History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Tel fut le discours d’Alcibiade. Les Lacédémoniens avaient déjà pensé à faire une expédition contre Athènes; mais ils différaient et hésitaient encore. Lorsqu’ils eurent entendu ces détails de la bouche de l’homme qu’ils regardaient comme le mieux informé, leur ardeur s’enflamma ; ils ne songèrent plus qu’à fortifier Décélie et à faire passer immédiatement des secours en Sicile. Gylippe, fils de Cléandridas, fut désigné pour aller prendre le commandement des Syracusains. Il eut ordre de s’entendre avec leurs députés et avec ceux de Corinthe, afin de diriger au plus tôt sur la Sicile toutes les troupes qu’on pourrait réunir. Gylippe demanda aux Corinthiens de lui envoyer sur-le-champ deux vaisseaux à Asiné et d’équiper les navires qu’ils voudraient y ajouter, de manière à ce qu’ils fussent prêts à partir au premier jour. Ces mesures prises, les députés quittèrent Lacédémone.
Sur ces entrefaites, arriva de Sicile à Athènes la trirème que les généraux avaient expédiée pour demander de l'argent et des cavaliers. Les Athéniens votèrent ces deux demandes. Là-dessus l’hiver fut fini, ainsi que la dix-septième année de la guerre que Thucydide a racontée.
L’année suivante [*](Dix-huitième année de la guerre, an 444 avant J. C.), dès les premiers jours du printemps, les Athéniens qui étaient en Sicile partirent de Catane et rangèrent la côte jusqu'à Mégara. Cette place appartenait dans l’origine aux Sicules; mais les Syracusains, du temps du tyran Gélon, en avaient, comme je l’ai dit plus haut[*](Voyez liv. VI, ch. iv. ), chassé les habitants et occupé le territoire. L’armée fit une descente, dévasta la campagne, et, après avoir assailli sans succès un fort défendu par des Syracusains, elle repartit par mer et par terre ; puis elle parvint à l’embouchure du fleuve Térias. Les Athéniens s’avancèrent dans l’intérieur du pays, ravagèrent la plaine, et incendièrent les moissons. Ayant
Le même printemps, les Lacédémoniens firent une expédition contre Argos, et s’avancèrent jusqu’à Cléones ; mais il survint un temblement de terre qui leur fit rebrousser chemin. Les Argiens à leur tour envahirent le territoire de Thyréa, qui confine à l’Argolide , et firent sur les Lacédémoniens un butin considérable,, dont ils ne tirèrent pas moins de vingt-cinq talents. Le même été, peu de temps après cette campagne, le peuple de Thespies se souleva contre son gouvernement; mais il n’eut pas le dessus. Les Thébains intervinrent, arrêtèrent quelques-uns des mutins, et forcèrent les autres à se réfugier à Athènes.
Ce même été, les Syracusains, avertis que les Athéniens avaient reçu de la cavalerie et se disposaient à marcher contre eux, pensèrent que si l’ennemi ne s’emparait pas des Ëpi-poles, colline escarpée qui domine immédiatement Syracuse, il ne lui serait pas facile, même après une bataille gagnée, d’investir la place. Ils résolurent donc d’en garder les avenues, pour empêcher les Athéniens d’y monter à la dérobée, car c’était le seul point accessible. En effet, de tous les autres côtés sont des collines qui s’abaissent en pente douce vers la ville, d’où l’on aperçoit toute leur étendue. Les Syracusains ont donné à cette position le nom d’JÉpipoles[*](Le nom d’Épipoles dérive de έπιπολάζειν, planer au-dessus j et non pas de πόλις, comme on l’admet communément. ), parce qu’elle domine le reste du pays. Au point du jour, les Syracusains en masse sortirent de la ville pour se rendre dans la prairie qu’arrose TAnapos. Hermocratès et les généraux ses collègues venaient d’entrer en fonctions. Ils firent la revue des hoplites, et désignèrent six cents hommes d’élite , commandés par Dio-milos, exilé d’Andros, avec charge de garderies Epipoles et de se porter rapidement partout où besoin serait.
