History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
I. L’été suivant, le terme de la trêve d’un an avait été fixé aux jeux pythiens[*](Deuxième année de la quatre-vingt-troisième olympiade* 423 avant notre ère, au commencement du printemps.). Pendant l’armistice, les Athéniens expulsèrent de Délos les habitants de l’île : ils s’imaginaient qu’une faute déjà ancienne les ayant rendus impurs et indignes d’habiter une terre sacrée, ce complément avait manqué à la purification dont j’ai parlé plus haut[*](Livre ni, ch. 104.), lorsque, par l’enlèvement des tombeaux des morts, ils crurent n’avoir rien laissé à faire[*](Diodore (xn, 73) donne de cette expulsion une raison plus plausible s les Athéniens reprochaient aux habitants de Délos de s’ôtre alliés secrètement avec les Lacédémoniens.). Les Déliens s’établirent à Atramytion[*](Aujourd’hui Adramiti, au fond du golfe du même nom,), ville d’Asie, que leur donna Pharnace, et où ils furent admis à mesure qu’ils se présentèrent.
II. Cléon, avec l’assentiment des Athéniens, fit voile, après l’armistice, pour l’Épithrace, avec douze cents hoplites athéniens, trois cents cavaliers, un plus grand [*](1 Deuxième année de la quatre-vingt-troisième olympiade* 423 avant notre ère, au commencement du printemps.) [*](2 Livre ni, ch. 104.) [*](3 Diodore (xn, 73) donne de cette expulsion une raison plus plausible s les Athéniens reprochaient aux habitants de Délos de s’ôtre alliés secrètement avec les Lacédémoniens.) [*](4 Aujourd’hui Adramiti, au fond du golfe du même nom,)
III. Le Lacédémonien Pasitélidas, commandant de la place, se porta sur ce point avec ce qu’il avait de garnison, pour repousser l’attaque des Athéniens; mais, se sentant forcé, et apercevant les vaisseaux que Cléon avait envoyés croiser devant le port, il craignit, si la flotte le prévenait en occupant la ville maintenant sans défense, et si l’enceinte venait à être forcée, de se trouver pris entre deux ennemis : il abandonna l’enceinte et courut vers la ville; mais les Athéniens de la flotte levaient devancé et occupaient Toroné; en même temps l’infanterie, qui s’était précipitée sur ses traces, entrait d’emblée par la partie détruite de l’ancien mur. Une partie des Péloponnésiens et des Toronéens furent tués dans la lutte, au moment même; d’autres furent faits prisonniers, et parmi eux le commandant Pasité- [*](i Socrate, suivant Platon, prit part à cette malheureuse expédition.) [*](2 C’était le nom d’un petit golfe sur le territoire de Toroné. On ignore d’où lui venait ce nom do port dos Golophoaicus.)
Vers la même époque, les Béotiens prirent par trahison Panacton, fort des Athéniens, sur la frontière. Cléon mit garnison à Toroné, s’embarqua et tourna l’Athos pour gagner Amphipolis.
IV. Vers le même temps, Phéax, fils d’Érasistrate, fit voile avec deux vaisseaux pour l’ltalie et la Sicile, où il était envoyé en ambassade, lui troisième, par les Athéniens. Les Léontins, après l’évacuation de la Sicile par les Athéniens, lors de la paix, avaient inscrit un grand nombre de citoyens nouveaux, et le peuple méditait le partage des terres[*](11 est probable qu’il ne s’agit ici que d’une nouvelle division des terres publiques, rendue nécessaire par l’extension du droit de cité.); les riches, instruits du projet, appelèrent les Syracusains, et expulsèrent le peuple. Les bannis se dispersèrent chacun de leur côté; quant aux riches, ils traitèrent avec les Syracusains, abandonnèrent la ville, la laissèrent déserte, et allèrent [*](i Un peu plus de sept kilomètres.) [*](* 11 est probable qu’il ne s’agit ici que d’une nouvelle division des terres publiques, rendue nécessaire par l’extension du droit de cité.)
V. Dans le trajet pour aller en Sicile, et pour en revenir, il négocia en Italie avec quelques villes, pour les engager dans l’alliance d’Athènes; il rencontra aussi la colonie locrienne de Messène, récemment expulsée de cette ville. — Après la pacification de la Sicile, Messène avait été en proie aux séditions, et l’un des partis avait appelé les Locriens, qui y envoyèrent une colonie et furent quelque temps maîtres de la ville, — Phéax, les ayant rencontrés dans leur traversée, ne leur fit [*](i Plus avant dans les terres que Léontium.) [*](* Contre les Syracusains.)
