History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXVII. Le même été arrivèrent à Athènes treize cents peltastes thraces armés de coutelas, de la tribu des Diens, destinés à accompagner Démosthènes en Sicile. Comme ils arrivèrent trop tard, on résolut de les renvoyer chez eux; car chaque homme recevant une drachme par jour, il parut trop onéreux de les garder, surtout avec les charges de la guerre de Décélie. Cette ville, fortifiée dans le cours de l’été par toute l’armée péloponnésienne, occupée ensuite par des garnisons des différentes villes qui faisaient périodiquement des incursions dans la campagne, causait un mal infini

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aux Athéniens; rien ne compromit plus leurs affaires que les pertes d’hommes et d’argent qui en résultèrent : jusque-là les incursions avaient été de peu de durée, et n’empêchaient pas l’exploitation du territoire pendant le reste du temps; mais alors l’occupation continue du pays par l’ennemi, les incursions accidentelles de troupes plus nombreuses, celles de la garnison régulière que la nécessité obligeait à courir la campagne et à vivre de butin, enfin la présence d’Agis, roi des Lacédémoniens, qui donnait à la guerre une vigoureuse impulsion, firent aux Athéniens un mal extrême. La jouissance de tout le pays leur échappait; plus de vingt mille esclaves, la plupart artisans, avaient déserté; tous les bestiaux périssaient ainsi que les bêtes de somme; les chevaux, épuisés par des sorties continuelles, par des pointes sur Décélie, et par la garde du pays, étaient ou boiteux ou blessés à la suite de fatigues incessantes sur un terrain rocailleux.

XXVIII. D’un autre côté, l’importation des vivres venant d’Eubée, qui, d’Oropos, avait lieu autrefois plus promptement par terre, en traversant Décélie, dut se faire à grands frais par mer, en doublant Sunium. La même privation se faisait sentir pour tous les objets importés du dehors; ce n’était plus une ville, c’était une forteresse. Le jour, les citoyens montaient la garde à tour de rôle sur les remparts; la nuit, tous étaient de service à la fois, à l’exception des cavaliers, les uns à la garde des postes, les autres aux murailles; ils n’avaient de repos ni l’hiver ni l’été. Mais ce qui les accablait par-dessus tout, c’était d’avoir deux guerres à soutenir en même temps. Leur opiniâtreté était montée à un point tel que qui l’eût prédite avant l’évé-

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nement n’aurait rencontré qu’incrédulité. Comment imaginer, en effet, que, tenus assiégés par les fortifications que les Péloponnésiens avaient élevées chez eux, ils n’aient pas cependant abandonné la Sicile; que, bloqués eux-mêmes, ils soient restés à bloquer Syracuse, ville aussi grande qu’Athènes; qu’ils dussent enfin surprendre la Grèce par cet incroyable prodige de puissance et d’audace! eux dont la résistance ne devait pas se prolonger, à ce qu’on croyait au commencement de la guerre, au delà d’un an suivant les uns, deux au plus, trois peut-être suivant d’autres, mais jamais au delà, une fois que leur pays serait envahi par les Péloponnésiens, et qui pourtant, dix-sept ans après lapremière invasion, lorsque déjà la guerre avait consumé toutes leurs ressources, avaient envahi la Sicile et entrepris une nouvelle guerre qui ne le cédait en rien à celle qu’ils avaient déjà à soutenir contre le Péloponnèse! Aussi se trouvèrent-ils alors, par suite du mal considérable que leur faisait Décélie et de l’immense surcroît de dépense qui venait s’y ajouter, complètement à bout de ressources. Au tribut payé par leurs sujets, ils substituèrent alors un droit du vingtième sur tous les transports maritimes, dans l’espoir que cet impôt serait plus productif. Les dépenses n’étaient pas restées stationnâmes; elles s’étaient considérablement accrues, en raison même du développement de la guerre; les revenus, au contraire, avaient été dépérissant.

XXIX. Les Thraces, arrivés trop tard pour se joindre à Démosthènes, furent donc renvoyés sur-le-champ, par mesure d’économie, à cause de la pénurie du trésor. On les mit sous la conduite de Diitréphès, et on leur

