History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Après cette protestation, Archidamos ût ses préparatifs d’attaque[*](On a souvent cité le siège de Platée comme un échantillon de la poliorcétique des Grecs. C’est une erreur. Les Lacédémoniens étaient très-ignorants dans la tactique obsidionale. Ce siège, loin de faire règle, ne·doit être considéré, vu.sa bizarrerie et sa petitesse, que comme un trait tout à fait exceptionnel, destiné à faire sourirç de pitié tous les tacticiens d’Athènes. L’auteur pamt avoir voulu, par cette description, faire la contre-partie du siège4e Syracuse, que les Athéniens conduisent selon les principes. ). Il commença par faire abattre les arbres et entourer la ville d’une palissade, afin de rendre impossibles les sorties. Ensuite il éleva contre la muraille une terrasse [*](L’attaque des villes par le moyen de terrasses ou de plates-formes élevées en plan incliné jusqu’au niveau des murs de la place assiégée, était une tactique ancienne, que nous voyons employée parles Perses pour prendre les villes grecques d’Asie Mineure (Hérodote, I, clui). Cette méthode était depuis longtemps abandonnée pour la circonvallation, dont l’effet était beaucoup plus sûr. ) ; et, vu le grand nombre des bras, il comptait que la place serait bientôt prise. Des troncs d’arbres, coupés sur le Cithéron, furent placés en long et en travers sur les deux flancs de cet ouvrage, en guise de murs, pour prévenir les éboulements. L’intervalle fut rempli de bois, de pierres,·de terre, enfin de tout ce qui pouvait servir à le combler. Ce travail dura soixante-dix jours et autant de nuits sans interruption. Les travailleurs se relayaient à tour de rôle, les uns dormant ou prenant leurs repas, tandis que les autres apportaient des matériaux. Les chefs lacédémoniens, qui commandaient les troupes de chaque ville, pressaient l’ouvrage.

Les Platéens, voyant cette terrasse s’élever, construisirent

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une muraille de bois sur leur rempart, à l’endroit où il était menacé. Ils la garnirent de briques enlevées aux maisons voisines ; les pièces de bois servaient de lien et empêchaient que la hauteur de cette construction n’en diminuât la solidité. Ils suspendirent des peaux et des cuirs sur la face extérieure delà charpente, pour mettre les travailleurs et l’ouvrage à l’abri des traits enflammés. Cette construction s’élevait à une hauteur considérable ; mais la terrasse avançait avec non moins de rapidité. Les Platéens s’avisèrent alors d’un stratagème : ils percèrent leur muraille du côté de cette terrasse et se mirent à soutirer le remblai.

Les Péloponésiens, qui s’étaient aperçus de cette manœuvre, emplirent d’argile des corbeilles de roseaux et les jetèrent dans les interstices, d’où elles étaient moins faciles à extraire. Privés de cette ressource, les assiégés creusèrent, à partir de la ville, une galerie souterraine, qu’ils dirigèrent par conjecture sous la terrasse, et ils recommencèrent à entraîner les matériaux. Les assiégeants furent longtemps à s’en aperce-voir^Ils avaient beau entasser remblai sur remblai, c’était peine perdue ; la terrasse, minée par-dessous, s’affaissait constamment.

Les PlatéenS, craignant de ne pouvoir, malgré cela, résister à des forces tellement disproportionnées, eurent recours à un autre système. Ils cessèrent de travailler à la grande construction opposée à la terrasse ; mais ils élevèrent un second mur, en forme de croissant, en retrait du côté de la ville, et à partir des deux points où se terminait l’exhaussement de la muraille d’enceinte. Us pensaient que, si le grand mur venait à être emporté, le nouveau arrêterait l’ennemi et le forcerait de construire une seconde terrasse et de n’avancer qu’en découvrant ses flancs.

Les Péloponésiens, tout en continuant leurs travaux, firent approcher des machines. Une d’elles, placée sur la terrasse, ébranla un pan de la vaste construction, au grand effroi des assiégés ; d’autres battaient divers points de la muraille. Mais les Platéens les saisissaient avec des nœuds coulants et les attl· raient à eux ; ou bien ils suspendaient par les deux bouts de grosses poutres à des chaînes de fer, qui glissaient sur deux mâtereaux inclinés en saillie sur le mur. Ils hissaient la poutre jusqu’à ce que ses extrémités touchassent les mâtereaux ; puis, lorsque la machine allait frapper, ils lâchaient les chaînes, $ la poutre, tombant avec violence, brisait la tête du bélier.

