History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXXIII. Vers la même époque, il arriva de Camarina un secours de cinq cents hoplites, trois soldats armés de javelots, et trois cents archers. Géla envoya aussi une flottille de cinq vaisseaux, quatre cents soldats armés dejavelots, et deux cents cavaliers. Car, dès lors, toute la Sicile, à l’exception d’Agrigente qui gardait la neutralité, s’était rangée avec les Syracusains contre les Athéniens. Ceux mêmes qui avaient d’abord observé les événements s’étaient alors ralliés, et envoyaient des secours. Cependant les Syracusains, après l’échec qu’ils avaient éprouvé chez les Sicèles, différèrent leurs attaques contre les Athéniens.

Lorsque les troupes de Corcyre et du continent furent prêtes, Démosthènes et Eurymédon traversèrent, avec toute leur armée, le golfe lonique, la pointe sur le cap d’lapygie[*](Aujourd’hui cap de Sainte-Marie de Leuca.). De là ils remirent à la voile et touchèrent aux Choerades, îles de l’Iapygie[*](Ce sont deux petites îles en face du port de Tarente.).Ils embarquèrent environ cent cinquante hommes de trait, tirés d’lpygie, et de race messapique; puis, après avoir renoué quelques anciennes relations d’amitié avec un chef du pays, [*](1 Aujourd’hui cap de Sainte-Marie de Leuca.) [*](* Ce sont deux petites îles en face du port de Tarente.)

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Arias, qui leur avait fourni ces auxiliaires, ils se rendirent à Métaponte en Italie[*](L’lapygie et la Messapîe, qu’ils venaient de quitter, n’étaient pas alors comprises dans l’ltalie. Ce nom ne s’étendait pas aux contrées situées au nord-est de Métaponte et du ilenve Laos.). Ils obtinrent des Métapontiens, à titre d’alliés, un corps de trois cents hommes de trait et deux galères, et passèrent avec ces renforts à Thurium. Une sédition venait d’en expulser les adversaires des Athéniens. Leur dessein était d’attendre sur ce point que leur armée fût complétée par l’arrivée des corps restés en arrière, et de la passer en revue; ils voulaient aussi amener les Thuriens à les seconder résolûment et à profiter des circonstances pour avoir désormais avec les Athéniens mêmes amis et mêmes ennemis. Ils s’arrêtèrent donc à Thurium, et s’occupèrent de ces soins.

XXXIV. Vers le même temps les Péloponnésiens, qui croisaient, avec leurs vingt-cinq vaisseaux, en vue de la flotte athénienne de Naupacte, pour protéger la traversée des bâtiments de charge dirigés vers la Sicile, firentleursdispositions pour un combat naval. Ilséquipèrent de nouveaux vaisseaux, de manière à égaler à peu près le nombre de ceux d’Athènes, et allèrent jeter l’ancre à Érinéos d’Achaïe, dans la campagne de Rhypé. Le golfe où ils mouillèrent a la forme d’un croissant; l’infanterie des Corinthiens et des alliés du pays, envoyée pour seconder la flotte, était rangée en bataille sur les promontoires qui s’élèvent de part et d’autre; la flotte occupait, entre deux, l’entrée du golfe et le fermait. Elle était commandée par Polyanthès, deCorinthe. Les Athéniens, commandés par Diphilos, s’avancèrent [*](1 L’lapygie et la Messapîe, qu’ils venaient de quitter, n’étaient pas alors comprises dans l’ltalie. Ce nom ne s’étendait pas aux contrées situées au nord-est de Métaponte et du ilenve Laos.)