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recommanda de faire, sur leur passage, en suivant l’Euripe, tout le mal possible à l’ennemi. Diitréphès descendit avec eux sur le territoire de Tanagre, et y fit à la hâte quelque butin; puis, étant parti le soir de Chalcis en Eubée, il traversa l’Earipe, débarqua en Béotie, et les conduisit contre Mycalessos. Il bivouaqua la nuit, sans que sa présence fût soupçonnée, près du temple de Mercure, à seize stades de Mycalessos. Au point du jour il se jeta sur la ville, qui était grande, et s’en empara; car les habitants, lorsqu’il fondit à l’improviste, n’étaient pas sur leurs gardes, et ne soup- çonnaient pas qu’on pût jamais remonter à une aussi grande distance de la mer pour les attaquer. Les murailles étaient faibles, écroulées même sur quelques points, peu élevées partout; enfin les portes étaient ouvertes, tant la sécurité était grande. Les Thraces se précipitèrent dans Mycalessos, saccagèrent les maisons et les temples, égorgèrent les habitants, sans épargner ni la vieillesse ni l’enfance; ils firent main basse sur tout ce qu’ils rencontrèrent, massacrant les femmes et les enfants, même les bêtes de somme, et tout ce qu’ils virent d’êtres vivants. Car les Thraces sont une race sanguinaire à l’égal des barbares les plus féroces, lorsqu’ils croient n’avoir rien à craindre. Ce fut une affreuse désolation, et une horrible variété de sanglants épisodes : les barbares, entre autres, se jetèrent dans une école d’enfants : elle était considérable et les enfants venaient d’y entrer; tous furent taillés en pièces. Jamais désastre plus inattendu et plus terrible ne fondit sur une ville entière.

XXX. Les Thébains, à cette nouvelle, accoururent : ils rencontrèrent les Thraces encore peu éloignés, leur

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arrachèrent leur butin, jetèrent parmi eux l’épouvante et les poursuivirent vers la mer jusqu’à l’Euripe, où étaient à l’ancre les vaisseaux qui les avaient amenés. Ils en tuèrent un grand nombre, surtout au moment où ils s’embarquèrent; car ils ne savaient pas nager, et ceux qui étaient sur les vaisseaux, voyant ce qui se passait à terre, avaient mouillé hors de la portée des traits. Jusque-là les Thraces, dans leur retraite, s’étaient assez habilement défendus contre la cavalerie thébaine, qui fut la première à les assaillir. Pour s’en garantir, ils couraient au-devant d’elle et se formaient en pelotons, à la manière de leur pays; aussi leur perte de ce côté fut-elle peu considérable. Un certain nombre avaient aussi été surpris et tués dans la ville au milieu du pillage. Il périt en tout deux cent cinquante Thraces sur treize cents. Les Thébains et ceux qui étaient accourus avec eux perdirent vingt hommes, tant cavaliers qu’hoplites, et Scirpbondas, l’un des béotarques thébains[*](Sur les onze béotarques, il y en avait deux de Thèbes.). Quant aux Mycalessiens, il furent en partie anéantis. Tel fut le désastre de Mycalessos, l’un des plus grands, proportionnellement à l’étendue de la ville, et des plus lamentables de cette guerre.

XXXI. Démosthènes, qui avait fait voile pour Corcyre en quittant le fort élevé sur la côte de Laconie, trouva à l’ancre, àPhia en Élide, un bâtiment de charge destiné à transporter en Sicile les hoplites de Corinthe. Il le brisa; mais les troupes s’échappèrent, se procurèrent plus tard un autre bâtiment et mirent en mer. Démosthènes toucha ensuite à Zacynthe et à Céphallénie, y prit des hoplites, et manda des Messéniens de [*](1 Sur les onze béotarques, il y en avait deux de Thèbes.)

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Naupacte. De là il passa sur le continent, en face de ces îles, à Alyzia et à Anoctorion. places d’Acarnanie occupées par les Athéniens. Il fut rencontré dans ces parages par Eurymédon qui revenait de Sicile, où il avait été envoyé l'hiver porter de l’argent à l’armée. Eurymédon lui annonça, entres autres choses, qu’il avait appris, étant déjà en mer, la prise de Plemmyrion par les Syracusains. Conon, qui commandait à Naupacte, vint de son côté les trouver et leur dit que les vingt-cinq vaisseaux corinthiens qui croisaient devant lui ne discontinuaient pas les hostilités, et se disposaient à livrer un combat. Il réclamait d’eux des vaisseaux, vu l’impossibilité de tenir tête avec ses dix-huit bâtiments aux vingt-cinq de l’ennemi. Démosthènes et Eurymédon firent partir, avec Conon, pour renforcer la flotte de Naupacte, dix de leurs vaisseaux pris parmi ceux qui se comportaient le mieux à la mer. Ils s’occupèrent, de leur côté, du rassemblement des troupes : Eurymédon fit voile pourCorcyre, y donna l’ordre d’équiper quinze vaisseaux, et leva des hoplites. Car il partageait, dès lors, le commandement avec Démosthènes, et avait repris la route de Sicile à la nouvelle de son élection. Démosthènes rassembla, dans les parages de l’Acarnanie, des frondeurs et des archers.

XXXII. Les députés, envoyés par les Syracusains aux villes de Sicile, après la prise de Plemmyrion, avaient réussi dans leur mission, et se disposaient à ramener les troupes qu’fis avaient réunies. Nicias, prévenu à l’avance, manda aux Sicèles alliés, Centoripes, Alicyéens et autres, dont ils devaient traverser le pays, de ne pas laisser passer ces forces ennemies, et de se concerter pour leur barrer la route. — Il n’y avait pas

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pour eux d’autre chemin, les Agrigentins refusant le passage sur leur territoire. — Déjà les Siciliens étaient en marche. Les Sicèles, sur cet avis des Athéniens, dressèrent trois embuscades, fondirent sur eux à l’improviste, les surprirent et leur tuèrent huit cents hommes. Tous les députés périrent, à l’exception d’un seul qui était de Corinthe. Il rassembla ceux qui avaient échappé, au nombre de quinze cents, et les amena à Syracuse.

