History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XCII. « Il ne tient qu’à vous, Lacédémoniens, avec de la promptitude et plus de zèle, de réaliser une partie de ce plan; car, quant à sa possibilité, j’ai toute confiance, et je ne crois pas me tromper. Mais, je vous en prie, n’ayez pas de moi une opinion défavorable sur ce que, dévoué autrefois, — on le sait, — à ma patrie, je l'attaque maintenant à outrance avec ses ennemis les plus déclarés; ne suspectez pas mes discours, comme inspirés par les impatiences décevantes de l’exil : l’exil m’a arraché à la perversité de ceux qui m’ont banni, mais non à la défense de vos intérêts, si vous m’écoutez. D’ailleurs ceux qui ont le plus de droit à notre haine ne sont pas ceux qui, comme vous, ont pu nous traiter en ennemis quand nous l’étions réellement[*](C'est dire à mots couverts qu’il doit plus détester les Athéniens qui l’ont chassé, que les Lacédémoniens qui étaient dans leur rôle en cherchant autrefois à lui nuire.), mais bien ceux qui nous forcent à devenir ennemis, d’amis que nous étions. J’aime ma patrie, non pour y subir l’injustice, mais pour y trouver protection et sécurité; aussi ne crois-je pas marcher maintenant contre une pa- [*](1 C'est dire à mots couverts qu’il doit plus détester les Athéniens qui l’ont chassé, que les Lacédémoniens qui étaient dans leur rôle en cherchant autrefois à lui nuire.)

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trie qui soit mienne; je vais bien plutôt reconquérir celle que je n’ai plus. Le vrai patriotisme ne consiste point à ne pas attaquer une patrie qu’on vous a injustement ravie, mais à mettre tout en oeuvre, dans ses regrets, pour la retrouver. Je vous prie donc, Lacédémoniens, d’user de moi sans crainte et pour les périls et pour les fatigues de tout genre. Rappelez-vous le proverbe qui est dans toutes les bouches, et sachez que si, comme ennemi, je vous ai fait beaucoup de mal, je saurai aussi, comme ami, vous rendre de bons services; d’autant mieux que je connais les affaires des Athéniens, et que je ne pouvais que former des conjectures sur les vôtres[*](Quand je vous combattais.). Quant à vous, persuadés que vous délibérez sur les plus graves intérêts, faites, sans balancer, l’expédition de Sicile et celle de l’Attique; par là vous sauvegarderez en Sicile, moyennant quelques faibles secours, des intérêts importants; vous anéantirez la puissance athénienne et dans le présent et pour l’avenir; vous aurez conquis désormais la sécurité chez vous; et vous verrez la Grèce entière accepter votre suprématie, non par contrainte, mais volontairement et par reconnaissance. »

XCIII. Ainsi parla Alcibiade. Les Lacédémoniens avaient déjà songé eux-mêmes à une expédition contre Athènes, mais ils hésitaient encore et temporisaient. Losqu’ils eurent entendu tous ces détails de la bouche d’un homme qu’ils croyaient parfaitement renseigné, ils se confirmèrent dans leurs desseins, et songèrent dès lors à fortifier Décélie et à envoyer immédiatement quelques secours en Sicile, Gylippos, fils de Cléandri- [*](1 Quand je vous combattais.)

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das, fut désigné pour prendre le commandement des Syracusains, avec mission de se concerter avec eux et les Corinthiens pour faire parvenir à Syracuse les secours les plus efficaces et les plus prompts possibles dans la circonstance. Gylippos demanda aux Corinthiens de lui expédier sur-le-champ deux vaisseaux à Asiné, d’équiper tous ceux qu’ils avaient l’intention d’envoyer, et de se tenir prêts à mettre à la voile quand il en serait temps. Ces mesures arrêtées, les ambassadeurs quittèrent Lacédémone.

La trirème expédiée de Sicile par les généraux, pour réclamer de l’argent et de la cavalerie, arriva à Athènes. Les Athéniens, sur cette demande, décrétèrent l’envoi de subsistances et de cavalerie pour l’armée. Avec l’hiver finit la dix-septième année de cette guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

XCIV. L’été suivant, dès les premiers jours du printemps[*](Deuxième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, 414 av. notre ère.), les Athéniens qui étaient en Sicile firent voile de Catane, et se dirigèrent, en côtoyant, vers Mégara de Sicile. — Les Syracusains en ont chassé les habitants sous le tyran Gélon, ainsi que je l’ai dit plus haut, et occupent eux-mêmes le pays. — Ils descendirent à terre, ravagèrent les champs, se présentèrent devant un fort des Syracusains, et, n’ayant pu l’emporter, suivirent la côte par terre et par mer jusqu’au fleuve Térias[*](Sur le territoire de Léontium, aujourd’hui Fiume de SantoLeonardo.). Là ils remontèrent le fleuve, ravagèrent la plaine et incendièrent les blés. Ayant rencontré un parti peu nombreux de Syracusains, ils en tuèrent [*](1 Deuxième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, 414 av. notre ère.) [*](* Sur le territoire de Léontium, aujourd’hui Fiume de SantoLeonardo.)

