History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Au commencement de ce même hiver, Sitalcès, fils de
Parti de chez les Odryses, Sitalcès appela d’abord aux armes ses sujets de Thrace, qui habitent en deçà des monts Hémus et Rhodope[*](Le mont Hémus des Grecs et des Romains est le Balkan moderne, qui sépare la Roumélie de la Bulgarie et qui s’étend jusqu’à l’Euxin. Les Gètes habitaient la Bulgarie moderne, ou le pays situé entre le Balkan et le Danube. Le Rhodope est la chaîne qui séparait la Thrace et la Macédoine en allant du N. au S. ), jusqu’au Pont-Euxin et à l’Hellespont ; ensuite les Gètes d’au delà de l’Hémus, ainsique toutes les nations fixées en deçà du fleuve Ister, dans le voisinage du Pont-Euxin. Les Gètes et autres peuples de ces contrées confinent aux Scythes et font usage des mêmes armes que cette nation ; ils sont tous archers à cheval. Sitalcès appela aussi de leurs montagnes un grand nombre de Thraces indépendants et armés d’épées, connus sous le nom de Diens, la plupart habitant le Rhodope; les uns étaient stipendiés, les autres marchaient comme volontaires. Il se recruta pareillement chez les Agriens, les Lééens et les autres peuplades péoniennes qui lui étaient soumises. C’étaient les derniers peuples de son empire, lequel s’étendait jusqu’aux Grééens de Péonie et au Strymon. Ce fleuve prend sa source dans le mont Scombros, traverse le pays des Grééens, celui des Lééens, et forme la limite de l’empire de Odryses ; au delà sont les Péoniens indépendants. Du côté des Triballiens, également indépendants, les derniers peuples sujets des Odryses étaient les Trères et les Tilatéens. Ceux-ci habitent au nord du mont Scombros et s'étendent à l’occident jusqu’au fleuve Oskios, lequel sort de la même montagne que le Nestos et l’Hèbre. Cette montagne, grande et déserte, est un anneau de la chaîne du Rhodope.
Du côté de la mer, l’empire des Odryses s’étend d’Abdère à Pembouchure de lister dans le Pont-Euxin. C’est,
Le tribut levé annuellement sur les peuples barbares et sur les villes grecques [*](Les nombreuses villes grecques situées sur le littoral de la Thrace, depuis l’embouchure du Nestos jusqu’à celle de l’Ister, c’est-à-dire sur la mer Egée, la Propontide et le Pont-Euxin. ), au taux où il fut porté par Seuthès, successeur de Sitalcès, se montait à quatre cents talents d’argent (a), payables en numéraire. A quoi il faut ajouter les présents, en or et en argent, qu’on était obligé d’offrir et qui formaient une somme équivalente ; sans compter les étoffes brodées ou lisses et'autres cadeaux qu’il fallait faire,.non-seulement au roi, mais encore aux grands et aux nobles du pays. Chez les Odryses, comme chez le reste des Thraces, il règne une coutume opposée à celle des rois de Perse : c’est de recevoir plutôt que de donner. Il est plus honteux de refuser une demande que d’es-suyet un refus. Les Odryses ont encore exagéré oet usage, à raison de leur puissance ; chez eux on ne vient à bout de rien sans présents ; aussi leurs rois ont-ils acquis des richesses immenses. De toutes les nations européennes comprises entre le golfe Ionien et le Pont-Euxin, il n’y en a point dont les revenus et l’opulence soient plus considérables. Pour la force militaire et le nombre des combattants, les Odryses le cèdent beaucoup aux Scythes. Il n'est aucun peuple, je ne dis pas en Europe, mais en Asie, qui soit capable de se mesurer, à lui seul, contre les Scythes réunis. Mais pour l’intelligence des affaires, les Scythes sont loin d’avoir la même supériorité.
Possesseur d’un si vaste empire, Sitalcès se disposa donc à la guerre ; et, ses préparatifs terminés, il se mit en marche pour la Macédoine. Il traversa d’abord les pays de sa domination, puis la Cercine, montagne inhabitée, qui sépare les Sintes des Péoniens. Il la passa par une route qu’il avait précédemment ouverte en abattant des forêts, lors de sa guerre de Péonie. En franchissant cette montagne, au sortir du pays des Odryses, il avait à droite les Péoniens, à gauche les Sintes et les Médiens. Il parvint ensuite à Dobéros, ville de Péonie. Dans cette marche, son armée n'éprouva aucune perte,, si ce (a) Deux millions cent soixante mille francs.