XXXIII. Vers la même époque, il arriva de Camarina un secours de cinq cents hoplites, trois soldats armés de javelots, et trois cents archers. Géla envoya aussi une flottille de cinq vaisseaux, quatre cents soldats armés dejavelots, et deux cents cavaliers. Car, dès lors, toute la Sicile, à l’exception d’Agrigente qui gardait la neutralité, s’était rangée avec les Syracusains contre les Athéniens. Ceux mêmes qui avaient d’abord observé les événements s’étaient alors ralliés, et envoyaient des secours. Cependant les Syracusains, après l’échec qu’ils avaient éprouvé chez les Sicèles, différèrent leurs attaques contre les Athéniens.

Lorsque les troupes de Corcyre et du continent furent prêtes, Démosthènes et Eurymédon traversèrent, avec toute leur armée, le golfe lonique, la pointe sur le cap d’lapygie[*](Aujourd’hui cap de Sainte-Marie de Leuca.). De là ils remirent à la voile et touchèrent aux Choerades, îles de l’Iapygie[*](Ce sont deux petites îles en face du port de Tarente.).Ils embarquèrent environ cent cinquante hommes de trait, tirés d’lpygie, et de race messapique; puis, après avoir renoué quelques anciennes relations d’amitié avec un chef du pays, [*](1 Aujourd’hui cap de Sainte-Marie de Leuca.) [*](* Ce sont deux petites îles en face du port de Tarente.)

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Arias, qui leur avait fourni ces auxiliaires, ils se rendirent à Métaponte en Italie[*](L’lapygie et la Messapîe, qu’ils venaient de quitter, n’étaient pas alors comprises dans l’ltalie. Ce nom ne s’étendait pas aux contrées situées au nord-est de Métaponte et du ilenve Laos.). Ils obtinrent des Métapontiens, à titre d’alliés, un corps de trois cents hommes de trait et deux galères, et passèrent avec ces renforts à Thurium. Une sédition venait d’en expulser les adversaires des Athéniens. Leur dessein était d’attendre sur ce point que leur armée fût complétée par l’arrivée des corps restés en arrière, et de la passer en revue; ils voulaient aussi amener les Thuriens à les seconder résolûment et à profiter des circonstances pour avoir désormais avec les Athéniens mêmes amis et mêmes ennemis. Ils s’arrêtèrent donc à Thurium, et s’occupèrent de ces soins.

XXXIV. Vers le même temps les Péloponnésiens, qui croisaient, avec leurs vingt-cinq vaisseaux, en vue de la flotte athénienne de Naupacte, pour protéger la traversée des bâtiments de charge dirigés vers la Sicile, firentleursdispositions pour un combat naval. Ilséquipèrent de nouveaux vaisseaux, de manière à égaler à peu près le nombre de ceux d’Athènes, et allèrent jeter l’ancre à Érinéos d’Achaïe, dans la campagne de Rhypé. Le golfe où ils mouillèrent a la forme d’un croissant; l’infanterie des Corinthiens et des alliés du pays, envoyée pour seconder la flotte, était rangée en bataille sur les promontoires qui s’élèvent de part et d’autre; la flotte occupait, entre deux, l’entrée du golfe et le fermait. Elle était commandée par Polyanthès, deCorinthe. Les Athéniens, commandés par Diphilos, s’avancèrent [*](1 L’lapygie et la Messapîe, qu’ils venaient de quitter, n’étaient pas alors comprises dans l’ltalie. Ce nom ne s’étendait pas aux contrées situées au nord-est de Métaponte et du ilenve Laos.)

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contre eux, de Naupacle, avec trente-trois vaisseaux. D’abôrd les Corinthiens ne firent aucun mouvement; puis, lorsqu’ils crurent le moment favorable, le signal fut hissé; ils fondirent sur les Athéniens, et le combat commença. De part et d’autre la résistance fut longue et opiniâtre; les Corinthiens perdirent trois vaisseaux : du côté des Athéniens, aucun ne fut complètement coulé; mais il y en eut sept mis hors de service. Heurtés proue contre proue, ils avaient eu l’avant défoncé par les vaisseaux corinthiens, armés dans ce but de plus fortes antennes. Le combat fut balancé, de telle sorte que chacun s’attribua la victoire : cependant les Athéniens restèrent maîtres des débris, parce que le vent les poussait au large, et que les Corinthiens ne revinrent pas à la charge. On se sépara. Il n’y eut pas de poursuite, et on ne fit de prisonniers ni d’un côté ni de l’autre : car les Corinthiens et les Péloponnésiens, combattant à portée du rivage, avaient pu se sauver, et, du côté des Athéniens, aucun vaisseau n’avait été submergé. Néanmoins, lorsque les Athéniens furent rentrés à Naupacte, les Corinthiens dressèrent aussitôt un trophée, s’attribuant la victoire pour avoir mis plus de vaisseaux hors de combat. Ils ne se croyaient pas vaincus, par les motifs mêmes qui empêchaient les Athéniens de se croire vainqueurs. En effet les Corinthiens pensaient avoir l’avantage du moment où ils n’éprouvaient pas une enlière défaite; et, aux yeux des Athéniens, c’était avoir le dessous que de ne pas remporter une victoire entière. Après la retraite de la flotte péloponnésienne et la dispersion de l’armée de terre, les Athéniens dressèrent, de leur côté, un trophée, en signe de victoire, sur la côte d’Achaïe, à environ vingt
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stades d’Érinéos où mouillaient les Corinthiens. Ansi finit ce combat naval.