La nuit qui précéda le jour de cette revue [*](il doit y avoir ici quelque altération dans le texte, bien que le sens soit parfaitement clair. Le moindre des changements qu’on a proposés consiste à insérer le relatif ή après τής νυχτός. ), les Athéniens parurent de Catane avec toute leur armée; et, sans
Peu de temps après, il leur arriva d’Égeste trois cents cavaliers, ainsi qu’une centaine de chez les Sicules, de Nazos et de quelques autres endroits. Les deux cent cinquante cavaliers venus d’Athènes se procurèrent des chevaux à Ëgeste, à Catane, ou en achetèrent à prix d’argent; de sorte que l’effectif de la cavalerie se trouva de six cent cinquante hommes. Les Athéniens, après avoir mis garnison au Labdalon, s’avancèrent vers Syka [*](Faubourg situé au N. E. de l’Acbradine, et nommé aussi Tycha, à cause fl’un temple delà Fortune qui s’y trouvait. (Cicéron, Ferr., IV, liii.) ), y prirent position, et élevèrent à la hâte leur retranchement circulaire [*](Il paraît, d’après les ch. xcix, a et eu, que c’était un ouvrage préliminaire, une sorte de camp retranché ou de réduit, distinct de la circonvallation proprement dite, à laquelle il servait de centre et de point d’appui. M. Didot est le premier qui ait donné à ce terme sa véritable valeur. Avant lui, on prenait le κύκλος pour l’ensemble des lignes obsidionales élevées par les Athéniens. L’emploi de l’article montre qu’il s’agit d’un travail connu et usité dans les sièges. ). La célérité de ce travail consterna les Syracusains, qui firent une sortie pour l’interrompre. Déjà les armées étaient en présence, lorsque les généraux syracusains, voyant que leurs soldats étaient disséminés et se formaient difficilement, les ramenèrent dans la ville. Ils ne laissèrent qu’un détachement de cavalerie, pour empêcher les Athéniens de transporter des pierres et de se répandre au loin. Une tribu d’hoplites athéniens, soutenue par toute la cavalerie, attaqua et mit en fuite ces cavaliers syracusains, en tua quelques-uns, et dressa un trophée en commémoration de cette victoire.
Le lendemain, une partie des Athéniens, prenant pour point de départ le retranchement circulaire, commencèrent à construire le mur d’investissement du côté septentrional,
Quand les Syracusains crurent avoir consolidé les palissades et la contre-approche, sans avoir été troublés dans ce travail par les Athéniens, qui craignaient en se divisant de leur donner prise, et qui d’ailleurs avaient hâte d’achever l’investissement, ils laissèrent une tribu à la garde de cet ouvrage et rentrèrent dans leurs murs. Les Athéniens détruisirent les canaux souterrains qui abreuvaient la ville. Ayant remarqué que les Syracusains se retiraient dans leurs tentes vers le milieu du jour, que plusieurs même s’en allaient à la ville, enfin que les gardes de la palissade faisaient négligemment leur service, ils désignèrent trois cents hommes d’élite et quelques soldats des troupes légères, choisis et bien armés, qui eurent ordre de se porter brusquement et à la course vers la contre-approche. Le reste de l’armée fut divisé en deui corps : le premier, avec l’un des généraux, s’avança du côté de la ville, pour le cas où les assiégés feraient une sortie; le second, avec l’autre général, vers la palissade qui masquait la poterne. Les trois cents assaillirent la contre-approche, qui fut enlevée; les défenseurs l’abandonnèrent pour se réfugier dans l’enceinte avancée du Téménitès. Les vainqueurs s’y jetèrent avec eux; mais à peine y avaient-ils pénétré, qu’ils furent violemment
Le jour suivant, les Athéniens, à partir du retranchement circulaire, entreprirent de fortifier la rampe qui domine le marais, et qui, sur ce flanç des Ëpipoles, fait face au grand port. En suivant la ligne la plus courte, la circonvallation devait descendre cette rampe, pour rejoindre le port à travers le marais et la plaine. Pendant ce temps, les Syracusains sortirent et élevèrent de leur côté, en partant de la ville et en se dirigeant par le milieu du marais, une seconde palissade protégée par un fossé, afin d’empêcher les Athéniens de pousser l’investissement jusqu’à la mer.
Ceux-ci n’eurent pas plus tôt terminé la partie située sur la rampe, qu’ils formèrent le projet d’enlever à son tour cette palissade et son fossé. Ordre fut donné à la flotte de passer de Thapsos dans le grand port de Syracuse. Eux-mêmes, un peu avant le lever du soleil, descendirent des Ëpipoles dans la plaine, traversèrent le marais à l’endroit où il était fangeux et le plus solide, en s’aidant de planches et de claies qu’ils jetaient devant eux. Au point du jour, ils étaient maîtres du fossé et de la palissade, excepté une parcelle qu’ils prirent bientôt après.