VI. Cléon, parti de Toroné, s’était dirigé, en côtoyant, vers Amphipolis. D’Éion il alla attaquer Stagyre, colonie d’Andros, sans pouvoir s’en rendre maître; mais il prit de vive force Galepsos, colonie de Thasos. Il envoya des ambassadeurs mander Perdiccas avec son armée, suivant les stipulations du traité[*](V. livre iv, ch, 132.); d’autres allèrent en Thrace presser Pollès, roi des Odomantes, d'amener le plus qu’il pourrait de Thraces mercenaires; quant à lui, il se tint en repos à Eion. Brasidas, informé de ces faits, vint de son côté s’établir en face des Athéniens, à Cerdylion, place des Argiliens, sur une hauteur, au delà du fleuve et à peu de distance d’Amphipolis. De là on découvrait tous les environs, de sorte que Cléon ne pouvait lui dérober ses mouvements, s’il quittait sa position et portait son armée en avant; car Brasidas prévoyait que Cléon, plein de mépris pour un ennemi si peu nombreux, marcherait sur Amphipolis avec les seules forces qu’il eût actuellement sous la main. En même temps il réunit quinze cents Thraces mercenaires, et manda tous les Édoniens, tant peltastes que cavaliers; il avait en outre mille peltastes de Myrcinie et de Chalcidique, sans compter [*](1 V. livre iv, ch, 132.)
VII. Cléon, après s’être tenu d’abord en repos, fut ensuite forcé de faire ce qu’attendait Brasidas; ses soldats s’ennuyaient de leur inaction; ils dissertaient entre eux de son incapacité pour le commandement, de tant d’ignorance et de lâcheté qui allaient être opposées à tant de science et de courage, de la répugnance avec laquelle ils l’avaient suivi. Cléon, instruit de ces rumeurs, et ne voulant pas les lasser en les retenant trop longtemps dans le même lieu, leva le camp et se porta en avant. Il agit comme à Pylos, où le succès lui avait persuadé qu’il avait quelque capacité; il comptait, du reste, que personne ne sortirait pour l’attaquer, et ne gagnait la hauteur, disait-il, que pour mieux découvrir la place; s’il attendait du renfort, ce n’était pas pour s’assurer la supériorité, dans le cas où il lui faudrait combattre, mais pour entourer la ville et l’emporter de vive force. Il s’avança donc, et fit camper son armée sur une colline, dans une forte position, en face d’Amphipolis. De là il contemplait le lac formé par le Strymon et l’assiette de la ville du côté de la Thrace; il croyait pouvoir, à volonté, se retirer sans combat : car personne ne se montrait sur les remparts, personne ne sortait des portes, qui toutes restaient fermées. Il se reprochait même, comme une faute, de n’avoir pas amené des machines, se disant que, dans l’état d’abandon où se trouvait la ville, il l’eût emportée.
VIII. Brasidas, dès qu’il vit le mouvement des Athéniens, quitta de son côté Cerdylion et descendit dans Amphipolis. Il ne voulut ni sortir ni se mettre en ligne contre les Athéniens; car il se défiait de ses propres forces et se croyait inférieur, non par le nombre (il y avait à peu près égalité), mais par la qualité des troupes, l’armée ennemie étant composée exclusivement d’Athéniens et des meilleurs soldats de Lemnos et d’Imbros[*](C’étaient deux colonies athéniennes. Les soldats de Brasidas étaient, pour la plupart, des Hilotes et des mercenaires. V. liv. iv, ch. 80.). Il se disposa donc à attaquer par surprise; car s’il eût à l’avance montré aux ennemis la force réelle et le misérable équipement de son armée, il se croyait moins assuré de vaincre qu’en la dérobant à la vue, pour éviter le mépris que ne manquerait pas d’inspirer son état. Il prit avec lui cent cinquante hoplites choisis, et laissa le reste à Cléaridas : son dessein était de brusquer l’attaque avant le départ des Athéniens, n’espérant pas, s’ils venaient à être secourus, retrouver jamais l’occasion de les combattre ainsi réduits à leurs propres forces. Ayant rassemblé tous ses soldats pour les encourager et leur faire connaître son dessein, il leur parla ainsi :
IX. « Braves Péloponnésiens, songez de quel pays nous venons; songez que notre patrie est toujours restée libre par le courage, et que, Doriens, vous allez combattre des Ioniens, dont vous avez coutume de triompher; il me suffit de vous rappeler tout cela en peu de mots. Ce que je veux, en ce moment, c’est vous faire connaître mon plan d’attaque[*](Ce discours est un de ceux qui pèchent le plus contre la vraisemblance. Il n’est pas probable que, même chez les Grecs, et au milieu d’une armée peu nombreuse, un général ait ainsi exposé son plan et ses desseins.), de peur que le petit [*](1 C’étaient deux colonies athéniennes. Les soldats de Brasidas étaient, pour la plupart, des Hilotes et des mercenaires. V. liv. iv, ch. 80.) [*](* Ce discours est un de ceux qui pèchent le plus contre la vraisemblance. Il n’est pas probable que, même chez les Grecs, et au milieu d’une armée peu nombreuse, un général ait ainsi exposé son plan et ses desseins.)