XXXV. Lorsque les Thuriens furent prêts à se joindre à l’expédition, avec sept cents hoplites et trois cents hommes de trait, Démosthènes et Eurymédon ordonnèrent à la flotte de longer les côtes de Crotone. Eux-mêmes, après avoir fait une revue de toutes les troupes de terre sur les bords du fleuve Sybaris, les conduisirent à travers les campagnes de Thurium. Mais, lorsqu’ils furent au fleuve Hylias, les Crotoniates les firent prévenir qu’ils refusaient à l’armée le passage sur leur territoire. Ils se rabattirent alors vers la mer et passèrent, la nuit à l’embouchure de l’Hylias, où leur flotte vint les rejoindre. Le lendemain, ils s’embarquèrent, rangèrent les côtes, prenant terre à toutes les villes, Locres exceptée, et parvinrent à Pétra, dépendance de Rhégium.

XXXVI. Cependant les Syracusains, informés de leur approche, résolurent de faire une nouvelle tentative avec la flotte et toutes les forces de terre qu’ils avaient auparavant réunies afin de prévenir leur arrivée. Ils firent sur la flotte tous les changements dont le précédent combat leur avait démontré l’utilité : entre autres, ils rognèrent les proues des vaisseaux, pour leur donner plus de solidité, et y adaptèrent de fortes antennes[*](Ces antennes étaient deux poutres latérales qui s’avançaient en avant de la proue et neutralisaient par leur longueur les éperons des vaisseaux ennemis.), arc-boutées de droite et de gauche[*](Le texte dit; intérieurement et extérieurement. Il est évident, et le scoiiastc de Thucydide a très-bien compris que les élançons intérieurs sont ceux qui étaient entre les deux antennes, par oppositioa à ceux qui étaient Axés latéralement du côté de la mer à bâbord et à tribord.) [*](1 Ces antennes étaient deux poutres latérales qui s’avançaient en avant de la proue et neutralisaient par leur longueur les éperons des vaisseaux ennemis.) [*](• Le texte dit; intérieurement et extérieurement. Il est évident, et le scoiiastc de Thucydide a très-bien compris que les élançons intérieurs sont ceux qui étaient entre les deux antennes, par oppositioa à ceux qui étaient Axés latéralement du côté de la mer à bâbord et à tribord.)

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contre les parois du navire par des élançons de six coudées. C’était la disposition adoptée par les Corinthiens dans le combat contre la flotte de Naupacte, où ils avaient pris l’ennemi en proue[*](Jusque-là cetait le contraire qui avait lieu; on évitait la proue et ou cherchait à donner de l'éperon contre le flanc de l'ennemi.). Les Syracusains avaient calculé que cette disposition devait être favorable contre les vaisseaux athéniens, qui n’étaient pas comme les leurs renforcés à l’avant et dont la proue n’était pas protégée, parce qu’au lieu d’attaquer proue contre proue, ils se portaient par une circonvolution sur le flanc de l’ennemi. Ils trouvaient d’ailleurs avantage à combattre dans le grand port, où un nombre considérable de vaisseaux se trouveraient resserrés sur un étroit espace : attaquant en proue, ils enfonceraient l’avant des vaisseaux ennemis, dont les parois faibles et sans épaisseur ne pourraient tenir contre le choc de parties massives et solidement étayées. Les Athéniens, au contraire, ne pourraient, dans un espace étroit, ni les tourner ni percer leur ligne, manoeuvres où ils excellaient; car eux-mêmes les empêcheraient autant que possible de pénétrer dans les lignes, et, quant à les tourner, le défaut d’espace s’y opposerait. Ce qu’on avait jusque-là considéré comme marque d’ignorance chez leurs pilotes, l’attaque en proue, deviendrait dès lors une excellente manoeuvre, puisque c’était surtout là que serait leur supériorité. Les Athéniens, poussés par eux, n’auraient pas la liberté de reculer ailleurs que vers la terre, avec peu de carrière derrière eux, peu de latitude pour leurs manoeuvres, puisque leur [*](1 Jusque-là cetait le contraire qui avait lieu; on évitait la proue et ou cherchait à donner de l'éperon contre le flanc de l'ennemi.)
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camp n’occupait qu’un étroit espace et que les Syracusains seraient maîtres du reste du port. Que si on parvenait à les forcer, ils se porteraient tous sur un même point, s’y entasseraient à l’étroitetse heurteraient mutuellement, ce qui jetterait parmi eux le désordre. — En effet, rien ne fut plus nuisible aux Athéniens, dans toutes les affaires navales, que cette impossibilité de reculer[*](Dans la plupart des évolutions on reculait, en ramant sur la poupe, afin de s’élancer sur l’ennemi avec plus de force, ou de le tourner.), comme les Syracusains, vers tous les points du port. — Quant à passer au large pour leurs évolutions, cela leur serait impossible, puisque c’était précisément du côté de la mer que les Syracusains attaqueraient et pourraient reculer à leur gré; sans compter que les Athéniens auraient contre eux Plemmyrion, et que l’entrée du port avait peu de largeur.

