History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXXXIII. La flotte des Corinthiens et des autres alliés, qui devait sortir du golfe de Crisa, pour agir de concert avec Cnémus et empêcher les Acarnanes de la côte de prêter secours à ceux de l’intérieur, ne put se rendre à sa destination. Elle fut forcée, dans le temps même où l’on se battait à Stratos, d’accepter le combat contre Phormion et les vingt vaisseaux athéniens en observation à Naupacte. Pendant qu'ils ra- saient la côte pour sortir du golfe, Phormion suivait leurs mouvements, décidé à les attaquer dans une mer libre. Les Corinthiens et les alliés naviguaient vers l’Acarnanie ; leurs dispositions à bord étaient moins pour un combat naval que pour une guerre continentale ; car ils ne supposaient pas que les vingt vaisseaux athéniens eussent l’audace d'attaquer les leurs, au nombre de quarante-sept. Cependant ils voyaient les Athéniens longer parallèlement la côte opposée, pendant qu’eux-mêmes naviguaient près de terre : au moment où, de Patras[*](Les Lacédémoniens avaient suivi la côte d’Achaïe, afin d’éviter la flotte athénienne stationnée à Naupacte, de l’autre côté du golfe. C’était sans doute pour le même motif qu’au lieu de traverser le golfe dans sa partie la plus étroite, au promontoire de Rhium, ils s’étaient portés plus à l’ouest, jusqu’à Patras.) en Achaïe, ils traversaient le détroit pour gagner l’autre côté et se rendre en Acarnanie, ils virent les Athéniens faire voile vers eux, de Chalcis[*](A l’embouchure de l’Événus, en Étolie.)

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et du fleuve Événus. Ils mouillèrent la nuit, mais sans pouvoir se dérober, et se trouvèrent ainsi forcés d’accepter le combat au milieu du détroit. Chaque ville avait ses commandants, qui firent les dispositions du combat : ceux des Corinthiens étaient Machaon, Isocrate et Agatharchidas. Les Péloponnésiens rangèrent leurs vaisseaux en cercle, les proues en dehors, les poupes en dedans, et étendirent leur ligne autant qu’ils le pouvaient, sans s'exposer à ce que l'ennemi la rompit et pénétrât dans l'intérieur. Les batiments légers qui navi- guaient de conserve occupaient le centre. Cinq vaisseaux, des meilleurs manoeuvriers, s'y trouvaient également, et n’avaient ainsi que peu d'espace à parcourir pour se porter sur les points où l’ennemi attaquerait.

LXXXIV. Les vaisseaux athéniens, rangés sur une seule ligne, couraient autour du cercle, qu’ils resserraient toujours davantage ; ils rasaient les bâtiments ennemis, et semblaient à chaque instant sur le point d’attaquer. Mais Phormion avait défendu d'en venir aux mains avant qu'il eût lui-même donné le signal : il prévoyait que la flotte ennemie ne garderait pas son ordre de bataille comme une armée de terre ; que les vaisseaux seraient poussés les uns contre les autres, et que les petits bâtiments causeraient du désordre. D’ailleurs, si le vent, qui d’ordinaire soufflait du golfe vers l’aurore, venait à s’élever, les ennemis n'auraient plus un instant de repos ; c'était dans cette attente qu’il manoeuvrait autour d’eux, persuadé qu’il serait libre d’attaquer quand il le voudrait, grâce à la marche supérieure de ses vaisseaux, et que nul moment n’était plus favorable que celui-là. Bientôt, en effet, le vent s'éleva de terre ; déjà la flot te péloponnésienne se

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trouvait resserrée dans un espace étroit, tourmentée par le vent et embarrassée en même temps par les petits bâtiments : les vaisseaux se heurtaient·, on se repoussait avec des crocs, on criait, on s’évitait mutuellement, on se disait des injures. Ni les ordres des commandants, ni la voix des chefs de rame n’étaient plus entendus ; les rameurs, sans expérience, ne pouvaient tenir contre les efforts de la mer agitée ; les navires n’obéissaient plus aux pilotes.

Phormion profite de ce moment et donne le signal ; les Athéniens attaquent, et tout d’abord ils coulent un des navires montés par les généraux[*](Il semble résulter de là qu’il y avait un vaisseau amiral, comme nous dirions aujourd’hui, pour chaque contingent.) ; partout où ils se portent ensuite ils brisent les vaisseaux et jettent un tel trouble que personne n’ose leur opposer aucune résistance ; tout fuit vers Patras et Dymé en Achaïe[*](A l’ouest de Patras.). Les Athéniens poursuivent l’ennemi de près, prennent douze vaisseaux, transbordent la plupart de ceux qui les montent, et font voile pour Molycrium ; là ils élèvent un tropnée sur le promontoire Rhium[*](Rhium de Locride, appelé plus communément Antirrhium, en face de Rhium d’Achaïe. Molycrium était au pied de ce promontoire.), consa- crent un vaisseau à Neptune, et retournent ensuite à Naupacte.

Les Péloponnésiens, de leur côté, s’empressèrent de quitter Patras et Dymé avec le reste de leurs vaisseaux, pour se rendre, en suivant la côte, à Cyllène, arsenal maritime des Éléens. De Leucade, Cnémus vint également à Cyllène après la bataille de Stratos,

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amenant les vaisseaux qui devaient venir de là joindre la flotte du Péloponnèse.

LXXXV. Les Lacédémoniens envoyèrent sur la flotte auprès de Cnémus, Timocrate, Brasidas et Lycophron, en qualité de conseillers ; ils donnèrent l’ordre de se mieux préparer à un autre combat naval, et de ne pas se laisser fermer la mer par un petit nombre de vaisseaux. Car, comme c’était la première fois qu’ils se fussent essayés sur mer[*](Ils avaient possédé une marine à l’époque de la guerre médique ; mais, depuis lors, ils l’avaient négligée à tel point que Thucydide a pu dire avec raison que c’était la première fois qu’ils s’essayaient sur mer.), l’événement leur semblait inexplicable ; ils ne pouvaient croire à une telle infériorité de leur marine, et accusaient plutôt la mollesse des combattants, sans songer à mettre en parallèle la longue expérience des Athéniens avec le peu de pratique qu’ils avaient eux-mêmes. L'envoi de ces conseillers était donc un acte de colère. Ceux-ci, à leur arrivée, demandèrent, conjointement avec Cnémus, des vaisseaux, aux différentes villes, et firent disposer pour le combat ceux qu’on avait déjà.

Phormion, de son côté, envoya à Athènes annoncer les préparatifs des Lacédémoniens et la victoire navale qu’il venait de remporter. Il demandait qu’on lui envoyât en toute hâte le plus de vaisseaux possible, parce qu’on s’attendait chaque jour à un nouvel engagement. On lui expédia vingt vaisseaux, avec ordre à celui qui les conduisait de passer d’abord en Crète. Un Crétois, Nicias de Gortyne, proxène des Athéniens, les avait décidés à faire voile pour Cydonie, ville ennemie d'Athènes, en promettant de la leur soumettre : son but

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était de complaire aux habitants de Polychna, voisins de Cydonie. Ils passèrent en Crète avec leurs vaisseaux, et ravagèrent le territoire de Polychna, de concent avec les Cydoniens ; les vents contraires et l’impossibilité de tenir la mer les y retinrent fort longtemps.