History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

A Athènes on eut bientôt la nouvelle de la défection de Chios. Dès lors les Athéniens jugèrent le péril aussi grave que manifeste, et ne doutèrent pas que les autres alliés ne fussent disposés aussi à se soulever après la révolte d’une ville si considérable. Dans le premier moment d’effroi, ils levèrent les peines portées contre quiconque ferait ou mettrait aux voix la proposition de toucher aux mille talents qu’ils tenaient à garder en réserve durant toute la guerre [*](Voyez liv. II, ch. xxiv. ). Ils décidèrent d’en disposer pour l’armement d une flotte nombreuse. Huit vaisseaux qui, sous le commandement de Strombichidès fils de Diotimos, avaient été détachés de l’escadre de Piréos à la poursuite de la flotte de Chalcidéus et qui étaient revenus sans l’avoir atteinte, eurent ordre de se rendre immédiatement à Chios. Ils furent bientôt suivis par douze autres, commandés par Thrasyclès et pareillement détachés de la croisière. On rappela les sept vaisseaux chiotes qui participaient au blocus de Piréos ; les esclaves qui les montaient furent affranchis, et les hommes libres mis aux fers. En remplacement de tous les vaisseaux distraits du blocus, on se hâta d’en équiper d’aiitres et de les faire partir. On songeait même à en armer trente nouveaux. L’ardeur était extrême, et Ton ne prenait contre Chios que des mesures énergiques.

Sur ces entrefaites, Strombichidès arriva à Samos avec ses huit vaisseaux. Il s’adjoignit un bâtiment samien et se

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rendit à Téos, dont il engagea les habitants à demeurer tranquilles. Chalcidéus de son côté avait fait voile de Chios pour Téos avec vingt-trois vaisseaux, soutenus par l’armée de terre des Clazoméniens et des Ërythréens, qui suivait le rivage. Strombichidès, averti à temps, leva l’ancre et gagna le large ; mais, à la vue de la flotte nombreuse qui venait de Chios , il s’enfuit vers Samos. Les ennemis le poursuivirent. Les Téiens avaient d’abord refusé de recevoir l’armée de terre ; mais, lorsqu’ils virent les Athéniens en fuite , ils lui ouvrirent leurs portes. L’armée de terre attendit d’abord sans faire aucun mouvement que Chalcidéus fût revenu de sa poursuite ; comme il tardait, les Téiens renversèrent le mur que les Athéniens avaient élevé du côté qui regarde le continent. Ils furent aidés dans cette opération par un certain nombre de Barbares qu’avait amenés Stagès, lieutenant de Tissapherne.

Chalcidéus et Alcibiade, après avoir poursuivi Strombichidès jusqu’à Samos, armèrent les équipages de la flotte péloponésienne et les laissèrent à Chios. Ils les remplacèrent par des matelots de cette île, équipèrent vingt autres vaisseaux, et cinglèrent vers Milet pour l’insurger. Alcibiade voulait profiter de ses liaisons avec les principaux habitants de cette ville pour la gagner avant l’arrivée de la flotte péloponésienne. Il ambitionnait cet honneur pour Chios, pour lui-même ; pour Chalcidéus, enfin pour Endios qui l’avait envoyé et auquel il avait promis de soulever le plus de villes possible avec les seules forces de Chios et de Chalcidéus. Ils firent secrètement la plus grande partie de leur traversée , devancèrent de peu la poursuite de Strombichidès et de Thrasyclès, qui arrivait d’Athènes avec un renfort de douze vaisseaux, et firent révolter Milet. Les Athéniens les suivaient de près avec dix-neuf voiles; mais n’ayant pas été reçus par les Milésiens, ils allèrent stationner dans une île adjacente nommée Ladé.

Aussitôt après le soulèvement de Milet, la première alliance des Lacédémoniens avec le roi fut conclue, par l’entremise de Tissapherne et de Chalcidéus, dans les termes suivants :

« Les Lacédémoniens et leurs alliés font alliance avec le roi et Tissapherne aux conditions indiquées ci-après :

« Tout le pays et toutes les villes que possède le roi ou que possédaient ses ancêtres appartiendront au roi.

« En ce qui concerne les revenus, soit en argent, soit de toute autre nature, que les Athéniens retiraient de ces villes,

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le roi, les Lacédémoniens et leurs alliés empêcheront les Athéniens de les percevoir.