XXXVII. La pensée de ces avantages joints à l’expérience qu’ils pouvaient avoir et à leurs forces, la confiance plus grande qu’ils avaient puisée dans le précédent combat naval, les décidèrent à attaquer simultanément par terre et par mer. Gylippe fit sortir un peu à l’avance les troupes de terre qui étaient dans Syracuse, et les conduisit contre le mur des Athéniens[*](II s’agit-de la double enceinte des Athéniens qui descendait d’Épipolæ au grand port.), du côté qui regarde la ville. En même temps les troupes cantonnées à Olympiéon, hoplites, cavalerie, troupes légères, se portaient contre l’autre côté du mur. Aussitôt après, la flotte des Syracusains et de leurs alliés prit la mer. Au premier abord, les Athéniens crurent [*](1 Dans la plupart des évolutions on reculait, en ramant sur la poupe, afin de s’élancer sur l’ennemi avec plus de force, ou de le tourner.) [*](* II s’agit-de la double enceinte des Athéniens qui descendait d’Épipolæ au grand port.)

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que l’armée de terre donnerait seule; mais lorsqu'ils virent les vaisseaux s’avancer tout à coup, ils furent dans un grand trouble : les uns se mettaient en bataille sur les murs et en avant des retranchements pour repousser l’attaque; d’autres se portaient au-devant des nombreux cavaliers et des gens de trait qui s’avan- çaient précipitamment d’Olympiéon et du dehors; d’autres s’élançaient aux vaisseaux, ou couraient au rivage pour le défendre. Les troupes embarquées, la flotte, composée de soixante-quinze vaisseaux, alla à la rencontre de l’ennemi. Celle des Syracusains en comptait quatre-vingts.

XXXVIII. Pendant la plus grande partie du jour on manoeuvra en avant, en arrière, on se tâta mutuellement, mais sans rien de décisif de part ni d’autre; seulement les Syracusains coulèrent un ou deux bâtiments et on se sépara. L’armée de terre s’éloigna en même temps des murailles. Le lendemain, les Syracusains se tinrent en repos sans rien manifester de leurs desseins. Néanmoins Nicias, voyant que dans le combat naval les chances s’étaient balancées et s’attendant à une nouvelle attaque, enjoignit aux triérarques de réparer ceux des vaisseaux qui pouvaient avoir souffert, et fit mouiller des bâtiments de charge en avant des pilotis que les Athéniens avaient plantés en mer[*](Dans le grand port, à l’extrémité'du double mur.) devant leur flotte, pour leur tenir lieu de port fermé. Ces bâtiments furent espacés à une distance de deux plèthres[*](Environ 66 mètres.), afin que, si quelque vaisseau était serré de trop près, il trouvât en arrière une retraite sûre d’où il pût à loisir [*](1 Dans le grand port, à l’extrémité'du double mur.) [*](* Environ 66 mètres.)

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retourner à la charge. Ces dispositions occupèrent les Athéniens tout le jour, jusqu’à la nuit.

XXXIX. Le lendemain, les Syracusains firent, de meilleure heure, mais d’après le même plan, une attaque par terre et par mer contre les Athéniens. Les deux flottes en présence, on passa, comme la première fois, une grande partie du jour à se tâter mutuellement. Mais enfin Ariston de Corinthe, fils de Pyrrhichos, le meilleur pilote qui fût parmi les Syracusains, conseilla aux commandants de la flotte d’envoyer en ville aux intendants des vivres l’ordre de faire transporter en toute hâte le marché des subsistances sur le bord de la mer, et de forcer tous ceux qui pouvaient avoir des provisions à venir les y mettre en vente. De cette manière les matelots pourraient débarquer, prendre rapidement leur repas près des vaisseaux, et faire le même jour, à court intervalle, une nouvelle attaque qui surprendrait les Athéniens.

