History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

IX. Agamemnon était, je crois, le plus puissant des Grecs de son temps ; et c’est là ce qui lui permit, bien plus que le consentement des amants d’Hélène, liés par le serment fait à Tyndare[*](La beauté d’Hélène avait attiré de nombreux prétendants. Son père Tyndare, craignant les attaques de ceux à qui il la refuserait, les fit tous engager par serment à défendre contre toute violence celui qu’il aurait choisi pour gendre.), de réunir et de commander l’expédition. Ceux qui ont recueilli les traditions les plus exactes sur l’histoire du Péloponnèse rapportent que Pélops, parti d’Asie avec d’immenses richesses, s’éta- blit au milieu d’hommes pauvres, exerça autour de lui un grand ascendant, et donna, quoique étranger, son nom au pays[*](Il s’appelait précédemment Apia.). La puissance de ses descendants ne fit que s’acroître : Eurystée, neveu d’Atrée par sa mère, fut tué en Attique par les Héraclides. En partant pour cette expédition il avait confié le commandement de Mycènes et toute son autorité à Atrée, son parent, réfugié auprès de lui pour échapper aux violences de son propre père qui avait déjà tué Chrysippe. Eurystée n’étant pas revenu, Atrée, dont la puissance

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paraissait une garantie aux Mycéniens contre les tenta- tives des Héraclidcs, obtint les suffrages du peuple qu’il avait flatté, et se fit conférer la royauté de Mycènes et de toutes les contrées auparavant soumises à Eurystée. La puissance des Pélopides se trouva ainsi supérieure à celle des despendants de Persée. Agamemnon, héritier de cette puissance, et fort en même temps, je crois, de la supériorité de sa marine, parvint, moins par amour que par crainte, à rassembler l’expédition qu’il commanda. On sait d’ailleurs que c’est lui qui amena le plus grand nombre de vaisseaux, puisqu’il en fournit même aux Arcadiens ; c’est du moins ce que rapporte Homère, si toutefois son témoignage est valable. Homère dit aussi, à propos de la trans- mission du sceptre[*](Iliade, v. 108.), qu’il régnait sur un grand nombre d’iles et sur tout le pays d’Argos. Habitant le continent, il n’aurait pu, sans une marine, régner sur un grand nombre d’iles, à moins qu’on n’entende par là les îles voisines de la terre ferme, et elles n’étaient pas en grand nombre. C’est d’après cette expédition que nous devons juger celles qui ont précédé.

X. Si Mycènes était peu étendue, si telle ville d’alors paraît peu considérable aujourd’hui, on ne saurait cependant trouver là un indice sûr pour révoquer en doute l’importance que la tradition, d’accord avec les récits des poëtes, attribue à cette expédition. Car si Lacédémone était détruite et qu’il ne restât de visibles que les temples et l’emplacement des monuments publics[*](Il ne peut être question ici des maisons particulières ; car Lacédémone étant formée d’une agglomération de bourgades occupait une assez grande étendue, et eût paru très considérable, à en juger par la surface habitée.), la postérité, dans un avenir éloigné, aurait

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bien de la peine à croire, je suppose, que sa puissance ait répondu à sa renommée : et cependant elle possède deux des cinq parties du Péloponnèse[*](Ces cinq parties étaient la Laconie, l’Arcadie, l’Argolide, la Messénie, l’Élide. Les Lacédémoniens possédaient en propre la Laoonie et la Messénie.), elle commande aux trois autres et à un grand nombre d’alliés du dehors. Mais, ne formant pas un ensemble continu , n’ayant ni temples, ni monuments somptueux, com- posée d’une agglomération de bourgades éparses, suivant l’antique usage de la Grèce, elle paraîtrait inférieure de beaucoup à ce qu’elle est. Athènes détruite, au contraire, on jugerait au simple aspect de la ville que la puissance athénienne était double de ce qu’elle est en effet. Le doute ici ne serait donc pas fondé, et c’est moins l’apparence des villes qu’il faut considérer que leur puissance réelle.

On doit admettre que cette expédition, plus considérable de beaucoup que celles qui ont précédé, le cède à celles d’aujourd’hui. Même en ajoutant foi aux récits d’Homère, qui, en sa qualité de poëte, a dû orner et amplifier, cette infériorité sera encore évidente. Il compte, en tout, douze cents vaisseaux, montés, ceux des Béotiens, par cent vingt hommes, et ceux de Philoctète par cinquante, indiquant par là, ce me semble, les plus grands et les plus petits ; car il n’a pas parlé de la dimension des autres dans l’énumération. D’un autre côté il indique clairement, à propos des vaisseaux de Philoctète, que ceux qui les mon- taient étaient tout à la fois rameurs et combattants,

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puisqu’il fait des archers de ceux qui manient la rame. Il n’est pas probable d’ailleurs qu’il y eût sur les vaisseaux beaucoup d’hommes étrangers à la manoeuvre, si l’on excepte les rois et les hauts dignitaires, surtout lorsque la traversée devait se faire avec tous les équipages de guerre, sur des vaisseaux non pontés, construits suivant l’ancien usage et peu différents de ceux des pirates. Si donc on prend une moyenne entre les plus grands bâtiments et les plus petits, on reconnaîtra aisément que l’armée expéditionnaire était peu nombreuse pour une entreprise à laquelle avait concouru la Grèce entière.