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quelques-uns, dressèrent un trophée et remontèrent ensuite sur leurs vaisseaux. De là ils firent voile pour Catane, et après s’y être ravitaillés, ils se portèrent avec toutes leurs forces contre Centoripa[*](Cette ville, située à peu de distance de Catane, a joué un assez grand rôle dans l’histoiro de la Sicile; elle rendit d’utiles services aux Athéniens contre Syracuse. Détruite dans la guerre de Rome contre Garlhage, elle fut rebâtie par Auguste. Frédéric 11 la détruisit entièrement en 1233.), place des Sicèles, qui se rendit par composition. Ils se retirèrent ensuite, tout en brûlant les moissons des Inesséens[*](Inessa était au pied de l’Etna, aujourd’hui S. Nicole dell’Arena.) et des Hybléens. De retour à Catane, ils y trouvèrent deux cent cinquante cavaliers anivant d’Athènes tout équipés, mais non montés; car on devait se procurer les chevaux dans le pays. Ils y trouvèrent également trente archers à cheval et trois cents talents.

XCV. Le même printemps, les Lacédémoniens firent une expédition contre Argos et s’avancèrent jusqu’à Cléones[*](Entre Argos etCorinthe, à quatre-vingts stades de cette dernière ville, suivant Strabon, et à cent vingt stades d’Argos.). Mais un tremblement de terre survint, et ils se retirèrent. Les Argiens envahirent à leur tour le territoire de Thyrée, qui confine à l'Argolide, et firent sur les Lacédémoniens un butin considérable dont ils ne tirèrent pas moins de vingt-cinq talents. Le même été, mais un peu plus tard, le peuple de Thespies s’insurgea contre les chefs du gouvernement, sans pouvoir s’emparer de l’autorité : des secours arrivèrent de Thèbes; une partie des mécontents furent arrêtés, et les autres se réfugièrent à Athènes.

XCVI. Ce même été, les Syracusains, informés que les Athéniens avaient reçu de la cavalerie et se dispo- [*](1 Cette ville, située à peu de distance de Catane, a joué un assez grand rôle dans l’histoiro de la Sicile; elle rendit d’utiles services aux Athéniens contre Syracuse. Détruite dans la guerre de Rome contre Garlhage, elle fut rebâtie par Auguste. Frédéric 11 la détruisit entièrement en 1233.) [*](* Inessa était au pied de l’Etna, aujourd’hui S. Nicole dell’Arena.) [*](3 Entre Argos etCorinthe, à quatre-vingts stades de cette dernière ville, suivant Strabon, et à cent vingt stades d’Argos.)

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saient à marcher contre eux, pensèrent que si l’ennemi ne s’emparait pas d’Épipolæ, lieu escarpé et qui domine immédiatement la ville, il ne lui serait pas facile, même en gagnant une bataille, de les enfermer dans une circonvallation. Ils résolurent donc d’en garder les passes afin que l’ennemi ne pût monter par là à leur insu, ce qui était impossible d’un autre côté; car partout ailleurs la colline est abrupte, et, du côté de la ville, elle va s’abaissant jusqu’aux murs, de sorte qu’on la découvre entièrement de l’intérieur. Les Syracusains l’ont surnommée Épipolæ, parce qu’elle domine le reste du pays. Ils se rendirent donc en masse, au point du jour, sur la prairie que baigne l’Anapos. Hermocrate et ses collègues venaient d’être investis du commandement : ils firent une revue des troupes et choisirent six cents hoplites d’élite commandés par Diomilos, exilé d’Andros, pour garder Épipolæ, et servir en même temps de réserve prête à se porter rapidement partout où besoin serait.

XCVII. Les Athéniens, de leur côté, faisaient, dès le· malin du jour qui suivit cette même nuit[*](Thucydide n’a pas parlé de la nuit dans ce qui précède; mais l’idée se trouve implicitement comprise dans les mots άμα τη ήμερα, au point du jour.), la revue de leurs troupes : partis de Catane, ils avaient abordé secrètement avec toutes leurs forces au lieu nommé Léon, à six ou sept stades d’Épipolæ. Les vaisseaux, après avoir débarqué l’infanterie, avaient été mouiller à Thapsos. C’est une presqu’île avancée dans la mer, avec un isthme étroit, à peu de distance de Syracuse tant par mer que par terre. L’armée navale des Athéniens, qui était à Thapsos, palissada l’isthme et se tint ensuite en repos; [*](* Thucydide n’a pas parlé de la nuit dans ce qui précède; mais l’idée se trouve implicitement comprise dans les mots άμα τη ήμερα, au point du jour.)