XL. On suivit son avis : l’ordre fut envoyé et le marché disposé. Les Syracusains ramant soudain sur la poupe, reculèrent vers la ville, débarquèrent et prirent leur repas sur place. Les Athéniens, croyant qu’ils se reconnaissaient vaincus, puisqu’ils rétrogradaient vers la ville, débarquèrent tranquillement de leur côté, et se mirent, entre autres soins, à préparer leur repas, dans la pensée que le combat était terminé pour ce jour-là. Mais tout à coup les Syracusains remontent sur leurs vaisseaux et reviennent à l’attaque. Les Athéniens, dans un grand tumulte et à jeun pour la plupart, s’embarquent en désordre et ne se mettent en ligne qu’avec peine. Pendant quelque temps on ne fit que s’observer mutuellement sans rien entreprendre :

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mais à la fin les Athéniens, craignant, s’ils différaient, d’être trahis par leur propre épuisement, résolurent d’en venir aux mains au plus vite. Ils se portèrent en avant à un signal donné, et engagèrent l’action. Les Syracusains reçurent leur choc : ils présentaient la proue à l’ennemi, suivant leur tactique, frappaient les vaisseaux athéniens à l’avant et leur faisaient, grâce aux dispositions adoptées dans ce but[*](Grâce aux antennes ou épotides dont ils avaient armé leurs proues.), de profondes déchirures. Du haut du pont des navires leurs soldats couvraient de javelots les Athéniens et leur faisaient beaucoup de mal. Mais ce qui leur en causa bien plus encore, ce furent des barques légères, montées par des Syracusains, qui voltigeaient autour des navires, se glissaient sous la ligne des rames, rasaient les flancs des bâtiments, et de là accablaient de traits les équipages.

XLI. A la fin, grâce à cette tactique, les Syracusains forcèrent l’ennemi et restèrent vainqueurs. Les Athéniens, en déroute, passèrent entre leurs bâtiments de charge pour se réfugier à leur mouillage. Les vaisseaux syracusains les poursuivirentjusqu’aux bâtiments de charge; mais les bascules[*](C’étaient des poutres fixées à l’extrémité des bâtiments et mobiles autour d'un pivot horizontal. Les dauphins, énormes masses de plomb suspendues à leurs extrémités, tombaient sur les bâtiments ennemis au moment où on lâchait la bascule, et les fracassaient.) adaptées à l’extrémité des bâtiments, au-dessus des passes, et armées de dauphins, ne leur permirent pas d’avancer plus loin. Cependant deux vaisseaux syracusains, dans l’entraînement de la victoire, s’en approchèrent et furent fracassés; l’un d’eux même fut pris avec son équipage. [*](1 Grâce aux antennes ou épotides dont ils avaient armé leurs proues.) [*](2 C’étaient des poutres fixées à l’extrémité des bâtiments et mobiles autour d'un pivot horizontal. Les dauphins, énormes masses de plomb suspendues à leurs extrémités, tombaient sur les bâtiments ennemis au moment où on lâchait la bascule, et les fracassaient.)

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Les Syracusains avaient coulé sept vaisseaux athéniens, maltraité beaucoup d’autres, pris ou tué bon nombre d’ennemis; ils se retirèrent et élevèrent un trophée pour les deux combats. Ils avaient désormais la ferme confiance d’avoir sur mer une incontestable supériorité, et comptaient bien vaincre également l’armée de terre : aussi se disposaient-ils à attaquer de nouveau sur terre et sur mer.

XLII. Cependant, Démosthènes et Eurymédon arrivèrent avec les renforts envoyés par les Athéniens. Ils amenaient soixante-treize vaisseaux, y compris ceux du dehors[*](Ceux de Corcyrc et de Métaponle.), environ cinq mille hoplites, athéniens ou alliés, un grand nombre d'hommes de trait, grecs et barbares, des frondeurs, des archers et le reste île l’équipement en proportion. Les Syracusains et leurs alliés furent tout d’abord dans une consternation profonde; il semblait qu’il ne dût y avoir aucun terme à leurs dangers, puisque même la fortification deDécélie n’empêchait pas l’arrivée d’une armée égale et comparable à la première, et que la puissance athénienne se montrait partout formidable. L’ancienne armée athénienne, au contraire, vit là son salut[*](Le texte porte s ώς έκ κακών, comme hors de peine.) et reprit quelque courage. Démosthènes, voyant l’état des affaires, jugea qu'il n’y avait point de temps à perdre et qu’il ne fallait pas tomber dans la même faute que Nicias : formidable d’abord à son arrivée, il avait, au lieu d’attaquer immédiatement Syracuse, pris ses quartiers d’hiver à Catane; par là, il avait perdu tout prestige et laissé à Gylippe le temps de le prévenir avec l’armée qu’il amenait du Péloponnèse. Cette armée, les Syracusains [*](1 Ceux de Corcyrc et de Métaponle.) [*](* Le texte porte s ώς έκ κακών, comme hors de peine.)