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Les Péloponésiens, voyant que leurs machines étaient inutiles et qu’un mur s’élevait vis-à-vis de leur terrasse, jugèrent ces difficultés insurmontables. Ils se disposèrent donc à investir Platée. Mais auparavant, comme la ville était petite, ils essayèrent de l’incendier à la faveur du vent. Ils se munirent donc de fagots, et les lancèrent du haut de la terrasse, d’abord dans l’intervalle qui la séparait de l’enceinte, et qui se trouva bientôt comblé grâce à la multitude des bras ; ensuite ils en entassèrent dans la ville même, aussi loin qu’ils purent atteindre de la hauteur où ils étaient placés. Par-dessus ils jetèrent du soufre et de la poix et y mirent le feu. Il en résulta une conflagration telle qu’il ne s’en était jamais vu, du moins produite de main d’homme ; car il arrive quelquefois, sur les montagnes, que les forêts battues par les vents prennent spontanément feu par le frottement et deviennent la proie des flammes. L’embrasement fut immense ; et peu s’en fallut que les Platéens, après avoir échappé aux autres périls, ne succombassent à celui-ci. Il y avait une grande partie de la ville d’où l’on ne pouvait approcher ; et, si le vent eût soufflé dans cette direction, comme l’ennemi s’y attendait, c’en était fait de Platée. On prétend aussi qu’en ce moment il survint une forte averse, accompagnée de tonnerres, qui éteignit l’incendie et mit fin au danger.

Après cette tentative avortée, les Péloponésiens licencièrent une partie de leur monde ; le reste fut employé à construire une circonvallation, dont chaque contingent eut à exécuter une étendue déterminée. En dedans et en dehors, ils creusèrent un fossé dont la terre servit à faire fies briques. Lorsque le travail fut achevé, vers le lever de Γ Arcturus[*](Le lever héliaque (επιτολή) de ΓArcturus a lieu peu de jours avant l’équinoxe d’automne ; ce qui correspond à la date du 17 au 20 septembre. ), ils laissèrent des troupes pour garder la moitié de cet ouvrage ; l’autre moitié fut occupée par les Béotiens. Le gros de l’armée se retira et chacun regagna ses foyers. Déjà précédemment, les Platéens avaient fait passer à Athènes leurs enfants, leurs femmes, les vieillards et les hommes les moins valides. Il ne restait pour soutenir le siège que quatre cents Platéens et quatre-vingts Athéniens, avec cent dix femmes pour faire le pain. Tel était, en tout, le nombre des défenseurs de Platée, lorsque le siège commença. Il n’y avait dans la ville personne de plus, ni esclave ni homme libre.

Le ipême été, pendant les préparatifs du siège de Platée, les Athéniens, avec deux mille hoplites et deux cents cavaliers, firent une expédition contre les Chalcidéens du littoral

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de la Thrace et contre les Bottiéens. Le blé était mûr alors. C$tte armée était commandée par Xénophon fils d'Euripidès et par deux autres généraux. Arrivés devant Spartolos,[*](Ville de la péninsule Chalcidi que, située dans l’intérieur des terres, à peu de distance d’Olynthe, du côté N. O. ) ville de la Bottique, ils firent quelques dégâts dans la campagne. Ils s'attendaient à voir la ville se rendre à eux par suite d’intelligences pratiquées dans l'intérieur ; mais le parti contraire s’était adressé à Olynthe, d’où l’on avait envoyé une garnison composée d’hoplites et d’autres soldats. Cette garnison fit une sortie, et le combat s'engagea sous les -murs de Spartolos. Les hoplites chalcidéens et un certain nombre de leurs auxiliaires furent vaincus par les Athéniens et rejetés dans la place ; mais la cavalerie et les troupes légères des Chakidéens vainquirent les Athéniens des mêmes armes. Les Chalcidéens avaient avec eux des peltastes venus du pays de Crusis [*](District de la Chalcidique, longeant le golfe Thermaïque, au N. O. de Potidée. C’est le même pays qu’Hérodojte appelle Crosséa. ).

Le combat venait de finir, lorsqu’un renfort de peltastes arriva d’Olynthe. A cet aspect, les troupes légères de Spartolos, déjà fières de n’avoir pas été vaincues, s’animèrent d’un nouveau courage et chargèrent une seconde fois les Athéniens avec les cavaliers chalcidéens et le repfort survenu. Les Athéniens se replièrent sur les deux corps qu’ils avaient laissés à la garde des bagages. Quand les Athéniens faisaient un mouvement offensif, l’ennemi lâchait pied; venaient-ils à battre en retraite, il les pressait et les criblait de javelots. De son côté, la cavalerie châlcidéenné chargeait quand elle en trouvait l’occasion. Elle répandit l’effroi parmi les Athéniens, les mit en fuite et les poursuivit au loin. Les Athéniens se réfugièrent à Potidée ; et, après avoir relevé leurs morts par composition, ils repartirent pour Athènes avec le reste de leur armée. Ils avaient perdu dans cette action quatre cent trente hommes et tous leurs généraux. Les Chalcidéens et les Bottiéens érigèrent un trophée, recueillirent leurs morts, et se dispersèrent dans leurs villes.