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l’armée de terre se porta en courant vers Épipolæ, et eut le temps d’occuper les hauteurs d’Euryélos avant que les Syracusains informés de leur arrivée pussent, de la prairie où ils passaient leur revue, arriver au secours. Chacun s’y porta de toute sa vitesse, entre autres les six cents hommes de Diomilos. Mais la distance de la prairie à l'ennemi n’était pas de moins de vingt-cinq stades; aussi les Syracusains, attaquant ainsi en désordre, furent vaincus à Épipolæ et rentrèrent dans la ville. Diomilos périt avec environ trois cents hommes. Les Athéniens élevèrent un trophée, rendirent les morts par convention et descendirent le lendemain jusqu’au pied des murs; maiscorameon ne sortit pas contre eux, ils regagnèrent les hauteurs et bâtirent à Labdalos, sur la crête des escarpements d’Épipolæ, un fort dont le front regardait Mégara. Il devait leur servir de dépôt pour le matériel et de trésor toutes les fois qu’ils se rapprocheraient de la ville, soit pour combattre, soit pour élever des retranchements.

XCVIII. Peu de temps après, il leur vint d’Égeste trois cents cavaliers; les Sicèles, Naxos et quelques autres villes en envoyèrent une centaine. Les Athéniens avaient eux-mêmes deux cent cinquante cavaliers pour lesquels ils se procurèrent des chevaux à Égeste et à Catane, ou à prix d’argent. Le tout réuni formait un corps de six cent cinquante cavaliers. Après avoir mis garnison à Labdalos, les Athéniens se dirigèrent vers Syké[*](Ce retranchement circulaire devait être la base du mur de blocus qu’ils avaient l’intention de prolonger de part et d’autre vers le grand port et vers Thapsos. Le nom de Syké paraît être la forme dorienne du mot τύχη et désigner le temple de la Fortune, situé entre Labdalos et les murs de la ville.), où ils s’établirent, et se mirent à élever en [*](1 Ce retranchement circulaire devait être la base du mur de blocus qu’ils avaient l’intention de prolonger de part et d’autre vers le grand port et vers Thapsos. Le nom de Syké paraît être la forme dorienne du mot τύχη et désigner le temple de la Fortune, situé entre Labdalos et les murs de la ville.)

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toute hâte un retranchement circulaire. La célérité du travail frappa de terreur les Syracusains; ils sortirent avec l’intention de combattre et de s’y opposer : déjà même les deux armées étaient en présence, lorsque les généraux syracusains, voyant leurs troupes disséminées et les rangs difficiles à former, les ramenèrent dans la ville, à l’exception d’une partie des cavaliers. Ceux-ci tinrent ferme et empêchèrent les Athéniens d’apporter des pierres et de s’écarter au loin, jusqu’à ce qu’une tribu[*](Chaque tribu fournissait un certain nombre d’hoplites; et, une fois en campagne, les corps fournis par les diverses tribus conservaient leur organisation distincte et ne se mélangeaient pas.) d’hoplites athéniens attaqua, de concert avec toute la cavalerie, les cavaliers syracusains et les mit en déroute. Les Athéniens en tuèrent quelques-uns et dressèrent un trophée pour ce combat de cavalerie.

' XCIX. Le lendemain une partie des Athéniens continua à élever la partie nord du retranchement circulaire, tandis que les autres apportaient des pierres et des bois et les déposaient en avançant toujours vers le lieu nommé Trogilos[*](Trogilos ϋιait au nord de Syké, tous les travaux se faisaient donc sur une même ligne; les uns disposaient à l’avance les matériaux, tandis que les autres poursuivaient la construction de la muraille.); car c’était la ligne la plus courte pour mener leur mur de blocus du grand port à l’autre mer[*](Syracuse occupant une espèce do presqu’île, le but des Athéniens, en conduisant un mur d’une mer à l’autre, était de l’isolcr du côté de la terre.). Les Syracusains, guidés surtout par Hermocrates, l’un des généraux, renoncèrent à courir les risques de batailles générales contre les Athéniens; ils pensèrent que le mieux était d’élever un contre-mur coupant là ligne où les Athéniens devaient mener le [*](1 Chaque tribu fournissait un certain nombre d’hoplites; et, une fois en campagne, les corps fournis par les diverses tribus conservaient leur organisation distincte et ne se mélangeaient pas.) [*](3 Trogilos ϋιait au nord de Syké, tous les travaux se faisaient donc sur une même ligne; les uns disposaient à l’avance les matériaux, tandis que les autres poursuivaient la construction de la muraille.) [*](3 Syracuse occupant une espèce do presqu’île, le but des Athéniens, en conduisant un mur d’une mer à l’autre, était de l’isolcr du côté de la terre.)

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leur, afin de leur fermer le passage, en les devançant s’il était possible. Si l’ennemi les troublait dans ce travail, ils enverraient contre lui une partie de leur armée, le préviendraient en occupant les passages qu’ils fermeraient avec des pieux[*](Ces pieux étaient destinés à fermer les points les plus abordables de la ligne tfù dis devaient élever leur contro-mur, afin do faciliter le travail en tenant l’ennemi à distance.), et le forceraient ainsi à abandonner ses travaux pour se porter en masse contre eux. Ils firent donc une sortie et se mirent à construire au-dessous du retranchement circulaire des Athéniens, et à partir de l’enceinte de la ville, une muraille qui coupait leurs lignes[*](Et qui devait par conséquent les empêcher de continuer leur enceinte jusqu’à la mer. Letronne a fait remarquer avec raison que lo mot έγχάρσιον signifie ici perpendiculaire, et non transversal; le contre-mur, pour interrompre les travaux des Athéniens, devait être perpendiculaire, ou à peu près, à leur enceinte.). Ils abattirent les oliviers du Téménos[*](L’enccintc sacrée d’Apollon Téménitès.) et élevèrent des tours de bois.