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ne l’auraient même pas appelée, s'il les eût attaqués tout d’abord; car, se croyant en état de résister, ils n’auraient reconnu leur insuffisance que lorsqu’ils eussent été déjà investis d’une muraille; et, l’eussentils appelée alors, elle ne pouvait plus leur être de la même utilité. Guidé par ces considérations, et sentant bien que l’effroi qu’ilinspirait à l’ennemi ne pourrait que s’affaiblir le premier jour passé, Démosthènes résolut de profiter sans délai de la démoralisation que causait dans le moment l’arrivée de son armée. Voyant que le mur latéral par lequel les Syracusains avaient empêché l’entier investissement de la place était simple, et qu’une fois maître des pentes d’Épipolæ et du camp assis sur la hauteur, ons’empareraitaisémentde ce mur où personne dès lors n’oserait tenir, il se hâta de tenter l’entreprise. Par là il comptait abréger de beaucoup la guerre : s’il réussissait, il s’emparerait de Syracuse; sinon, il ramènerait les troupes, au lieu de laisser se consumer sans résultat l’armée expéditionnaire et la république entière. Les Athéniens firent d’abord une sortie et ravagèrent les campagnes syracusaines aux environs de l’Anapos. Leur supériorité se maintenait encore, comme auparavant, sur terre et sur mer; car ni d’un côté ni de l’autre les Syracusains ne vinrent à leur rencontre, à part la cavalerie et les gens de trait d’Olympiéon.

XLIII. Démosthènes crut devoir faire d’abord l’essai des machines sur la muraille; mais les assiégés brûlèrent les machines qu’il fit approcher, se défendirent du haut des murs et repoussèrent l’assaut que donna sur plusieurs points le reste de l’armée. Il résolut alors de suivre son plan sans délai, et, après l’avoir fait

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adopter par Nicias et les autres commandants, il attaqua Épipolæ. Le jour, il paraissait impossible de s’en approcher et d’y monter sans être aperçu : il commanda cinq jours de vivres, prit avec lui les appareilleurs, les maçons, des traits et tout le matériel nécessaire à la construction des murs, pour le cas où ils auraient l’avantage; et, à la première veille, il se mit en marche vers Épipolæ avec Eurymédon, Ménandre et toute l’armée. Nicias était resté dans les retranchements. Ils arrivèrent au pied d’Épipolæ, à Euryélos[*](prenait à revers les hauteurs d’Ëpipolæ, situées entre Euryélos et la ville.), par où l’armée était montée la première fois, trompèrent la surveillance des gardes syracusains, enlevèrent le fort que les Syracusains avaient en cet endroit et tuèrent une partie de la garnison. Le plus grand nombre s’échappa et courut aussitôt porter la nouvelle de l’attaque aux trois camps établis comme défense avancée[*](Didot a rétabli avec raison les mots έν προτειχίσμασιν, supprimés par la plupart des éditeurs; mais l’interprétation qu’il en donne ne parait pas acceptable (des camps garnis d’avant-murs). Ces mots répondent à peu près à ce qu’on a appelé chez nous forts détachés; littéralement des camps fortifiés établis en avant (des murs).) sur Épipolæ, l’un pour les Syracusains, l’autre pour le reste des Siciliens, et le troisième pour les alliés[*](Les alliés de Grèce, Péloponnésiens, Béotiens, etc.). L’alarme fut donnée d’abord aux six cents Syracusains qui formaient les premières gardes de ce côté d’Épipolæ. Ils coururent aussitôt à l’ennemi; mais Démosthènes et les Athéniens, les ayant rencontrés, les mirent en fuite, malgré leur vigoureuse défense, et continuèrent à avancer rapidement, afin d’atteindre incontinent, sans laisser ralentir l’ardeur du premier moment, [*](111 prenait à revers les hauteurs d’Ëpipolæ, situées entre Euryélos et la ville.) [*](* Didot a rétabli avec raison les mots έν προτειχίσμασιν, supprimés par la plupart des éditeurs; mais l’interprétation qu’il en donne ne parait pas acceptable (des camps garnis d’avant-murs). Ces mots répondent à peu près à ce qu’on a appelé chez nous forts détachés; littéralement des camps fortifiés établis en avant (des murs).) [*](* Les alliés de Grèce, Péloponnésiens, Béotiens, etc.)
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l’objet de leur entreprise. En même temps un autre corps enlevait l’extrémité[*](Du côté d’Épipolæ. II s’agit de l’extrémité du mur destiné à empêcher la jonction de la circonvallation athénienne, au point même où il atteignait cette ligne de circonvallation, au bas d’Épipolae.) du mur transversal, abandonné par la garnison, et en arrachait les créneaux. Cependant les Syracusains et leurs alliés, Gylippe et ses soldats, accouraient hors des camps; mais, pris au dépourvu par l’audace d’une pareille tentative en pleine nuit, ils n’abordèrent les Athéniens qu’avec effroi, furent forcés et tout d’abord ramenés en arrière. Déjà les Athéniens avançaient avec moins d’ordre; car ils se croyaient vainqueurs et voulaient au plus vite passer à travers tous les corps qui n’avaient pas encore combattu, afin de ne pas laisser à l’ennemi, en ralentissant, le temps de se reformer pour une nouvelle attaque. A ce moment ils donnèrent contre les Béotiens, le premier corps qui essayât de tenir contre eux, furent forcés à leur tour et mis en fuite.