Le même été, peu après ces événements, les Ambraciotes et les Chaoniens, désirant soumettre toute l’Acarnanie et la détacher d’Athènes, obtinrent des Lacédémoniens l’armement de cent vaisseaux alliés et l’envoi de mille hoplites en Acarnanie. Ils assuraient qu’en attaquant ce pays par mer et par terre, on empêcherait les Acarnaniens de la côte de se réunir à ceux de l’intérieur ; qu’une fois en possession de ΓΔ-carnanie, on s’emparerait aisément de Zacynthe et de Céphallé-nie, ce qui enlèverait aux Athéniens la facilité de faire le tour du Péloponèse ; qu’enfin il se pourrait qu’on prît Naupacte ellemême.

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Les Lacédémoniens persuadés envoyèrent aussitôt leurs hoplites et quelques bâtiments sous la conduite de Cnémosy encore navarque à cette époque [*](Il exerçait déjà la même fonction l’année précédente (ch. lxvi). Il devait donc avoir été prorogé dans le commandement. D’après la règle, la charge de navarque ou d’amiral des Lacédémoniens était annuelle (Thucydide, VIII, xx; Xénophon, IfeiL, I, vi). ). Leurs alliés eurent ordre de diriger au plus tôt sur Leucade leurs vaisseaux en état de tenir la mer. Les Corinthiens appuyaient chaudement les Ambraciotes leurs colons. Les vaisseaux de Corinthe, de Sicyone et des villes voisines étaient en armement ; ceux de Leucade, d’A-nactorion et d’Ambracie, arrivés les premiers au rendez-vous, les y attendaient. Cnémos, avec ses mille hoplites, trompa, dans sa traversée, la surveillance de Phormion, en croisière à Naupacte avec vingt vaisseaux athéniens, et prépara sans délai son expédition de terre.

Son armée se composait de Grecs et de barbares. Les premiers étaient des Ambraciotes, des Leucadiens, des Anactoriens et les mille Péloponésiens qu’il avait amenés. Quant aux barbares, c’étaient d’abord mille Chaoniens indépendants [*](Qui n’ônt point de rois. Les Chaonrens, les Thesprotes et les Molosses étaient les trois grandes tribus de l’Épire. Les Atintanes, les Paravéens et les Orestes étaient des peuplades situées au N. de l’Athamanie, entre l’Épire et la Macédoine. ), commandés par leurs chefs annuels, Photios et Nicanor, de la famille dominante. Avec les Chaoniens marchaient des Thes-protes également indépendants. Venaient ensuite des Molosses et des Atintanes, commandés par Sabylinthios, tuteur de leur roi Tharypas encore enfant, des Paravéens, conduits par leur roi Orœdos, auquel Antiochos, roi des Orestes, avait confié mille hommes de cette nation. Perdiccas avait aussi envoyé, à l’insu des Athéniens, mille Macédoniens ; mais ceux-ci arrivèrent trop tard.

Ce fut avec cette armée que Cnémos se mit en marche, sans attendre la flotte de Corinthe. Il traversa le pays des Argiens [*](Territoire d’Argos Amphilochicon. L’expédition, partie du golfe Ambracique, traversa l’Arcamanie du N. au S. La ville de Stratos était située sur l’Achéloos, à dix lieues au-dessus de son embouchure, à l’endroit où ce fleuve est guéable, parce qu’il se divise en plusieurs bras. ), pilla Limnéa, village sans défense, et se porta contre Stratos, principale ville de l’Acarnanie, dans la pensée que, s’il parvenait à s’en rendre maître, le reste du pays se soumettrait sans difficulté.

Les Acamaniens, informés qu’une armée nombreuse avait envahi leur territoire et que, du côté de la mer, une flotte ennemie les menaçait, ne réunirent point leurs forces ; chacun d'eux ne songea qu’à défendre ses foyers. Ils firent demander du secours à Phormion ; mais celui-ci répondit que, s’attendant d’un jour à l’autre à voir une flotte ennemie sortir de Corinthe, il ne pouvait pas laisser Naupacte à l’abandon.

Les Péloponésiens et leurs alliés se divisèrent en trois corps et s’avancèrent contre Stratos, avec l’intention de camper dans le voisinage de cette ville et de l’assaillir, à moins qu’elle n’entrât en accommodement. L’armée marchait sur trois colonnes

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formées, celle du centre, par les Chaoniens et par les autres barbares ; celle de droite, par les Leucadiens, les Anactoriens et leurs voisins ; celle de gauche, où était Cnémos, par les Pélopo-nésiens et par les Ambraciotes. Ces trois corps cheminaient à une assez grande distance l’un de l’autre ; quelquefois même ils se perdaient de vue. Les Grecs marchaient en bon ordre, toujours sur leurs gardes, et ne faisant halte qu’après avoir trouvé un campement convenable.^ Les Chaoniens au contraire, pleins de confiance en eux-mêmes et renommés pour leur bravoure dans cette partie du continent, n’avaient pas la patience d’établir un càmp ; mais, s’avançant comme un tourbillon avec les autres barbares, ils s’imaginaient emporter d’emblée la ville et en avoir tout l’honneur.