Les vaisseaux des Athéniens n’avaient pas encore quitté Thapsos pour pénétrer dans le grand port en doublant la presqu’île; les Syracusains restaient maîtres de la mer et les Athéniens faisaient venir leurs vivres de Thapsos par terre.

C. Déjà les palissades et les constructions du contremur paraissaient aux Syracusains dans un état suffisant de défense. — Car les Athéniens, craignant, s’ils se partageaient, de donner plus de prise à l’ennemi, pressés d’ailleurs de terminer leur propre enceinte, n’étaient pas venus mettre obstacle à ce travail. — Ils laissèrent un corps de troupes à la garde des construc- [*](1 Ces pieux étaient destinés à fermer les points les plus abordables de la ligne tfù dis devaient élever leur contro-mur, afin do faciliter le travail en tenant l’ennemi à distance.) [*](2 Et qui devait par conséquent les empêcher de continuer leur enceinte jusqu’à la mer. Letronne a fait remarquer avec raison que lo mot έγχάρσιον signifie ici perpendiculaire, et non transversal; le contre-mur, pour interrompre les travaux des Athéniens, devait être perpendiculaire, ou à peu près, à leur enceinte.) [*](3 L’enccintc sacrée d’Apollon Téménitès.)

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tions et rentrèrent dans la ville. Les Athéniens, de leur côté, détruisirent les conduits souterrains qui amenaient de l’eau potable à la ville. Ayant observé que la plupart des Syracusains[*](Ceux qui gardaient le nouveau mur.) restaient dans leurs tentes vers midi, que quelques-uns même rentraient dans la ville, et que ceux qui étaient laissés aux palissades les gardaient négligemment, ils firent choix de trois cents hommes d’élite et de quelques troupes légères et bien armées, et leur ordonnèrent de courir subitement au contremur. Le reste de l’armée se partagea en deux corps, sous la conduite des deux généraux : l’un se porta vers la ville, en prévision des secours qui pourraient en sortir, l’autre aux palissades qui étaient près de la petite porte[*](Cette petite porte devait être une porte pratiquée dans le mur du Téménite pour aller à Épipolæ. La palissade dont il s’agit ici, distincte de celle qu’attaquaient les trois cents, devait servir de défense à la petite porte.). Les trois cents attaquèrent et enlevèrent les palissades; ceux qui les gardaient les abandonnèrent et s’enfuirent dans l’enceinte avancée duTéménitès[*](Thucydide a dit plus haut que les Syracusains avaient joint le Téménitès à la ville pur une enceinte qui Tonnait comme un ouvrage avancé. x). Ceux qui les poursuivaient s’y jetèrent avec eux; mais, après y avoir pénétré, ils en furent repoussés de vive force par les Syracusains. Quelques Argiens et un petit nombre d’Athéniens y périrent. L’armée entière, à son retour, se mit à détruire le contre-mur, arracha les palissades, emporta les pieux et dressa un trophée.

CI. Le lendemain les Athéniens continuèrent leur muraille à partir du retranchement circulaire déjà élevé; ils fortifièrent l’escarpement qui domine le ma- [*](1 Ceux qui gardaient le nouveau mur.) [*](* Cette petite porte devait être une porte pratiquée dans le mur du Téménite pour aller à Épipolæ. La palissade dont il s’agit ici, distincte de celle qu’attaquaient les trois cents, devait servir de défense à la petite porte.) [*](8 Thucydide a dit plus haut que les Syracusains avaient joint le Téménitès à la ville pur une enceinte qui Tonnait comme un ouvrage avancé. x)

