tyrrhéniens, qui étaient de garde en cet endroit, voyant ce corps s’approcher en désordre, sortent à sa rencontre, fondent sur les premiers, les arrêtent court, et les jettent dans le marais nommé Lysimélia. Les Syracusains et leurs alliés s’avancent alors en force; les Athéniens, inquiets pour leurs vaisseaux, accourent, sont vainqueurs, et poursuivent l’ennemi en lui tuant quelques hoplites. Ils sauvèrent ainsi la plupart de leurs vaisseaux, et les réunirent près du camp. Les Syracusains et leurs alliés leur en prirent dix-huit, dont ils massacrèrent les équipages. Dans le dessein d’anéantir ce qui restait de la flotte, ils remplirent un vieux vaisseau de sarments et de matières inflammables ; puis, profitant du vent qui portait sur les Athéniens, ils mirent le feu à ce brûlot, et le laissèrent aller en dérive. Les Athéniens, effrayés pour leur flotte, mirent tout en œuvre pour écarter le navire incendiaire. Ils y réussirent, et en furent quittes pour la peur.
Là-dessus les Syracusains érigèrent un trophée pour leur victoire navale et un autre pour l’avantage remporté par eux en avant des murs, où ils avaient intercepté les hoplites et pris les chevaux. Les Athéniens dressèrent aussi un trophée pour le succès obtenu soit par les Tyrrhéniens sur l’infanterie qu’ils avaient rejetée dans le marais, soit par eux-mêmes avec le reste de l’armée.
Cette victoire éclatante, remportée sur la flotte par les Syracusains, qui jusqu’alors avaient redouté le renfort amené par Démosthène, acheva de plonger les Athéniens dans le découragement. Grand était leur mécompte et plus grand encore le regret de l’expédition. C’était la première fois qu’ils attaquaient des villes semblables à la leur, soumises au même régime démocratique, possédant des vaisseaux, des chevaux, une
Dès ce moment, les Syracusains circulèrent librement dans le port; ils songeaient même à en fermer l’entrée, afin que les Athéniens ne pussent pas s’échapper à leur insu. Ce n’était déjà plus de leur propre conservation qu’ils s’occupaient: ils aspiraient à empêcher celle de leurs adversaires. Ils se disaient, non sans raison, que, dans l’état actuel des choses, h supériorité leur était largement acquise ; que s'ils venaient à bout de vaincre les Athéniens sur terre et sur mer, ce triomphe les couvrirait de gloire aux yeux de la Grèce entière, dont les peuples seraient aussitôt délivrés, ceux-ci du joug, ceux-là, de la crainte ; que les Athéniens, avec le restant de leurs forces, seraient hors d'état de soutenir la guerre ; tandis que les Syracusains, auteurs de cette révolution, exciteraient l’admiration des contemporains et de la postérité. A tous égards, la lutte était bien glorieuse; mais ce n’était pas tout : ils allaient triompher non-seulement des Athéniens, mais encore de leurs alliés, non moins nombreux que ceux de Syracuse, partager le commandement avec les Corinthiens et les Lacédémoniens; enfin, en s’exposant les premiers, donner la plus grande extension à leur marine.
Jamais on ne vit un plus grand nombre de nations se liguer contre une seule ville, si l’on excepte la grande coalition de celles qui, dans cette guerre prirent parti pour Athènes ou pour Lacédémone. Au surplus je vais énuméref les nations qui s’armèrent pour ou contre Syracuse, dans le but de concourir à la conquête ou à la défense de la Sicile. Leur association n'avait pour principe ni le droit, ni la communauté d’origine ; chacune d’elles avait obéi aux circonstances, à l’intérêt ou à la nécessité.
Les Athéniens proprement dits, Ioniens d’origine, portaient spontanément les armes contre les Doriens de Syracuse. Avec eux marchaient des peuples issus d’Athènes, unis à elle par conformité de langage et de mœurs, savoir les Lemniens, les Imbriens, ceux qui alors habitaient Êgine [*](On a vu (liv. II, ch.xxvii) que, la seconde année de la guerre, les Eginètes furent expulsés de leur île par les Athéniens, qui s’en partagèrent le territoire. Mais cette spoliation n'eut qu'un temps. Après la prise d'Athènes par Lysandre, les Eginètes furent réintégrés dans leurs foyers. Thucydide, qui a rédigé son histoire après cette époque, indique ici la population athénienne qui occupait Ëgine pendant la guerre du Péloponèse.— Lemnos, Imbros et Hestiéa étaient également peuplées d’Athéniens. ) et la ville d’fîestiéa en Eubée. Le reste des auxiliaires se composait de sujets,
Les Syracusains furent secourus par leurs voisins dé Gamarine et par Gela, qui est plus éloignée. Agrigente resta neutre ; mais Sélinonte, située encore plus loin, dans la partie de la Sicile qui regarde la Libye , se joignit à eux, de même qu’Himéra, seule ville grecque sur la côte de la mer Tyrrhé-nienne, et la seule aussi de ces parages qui soutînt Syracuse. Tels furent les Grecs de Sicile , tous Doriens et indépendants, qui s’armèrent pour les Syracusains. Parmi les barbares, leurs seuls alliés furent ceux de Sicules qui ne s’étaient pas prononcés en faveur des Athéniens. Quant aux Grecs du dehors, les Lacédémoniens fournirent un commandant Spartiate, des Néodamos et des Hilotes — le nom de Néodamode signifie affranchi. — Les Corinthiens seuls envoyèrent des vaisseaux et des troupes de terre. Les Leucadiens et les Ambraciotes se joignirent à eux à cause de la communauté d’origine[*](Avec Corinthe, leur métropole. ). Il vint d’Arcadie des mercenaires levés par les Corinthiens, de même que des Sicyoniens qui servaient par contrainte [*](Sans doute pàr suite du gouvernement oligarchique, qui leur avait été imposé par les Lacédémoniens. Voyez liv. V, ch. lxxxi. ). En dehors du Péloponèse, les alliés de Syracuse étaient les Béotiens. Si l’on compare le nombre de ces auxiliaires avec les forces fournies par les Grecs de Sicile, on trouve celles-ci fort supérieures sous tous les rapports, ce qui est naturel, vu l’importance des villes qu’ils habitent. Ils rassemblèrent une foule d’hoplites, de vaisseaux, de cavaliers et des troupes légères.
Toutefois les Syracusains à eux seuls, on peut le dire, contribuèrent plus fortement que tous les autres ensemble, soit à cause de la grandeur de leur ville, soit parce qu’ils étaient plus directement menacés.
Telles furent les forces auxiliaires des deux partis. A cette époque elles étaient complètes, et dès lors elles ne reçurent plus d’augmentation.
Après la victoire navale qu’ils venaient de remporter, les Syracusains et leurs alliés pensèrent avec raison que ce serait mettre le comble à leur gloire que de faire prisonnière la grande armée des Athéniens, sans lui laisser aucun moyen de s’échapper ni par mer ni par terre. Dans ce but, ils fermèrent le grand port, dont l’entrée est large de huit stades à peu près, au moyen d’une rangée de trirèmes, de transports et de bateaux qu’ils fixèrent par des ancres. Ils firent aussi leurs préparatifs pour le cas d’un nouveau combat naval. Sur tous les points ils ne méditaient rien que de grand.