Les Stratiens, avertis de leur approche, pensèrent que, s’ils pouvaient les battre isolément, les Grecs se ralentiraient dans leur attaque. Ils dressèrent donc des embuscades autour de la ville ; et, lorsque les ennemis furent à portée, ils fondirent sur eux à la fois et de la place et des embuscades. Les Chaoniens épouvantés périrent en grand nombre. Les autres barbares, les voyant plier, lâchèrent pied et prirent la fuite. Les Grecs des deux corps d’armée ne s’aperçurent point de ce combat ; ils étaient fort éloignés et présumaient que les barbares avaient pris les devants pour choisir un campement. Lorsque les fuyards vinrent tomber au milieu d’eux, ils les recueillirent, ne formèrent qu’un seul camp, et se tinrent en repos le reste du jour. Les Stratiens, en l’absence du renfort qu’ils attendaient, ne les attaquèrent point en ligne ; ils se contentèrent de les harceler de loin à coups de fronde, ce qui les mit dans un grand embarras ; car on ne pouvait faire un pas sahs bouclier. Les Acarnaniens excellent dans ce genre de combat.

La nuit venue, Cnémos se replia rapidement sur le fleuve Anapos, à quatre-vingts stades de Stratos. Le lendemain il releva ses morts par composition ; puis, les OEniades l’ayant rejoint en qualité d’amis, il se retira sur leurs terres, sans attendre la levée en masse des Acarnaniens. De là chacun regagna ses foyers. Les Stratiens érigèrent un trophée pour la défaite des barbares.

Quant à la flotte des Corinthiens et de leurs alliés, qui, du golfe de Crisa, devait se réunir à Cnémos pour empêcher les Acarnaniens de la côte de porter secours à ceux de l’intérieur, elle ne put exécuter ce projet ; pendant qu’on se battait à Stratos, elle fut obligée de livrer bataille à Phormion et aux

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vingt vaisseaux athéneins en station à Naupacte. Phormion épiait sa sortie du golfe, avec d.essein de l’attaquer dans une mer ouverte. Les Corinthiens et leurs alliés cinglaient vers ΓΑ-carnanie, peu disposés à un combat naval, encombrés de troupes et fort éloignés de prévoir que les vingt vaisseaux athéniens eussent la hardiesse de se mesurer avec les leurs, dont le nombre s’élevait à quarante-sept. Ils serraient le rivage et comptaient passer de la ville achéenne de Patres au continent d’Acamanie. Mais lorsqu’ils virent les Athéniens longer parallèlement à eux la côte opposée, puis quitter Chalcis[*](Petite ville de l’EtoHe méridionale, au pied d’une montagrie du même nom. L’Evénos, aujourd’hui PhidarL ) et l’embouchure de l’Évé-nos pour se porter à leur rencontre, sans que la nuit dérobât à l’ennemi l’endroit où ils jetaient l'ancre, force leur fut d’accepter la bataille au milieu même du détroit.

Chaque ville avait ses commandants, qui firent leurs dispositions de combat. Ceux de Corinthe étaient Machaon, Isocratès et Agatharchidas. Les Péloponésiens rangèrent leurs vaisseaux en un cercle, qu’ils étendirent le plus possible, sans toutefois laisser passage aux ennemis, les proues en dehors, les poupes en dedans [*](Les Péloponésiens donnaient là un exemple de Γ esprit routinier de la race dorienne. La disposition circulaire qui avait réussi contre les Perses à l’Artémision (Hérodote, VIII, xi) n’était plus praticable depuis les perfectionnements apportés par les Athéniens dans la tactique navale. ). Au centre ils placèrent les petits bâtiments qui les suivaient et cinq de leurs navires les plus agiles, pour être à portée de secourir les points menacés.

Les vaisseaux athéniens, rangés à la file, tournaient autour du cercle qu’ils rétrécissaient peu à peu, en rasant la flotte ennemie, et semblaient toujours au moment d’attaquer. Phormion avait défendu aux siens d’engager l’action avant qu’il eût donné le signal. Il prévoyait bien que la flotte des Péloponésiens ne garderait pas son ordre de bataille comme une armée de terre, mais que les vaisseaux de guerre seraient embarrassés par les petits bâtiments ; qu’enfin si le vent, qui d’ordinaire soufflait du golfe au lever de l’aurore, venait à s’élever, la confusion se mettrait dans la flotte ennemie. Ses vaisseaux étant plus légers, il se croyait maître de choisir le moment de l’attaque et pensait qu’il n’y en aurait point de plus favorable. Lors donc que la brise se fit sentir, que la flotte pélopo-nésienne, resserrée dans un étroit espace, fut troublée à la fois par le vent et par les bâtiments qui la gênaient ; lorsque les vaisseaux commencèrent à s’entre-choquer et que les équipages, mêlant des vociférations et des invectives à leurs manœuvres, se repoussèrent mutuellement à coups d’avirons ; lorsque, sourds aux commandements et à la voix des céleustes [*](Les céleustes étaient des officiers inférieurs, espèce de contre-maîtres, qui, sur les vaisseaux, réglaient par un cri cadencé les mouvements des rameurs. ), ces hommes sans expérience, incapables de manier leurs rames dans une mer houleuse, rendirent les bâtiments rebelles aux pilotes ;

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alors Phormion donne le signal. Les Athéniens commencent l’attaque et d’abord coulent bas un des vaisseaux commandants; ensuite ils vont brisant tous ceux qu’ils peuvent atteindre; si bien que les ennemis, sans faire résistance, s’enfuient en désordre à Patres et à Dymé en Achaïe. Les Athéniens les poursuivent, prennent douze vaisseaux, et, après en avoir enlevé la plus grande partie des équipages, font voile pour Molycrion.