Rassemblés à Dobéros, ces différents corps se disposèrent à envahir par les montagnes la basse Macédoine, où régnait Perdiccas. A la Macédoine appartiennent aussi les Lyn-cestes, les Élimiotes, ainsi que plusieurs peuplades de l’intérieur, alliées et sujettes des Macédoniens, mais qui ont leurs rois particuliers. Quant au pays situé le long de la mer et appelé maintenant Macédoine, la conquête en fut faite par Alexandre, père de Perdiccas, et par ses ancêtres les Témé-nides [*](Famille de l’Héraclide Téménos, roi d’Argos de-puis la conquête dorienne. Un de ses descendants, Caranos, frère du tyran Phidon, alla s’établir en Macédoine, et, par ses exploits, fonda le royaume de ce nom (Hérodote, VIII, cxxxvii). Le peuple macédo- , nien était barbare; mais la famille régnante, jusqu’à Philippe et Air Alexandre, était grecque, originaire d’Argos et issue d’Hercule. a11. ), originaires d’Argos. Ils y établirent leur domination par la défaite des Pières, qu’ils expulsèrent de la Piérie. Ceux-ci allèrent habiter Phagrès et quelques autres places au pied du mont Pangée, de l’autre côté du Strymon. De nos jours encore, le pays situé au pied du Pangée, le long de la mer, s’appelle golfe Piérique. Ils chassèrent aussi de la Bottie les Bottiéens, qui habitent actuellement dans le voisinage des Chalcidéens. Ils conquirent sur les Péoniens une langue de terre, le long du fleuve Axios, depuis les montagnes jusqu’à Pella et à la mer. L’expulsion des Èdoniens leur valut le pays qu’on appelle Mygdonie et qui s’étend au delà de l’Axios jusqu’au Strymon. De l’Êordie ils expulsèrent pareillement les Éordiens ; cette nation fut exterminée, le peu qui échappa s’établit aux environs de Physca. De l’Almopie ils chassèrent les Almopes. Enfin ces Macédoniens subjuguèrent tous les autres peuples qui leur obéissent présentement, savoir Anthé-monte, la Grestonie, la Bisaltie et une grande partie de la Macédoine proprement dite. L’ensemble de ces pays porte le nom de Macédoine et avait pour roi Perdiccas fils d’Alexandre, lors de l'invasion de Sitalcès.
A l’approche d’une armée si formidable, les Macédoniens, désespérant de pouvoir tenir tête en rase campagne, se retirèrent dans les lieux de difficile accès et dans toutes les places fortes du pays. Ces places étaient rares ; ce fut plus tard seulement qu’Àrchélaos fils de Perdiccas, parvenu à la royauté, fit construire
De Dobéros, les Thraces entrèrent d’abord dans Tancien royaume de Philippe et prirent Idomène de vive force. Gprty-nie, Atalante et quelques autres places firent leur soumission par attachement au fils de Philippe , Amyntas, qui se trouvait présent. Ils assiégèrent inutilement Europos ; ensuite ils pénétrèrent dans le reste de la Macédoine, à gauche de Pella et de Cyrrhos. Ils ne poussèrent pas jusqu’à la Bottiée et à laPiérie; mais ils saccagèrent la Mygdonie, la Grestonie et Anthémonte. Les Macédoniens ne songèrent pas même à se défendre avec leur infanterie ; mais ils firent venir de la cavalerie de cher leurs alliés de l’intérieur ; et, malgré leur infériorité numérique, ils attaquaient les Thraces toutes les fois que ceux-ci donnaient prise. Rien ne résistait au choc de ces cavaliers habiles et cuirassés; mais, enveloppés par des masses profondes, ils couraient parfois de grands dangers. Aussi finirent-ils par rentrer dans l'inaction, ne àe croyant pas en état de lutter contre des forces si disproportionnées.