Une action s’engagea, dans laquelle les Athéniens furent encore vainqueurs. L'aile droite des Syracusains s’enfuit vers la ville, la gauche vers le fleuve. A l’instant, les trois cents Athéniens d’élite coururent au pont, afin de couper le passage. Les Syracusains eurent un moment de frayeur ; mais, soutenus par le gros de leur cavalerie, ils marchent aux trois cents, les culbutent et les rejettent sur l’aile droite des Athéniens. Ce mouvement répand l’alarme dans l’extrémité de cette aile. Lamachos s’en aperçoit; et, prenant avec lui quelques archers et les Argiens, il se porte de l’aile gauche au secours de la droite ; mais, au moment où il venait de franchir un fossé et se trouvait presque seul avec quelques hommes de son entourage, il est tué, lui et cinq ou six des siens. Les Syracusains réussirent à enlever rapidement leurs cadavres et à les transporter au delà du fleuve en lieu de sûreté ; puis, à l’approche du gros de Tannée athénienne, ils se retirèrent.
A cet aspect, ceux d’entre eux qui d’abord avaient fui vers la ville, reprirent courage et revinrent à la charge contre les Athéniens. En même temps, ils détachèrent quelques-uns
Là-dessus les Athéniens érigèrent un trophée, rendirent par composition les morts des Syracusains, et reçurent les cadavres de Lamachos et de ses compagnons. Leurs forces de terre et de mer étant au complet, ils commencèrent à investir Syracuse d’un double mur depuis les Ëpipoles et les pentes escarpées jusqu’à la mer. L’armée recevait des vivres en abondance de tous les points de l’Italie. Il arriva aussi aux Athéniens des renforts de chez les Sicules, qui avaient attendu jusqu’alors pour se prononcer; enfin trois pentécontores tyr-rhéniennes. Tout marchait à souhait. Les Syracusains, ne voyant venir du Péloponèse ni d’ailleurs aucun secours, commençaient à ne plus compter sur le succès de leurs armes. Bs parlaient entre eux d’accommodement, et faisaient des ouvertures à Nicias, qui, depuis la mort de Lamachos, avait seul le commandement de l’armée. Rien ne se concluait; mais, ainsi qu’on peut l’attendre d’un peuple à bout de ressources et toujours plus étroitement cerné, on mettait en avant une foule de propositions, soit auprès de Nicias, soit surtout dans la ville; car le malheur avait semé la défiance entre les citoyens. On retira le commandement aux généraux sous lesquels avaient eu lieu ces revers, imputés à leur trahison ou à leur mauvaise fortune; on élut à leur place Héraclidès, Euclès et Tellias.
Cependant· le Lacédémonien Gylippe et les vaisseaux partis avec lui de Corinthe étaient déjà dans les eaux de Leucade, et faisaient diligence pour gagner la Sicile. Les nouvelles
Vers la même époque, les Lacédémoniens et leurs alliés firent une invasion dans ΓArgolide, dont ils ravagèrent la plus grande partie. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens avec trente vaisseaux. Ce fut la violation la plus flagrante du traité de paix avec Lacédémone. Jusque-là tout s’était borné à des incursions dont Pylos était le point de départ. Si l’alliance avec Argos et Mantinée avait conduit les Athéniens à opérer quelques descentes, c’était moins en Laconie que dans le reste du Péloponèse. Bien qu’à plusieurs reprises les Argiens les eussent pressés de faire une simple apparition en armes sur un seul point de la Laconie, pour repartir aussitôt après y avoir commis avec eux quelques dévastations, ils s’y étaient constamment refusés. Cette fois, sous le commandement de Py-thodoros, de Lespodias et de Démaratos, ils débarquèrent à Ëpidaure-Liméra, à Prasies et sur d’autres points du littoral, où ils exercèrent des ravages. Par là ils fournirent aux Lacédémoniens un excellent prétexte de représailles. Après la retraite des vaisseaux athéniens et l’évacuation de l’Argolide par les Lacédémoniens, les Argiens envahirent le territoire de Phlionte, dévastèrent la campagne et tuèrent quelques habitants: après quoi ils regagnèrent leurs foyers.