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rais et qui, de ce côté d’Épipolæ, fait face au grand port. Pour suivre la ligne la plus courte, la circonvallation devait descendre cette pente et rejoindre le grand port à travers la plaine et le marais. Pendant ce temps, les Syracusains sortirent de leur côté et se mirent à élever une nouvelle palissade qui partait de la ville et se dirigeait à travers le marais[*](La muraille des Athéniens s’étant avancée vers le grand port, ce nouveau retranchement des Syracusains dut Être reporté beaucoup plus au sud et très-près du port.); ils y ajoutèrent un fossé, pour empêcher les Athéniens de pousser leur mur de blocus jusqu’à la mer. Mais ceux-ci, après avoir achevé leurs ouvrages sur la pente, firent une nouvelle attaque contre la palissade et le fossé. Ordre fut donné à la flotte de s’avancer de Thapsos jusque dans le grand port de Syracuse, en doublant la pointe; l’armée, de son côté, descendit au point du jour d’Épipolæ dans la plaine, jeta sur le marais, à l’endroit où il est bourbeux et offre plus de solidité, des portes et de larges planches, et le traversa. Dès l’aurore, ils étaient maîtres de la palissade et du fossé, sauf une petite partie; — le reste fut également emporté plus tard. — Un combat s’engagea, où les Athéniens eurent l’avantage. L'aile droite des Syracusains s’enfuit vers la ville, la gauche vers le fleuve[*](Vers l’Anapos, en suivant la voie Hélorine.). Aussitôt les trois cents hommes d’élite de l’armée athénienne courent au pont pour couper le passage. Les Syracusains s’effrayent (car la plus grande partie de leur cavalerie se trouvait aussi sur ce point)[*](Et courait par conséquent risque d’élre coupée de la ville.); néanmoins ils courent aux trois cents, les enfoncent, et viennent donner sur l’aile droite des Athéniens. Le [*](1 La muraille des Athéniens s’étant avancée vers le grand port, ce nouveau retranchement des Syracusains dut Être reporté beaucoup plus au sud et très-près du port.) [*](2 Vers l’Anapos, en suivant la voie Hélorine.) [*](3 Et courait par conséquent risque d’élre coupée de la ville.)
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premier corps de cette aile s’effraye à son tour de cette brusque attaque : Lamachos, s’en apercevant, accourt de l’aile gauche pour les soutenir, avec un petit nombre d’archers et les Argiens; il franchit une espèce de fossé; mais il se trouve isolé avec le peu d’hommes qui l’ont accompagné de l’autre côté, et est tué avec cinq ou six de ceux qui l’entourent. Les Syracusains profitèrent du premier moment pour les enlever à la hâte et les mettre en lieu sûr, de l’autre côté du fleuve; puis, voyant le reste des Athéniens s’ébranler contre eux, ils opérèrent leur retraite.

CII Cependant ceux d’entre eux qui, d’abord, avaient fui vers la ville, voyant ce qui se passait, reprirent courage et revinrent à la charge contre ceux des Athéniens qui leur étaient opposés. En même temps ils détachèrent une division pour aller occuper le retranchement circulaire d’Épipolæ, qu’ils croyaient abandonné. Ils s’emparèrent en effet de l’avant-mur sur une longueur de dix plèthres et le renversèrent; mais quant à l’enceinte elle-même[*](Les circonvallations consistaient en deux murs parallèles crénelés et bordés de tours. Les troupes se logeaient dans l’espace intermédiaire .), Nicias, qui s'y trouvait retenu par une indisposition, les empêcha d’y pénétrer. Il ordonna aux valets d’armée de brûler les machines et tous les bois entassés en avant du retranchement; car il avait reconnu qu’en l’absence des soldats, ils n’étaient pas capables de résister autrement. Ce qu’il avait prévu arriva : l’incendie ne permit pas aux Syracusains d’approcher davantage, et ils se retirèrent. Déjà d’ailleurs arrivaient au secours de l’enceinte ceux des Athéniens qui avaient poursuivi l’en- [*](1 Les circonvallations consistaient en deux murs parallèles crénelés et bordés de tours. Les troupes se logeaient dans l’espace intermédiaire .)

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nemi dans la plaine; en même temps la flotte, partie de Thapsos, entrait dans le grand port, suivant ses instructions. A cette vue, les Syracusains qui étaient sur les hauteurs[*](A Épipolæ.) se retirèrent à la hâte, et toute leur armée rentra dans la ville. Ils se reconnaissaient désormais impuissants, avec les forces dont ils disposaient, à empêcher que le mur de blocus ne fût conduit jusqu’à la mer.

CIII. Après cela les Athéniens élevèrent un trophée, rendirent aux Syracusains leurs morts par convention, et retirèrent les corps de Lamachos et de ses compagnons. Toutes leurs forces de terre et de mer se trouvant alors réunies, ils purent enfermer les Syracusains d’un double mur de blocus partant d’Épipolæ et des escarpements pour aboutir à la mer. De toutes parts les provisions arrivaient d’ltalie à l’armée; un grand nombre de Sicèles, après avoir hésité d’abord, étaient venus les rejoindre comme alliés, et trois pentécontores leur étaient arrivées de Tyrsénie. Tout réussissait d’ailleurs au gré de leurs espérances : les Syracusains ne comptaient plus dès lors triompher par les armes, surtout en voyant qu’il ne leur arrivait aucun secours du Péloponnèse; ils parlaient entre eux d’accommodement, et faisaient des propositions à Nicias, seul investi du commandement depuis la mort de Lamachos. Mais il n’y avait rien là sur quoi on pût compter : il arrivait à Nicias une foule d’ouvertures, comme on pouvait l’attendre de gens hors d’eux mêmes et qui se voyaient enserrés de plus près qu’aqparavant. Dans la ville, la diversité des avis était plus grande encore ils [*](1 A Épipolæ.)