XLIV. De ce moment, le trouble et la confusion furent tels parmi les Athéniens, que, d’un côté comme de l’autre, on était fort embarrassé pour dire en détail comment les choses s’étaient passées. En effet, même dans un combat de jour, où tout se voit, ceux qui assistent ne connaissent pas tous les détails; à grand’peine chacun sait-il ce qui le concerne personnellement; comment donc une affaire de nuit comme celle-ci, la seule du reste qui ait eu lieu dans cette guerre entre des armées considérables, pourrait-elle être connue avec certitude? La lune brillait; mais on ne se distinguait de part et d’autre que comme on peut le faire par le clair de lune, sans démêler si la forme aperçue [*](1 Du côté d’Épipolæ. II s’agit de l’extrémité du mur destiné à empêcher la jonction de la circonvallation athénienne, au point même où il atteignait cette ligne de circonvallation, au bas d’Épipolae.)

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était celle d'un ami. Une multitude d’hoplites des deux partis tournoyaient dans un étroit espace. Une partie de l’armée athénienne était déjà vaincue que le reste, encore intact, et obéissant à la première impulsion, continuait à s’avancer. Tel corps ne faisait qu’aborder les pentes, tel autre continuait à les gravir; si bien qu’ils ne savaient de quel côté se diriger; car, les premières troupes étant déjà en déroute, il était difficile, au milieu du pêle-mêle général et des cris, de les reconnaître. Les Syracusains et leurs alliés, se voyant victorieux, s’animaient à grands cris, seul moyen de ralliement possible dans l’obscurité; en même temps ils recevaient vigoureusement les assaillants. Les Athéniens, au contraire, se cherchaient eux-mêmes; ils voyaient des ennemis dans tous ceux qu’ils rencontraient, fût-ce même de leurs amis refluant vers eux dans leur fuite; ils demandaient à chaque instant le mot d’ordre, faute d’autre moyen de se reconnaître, et, le demandant tous à la fois, ils accroissaient encore le désordre dans leurs rangs et livraient ce mot à l’ennemi. Ils n’apprenaient pas de même celui des Syracusains; car ceux-ci, victorieux et moins dispersés, avaient moins de peine à se reconnaître. Aussi, quand les Syracusains tombaient au milieu de forces supérieures, ils leur échappaient par la connaissance qu’ils avaient du mot d’ordre; les Athéniens, au contraire, ne pouvant répondre, étaient égorgés. Mais ce qui leur fit le plus de mal fut le chant du Péan; semblable de part et d’autre, il les jetait dans une grande perplexité : soit qu’il fût entonné par les Argiens, les Corcyréens et tous les corps de race dorique appartenant à leur propre armée, soit qu’il le fût par l’ennemi, l’effroi était le
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même. A la fin, se heurtant entre eux au milieu de la confusion générale, amis contre amis, citoyens contre citoyens, ils en vinrent, sur beaucoup de points, non plus seulement à s’effrayer, mais à se changer mutuellement, et ne se séparèrent qu’à grand’peine. Poursuivis par l’ennemi, beaucoup se jetèrentdans les précipices et y périrent; car la descente d’Épipolæ est étroile. Une fois descendus des hauteurs et arrivés dans la plaine, la plupart, surtout les soldats de la première armée qui connaissaient mieux les lieux, purent se réfugier au camp; mais, parmi les derniers arrivés, quelques-uns se trompèrent de route et s’égarèrent dans la campagne; au jour ils furent entourés par les cavaliers syracusains et massacrés.

XLV. Le lendemain, les Syracusains élevèrent deux trophées, l’un à Épipolæ vers la montée, l’autre à l’endroit où les Béotiens avaient opposé la première résistance. Les Athéniens enlevèrent leurs morts par convention. La perle en hommes fut considérable pour eux et leurs alliés; mais le nombre des armes prises par l’ennemi fut plus grand encore; car parmi ceux qui avaient été forcés de se jeter dans les précipices en se débarrassant de leurs armes et de leurs boucliers, les uns avaient péri, d’autres s’étaient sauvés.

XLVI. Après ce succès inespéré, les Syracusains retrouvèrent leur première ardeur. Ils envoyèrent à Agrigente, alors en proie aux séditions, quinze vaisseaux sous les ordres de Sicanos, afin de soumettre cette ville, s’il était possible. Gylippe recommença à parcourir par terre le reste de la Sicile, afin d’en amener une nouvelle armée. Cette heureuse issue de l’affaire d’Épi-

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polæ lui donnait l’espoir d'enlever de vive force les retranchements mêmes des Athéniens.