Gylippe et Pythen, après avoir radoubé leurs vaisseaux, partirent de Tarente et rangèrent la côte jusque chez les Lo-criens-Ëpizéphyriens. Là ils apprirent avec plus de certitude que Syracuse n’était pas encore complètement investie, mais qu’il était possible à une armée d’y entrer par les Ëpipoles, Ils délibérèrent donc s’üs côtoieraient la Sicile à main droite et tenteraient d’entrer dans le port, ou s’ils la tiendraient à main gauche et se dirigeraient d’abord sur Himéra, pour gagner ensuite Syracuse par terre, en grossissant leur armée des Himéréens et de tous ceux qu'ils pourraient persuader. Ils s’arrêtèrent à ce dernier parti, d’autant plus volontiers que les quatre vaisseaux athéniens détachés enfin par Nicias lorsqu’il avait appris l’arrivée des ennemis à Locres, n’étaient pas encore à Rhégion. Ils les prévinrent, franchirent le détroit, et après avoir touché à Rhégion et à Messine, ils atteigoirent Himéra. Là ils tirèrent à sec leurs vaisseaux, et persuadèrent aux Himéréens de se joindre à eux et de fournir des armes à ceux de leurs matelots qui en manquaient. Ils donnèrent rendez-vous aux Sélinontins pour qu’ils vinssent en armes à leur rencontre. Les habitants de Géla et quelques-uns des Sicules leur promirent des secours. Les Sicules étaient mieux disposés depuis la mort récente d’Archonidas, prince assez puissant, qui régnait sur une partie de la contrée, et qui tenait pour les Athéniens; ce qui acheva de les déterminer, ce fut l’empressement que Gylippe avait mis à venir de Lacédémone. Gylippe prit donc avec lui sept cents de ses matelots et soldats de marine qui avaient des armes, mille hommes d’Himéra, composés d’hoplites, de troupes légères et de cent cavaliers, un certain nombre de soldats légèrement armés et de cavaliers de Séli-nonte et de Géla, enfin un millier de Sicules, et se mit en marche pour Syracuse.
Cependant les Corintb.ieus avaient quitté Leucade avec
Les Athéniens, surpris de l’apparition de Gylippe et des Syracusains, eurent un moment d’hésitation ; cependant ils se rangèrent en bataille. Gylippe, après s’être mis au repos sous les armes à peu de distance des ennemis, leur envoya un héraut pour leur signifier que, s’ils voulaient évacuer la Sicile avec armes et bagages dans le délai de cinq jours, il était prêt à traiter avec eux. Les Athéniens accueillirent avec mépris ce message, et renvoyèrent le héraut sans réponse. Ensuite on fit de part et d’autre les dispositions du convbat. Gylippe, s’apercevant que les Syracusains étaient en désordre et avaient de la peine à se former, ramena son armée sur un terrain plus ouvert. Nicias ne le suivit point, et resta immobile devant ses retranchements. Les Athéniens n’avançant pas. Çylippe alla prendre position sur l’éminence appelée Téménitis, où il bivaqua. Le lendemain il se porta en avant et déploya le gros de ses troupes en face des murs des Athéniens, afin de les empêcher de porter ailleurs des secours. En même temps, il envoya un détachement contre le fort de Labdalon, situé
Là-dessus les Syracusains et leurs alliés commencèrent à. construire, vers le haut et en travers des Épipoles, un mur simple qui partait de la ville et croisait la contre-approche [*](Cette contre-approche est celle qui est mentionnée au liv. VI, ch. xcix. Elle n’existait plus, ayant été détruite par les AJhé-niens; il n’est donc ici question que de sa place. Le nouveau mur, construit par les Syracusains, est un troisième ouvrage de défense, partant de l’enceinte de la ville, et se dirigeant parallèlement à la circonvallation, qu’il croisait dans la partie N., où s’était arrêtée la première contre-approche abattue par les Athéniens. Ce mur parallèle était simple, parce que, étaut adossé à la ville, il n’était exposé que du côté qui faisait face au mur des ennemis. ). Ils voulaient que les Athéniens, s’ils ne voulaient empêcher cette construction, fussent dans l’impossibilité d’achever l’investissement. Les Athéniens étaient déjà remontés sur la hauteur, après avoir terminé le mur aboutissant à la mer [*](La partie de la circonvallation qui s’étendait au S. du retranchement circulaire des Athéniens jusqu’au grand port. ). Gylippe, qui avait remarqué un point faible dans cet ouvrage, fit, pendant la nuit, prendre les armes à ses troupes, et s’avança pour l’attaquer; mais sa tentative fut déjouée par les Athéniens, qui se trouvaient bivaquer en dehors de leurs lignes. Gylippe, se voyant découvert, battit promptement en retraite. Les Athéniens donnèrent plus d’élévation à leur muraille, et se réservèrent ce poste à garder. Déjà ils avaient assigné à leurs alliés la place que chacun d’eux devait défendre sur tout le reste du retranchement.