Alors Sitalcès entama des pourparlers avec Perdiccas relativement aux motifs de son expédition; et, comme les Athéniens, comptant peu sur sa venue, ne paraissaient pas avec leurs vaisseaux, mais s’étaient contentés de lui envoyer des présents et des ambassadeurs, il détacha une partie de sa troupe contre les Chalcidéens et les Bottiéens, les renferma dans leurs murailles et ravagea leur pays. Pendant qu’il y campait, les peuples situés au midi, tels que les Thessaliens, les Magnètes et leurs autres sujets, enfin tout le reste des Grecs jusqu’aux Thermopyles, craignirent que cette armée ne se dirigeât contre eux et se mirent sur la défensive. L’alarme se répandit pareillement au delà du Strymon, chez ceux des Thraces septentrionaux qui habitent les plaines, c’est-à-dire chez les Panéens, les Odomantes, les Droens et les Derséens, tous peuples indépendants. Même en Grèce, les ennemis d’Athènes appréhendèrent que Sitalcès n’eût été appelé par elle, à titre d’allié, pour les combattre. Quant à lui, il suspendit sa marche pour dévaster simultanément la Chalcidique, la Bottique et la Macédoine. Mais, comme il n’atteignait aucun des buts de son expédition, et que son armée, mal approvisionnée, avait beaucoup à souffrir
Ce même hiver, après le licenciement de la flotte pélo-ponésienne, les Athéniens qui étaient à Naupacte mirent en mer sous le commandement de Phormion. Ils rangèrent la côte jusqu’à Astacos, prirent terre en cet endroit et pénétrèrent en Acarnanie, avec quatre cents hoplites tirés de leur flotte et quatre cents Messéniens. Ils chassèrent de Stratos, de Coronta et d’autres places les hommes d’une fidélité douteuse ; et, après avoir rétabli dans Coronta Cynès fils de Théolytos, ils regagnèrent leur bord. S’ils n’attaquèrent pas les OEniades, les seuls Acamaniens qui leur fussent toujours hostiles, c’est qu’ils ne crurent pas possible de le faire pendant l’hiver. En effet le fleuve Achéloüs, qui a sa source dans le Pinde, après avoir traversé le pays des Dolopes, des Agréens et des Amphilochiens, arrosé la plaine d’Acarnanie et baigné les murs de Stratos, se jette dans la mer non loin de la ville des OEniades et forme autour d’elle des lagunes, qui en rendent les approches impraticables en hiver. La plupart des îles Echinades sont situées en face d’OEniades, à l’embouchure de TAchéloûs, et constamment ensablées par ce grand fleuve. Aussi quelques-unes d’entre elles sont-elles déjà réunies au continent, et l’on peut prévoir qu’il en sera de même pour toutes dans un avenir peu éloigné [*](La prédiction de l’auteur s’est depuis longtemps accomplie. Les Ëchinades sont, pour la plupart, soudées au continent, et n’apparaissent plus que comme des collines s’élevant dans un marais, sauf quelques-unes qui forment une barre à l’embouchure de l’Achéloos. Le cours même du fleuve a changé près de la mer. Son ancien lit se reconnaît au milieu des lagunes de Mesolongi. La position exacte d’Œniades est incertaine. Elle ne devait pas être éloignée d’Anatolico. Voyez liv. III, ch. vu. ). Le courant du fleuve est rapide, abondant et bourbeux ; les îles, par leur rapprochement, forment une barre qui arrête la vase. Comme elles s’entre-croisent et ne sont pas alignées, elles gênent l’écoulement direct du fleuve à la mer. Au surplus ces îles sont inhabitées et peu considérables.
On rapporte qu’Alcméon fils d’Amphiaraos, lorsqu’il errait après le meurtre de sa mère, reçut d’Apollon un oracle qui lui conseillait d’habiter en cet endroit, lui donnant à entendre qu’il ne serait pas délivré de ses frayeurs avant d’avoir trouvé à s’établir dans une contrée que le soleil n’éclairât pas encore et qui n’existât pas lorsqu’il avait commis son forfait et souillé le reste de la terre. Alcméon, à ce qu’on assure, fut longtemps à
Les Athéniens et Phormion, partis de l’Acarnanie et arrivés à Naupacte, retournèrent à Athènes au commencement du printemps. Ils conduisaient, indépendamment des vaisseaux qu’ils avaient pris, tous les combattants de condition libre, faits prisonniers dans les batailles navales. Ceux-ci furent échangés homme pour homme.