Là-dessus, ils érigèrent un trophée sur le Rhion, consacrèrent un vaisseau à Neptune et rentrèrent à Naupacte. Le restant de la flotte péloponésienne partit incontinent de Dymé et de Patres pour gagner Cyllène, port des Éléens. C’est là qu’après la bataille de Stratos, se rendit aussi Cnémos, venant de Leucade, avec les vaisseaux destinés à rallier ceux du Péloponèse.

Les Lacédémoniens envoyèrent à bord de leur flotte Timocratès, Brasidas et Lycophron, pour servir de conseil à Cnémos, avec ordre de se mieux préparer à un nouveau combat naval et de ne pas se laisser fermer la mer par un petit nombre de navires. Comme c’était leur premier essai de bataille navale, ils étaient surpris de leur défaite ; ils l’attribuaient moins à l’infériorité de leur marine qu’à une certaine mollesse, et n’avaient garde de comparer à la vieille expérience des Athéniens le temps si court de leur apprentissage. Ce fut donc par un mouvement de dépit qu’ils déléguèrent ces commissaires. Ceux-ci, dès leur arrivée, s’entendirent avec Cnémos pour demander des vaisseaux aux différentes villes et pour mettre en état ceux qu’ils avaient sous la main.

De son côté, Phormion fit parvenir à Athènes la nouvelle de ces préparatifs et du succès qu’il venait d’obtenir. Il demandait qu’on lui envoyât sans retard le plus de vaisseaux possible, un nouveau combat étant imminent. Les Athéniens lui expédièrent vingt vaisseaux, dont le commandant eut ordre d’aller premièrement en Crète. Nicias, Crétois de Gortyne, leur proxène[*](Sur les proxènes, voyez chap. xxix, note 1. — Cydonie était sur la côte septentrionale de la Crète. Ses ruines (Paléocastro) sont dans le voisinage de la Canée. Polichna était limitrophe. ), les avait appelés à Cydonie, promettant de mettre en leur pouvoir cette ville ennemie; en même temps il voulait se rendre agréable aux Polichnites, voisins des Cydoniens. Le commandant •de cette flotte partit donc pour la Crète ; et, de concert avec les Polichnites, il ravagea le territoire des Cydoniens. Les vents et une mer orageuse le retinrent là fort longtemps.

Pendant que les Athéniens s’attardaient en Crète, les Péloponésiens mouillés à Cyllène faisaient leurs dispositions pour un nouveau combat naval. Ils suivirent la côte jusqu’à

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Panormo s en Achaïe, où se trouvaient leurs troupes de tertre, prêtes à les seconder[*](Les batailles navales ayant presque toujours lieu près des côtes, on réunissait des troupes de terre à proximité, afin de recueillir les naufragés ou les vaisseaux poussés au rivage*. ' ). Phormion avait fait voile pour le Rhion de Molycrie et jeté l’ancre en dehors du détroit avec les vingt vaisseaux qui avaient déjà combattu. Ce Rhion était dans la dépendance des Athéniens, tandis que l’autre, situé en face, appartient au Péloponèse[*](Les deux promontoires qui forment l’entrée du golfe de Corinthe (châteaux de Morée et de Roumélie) s’appelaient l’un et l’autre Rhion (ancien mot grec signifiant cap). Toutefois ce nom désignait plus particulièrement le promontoire du Péloponèse. Celui d’Étolie s’appelait communément Ântirrhion ou Rhion de Molycrion, à cause d’une * petite ville étolienne de ce nom située dans le voisinage. ). Un bras de mer, large de sept stades, les sépare et forme l’entrée du golfe de Crisa. Ce fut donc au Rhion d’Achaïe, à peu de distance de Panormos où était leur armée de terre, que les Péloponésiéns vinrent mouiller avec soixante-dix vaisseaux, dès qu’ils eurent vu les Athéniens en faire autant. Pendant six ou sept jours, les deux flottes restèrent en présence, occupées à s’exercer et à faire leurs préparatifs de combat. Les Péloponésiéns, iustruits par leur échec précèdent, ne voulaient pas s’éloigner des promontoires ni s’aventurer en pleine mer ; les Athéniens au contraire craignaient de s’engager dans le détroit, où ils sentaient bien que les ennemis auraient l’avantage. Enfin Cnémos, Brasidas et les autres généraux péloponésiéns résolurent de ne pas attendre, pour livrer bataille, que la flotte athénienne eût reçu des renforts. Ils convoquèrent donc leurs soldats ; et, les voyant pour la plupart effrayés et découragés de leur récente défaite, ils leur adressèrent l’exhortation suivante :