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en étaient venus, sous le coup des maux présents, à une sorte de défiance réciproque; on déposa les généraux sous lesquels avaient eu lieu ces revers, comme s’ils devaient être impiétés à leur mauvaise fortune ou à leur trahison, et on les remplaça par Héraclide, Euclès et Tellias.

CIV. Cependant le Lacédémonien Gylippos et les vaisseaux partis de Corinthe étaient déjà arrivés à Leucade, se portant en toute hâte au secours de la Sicile. Mais comme il ne leur parvenait que de mauvaises nouvelles, et que toutes également fausses s’accordaient à représenter Syracuse comme déjà entièrement investie, Gylippos, n’ayant plus d’espoir pour la Sicile, résolut du moins de préserver l’ltalie. De concert avec le Corinthien Pythès, il traversa en toute hâte le golfe d’Ionie, se dirigeant vers Tarente, avec deux vaisseaux lacédémoniens et deux de Corinthe. Les Corinthiens, outre dix vaisseaux qui leur appartenaient, en avaient équipé deux de Leucade et trois d’Ambracie, avec lesquels ils devaient plus tard prendre la mer. De Tarente, Gylippos se rendit à Thurium pour y négocier, en se réclamant du droit de cité qu’y avait autrefois obtenu son père[*](Cléandridas, adjoint au jeune Plistoanax pour commander dans une expédition contre Athènes, s’était laissé corrompre par Périclès, et avait été pour ce fait condamné à mort. Il s’était retiré à Thulium où il obtint le droit de cité.). Mais, n’ayant pu gagner les habitants, il reprit la mer et longea l’ltalie. Assailli, à la hauteur du golfe de Térina[*](Ce passage a embarrassé, avec raison tous les interprètes de Thucydide : le golfe de Térina se trouve sur la côte ouest du Brutium, taudis que Gylippe devait se trouver sur la côte est, dans le golfe de Scylacium ou dans celui de Tarcnte. 11 y a évidemment ici erreur, soit des copistes, soit de riiistorien.), par uh [*](1 Cléandridas, adjoint au jeune Plistoanax pour commander dans une expédition contre Athènes, s’était laissé corrompre par Périclès, et avait été pour ce fait condamné à mort. Il s’était retiré à Thulium où il obtint le droit de cité.) [*](* Ce passage a embarrassé, avec raison tous les interprètes de Thucydide : le golfe de Térina se trouve sur la côte ouest du Brutium, taudis que Gylippe devait se trouver sur la côte est, dans le golfe de Scylacium ou dans celui de Tarcnte. 11 y a évidemment ici erreur, soit des copistes, soit de riiistorien.)

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vent du nord qui souffle avec fureur en cet endroit, il fut entraîné au large, et, après avoir essuyé une violente tempête, revint aborder à Tarente, où il tira à sec pour les réparer ceux de ses vaisseaux qui avaient souffert de la tourmente. Nicias, informé qu’il était en mer, n’eut que du mépris pour le petit nombre de ses vaisseaux; — on avait éprouvé le même sentiment à Thurium : — il ne vit guère là qu’un armement de pirates et ne prit encore aucune précaution.

CV. A la même époque de cet été, les Lacédémoniens envahirent l’Argolide avec leurs alliés et ravagèrent une grande partie du territoire. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens avec trente vaisseaux : c’était une infraction patente à la trêve entre Lacédémone et Athènes. Jusque-là ils avaient bien fait, de Pylos quelques courses pour piller; ils avaient pris part à la guerre des Argiens et des Mantinéens; mais quand ils opéraient des descentes c’était plutôt sur tout autre point du Péloponnèse qu’en Laconie. Invités même à plusieurs reprises par les Argiens à se montrer seulement en armes dans la Laconie, pour se retirer après avoir exercé avec eux quelques ravages insignifiants, ils s’y étaient refusés. Mais en cette circonstance, sous le commandement de Pythodoros, de Lespodias et de Démarate, ils prirent terre à ÉpidaureLiméra, à Proscis et sur une foule d’autres points, ravagèrent le pays, et fournirent par là aux Lacédémoniens un prétexte plus plausible de représailles. Après le départ des vaisseaux athéniens et l’évacuation du pays par les Lacédémoniens, les Argiens envahirent la Phliasie, ravagèrent une partie du territoire, tuèrent quelques habitants et rentrèrent chez eux.

I. Gylippos et Pythès, partis de Tarente après avoir réparé leurs vaisseaux, passèrent en côtoyant chez les Locriens-Épizéphyriens. Mieux informés alors que Syracuse n’était pas entièrement investie, et qu’il était possible d’y entrer avec une armée par Épipolæ, ils délibérèrent s’ils prendraient la Sicile par la droite et se risqueraient à pénétrer dans le port, ou s’ils cingleraient d’abord à gauche vers Himéra, afin de prendre avec eux les habitants et toutes les troupes qu’ils pourraient engager d’ailleurs, et de gagner Syracuse par terre. Ils se décidèrent à faire voile pour Himéra, d’autant mieux qu’on n’avait pas encore aperçu à Rhégium les quatre vaisseaux athéniens que Nicias s’était pourtant[*](Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.) décidé à envoyer, lorsqu’il apprit leur présence à Locres. Ils prévinrent cette croisière, passèrent le détroit, relâchèrent à Rhégium et à Messine et arrivèrent à Himéra. Là, ils persuadèrent aux habitants de les seconder dans cette guerre, en se joignant à eux et en fournissant des armes à ceux de [*](1 Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.)