X. Brasidas, après ces paroles, fit ses dispositions pour la sortie; il plaça le reste des troupes avec Gléaridas à la porte de Thrace[*](A l’ouest d’Amphipolis.) pour sortir à leur tour, au moment convenu. De l’autre côté, cependant, on avait aperçu Brasidas descendre de Cerdylion; dans la ville même, où la vue plongeait du dehors, on l’avait vu sacrifier auprès du temple de Minerve et faire tous ses préparatifs. On annonça à Cléon, qui s’était écarté pour voir le pays, qu’on découvrait dans la ville toute l’armée ennemie, et que sous les portes apparaissaient un grand nombre de pieds de chevaux et d’hommes, comme si une sortie se préparait. Sur cet avis il s’approcha; mais lorsqu’il eut vu par lui-même, décidé à ne pas venir aux mains avant l’arrivée de ses auxiliaires, espérant d’ailleurs pouvoir prévenir l’ennemi, il fit donner le signal de la retraite. En même temps il or- [*](* A l’ouest d’Amphipolis.)
Ceux qui avaient enlevé Brasidas de la mêlée, pour le mettre en sûreté, le transportèrent à la ville, respirant encore. Il connut la victoire des siens, et mourut peu d’instants après. Le reste de l’armée, au retour de la poursuite avec Cléaridas, dépouilla les morts et éleva un trophée.
XI Tous les alliés suivirent, en armes, le convoi de Brasidas; on l’ensevelit aux frais du public, dans l’intérieur de la ville, devant la place actuelle[*](On lui éleva aussi à Sparte un cénotaphe. 11 n’était pas permis chez les Grecs d’ensevelir dans l’intérieur des villes; c’était un insigne honneur qui n’était que rarement accordé. Il en était de même à Rome; une des lois des Douze Tables défendait d’ensevelir dans la ville, et il n’y fut que rarement dérogé.). Les Amphipolitains entourèrent ensuite son tombeau d’une enceinte[*](C’était un usage universel chez les anciens; les tombeaux étaient entourés d’une balustrade de bois, de pierre ou de marbre.); ils lui immolèrent des victimes, comme à un héros, et établirent en son honneur des combats et [*](1 On lui éleva aussi à Sparte un cénotaphe. 11 n’était pas permis chez les Grecs d’ensevelir dans l’intérieur des villes; c’était un insigne honneur qui n’était que rarement accordé. Il en était de même à Rome; une des lois des Douze Tables défendait d’ensevelir dans la ville, et il n’y fut que rarement dérogé.) [*](2 C’était un usage universel chez les anciens; les tombeaux étaient entourés d’une balustrade de bois, de pierre ou de marbre.)
XII. Vers la même époque, à la fin de l’été, les Lacédémoniens Rhamphias, Autocharidas et Épicydidas dirigèrent un secours de neuf cents hoplites vers les places fortes de l’Épithrace. Arrivés à Héraclce de Trachinie, ils opérèrent quelques réformes qui leur parurent nécessaires : ils y étaient encore quand eut lieu le combat d’Amphipolis. L’été finit.
XIII. Dès le commencement de l’hiver suivant, Rhamphias elles siens s’avancèrent jusqu’à Piérion en Thessalie; mais l’opposition des Thessaliens et la mort de Brasidas, à qui ils conduisaient ce secours, les décidèrent à rentrer chez eux. Ils jugèrent qu’il n’y [*](1 Chaque colonie célébrait ainsi des fêtes en l’honneur de son fondateur; c’était un moyen de maintenir plus étroitement les liens qui l’unissaient à la métropole.)
XIV. A partir du combat d’Amphipolis et du départ de Rhamphias de la Thessalie, il y eut des deux côtés cessation de toute hostilité, et les pensées inclinèrent plus fortement vers la paix. Les Athéniens, maltraités à Délium et peu après à Amphipolis, n’avaient plus cette ferme confiance dans leurs forces qui leur avait fait précédemment repousser tout accommodement, lorsque leur fortune présente semblait leur promettre une supériorité plus grande encore. Ils craignaient aussi que leurs alliés, enhardis par ces revers, ne fussent plus disposés à la défection, et ils regrettaient de n’avoir pas traité après l’aifaire de Pylos, quand ils pouvaient le faire avec avantage. Les Lacédémoniens, de leur côté, avaient vu la guerre prendre une tournure contraire à l’espoir qu’ils avaient conçu d’abattre, en quelques années, la puissance des Athéniens par le ravage de leur territoire : ils avaient éprouvé à Sphactérie un désastre tel que Sparte n’en avait encore jamais essuyé; Pylos, Cythère portaient le pillage dans leurs campagnes; les Hilotes désertaient; on était toujours dans l’appréhension que ceux de l’intérieur, comptant sur les fugitifs, ne profitassent des circonstances pour se soulever[*](Comme précédemment à Ithome. Voyez livre i, ch. 101 et 102*) comme autrefois. A cela se joignait l’expiration prochaine de la trêve [*](1 Comme précédemment à Ithome. Voyez livre i, ch. 101 et 102*)