« Péloponésiéns, si l’issue du dernier combat inspire à quelques-uns de vous des craintes pour celui qui se prépare, ces appréhensions sont chimériques. Vous le savez : nos dispositions étaient défectueuses et plutôt prises en vue d’une expédition sur terre que d’un combat sur mer. Joignez à cela un concours de circonstances fortuites et défavorables, sans parler des fautes que l’inexpérience a pu nous faire commettra dans un premier engagement. Ce n’est donc pas au manque de cœur qu'on doit imputer notre défaite ; et il ne faudrait pas qu’un courage qui n’a pas été terrassé, mais qui porte en lui-même sa justification, se laissât ébranler par un résultat accidentel. Songez que tout homme peut être trahi par la fortune, mais que les braves restent toujours les mêmes et que l’inexpé-rience n'excuse pas la lâcheté.

« Quant à vous, votre inhabileté est amplement rachetée par votre valeur; nos ennemis, grâce à cette science qui vous effraye, si elle s’alliait au courage, pourraient, au moment de l’action, se rappeler et exécuter ce qu’ils ont appris ; mais, sans courage, il n’y a pas de savoir qui tienne devant le danger : la peur trouble la mémoire et met la science en défaut. A leur

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habileté opposez donc votre bravoure, et la crainte provenant d’une première défaite, la pensée qu’alors vous étiez pris au dépourvu. Aujourd’hui nous avons l’avantage du nombre et nous combattons à portée de nos hoplites, près d’une terre qui nous appartient. Or, la victoire accompagne d’ordinaire le parti le plus nombreux et le mieux préparé.

« Ainsi, de quelque côté que nous tournions nos regards, nous ne trouvons aycun motif raisonnable de crainte. Il n’est pas jusqu’à nos fautes passées qui ne nous servent de leçon pour l’avenir. Soyez donc pleins de confiance ; que chacun, pilote ou matelot, fasse son devoir dans le combat, que nul ne quitte son poste. Notre plan d’attaque ne le cédera point à celui de vos anciens généraux. Nous ne donnerons à personne le prétexte de se montrer lâche. Si toutefois quelqu’un en prend fantaisie, il subira un juste châtiment. Les braves au contraire recevront les récompenses de la valeur. »

Telles furent les exhortations adressées par les généraux péloponésiens à leurs soldats. Phormion ne redoutait guère moins le découragement des siens, qui entre eux parlaient avec effroi du grand nombre des vaisseaux ennemis. Il résolut donc de les réunir, afin de ranimer leur ardeur. Longtemps à l’avance il avait prép.aré leurs esprits, leur répétant qu’il n’y avait pas de flotte, si nombreuse fût-elle, dont ils ne dussent soutenir l’effort ; aussi les soldats s’étaient-ils faits à l’idée de ne jamais reculer, quelle que fût la multitude des vaisseaux péloponésiens. Cependant, comme il les voyait abattus, il voulut relever leur courage ; et, après les avoir rassemblés, il leur dit :

« Soldats, le nombre de vos ennemis, je le vois, vous inspire de l’inquiétude ; aussi vous ai-je convoqués pour dissiper une crainte mal fondée. a: D’abord, c’est à cause de leur première défaite et dans ie sentiment de leur infériorité, qu’ils ont réuni ce grand nombre de navires, au lieu de se mesurer contre nous à forces égales. Ensuite, ce qui leur inspire cette confiaflce audacieuse, c’est uniquement leur habitude des combats sur terre ; comme ils y sont ordinairement vainqueurs, ils se figurent que sur mer il en sera de même. Mais ici c’est à nous qu’appartient l’avantage, s’il est vrai que sur terre il leur soit acquis. Nous ne leur cédons point en bravoure, et l’audace est toujours en proportion de l’expérience.

« Les Lacédémoniens, qui n’ont en vue que leur propre gloire,

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mènent an combat leurs alliés pour la plupart malgré eux. Autrement ils ne reviendraient pas d’eux-mêmes à la charge après une si rude défaite. Ne redoutez point leur valeur. C'est vous qui leur inspirez une terreur bien plus forte et plus motivée, soit à cause de votre première victoire, soit par la pensée que vous n’accepteriez pas la bataille si vous ne comptiez pas la gagner. A la guerre, on cherche communément à s’assurer l'avantage du nombre plutôt que de la valeur. Il n’y a que les braves qui, malgré leur infériorité numérique, résisteift sans y être forcés. Cette remarque n’échappe point à nos adversaires. Ils sont plus effrayés de notre attitude imprévue qu’ils ne le seraient d’un armement moins disproportionné.

«, Que de fois n’a-t-on pas vu des armées plier devant des forces comparativement moindres, par défaut de tactique ou de valeur ! A ce double égard, nous sommes sans inquiétude.