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contre eux, de Naupacle, avec trente-trois vaisseaux. D’abôrd les Corinthiens ne firent aucun mouvement; puis, lorsqu’ils crurent le moment favorable, le signal fut hissé; ils fondirent sur les Athéniens, et le combat commença. De part et d’autre la résistance fut longue et opiniâtre; les Corinthiens perdirent trois vaisseaux : du côté des Athéniens, aucun ne fut complètement coulé; mais il y en eut sept mis hors de service. Heurtés proue contre proue, ils avaient eu l’avant défoncé par les vaisseaux corinthiens, armés dans ce but de plus fortes antennes. Le combat fut balancé, de telle sorte que chacun s’attribua la victoire : cependant les Athéniens restèrent maîtres des débris, parce que le vent les poussait au large, et que les Corinthiens ne revinrent pas à la charge. On se sépara. Il n’y eut pas de poursuite, et on ne fit de prisonniers ni d’un côté ni de l’autre : car les Corinthiens et les Péloponnésiens, combattant à portée du rivage, avaient pu se sauver, et, du côté des Athéniens, aucun vaisseau n’avait été submergé. Néanmoins, lorsque les Athéniens furent rentrés à Naupacte, les Corinthiens dressèrent aussitôt un trophée, s’attribuant la victoire pour avoir mis plus de vaisseaux hors de combat. Ils ne se croyaient pas vaincus, par les motifs mêmes qui empêchaient les Athéniens de se croire vainqueurs. En effet les Corinthiens pensaient avoir l’avantage du moment où ils n’éprouvaient pas une enlière défaite; et, aux yeux des Athéniens, c’était avoir le dessous que de ne pas remporter une victoire entière. Après la retraite de la flotte péloponnésienne et la dispersion de l’armée de terre, les Athéniens dressèrent, de leur côté, un trophée, en signe de victoire, sur la côte d’Achaïe, à environ vingt
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stades d’Érinéos où mouillaient les Corinthiens. Ansi finit ce combat naval.

XXXV. Lorsque les Thuriens furent prêts à se joindre à l’expédition, avec sept cents hoplites et trois cents hommes de trait, Démosthènes et Eurymédon ordonnèrent à la flotte de longer les côtes de Crotone. Eux-mêmes, après avoir fait une revue de toutes les troupes de terre sur les bords du fleuve Sybaris, les conduisirent à travers les campagnes de Thurium. Mais, lorsqu’ils furent au fleuve Hylias, les Crotoniates les firent prévenir qu’ils refusaient à l’armée le passage sur leur territoire. Ils se rabattirent alors vers la mer et passèrent, la nuit à l’embouchure de l’Hylias, où leur flotte vint les rejoindre. Le lendemain, ils s’embarquèrent, rangèrent les côtes, prenant terre à toutes les villes, Locres exceptée, et parvinrent à Pétra, dépendance de Rhégium.

XXXVI. Cependant les Syracusains, informés de leur approche, résolurent de faire une nouvelle tentative avec la flotte et toutes les forces de terre qu’ils avaient auparavant réunies afin de prévenir leur arrivée. Ils firent sur la flotte tous les changements dont le précédent combat leur avait démontré l’utilité : entre autres, ils rognèrent les proues des vaisseaux, pour leur donner plus de solidité, et y adaptèrent de fortes antennes[*](Ces antennes étaient deux poutres latérales qui s’avançaient en avant de la proue et neutralisaient par leur longueur les éperons des vaisseaux ennemis.), arc-boutées de droite et de gauche[*](Le texte dit; intérieurement et extérieurement. Il est évident, et le scoiiastc de Thucydide a très-bien compris que les élançons intérieurs sont ceux qui étaient entre les deux antennes, par oppositioa à ceux qui étaient Axés latéralement du côté de la mer à bâbord et à tribord.) [*](1 Ces antennes étaient deux poutres latérales qui s’avançaient en avant de la proue et neutralisaient par leur longueur les éperons des vaisseaux ennemis.) [*](• Le texte dit; intérieurement et extérieurement. Il est évident, et le scoiiastc de Thucydide a très-bien compris que les élançons intérieurs sont ceux qui étaient entre les deux antennes, par oppositioa à ceux qui étaient Axés latéralement du côté de la mer à bâbord et à tribord.)