Là-dessus se termina cet hiver, ainsi que la troisième année de la guerre que Thucydide a racontée.
L'été suivant [*](Quatrième année de la guerre, an 428 av. J.-C.), à l'époque de la maturité des blés, les Péloponésiens et leurs alliés, sous la conduite d’Archidamos, fils de Zeuxidamos et roi des Lacédémoniens, firent une expédition en Attique. Ils y campèrent et ravagèrent le pays. La cavalerie athénienne saisissait, comme d’ordinaire, toutes les occasions d'attaquer les emnemis. Elle empêchait leurs troupes légères de s’écarter du camp, et d'infester les environs de la ville. Les Péloponésiens restèrent en Attique aussi longtemps qu’ils eurent des vivres ; ensuite ils repartirent, et chacun regagna ses foyers.
L’invasion des Péloponésiens était à peine terminée, lorsque Lesbos, à l’exception de Méthymne, se souleva contre les Athéniens[*](On voit par ce qui suit cfue cette défection fut i’ou-vrage du parti aristocratique. ). Ce projet, déjà conçu avant la guerre, mais repoussé alors par les Lacédémoniens, dut se réaliser plus tôt que les Lesbiens n'auraient voulu. Leur intention, était, avant tout, d’obstruer l’entrée de leurs ports, d’élever des murailles, de construire des vaisseaux, enfin d’attendre l’arrivée de tout ce qui devait leur venir du Pont-Euxin, savoir des archers, des vivres et d’autres objets qu’ils avaient demandés. Mais l'entreprise fut dénoncée par les Ténédiens, leurs ennemis, par les Méthymniens et même par quelques citoyens de Mytilène, hommes de parti et proxènes des Athéniens. Ils firent savoir à Athènes qu’on forçait tous les habitants de Lesbos à se concentrer dans Mytilène, qu’on activait la défection, de concert avec les Lacédémoniens et les Béotiens, unis aux Lesbiens par l’identité de race [*](Ces deux peuples étaient de race éolienne. Lesbos considérait la Béotie comme sa métropole, parce que c’était de ce pays qu’était parti Penthilos fils d’Oreste, conducteuy de la colonie éolienne dont Lesbos fut le centre. Voyez Hérodote, liv. VII, ch. clxxvi. ) ; enfin que, si l’on n’y mettait ordre, Lesbos serait perdue sans retour.
Les Athéniens, écrasés par la peste et par la guerre, qui. naissante encore, était déjà dans toute sa force, regardaient comme une affaire grave d’avoir de plus sur les bras Lesbos, qui pôssédait une marine et une puissance encore intacte. D’abord ils refusèrent d’ajouter foi à ces accusations, par la seule raison qu’ils eussent voulu les trouver fausses. Mais une ambassade qu’ils envoyèrent aux Mytiléniens n’ayant pas obtenu iju’ils cessassent leurs préparatifs et la concentration des Lesbiens à Mytilène, ils conçurent des craintes et se décidèrent à
Les Athéniens arrivèrent peu de temps après. Leurs généraux, voyant l’état des choses, notifièrent aux Mytiléniens les ordres dont ils étaient porteurs; et, sur leur refus d’obéir, ils se disposèrent à la guerre. Ainsi pris au dépourvu et brusquement forcés de combattre , les Mytiléniens s'avancèrent sur leurs vaisseaux à quelque distance du port, dans le dessein d’engager la bataille ; mais ils furent mis en fuite par les Athéniens. Ils entrèrent donc en pourparlers avec les généraux pour obtenir, s’il se pouvait, à des conditions acceptables, l’éloignement de la flotte. Les généraux athéniens y consentirent, ne se croyant pas en mesure de faire la guerre à toute l’île de Lesbos. Un armistice fut conclu. Des députés mytiléniens, parmi lesquels se trouvait un des dénonciateurs que le repentir avait saisi, se rendirent à Athènes pour solliciter le rappel de la flotte, en s’engageant à rentrer dans le devoir. Mais, comme on se défiait du succès de cette démarche, on fitpartir en même temps pour Lacédémone une trirème portant d’autres députés. Ceux-ci échappèrent à la flotte athénienne qui mouillait à Maléa au nord de la ville[*](Il est évident qu’il n’est pas ici question du promontoire Maléa, pointe méridionale de l’ile de Lesbos. Si la leçon est exacte, il faut admettre qu’il y avait un autre endroit du même nom. situé au N. de Mytilène. Ce serait le seul passage où un tel endroit aurait été mentionné. Voyez ch. vi. ) ; et, après une traversée des plus pénibles, ils arrivèrent à Sparte, où ils réclamèrent des secours.