« A moins d’absolue nécessité, je n’engagerai pas le combat dans le golfe ; je me garderai même d’y entrer. A des vaisseaux peu nombreux, mais exercés et agiles, ayant affaire à une flotte considérable et peu Habile à la manœuvre, une mer rétrécie n’est pas ce qui convient. Faute d’espace et de perspective, on ne peut ni heurter de l’avant, ni reculer à propos si l’on est serré de trop près, ni faire des trouées ou virer de bord, évolutions qui supposent des vaisseaux fins marcheurs. Le combat naval se transforme alors en une lutte de pied ferme; et, dans ce cas, l’avantage est au plus grand nombre.

« C’est mon affaire à moi d’y pourvoir autant que possible. Quant à vous, demeurez en bon ordre, chacun à son bord. Soyez prompts à saisir les commandements ; cela est d’autant plus nécessaire que l'ennemi est plus rapproché. Observez dans l’action la discipline et le silence ; rien n’est plus essentiel dans les batailles, surtout navales. Enfin montrez-vous dignes de vos précédents exploits. Le moment est décisif : il s’agit ou de ravir aux Péloponésietis toute espérance maritime ou de faire craindre aux Athéniens la perte prochaine de leur empire sur la mer. -·

« Encore un coup, je vous rappelle que vous avez déjà battu la plupart de ceux que vous allez combattre ; or des vaincus n’affrontent pas deux fois de suite avec une ardeur égale les mêmes dangers. »

C’est ainsi que Phormiôn exhorta ses soldats. Les Pélo-ponésiens, voyant que les Athéniens évitaient de, s’engager dans le golfe et dans une mer étroite, résolurent ie'les y attirer

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malgré eux. Ils appareillèrent donc au lever de l’aurore •et cinglèrent vers l’intérieur du golfe, dans la direction de leur propre territoire. Les vaisseaux étaient rangés sur quatre de front, l’aile droite en tête, dans leur ordre de mouillage. A cette aile ils avaient placé leurs vingt bâtiments les plus lestes, afin que, si Phormion, dans l’idée qu’on allait attaquer Naupacte, se portait au secours de cette place menacée, les Athéniens ne pussent leur échapper en débordant leur aile, mais qu’ils fussent enveloppés par ces vingt vaisseaux. Ce qu’ils avaient prévu arriva. Phormion, craignant pour la place qui était déserte, ne les eut pas plus tôt aperçus en mer, qu’il se hâta d’embarquer son monde et suivit à regret le rivage, le long duquel marchait comme auxiliaire l’infanterie .des Mes-séniens.

Quand les Péloponésiens voient les ennemis, rangés à la file ■sur un seul vaisseau, serrant la côte et déjà engagés dans le golfe, près de la terre, comme ils le désiraient, soudain, à un signal donné, ils font une conversion à gauche et se dirigent de toute leur vitesse contre la ligne des Athéniens. Ils comptaient l’envelopper tout entière; mais les onze vaisseaux delà tête échappent à cette évolution. Les Péloponésiens atteignent les autres, les acculent à la côte, les brisent et massacrent ceux des matelots qui ne se sauvent pas à la nage. Déjà ils remorquaient un certain nombre de vaisseaux vides, un même avec son équipage, lorsque les Messéniens, accourus le long du bord, entrent tout armés dans la mer, montent sur quelques-uns de ces navires traînés à la remorque, et, combattant du haut des ponts, obligent les ennemis à lâcher prise.

Sur ce point, les Péloponésiens étaient donc victorieux et avaient mis hors de combat la division ennemie. En même temps leurs vingt vaisseaux de l’aile droite poursuivaient les onze vaisseaux athéniens qui avaient échappé à leur mouvement de conversion. Ceux-ci les devancent et, à l’exception d’un seul, parviennent à gagner Naupacte. Ils abordent près du temple d’Apollon, tournent leurs proues en# dehors et s’apprêtent à se défendre, dans le cas où les ennemis viendraient les chercher près de terre. Les Péloponésiens arrivèrent plus tard; ils voguaient en chantant le péan, comme déjà vainqueurs. Le vaisseau athénien resté en arrière était poursuivi par un vaisseau de Leucade, fort en avant des autres. A quelque distance du rivage, se trouvait à l’ancre un bâtiment marchand. Le vaisseau athénien efl fait rapidement le tour, heurte de flanc

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le vaisseau leucadien et le coule à fond. Ce spectacle inattendu frappe de surprise et d’effroi les Péloponésiens, qui s'avançaient en désordre et comme sûrs de la victoire. Aussitôt quelques-uns abaissent leurs rames et font halte pour attendre le gros de la flotte ; manœuvre périlleuse en face d’un ennemi si rapproché ; d’autres, ne connaissant pas ces parages, échouent sur des bas-fonds.