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leurs matelots qui n’en n’avaient pas; car les vaisseaux furent tirés à sec à Himéra. Ils envoyèrent aussi prier les Sélinonlins de les rejoindre avec toutes leurs forces à un rendez-vous déterminé. Les habitants de Géla et quelques-uns des Sicèles promirent également d'envoyer des troupes, mais en petit nombre. Les Sicèles hésitaient bien moins alors à se rallier, grâce à la mort récente d’Archonidas, prince assez puissant, ami des Athéniens, qui régnait sur une partie des Sicèles de ces contrées; grâce aussi aux dispositions énergiques que Gylippos paraissait apporter de Lacédémone. Gylippos prit avec lui tous ceux de ses matelots et des soldats de marine qui étaient armés, au nombre de sept cents; Himéra avait fourni mille hommes, hoplites ou troupes légères, et cent cavaliers; quelques troupes légères et des cavaliers de Sélinonte; un petit nombre de soldats de Géla et les Sicèles formaient un autre corps de mille hommes; avec ces forces il se mit en marche pour Syracuse.

II. Les Corinthiens, partis de Leucade avec le reste des vaisseaux, firent de leur côté toute la diligence possible pour secourir Syracuse. Un de leurs généraux, Gongylos, parti le dernier avec un seul bâtiment, arriva le premier, un peu avant Gylippos. Il trouva les Syracusains près de s’assembler pour traiter de la cessation des hostilités. Il les en détourna et releva les courages en leur disant qu’il allait leur arriver encore d’autres vaisseaux, et que Gylippos, fils de Cléandridas, venait, de la part des Lacédéraoniens, se mettre à leur tête. Les Syracusains reprirent confiance et sortirent avec toutes leurs forces au-devant de Gylippos; car ils venaient d’apprendre que déjà

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il était à peu de distance. Gylippos, après avoir pris, en passant, Getæ, forteresse des Sicèles, et rangé son armée en bataille, arriva à Épipolæ; il y monta, comme auparavant les Athéniens, par Euryélos, et, uni aux Syracusains, alla attaquer les retranchements de l’ennemi. Au moment où il arriva, les Athéniens avaient déjà achevé les sept ou huit stades du double mur qui aboutissait au grand port, à part un petit espace au bord de la mer où ils travaillaient encore. De l’autre côté du retranchement circulaire, dans la direction de Trogilos en allant à l’autre mer, les pierres étaient déjà déposées sur la plus grande partie de l’espace; certaines portions étaient à moitié construites, d’autres achevées. Telle fut l’étendue du péril que courut Syracuse.

III. Les Athéniens, pris à l’improviste par l’attaque de Gylippos et des Syracusains, se troublèrent d’abord; cependant ils se mirent en bataille. Gylippos fit halte près d’eux et envoya premièrement un héraut leur déclarer que, s’ils voulaient évacuer la Sicile dans l’espace de cinq jours, emportant tout ce qui leur appartenait, il était prêt à traiter. Les Athéniens reçurent avec mépris ces propositions et renvoyèrent le héraut sans réponse. On se prépara ensuite de part et d’autre au combat. Gylippos, s’apercevant que les Syracusains étaient en désordre et avaient peine à former leurs rangs, ramena son armée dans un endroit plus ouvert. Mais comme Nicias ne fit pas sortir les Athéniens et se tint en repos dans ses retranchements, Gylippos, ne les voyant pas venir à sa rencontre, conduisit ses troupes sur la hauteur nommée Téménitès, et y bivouaqua. Le lendemain il ramena la plus grande par-

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lie de ses forces et les mit en bataille le long du retranchement des Athéniens, pour les empêcher de porter secours ailleurs. En même temps il envoya un détachement au fort Labdalon, le prit, et tua tous ceux qu’il y trouva. Cet endroit se trouvait hors de la vue des Athéniens. Le même jour les Syracusains prirent une galère athénienne en station dans le port.

IV. Les Syracusains et leurs alliés construisirent ensuite, à travers Épipolæ, un mur simple[*](Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) qui partait de la ville et se dirigeait transversalement vers les hauteurs[*](Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) : par là, l’ennemi, s’il ne pouvait empêcher cette construction, se trouvait dans l’impossibilité de fermer sa ligne de blocus. Déjà les Athéniens, après avoir terminé le mur au bord de la mer[*](Sur le grand port.), avaient atteint les hauteurs[*](Au nord de Syké.) : Gylippos, sachant qu’il se trouvait sur ce point une partie faible, y monta la nuit avec son armée pour attaquer la muraille. Mais les Athéniens, qui bivouaquaient en dehors, s’en aperçurent et allèrent à lui. Gylippe, dès qu’il se vit découvert, retira ses troupes à la hâte. Les Athéniens donnèrent à ce mur plus d’élévation, se chargèrent eux-mêmes de le garder[*](C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.) et distribuèrent les alliés dans le reste du re- [*](1 Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) [*](2 Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) [*](3 Sur le grand port.) [*](* Au nord de Syké.) [*](5 C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.)