Les députés envoyés à Athènes revinrent sans avoir rien
Cependant les Athéniens, encouragés par l’inaction de l’ennemi, appelèrent à eux leurs alliés. Ceux-ci vinrent avec d’autant plus d’empressement qu’ils n’entrevoyaient pour Lesbos aucune chance favorable. Les Athéniens mouillèrent au sud de Mytilène, établirent des deux côtés de la ville un camp retranché et bloquèrent les ports [*](L’ancienne ville de Mytilène était dans une petite île, séparée de la grande île de Lesbos par un canal maintenant comblé. Cette petite île formait deux baies, l’une au S. et hors de la ville, l’autre au N., plus vaste et servant particulièrement de port. Cette dernière était protégée par un môle, qui existe encore aujourd’hui en grande partie. Ce sont là les deux ports de Mytilène. ). La mer se trouva ainsi fermée aux Mytiléniens ; en revanche ils demeurèrent maîtres de la terre (avec les autres Lesbiens qui étaient déjà venus à leur secours), hormis le rayon des camps athéniens. Maléaservait aux assiégeants d’ancrage et de marché [*](Ici encore il n’est pas possible de songer au promontoire Malée, situé à 70 stades de Mytilène, et par conséquent beaucoup trop éloigné pour un marché. Nouvelle raison pour admettre l’existence d’un second lieu du même nom et plus rapproché de la ville. Peut-être était-ce la dénomination du port septentrional. ). Telles furent les premières opérations du siège de Mytilène.
A la même époque de l’été, les Athéniens envoyèrent autour du Péloponèse trente vaisseaux commandés par Asopios fils de Phormion. Les Acarnaniens avaient demandé qu’on leur donnât un fils ou un parent de Phormion pour général[*](Il paraît qu’à cette époque Phormion était mort. On conçoit que sa campagne d’Acarnânie (II, lxviii), et surtout ses brillants combats maritimes (II, lxxxiii-xcii), eussent donné aux Acarna-niens une haute idée de ses talents militaires. ). Cette flotte côtoya le Péloponèse et ravagea le littoral de la Laconie. Ensuite Asopios renvoya la plupart de ses vaisseaux à Athènes, et n’en garda que douze avec lesquels il se rendit à Naupacte. Il fit lever en masse les Acarnaniens et marcha contre la ville d’OEniades [*](Sur la situation de cette ville, voyez liv. II, ch. en note 1. ). Lui-même remonta l’Achéloüs avec ses vaisseaux, tandis que l’armée de terre dévastait la campagne. Comme la ville résistait, Asopios licencia ses troupes de terre et fit voile pour Leucade. Il alla descendre à Néricos[*](Néricos ou Néricon, ville de l’Ile ou presqu’île de Leucade, quelquefois confondue avec Néfitos, îlot voisin d’Ithaque. ) ; mais, pendant sa retraite, il fut tué, avec une partie de son monde, par les gens du pays, joints à un détachement de la garnison[*](Les Corinthiens entretenaient des garnisons dans les villes de leur alliance situées sur les côtes, pour les préserver des déprédations. ). Les Athéniens remirent à la voile, après avoir fait avec les Leucadiens une trêve pour enlever leurs morts.