Nicias résolut de fortifier le Plemmyrion. C’est un promontoire qui fait face à la ville et dont la saillie rétrécit l’entrée du grand port. En occupant cette position, il avait en vue de faciliter l’arrivage des subsistances, et pensait que les Athéniens seraient plus à portée de surveiller l’arsenal des Syracusains, au lieu d’avoir à partir du grand port au moindre mouvement de la marine ennemie. Nicias attachait plus d’importance aux opérations navales depuis que l’arrivée de Gylippe avait diminué ses espérances du côté de la terre. Ayant donc fait passer au Plemmyrion des troupes et les vaisseaux, il y éleva trois forts, où il déposa la plus grande partie du matériel, et près desquels stationnèrent dès lors les bâtiments de charge, ainsi que les vaisseaux légers. A dater de cette époque, les équipages eurent considérablement à souffrir. L’eau était rare et éloignée ; et quand les matelots sortaient pour faire du bois, ils étaient maltraités par les cavaliers ennemis, qui tenaient la campagne. Depuis l’occupation du Plemmyrion, les Syracusains avaient posté au bourg de l’Olympéion le tiers de leur cavalerie, afin d’empêcher les déprédations. Informé que le gros de la flotte corinthienne approchait, Nicias détacha vingt vaisseaux pour la tenir en respect, avec ordre de stationner aux environs de Locres, de Rhégion, et aux abords de la Sicile.
Gylippe continuait à construire le mur en travers des Épipoles, et se servait à cet effet de pierres que les Athéniens avaient amassées pour leur propre compte ; en même temps, il faisait sortir les Syracusains et leurs alliés, qu’il déployait au fur et à mesure devant le retranchement. Les Athéniens i leur tour se rangèrent en bataille. Lorsque Gylippe crut le moment venu, il donna le signal de l’attaque. Le combat fût livré dans l’intervalle des murs, où les Syracusains ne pouvaient faire usage de leur cavalerie; aussi furent-ils vaincus avec leurs alliés.
Après qu’ils eurent relevé leurs morts par composition et que les Athéniens eurent dressé un trophée, Gylippe convoqua ses soldats et leur dit que la faute n’était point à eux, mais à lui seul ; qu’en s’engageant trop au dedans des murs il jLvait rendu inutile la cavalerie et les gens de trait; qu’il allait donc les ramener à la charge. Il ajouta qu’ils ne devaient point se croire inférieurs aux ennemis, ou mettre le moins du monde en doute que des Péloponésiens et des Doriens ne sussent pas vaincre des Ioniens, des insulaires, un ramas d’étrangers, et les chasser de la contrée.
Ensuite, quand il fut temps, il les mena une seconde fois au combat. Nicias et les Athéniens, lors même qu’on ne les eût pas provoqués, sentaient bien qu’il y avait nécessité pour eux de ne pas permettre l’achèvement de la muraille parallèle, car déjà elle était sur le point de dépasser l’extrémité de leur retranchement, et, une fois au delà, il devenait indifférent pour eux d’entasser victoire sur victoire ou de ne pas combattre du tout. Ils marchèrent donc à la rencontre des Syracusains. Gylippe, avant d’en venir aux mains, conduisit ses hoplites à une plus grande distance des murs que la première fois. Il plaça la cavalerie et les gens de trait sur le flanc des Athéniens, dans l’espace plus ouvert où finissaient les ouvrages des deux armées. Au milieu de l’action, cette cavalerie fondit sur l’aile gauche des Athéniens qui était en face d’elle et la culbuta; sa déroute entraîna celle du reste de l’armée, qui fut rejetée dans les retranchements. La nuit suivante, les Syracusains parvinrent à prolonger leur mur parallèle au delà des lignes ennemies; ils n’avaient donc plus d’obstacle à redouter de la part des Athéniens, tandis que ceux-ci, fussent-ils victorieux, ne pouvaient plus achever l'investissement.
Sur ces entrefaites, les vaisseaux de Corinthe, d’Am-bracie et de Leucade, restés en arrière au nombre de doute,
Gylippe parcourut ensuite le reste de la Sicile, pour y rassembler des forces de terre et de mer, comme aus#pour attirer celles des villes qui n’avaient encore montré que peu de zèle, ou qui même étaient restées totalement étrangères à la guerre. D’autres députés, Syracusains et Corinthiens, partirent pour Lacédémone et pour Corinthe, afin d’obtenir l'envoi de nouvelles troupes à embarquer sur des vaisseaux marchands, sur des transports ou des bâtiments quelconques, attendu que les Athéniens demandaient aussi des renforts. Les Syracusains équipaient une flotte et s’exerçaient à la manœuvre dans l’intention de porter aussi leurs efforts du côté de la mer. Ils déployaient en même temps beaucoup d’ardeur dans toutes les autres dispositions.