A cet aspect, les Athéniens reprennent courage; ils s’exhortent unanimement, et poussant un cri, ils fondent sur leurs adversaires. Ceux-ci, déconcertés par les fautes qu’ils avaient commises et par le désordre où ils se trouvaient, ne font qu’une courte résistance et bientôt s’enfuient vers Panor-mos, d’où ils étaient partis. Les Athéniens les poursuivent, s’emparent des six vaisseaux les plus voisins, ressaisissent les leurs que les Péloponésiens avaient endommagés près de la côte et qu’ils traînaient à la remorque ; ils tuent les hommes ou les font prisonniers. Sur le vaisseau leucadien coulé près du bâtiment marchand, se trouvait le Lacédémonien Timo-cratès. Au moment où le navire sombrait, il s’égorgea lui-même ; son corps fut porté par les vagues dans le port de Naupacte.

Les Athéniens, revenus de la poursuite, érigèrent un trophée à l’endroit d’où avait eq lieu leur retour offensif. Ils recueillirent les morts et les débris jetés sur la rive et rendirent par composition ceux de l'ennemi. Les Péloponésiens dressèrent aussi un trophée pour avoir mis en fuite les Athéniens et désemparé leurs vaisseaux près du rivage. Ils consacrèrent sur le Rhion d’Achaïe, devant leur trophée, le bâtiment qu’ils avaient pris ; ensuite, craignant l’arrivée d’un renfort d’Athènes, ils rentrèrent tous pendant la nuit dans le golfe de Crisa et à Corinthe, excepté les Leucadiens. Les vingt vaisseaux athéniens, qui venaient de Crète et qui auraient dû rejoindre Phormion avant le combat, arrivèrent à Naupacte peu de temps après la retraite des ennemis. Là-dessus l’été se termina.

Avant de licencier l’armée navale qui s’était retirée à Corinthe et dans le golfe de Crisa^némos, Brasidas et les autres généraux péloponésiens voulurent, à l’instigation des Mégariens et au commencement de l’hiver, faire une tentative sur le Pirée, port d’Athènes. Il n’était ni gardé ni fermé; ce qui n’est pas surprenant, vu la grande supériorité de la marine athénienne. U fut résolu que chaque matelot prendrait sa rame,

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son coussinet, sa courroie [*](La courroie servait à attacher la rame,*le coussinet à s’asseoir sur les francs de rameurs. Corinthe n’est qu’à vingt kilomètres de Mégare. ), et se rendrait à pied de Corinthe à la mer qui est du côté d’Athènes; qu’après avoir promptement gagné Mégare, on tirerait de Niséa, chantier de cette ville, quarante vaisseaux qui s’y trouvaient, et qu’on cinglerait immédiatement contre le Pirée. Il n’y avait dans ce port aucune escadre de garde, et l’on était loin de s’attendre à un coup de main si hardi. Les Athéniens n’appréhendaient guère une agression ouverte et préméditée, ou, le cas échéant, ils croyaient qu’ils ne pouvaient manquer de la prévoir.

Leur plan arrêté, les Péloponésiens se mirent aussitôt en marche. Arrivés de nuit à Niséa, ils tirèrent les vaisseaux à la mer. Toutefois, intimidés par le danger et contrariés, dit-on, par le vent, ils cinglèrent, non plus contre le Pirée, selon leur première intention, mais vers le promontoire de Salamine qui fait face à Mégare ; il y avait là un fort avec une station de trois vaisseaux athéniens, qui tenaient cette ville bloquée. Ils assaillirent le fort, emmenèrent les trirèmes vides, et, grâce à leur incursion soudaine, ravagèrent le reste de l’île.

Cependant les signaux d’alarme étaient élevés pour annoncer à Athènes l’approche de l’ennemi[*](Sur cette espèce de télégraphie nocturne au moyen de signaux de feu, comparez liv. III, ch. xxn, lxxx; liv. LV, ch. xlii, exi; liv. VIII, ch. cii. Selon le sch’oliaste, l’approche de l’ennemi était indiquée par des flambeaux agités en l’air, celle d’amis par des flambeaux élevés tranquillement. ). Dans tout le cours de cette guerre, il n’y eut pas de plus chaude alerte. Ceux de la ville croyaient que les ennemis étaient maîtres du Pirée ; ceux du Pirée, que Salamina était prise et que d’un instant à l’autre ils allaient être attaqués. Avec un peu plus de résolution, c’eût été chose facile, et le vent n’aurait pas été un obstacle.

Au point du jour, les Athéniens se portèrent en masse au Pirée, mirent des vaisseaux à flot, y montèrent à la hâte et en grand tumulte; puis cinglèrent vers Salamine, laissant la garde du Pirée aux gens de pied. Les Péloponésiens, avertis de leur approche, se rembarquèrent précipitamment pour Niséa, non sans avoir couru la plus grande partie de Salamine et enlevé des hommes, du butin et les trois vaisseaux du fort de Bou-doron. Il est juste de dire qu’ils n’étaient pas sans inquiétude au sujet de leurs bâtiments, qui, n’ayant pas été depuis longtemps à la mer, faisaient eau de toutes parts. De retour à Mégare, ils reprirent à pied le chemin de Corinthe. Les Athéniens, ne les trouvant plus dans les eaux de Salamine, se retirèrent également. Dès lors ils firent meilleure garde au Pirée, le tinrent fermé et prirent toutes les précautions désirables.