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contre les parois du navire par des élançons de six coudées. C’était la disposition adoptée par les Corinthiens dans le combat contre la flotte de Naupacte, où ils avaient pris l’ennemi en proue[*](Jusque-là cetait le contraire qui avait lieu; on évitait la proue et ou cherchait à donner de l'éperon contre le flanc de l'ennemi.). Les Syracusains avaient calculé que cette disposition devait être favorable contre les vaisseaux athéniens, qui n’étaient pas comme les leurs renforcés à l’avant et dont la proue n’était pas protégée, parce qu’au lieu d’attaquer proue contre proue, ils se portaient par une circonvolution sur le flanc de l’ennemi. Ils trouvaient d’ailleurs avantage à combattre dans le grand port, où un nombre considérable de vaisseaux se trouveraient resserrés sur un étroit espace : attaquant en proue, ils enfonceraient l’avant des vaisseaux ennemis, dont les parois faibles et sans épaisseur ne pourraient tenir contre le choc de parties massives et solidement étayées. Les Athéniens, au contraire, ne pourraient, dans un espace étroit, ni les tourner ni percer leur ligne, manoeuvres où ils excellaient; car eux-mêmes les empêcheraient autant que possible de pénétrer dans les lignes, et, quant à les tourner, le défaut d’espace s’y opposerait. Ce qu’on avait jusque-là considéré comme marque d’ignorance chez leurs pilotes, l’attaque en proue, deviendrait dès lors une excellente manoeuvre, puisque c’était surtout là que serait leur supériorité. Les Athéniens, poussés par eux, n’auraient pas la liberté de reculer ailleurs que vers la terre, avec peu de carrière derrière eux, peu de latitude pour leurs manoeuvres, puisque leur [*](1 Jusque-là cetait le contraire qui avait lieu; on évitait la proue et ou cherchait à donner de l'éperon contre le flanc de l'ennemi.)
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camp n’occupait qu’un étroit espace et que les Syracusains seraient maîtres du reste du port. Que si on parvenait à les forcer, ils se porteraient tous sur un même point, s’y entasseraient à l’étroitetse heurteraient mutuellement, ce qui jetterait parmi eux le désordre. — En effet, rien ne fut plus nuisible aux Athéniens, dans toutes les affaires navales, que cette impossibilité de reculer[*](Dans la plupart des évolutions on reculait, en ramant sur la poupe, afin de s’élancer sur l’ennemi avec plus de force, ou de le tourner.), comme les Syracusains, vers tous les points du port. — Quant à passer au large pour leurs évolutions, cela leur serait impossible, puisque c’était précisément du côté de la mer que les Syracusains attaqueraient et pourraient reculer à leur gré; sans compter que les Athéniens auraient contre eux Plemmyrion, et que l’entrée du port avait peu de largeur.

XXXVII. La pensée de ces avantages joints à l’expérience qu’ils pouvaient avoir et à leurs forces, la confiance plus grande qu’ils avaient puisée dans le précédent combat naval, les décidèrent à attaquer simultanément par terre et par mer. Gylippe fit sortir un peu à l’avance les troupes de terre qui étaient dans Syracuse, et les conduisit contre le mur des Athéniens[*](II s’agit-de la double enceinte des Athéniens qui descendait d’Épipolæ au grand port.), du côté qui regarde la ville. En même temps les troupes cantonnées à Olympiéon, hoplites, cavalerie, troupes légères, se portaient contre l’autre côté du mur. Aussitôt après, la flotte des Syracusains et de leurs alliés prit la mer. Au premier abord, les Athéniens crurent [*](1 Dans la plupart des évolutions on reculait, en ramant sur la poupe, afin de s’élancer sur l’ennemi avec plus de force, ou de le tourner.) [*](* II s’agit-de la double enceinte des Athéniens qui descendait d’Épipolæ au grand port.)

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que l’armée de terre donnerait seule; mais lorsqu'ils virent les vaisseaux s’avancer tout à coup, ils furent dans un grand trouble : les uns se mettaient en bataille sur les murs et en avant des retranchements pour repousser l’attaque; d’autres se portaient au-devant des nombreux cavaliers et des gens de trait qui s’avan- çaient précipitamment d’Olympiéon et du dehors; d’autres s’élançaient aux vaisseaux, ou couraient au rivage pour le défendre. Les troupes embarquées, la flotte, composée de soixante-quinze vaisseaux, alla à la rencontre de l’ennemi. Celle des Syracusains en comptait quatre-vingts.

XXXVIII. Pendant la plus grande partie du jour on manoeuvra en avant, en arrière, on se tâta mutuellement, mais sans rien de décisif de part ni d’autre; seulement les Syracusains coulèrent un ou deux bâtiments et on se sépara. L’armée de terre s’éloigna en même temps des murailles. Le lendemain, les Syracusains se tinrent en repos sans rien manifester de leurs desseins. Néanmoins Nicias, voyant que dans le combat naval les chances s’étaient balancées et s’attendant à une nouvelle attaque, enjoignit aux triérarques de réparer ceux des vaisseaux qui pouvaient avoir souffert, et fit mouiller des bâtiments de charge en avant des pilotis que les Athéniens avaient plantés en mer[*](Dans le grand port, à l’extrémité'du double mur.) devant leur flotte, pour leur tenir lieu de port fermé. Ces bâtiments furent espacés à une distance de deux plèthres[*](Environ 66 mètres.), afin que, si quelque vaisseau était serré de trop près, il trouvât en arrière une retraite sûre d’où il pût à loisir [*](1 Dans le grand port, à l’extrémité'du double mur.) [*](* Environ 66 mètres.)

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retourner à la charge. Ces dispositions occupèrent les Athéniens tout le jour, jusqu’à la nuit.