History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

III. Une preuve non moins convaincante pour moi de la faiblesse des anciens, c’est qu’avant la guerre de Troie on ne voit pas que les Grecs aient jamais rien entrepris en commun. Je crois même que le pays n’était pas alors, comme aujourd’hui, compris tout entier sous le nom commun d’Hellade, ou plutôt qu’avant Hellen, fils de Deucalion, cette dénomination était tout à fait inconnue. Jusque-là chaque peuplade, et tout particulièrement la race pélasgique, avait son nom propre. Lorsque Hellen et ses fils eurent assis leur puissance

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dans la Phthiotide[*](La Phthiotide formait, à l’époque de la guerre de Troie, un petit état indépendant, au sud de la Thessalie. Les habitants de Pharsale montraient, à peu de distance de leurs murs, les ruines d’une ville qu’ils prétendaient être l’antique Hellen, berceau de la puissance hellénique. V. Strab., liv. ix.) et obtenu accès dans les autres villes, à titre d’auxiliaires, les relations habituelles firent prévaloir peu à peu le nom d’Hellènes. Cependant il se passa longtemps encore avant qu’il fùt universellement adopté. On en trouve surtout la preuve dans Homère : quoique postérieur de beaucoup à la guerre de Troie[*](Les critiques s’accordent assez généralement à mettre un intervalle de deux siècles entre la prise de Troie et l’époque où florissait Homère (907 av. notre ère, d’après les marbres de Paros, ou, suivant l’opinion la plus accréditée, environ 1000 av. J.-C.)) il ne désigne pas l’ensemble des peuples grecs sous le nom commun d’Hellènes, et réserve exclusivement cette appellation aux peuples de la Phthiotide, compagnons d’Achille, qui étaient en effet les véritables Hellènes ; il nomme et distingue, dans ses poëmes, les Danaëns, les Argiens, les Achéens, et n’emploie pas non plus l’expression de barbares ; par la raison, ce me semble, que les Grecs, de leur côté, n’étaient pas désignés sous un nom unique qu’on pût opposer à celui de barbares. Ainsi le nom d’Hellènes fut d’abord particulier à une peuplade ; il s’étendit à plusieurs cités par suite des relations réciproques ; plus tard il devint commun à tous les Grecs ; mais, avant la guerre de Troie, ces peuples, faibles et isolés, n’entreprirent rien d’un commun accord ; et même, s’ils purent se réunir pour cette expédition, c’est que déjà ils avaient acquis une plus grande habitude de la mer.

IV. Mmos est le premier, d’après la tradition, qui

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ait possédé une marine[*](Hérodote, liv. iii, émet la même opinion, presque dans les mêmes termes. Du reste nous ne savons rien de précis sur l’époque où vivait Minos. On place ordinairement son règne entre le quinzième siècle et le dix-septième.). Sa domination s’étendit sur presque toute la mer appelée maintenant hellénique : maître des Cyclades, il peupla la plupart d’entre elles, après en avoir chassé les Cariens[*](Hérodote dit seulement (liv. i) que les Cariens, soumis par Minos, servirent sur ses vaisseaux, et que ce n’est qu’à une époque beaucoup plus récente qu’ils furent chassés par les Doriens et les loniens.), et les plaça sous le commandement de ses fils. Il est vraisemblable aussi qu’il purgea, autant qu’il le put, la mer des pirates, afin de mieux assurer la rentrée des tributs.