« Le roi, les Lacédémoniens et leurs alliés uniront leurs forces pour soutenir la guerre contre les Athéniens, et ne feront la paix avec eux que d’un commun accord.

« Quiconque se révoltera contre le roi sera tenu pour ennemi des Lacédémoniens et de leurs alliés. Pareillement, quiconque se révoltera contre les Lacédémoniens et leurs alliés sera tenu pour ennemi du roi. »

Telles furent les bases de cette alliance. Aussitôt après sa conclusion, les Ghiotes armèrent dix nouveaux bâtiments et firent voile pour Anéa [*](Voyez liv. III, ch. xix, note 3. ), dans le double but de s’informer de ce qui se passait à Milet et d’exciter les villes à la révolte. Mais Chalcidéus les ayant rappelés sous prétexte qu’Amorgès[*](Voyez ch. v et xxvm. Il devait tenir pour les Athéniens, puisque Tissapherne avait appelé les Lacédémoniens dans le but de le détruire. ) approchait par terre avec une armée, ils cinglèrent vers Dios-Hiéron[*](Place d’Ionie, située entre Lébédos et Colophon. Elle tirait son nom d’un temple de Jupiter, construit dans le vôisinage, de même qu’une autre ville du Bosphore, également appelée Dios-Hiéron. S’il s’agissait ici du temple et non pas de la ville, l’article ne serait pas omis. ). Là ils aperçurent seize vaisseaux que Diomédon amenait d’Athènes, d’où il était parti après ThrasycJès; à Jeor aspect, ils prirent la fuite, l’un des bâtiments vers Éphèse, les autres vers Téos. Les Athéniens se saisirent de quatre vaisseaux abandonnés de leurs équipages; le reste gagna Téos. Après cette rencontre, les Athéniens se retirèrent à Samos; les Chiotes, avec le surplus de leur flotte et leur armée de terre, allèrent insurger Lébédos et ensuite Ëræ ; après qdoi, les troupes et la flotte rentrèrent dans leurs foyers.

Vers la même époque, les vingt vaisseaux péloponé-siens qui, après avoir été poursuivis, comme on l'a vu[*](Voyez ch. x. ), étaient bloqués à Piréos par un nombre égal de vaisseaux athéniens, sortirent du port à Fimproviste ; et, après un engagement dans lequel ils eurent l’avantage, s’emparèrent de quatre bâtiments athéniens. Ensuite ils firent voile pour Cenchrées, d'où ils se disposèrent de nouveau à gagner Chios et l’Ionie. On leur envoya de Lacédémone, en qualité de navarque, Astyochos, dès lors investi du commandement général de la flotte[*](En remplacement du navarque Chalcidéus, dont les fonctions n’étaient que temporaires (ch. vi). Astyochos devait prendre le commandement de toutes les forces maritimes des alliés, tandis que son prédécesseur n’avait que celui de la flotte lacédémonienne. ).

Lorsque l’armée de terre fut revenue de Téos, Tissapherne s’y rendit avec des troupes ; il acheva de démolir ce qui restait du mur d'enceinte et s’en retourna [*](Contre la puissance maritime des Athéniens, c’était une garantie que d’assurer la communication de la ville avec le continent. ). Peu après son départ, Diomédon survint à son tour avec dix vaisseaux athéniens, et conclut avec les Téiens un accord en vertu duquel ceux-d devaient le recevoir. De là il rangea la côte jusqu’à Éræ qu’il attaqua, mais sans succès; après quoi il se retira.

Ce fut aussi vers le même temps qu’eut lieu à Samos l’insurrection du peuple contre l'aristocratie. Ce mouvement fat

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appuyé par les Athéniens, qui se trouvaient là avec trois vaisseaux. Le peuple samienfit périr deux cents de ses adversaires, en hannit quatre cents, et se partagea leurs terres et leurs maisons. Les Athéniens, regardant désormais les Samiens comme dignes de confiance, leur octroyèrent le droit de législation[*](Samos avait été privée de l’autonomie à la suite de sa révolte, comprimée par Périclès (liv. I, ch. cxvn). ). Depuis ce moment, les Samiens furent maîtres chez eux; ils ne laissèrent aucun droit aux propriétaires fonciers, et allèrent même jusqu’à interdire au peuple la faculté de s’unir à eux par des mariages.