Cependant les députés de Mytilène partis sur le premier vaisseau s’étaient rendus à Olympie, d’après l’invitation des Lacédémoniens, qui voulaient que tous les alliés les entendissent et délibérassent sur leur requête. C’était l’olympiade où Doriéus de Rhode fut vainqueur pour la seconde fois [*](Olympiade 88 (428 av. J. C.). Thucydide ne désigne les olympiades que par le nom de l’athlète vainqueur (comparez liv. V, ch. xlix). L’indication numérique ne se rencontre que dans les auteurs d’un âge plus récent. On doute qu’elle soit authentique dans l’histoire grecque de Xénophon. Selon Polybe (XII, xii), l’historien Timée, contemporain d’Alexandre le Grand, fut le premier qui établit la chronologie d’après l’ère des olympiades. Ce fut postérieurement encore, par exemple par Diodore de Sicile, qu’elle fut suivie avec régularité. ). Après la fête, on se réunit en conférence, et les Mytiléniens parlèrent ainsi :
« Lacédémoniens et alliés, le principe établi chez les Grecs nous est connu. Le peuple qui, pendant la guerre, se détache d’anciens alliés, est choyé par ceux qui ont intérêt à TaccueiUir ; mais il ne doit pas s’attendre à leur estime, parce qu’il passe pour traître envers ses précédents amis. Cette opinion serait fondée si, entre les transfuges et ceux dont ils se séparent, il y avait réciprocité de sentiments et d’affection, équilibre de ressources et de forces, enfin absence de tout motif valable de rupture ; mais, entre les Athéniens et nous, rien de pareil. Il n’est donc pas étrange que, ménagés par eux pendant la paix, nous les abandonnions pendant la guerre.
« Nous traiterons d’abord la question de justice et de probité, la première à considérer en fait d’alliance. Il ne peut exister d’amitié durable entre les individus ni d’union sincère entre les États sans une estime et une sympathie réciproques. Du désaccord des opinions naissent les divergences de conduite.
«Notre alliance avec les Athéniens date du jour où, vous retirant de la guerre médique, vous leur laissâtes le soin de la continuer. Toutefois nous entendions alors nous allier, non pas avec les Athéniens pour asservir la Grèce, mais avec les Grecs pour secouer le joug des Mèdes. Tant qu’ils commandèrent avec équité, nous les suivîmes avec zèle ; mais quand nous les vîmes faire trêve à la haine contre les Mèdes pour marcher à l’asservissement des alliés, nous commençâmes à concevoir des craintes.
« Les alliés, hors d’état de concerter leur défense à cause de la trop grande extension du droit de suffrage, furent successivement asservis, excepté nous et les habitants de Chios. Dès lors, n’ayant plus qu’une indépendance et une liberté nominales, nous accompagnâmes les Athéniens dans leurs expéditions. Mais, instruits par les exemples antérieurs, nous n’avions plus dans leur commandement la même confiance ; car il n’était pas vraisemblable qu’après avoir subjugué une partie des
« Si nous avions tous conservé l’indépendance, nous aurions été moins en butte à leurs entreprises. Mais, comme ils tenaient déjà sous le joug/ la majeure partie des alliés, et que nous étions les seuls avec lesquels ils marchaient encore de pair, il était naturel qu’au milieu de la soumission générale, ils vissent de mauvais œil notre égalité exceptionnelle, d’autant plus que leurs forees croissaient en proportion de notre isolement. Or une crainte réciproque est Tunique garant de toute alliance, parce que celui des deux associés qui pourrait avoir quelque velléité agressive est contenu par la pensée qu’il n’est pas le plus fort.
« Si jusqu’à ce jour ils nous ont laissé l’indépendance, c’était pour se ménager un argument spécieux, et parce qu’ils espéraient arriver plus aisément à leurs fins par la ruse que par la violence. Ils n’étaient pas fâchés de pouvoir dire, en nous montrant, que jamais des alliés leurs égaux ne les eussent aidés contre des peuples qu’ils n’auraient pas jugés coupables. En même temps ils poussaient les plus forts contre les plus faibles, afin d’avoir meilleur marché de ceux qui resteraient les derniers, lorsque autour d’eux tout serait soumis. Si au contraire ils eussent débuté par nous, quand les autres alliés possédaient encore leurs forces et avaient de plus un point d’appui, il leur eût été moins facile de nous réduire. D’ailleurs ils n’étaient pas sans inquiétude au sujet de notre marine ; ils craignaient qu’un jour elle ne se réunît à la vôtre ou à toute autre et ne devînt pour eux un danger.
« Pour nous maintenir, nous avons dû prodiguer toute sorte de flatterie à leur multitude et à ses chefs sans cesse renouvelés. Et cependant, à juger par l’exemple d’autrui, nous sentions que cela ne pouvait durer longtemps, si la guerre actuelle ne fût survenue.