History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

X. « Et d’abord nous mettrons en avant la justice et la vertu, comme il convient quand on réclame une alliance : car nous savons qu’il ne peut y avoir ni amitié solide entre particuliers, ni communauté d’intérêts entre États, si ces relations ne sont fondées sur la

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croyance réciproque à la vertu de l’autre partie, et sur la conformité des moeurs. C’est la divergence des sentiments qui produit la diversité dans les actes.

« Notre alliance avec les Athéniens date du jour où vous vous êtes retirés de la guerre médique[*](Voyez Hérod. (ix, 106, 114).), tandis qu’eux sont restés pour la soutenir jusqu’au bout. Toutefois, ce n’est point en leur qualité d’Athéniens, et pour l’asservissement de la Grèce, que nous avons contracté avec eux ; c’est aux Grecs que nous nous sommes alliés, pour affranchir la Grèce du joug des Mèdes. Tant que, dans l’exercice du commandement, ils ont respecté l’égalité, nous les avons suivis avec zèle ; mais quand nous les avons vus faire trève à leur haine contre les Mèdes, et marcher à l’asservissement de leurs alliés, nous avons commencé à craindre.

« Les alliés, dans l’impossibilité de se réunir pour la défense commune, faute d'unité dans les vues, subirent le joug, à l’exception de nous et des habitants de Chio. Pour nous, qui n’avions plus dès lors qu’une liberté et une indépendance nominales, nous avons pris part à leurs expéditions. Mais, instruits par le passé, nous ne voyions plus en eux des chefs sur lesquels nous pussions compter ; car il n’était pas vraisemblable qu’après avoir réduit en servitude ceux qu’ils avaient admis avec nous dans leur alliance , ils ne fissent point éprouver le même sort aux autres, s’ils en avaient un jour le pouvoir.

XI. « Si nous étions demeurés tous indépendants, nous aurions eu plus de garanties contre leurs entreprises ambitieuses ; mais, du moment où ils tenaient

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la plupart des alliés sous leur main et n’avaient con- servé qu'avec nous des rapports d’égalité, il était naturel, surtout en présence de la soumission générale, qu'ils supportassent plus impatiemment cette égalité que seuls nous avions gardée ; d’autant mieux qu’ils se surpassaient eux-mêmes en puissance, tandis que nous devenions plus isolés que jamais. Une crainte égale et réciproque est la seule garantie d’une alliance[*](Germania a Sarmatis Dacisque mutuo metu — separatur, (Tac. Germ. i. ) ; car celui qui serait tentéd’y commettre quelque infraction, en est détourné par la considération qu’il ne peut attaquer avec des forces supérieures. Si nous sommes restés indépendants, la seule raison en est qu’ils ont cru devoir s’emparer de l’empire et de la direction des affaires bien moins par la force que sous des prétextes spécieux, et par l’intrigue. D’ailleurs, ils nous citaient en exemple, et alléguaient que des peuples indépendants n’auraient pas volontairement pris part à leurs expéditions si ceux qu’ils attaquaient n'eussent été coupables. En même temps c’étaient les plus forts qu’ils entraînaient tout d’abord contre les plus faibles, les réservant euxmêmes pour les derniers, bien assurés de trouver chez eux moins de résistance quand ils auraient autour d’eux soumis tout le reste. S'ils avaient, au contraire, commencé par nous, quand tous les autres peuples avaient encore et leurs propres forces et un point d’appui, il n’eût pas été aussi facile de nous asservir. Notre marine aussi les inquiétait : ils craignaient qu'un jour elle ne se réunît tout entière soit à vous, soit à quelque autre peuple, et ne devînt pour eux un sérieux danger.
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Enfin, nous ne nous maintenions que par nos soins obséquieux envers la multitude et les chefs qui se succédaient. Et cependant, instruits par les exemples d’autrui, nous sentions bien que nous ne pouvions tenir longtemps, si la guerre présente ne fût survenue.

XII. « Qu’était-ce donc, en effet, que notre amitié ? quelles garanties de liberté avions-nous, quand notre commerce mutuel n’avait rien de sincère ? Ils nous flattaient par crainte en temps de guerre ; nous agissions de même envers eux en temps de paix ; et, tandis que chez les autres hommes la confiance naît surtout de la bienveillance réciproque, chez nous elle ne s’appuyait que sur la terreur. C’était la crainte, bien plus que l’amitié, qui servait de base à notre alliance : ceux à qui la certitude du succès donnerait le plus tôt de l’audace devaient aussi être les premiers à la rompre. Si donc on nous trouve coupables pour avoir pris les devants dans notre défection ; si on allègue qu’ils ont différé à nous attaquer, et que nous eussions dû attendre, de notre côté, la preuve évidente du péril que nous redou- tions, on apprécie mal les choses ; car si nous avions eu, comme eux, le pouvoir de former des desseins hostiles et d’en remettre à notre gré l’exécution, qu’aurions-nous eu besoin de leur obéir, étant leurs égaux ? Mais, comme il est toujours en leur pouvoir de nous attaquer, nous devons aussi avoir un droit égal de pourvoir à notre défense.