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tranchement, pour en défendre chacun une partie déterminée.

Nicias jugea à propos de fortifier le lieu nommé Plemmyrion[*](La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) : c’est un promontoire qui s’avance dans le grand port, sur la côte opposée à la ville, et rétrécit la passe. Il pensait, en le fortifiant, rendre l’arrivage des vivres plus facile[*](Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.), parce que sa flotte, stationnant plus près du port des Syracusains[*](Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.), n’aurait plus, comme par le passé, à accourir du fond du grand port pour proléger l’arrivée des convois, si les vaisseaux ennemis faisaient quelque mouvement. Le côté maritime de la guerre le préoccupait dès lors davantage, parce qu’il voyait que, par terre, l’arrivée de Gylippos laissait moins d’espoir. Il y fit donc passer un corps de troupes et les vaisseaux, éleva trois forts, et y déposa la plus grande partie du matériel. C’est là que stationnèrent désormais les grands bâtiments de charge et les vaisseaux légers. C’est de ce moment aussi que commencèrent pour les équipages les privations et les souffrances : l’eau était rare et éloignée; et, lorsque les matelots sortaient pour aller faire du bois, ils étaient massacrés parles cavaliers syracusains qui tenaient la campagne : car, par suite de l’occupation de Plemmyrion, le tiers de la cavalerie syracusaine avait pris ses quartiers au bourg d’Olympiéon, pour s’opposer à leurs incursions. Nicias, informé d’un autre côté que le reste de la flotte corinthienne approchait. [*](1 La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) [*](* Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.) [*](5 Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.)

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envoya en observation vingt vaisseaux, avec ordre de la surveiller dans les parages de Locres, de Rhégium et aux abords de la Sicile.

V. Gylippos continuait la construction du mur à travers Épipolæ, et y employait les pierres que les Athéniens avaient amassées pour eux-mêmes; en même temps il faisait sortir régulièrement et rangeait devant le retranchement les Syracusains et leurs alliés. En face, les Athéniens formaient aussi leurs rangs. Lorsque Gylippos crut le moment favorable, il commença l'attaque; on en vint aux mains, et l’action eut lieu dans l’intervalle des retranchements, où la cavalerie des Syracusains et de leurs alliés ne fut d’aucun usage. Les Syracusains et leurs alliés furent vaincus. Après que les Athéniens eurent rendu les morts par convention et dressé un trophée, Gylippos convoqua ses soldats et leur dit que ce qui était arrivé n’était pas de leur faute, mais de la sienne; que, par ses dispositions mêmes, il avait, en les massant trop à l’étroit entre les murs[*](Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.), rendu inutiles la cavalerie et les gens de trait; qu’il allait donc les mener de nouveau à l’ennemi. Il les engagea à bien réfléchir que, sous le rapport des forces, ils ne seraient pas inférieurs, et que, quant au courage, il serait intolérable qu’ils se crussent incapables, eux Péloponnésiens et Doriens, de vaincre et de chasser du pays des Ioniens, des insulaires, un ramas de troupes.

VI. Ensuite, le moment venu, il les conduisit de nouveau au combat. Nicias et les Athéniens sentaient [*](1 Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.)

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bien, de leur côté, que, même sans être provoqués au combat par les Syracusains, il y avait nécessité pour eux de s’opposer à la construction du mur élevé près de leurs travaux, — car déjà le mur des Syracusains atteignait presque l’extrémité de leur retranchement, et s’il le dépassait, il devenait indifférent pour eux de vaincre dans des combats sans cesse renouvelés, ou de ne pas combattre du tout[*](Parce que, malgré leurs victoires, les communications de Syracuse avec l’extérieur resteraient libres, au moyen de cette muraille.). — Ils sortirent donc à la rencontre des Syracusains. Gylippos porta ses hoplites plus en avant des murs que la première fois et en vint aux mains. La cavalerie et les gens de trait étaient rangés sur le flanc des Athéniens dans une plaine ouverte, par delà l’extrémité des fortifications des deux armées. Dans l’action, la cavalerie fondit sur l’aile gauche des Athéniens qui lui était opposée et la mit en déroute; le reste de l’armée, entraîné dans ce mouvement, fut vaincu par les Syracusains et rejeté en désordre dans ses retranchements. La nuit suivante, les Syracusains eurent le temps de prolonger leur muraille jusqu’aux travaux des Athéniens et au delà; de sorte qu’ils n’avaient plus aucun obstacle à craindre de leur part, et leur ôtaient, même vainqueurs, tout moyen de les enfermer désormais.