History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Sur la fin de l’été, les Athéniens qui étaient à Naupacte firent, de concert avec les Acamaniens, une expédition contre Anactorion, ville corinthienne, située à rentrée du golfe Ambracique. Ils la prirent par trahison. Les Corinthiens furent expulsés et la ville repeuplée par des habitants tirés de toute rAcamanie. Sur quoi l’été finit.

L’hiver suivant, Aristidès fils d'Archippos, l’un des commandants de la flotte athénienne chargée de lever le tribut des alliés, arrêta à Ëïon, à l’embouchure du Strymon, le Perse Arta-phemès, qui se rendait à Lacédémone avec mission du roi. Ar-taphernès fut conduit à Athènes, où l’on donna lecture de ses dépêches, après les avoir fait traduire de l’assyrien. Entre autres choses à l’adresse des Lacédémoniens, elles portaient en substance que le roi ne comprenait rien à leurs demandes, parce que tous ceux qui étaient venus de leur part lui avaient tenu un langage différent ; que, s’ils voulaient préciser leurs intentions, ils eussent à lui envoyer des députés avec Artapher-nès. Plus tard, les Athéniens reconduisirent ce dernier à Éphèse sur une trirème, en lui adjoignant des ambassadeurs. Mais ceux-ci, ayant appris en cet endroit la mort d’Artaxerxès fils de Xerxès, (elle eut effectivement lieu à cétte époque [*](Selon Diodore (XII, liv), Artaxerxès mourut sous Parchontat de Stratoclès (olympiade 88, 4), ce qui s’accorde avec l’époque indiquée ici. Il eut pour successeur Xerxès II, qui ne régna que quarante-cinq jours, puis Sogdien pour six mois. Après ce dernier vint Darius II, surnommé Nothus„ qui est cité plusieurs fois dans le VIIIe livre de Thucydide. Voyez liv. VIII, ch. LVin, note 1. )), revinrent à Athènes.

Le même hiver, les Chiotes démolirent leur nouvelle muraille à la réquisition des Athéniens, qui leur prêtaient des projets de révolte. Ils n’obéirent cependant qu’après avoir obtenu l’assurance la plus formelle qu’il ne serait rien innové à leur égard. Là-dessus l’hiver finit, et avec lui la septième année de la guerre que Thucydide a racontée.

L’été suivant ne faisait que de commencer [*](Huitième année de la guerre, 424 av. J.-C.), lorsqu’il y eut une éclipse de soleil à l’époque du renouvellement de la lune [*](Le .21 mars.), ainsi qu’un tremblement de terre dans les premiers jours du mois.

Les bannis de Mytilène et du reste de Lesbos, partis du continent pour la plupart et soutenus par des mercenaires levés dans le Péloponèse ou dans le pays même, s’emparèrent de la ville de Rhétée[*](Ville de Mysie, près du cap du même nom, à l’entrée de l’Hellespont. Voyez liv. VIII, ch. a* ). Ils la frappèrent d’une contribution de deux

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mille stratères phocaïques[*](Le statère de Pbocée était une monnaie d’or, équivalente au darique, c’est-à-dire à vingt drachmes athéniennes, soit dix-huit francs. Vo yez liv. III, ch. lxx, note 5. ) ; après quoi ils la rendirent sans lui faire d’autre mal. Ils marchèrent ensuite sur Antandros, qui leur fut livrée par trahison. Leur plan était de soustraire à la domination athénienne toutes les villes · dites de la côte [*](Les mêmes qui, au livre III, chapitre l, sont dites les villes du continent en face de Lesbos. Les Athéniens s’en étaient emparés après la soumission de Mytilène. ), qui avaient anciennement appartenu aux Mytiléniens, et en particulier Antandros. Cette place offrait de grands avantages pour la construction des vaisseaux par la proximité de l’Ida, qui fournissait des bois en abondance ; elle était d’ailleurs pourvue d’un matériel suffisant. Ils avaient le projet de la fortifier encore, et de s’en faire un point d’appui pour infester Lesbos, située à peu de distance, et pour s’emparer des autres places éoliennes du continent.

Le même été, les Athéniens firent une expédition contre Cythère avec soixante vaisseaux, deux mille hoplites et un petit nombre de cavaliers. Leurs alliés de Milet et de quelques autres villes les accompagnaient. Les généraux étaient Nicias fils de Nicératos, Nicostratos fils de Diotréphès et Autoclès fils de Tol-méos. Cythère est une île adjacente à la Laconie et voisine du cap Malée. Les habitants sont des Lacédémoniens de la classe des Périèques. Chaque année on y envoyait de Sparte un magistrat nommé Cythérodicès[*](Juge de Cythère, sorte de bailli ou de provédi- teur. Sur l’importance de Cythère pour Lacédémone, comparez Hérodote, liv. VU, ch. ccxxxv. La restitution de Cythère fut stipulée en première ligne par les Lacédémoniens dans 1e traité de.paix. Voyez liv. IV, ch. cxvin, et liv. V, ch. xvin. ). Les Lacédémoniens y entretenaient une garnison d’hoplites, et gardaient cette île avec le plus grand soin, parce que son port était fréquenté par les vaisseaux marchands venant d’Égypte et de Libye[*](Cet abord des vaisseaux marchands venant d’Égypte est de neu-veau mentionné au livre VIII, chapitre xxxv. Il paraît avoir surtout consisté en cargaisons de blé, la Grèce ne suffisant pas λ sa consommation. ). De plus elle préservait des déprédations la côte maritime, seul point vulnérable de la Laconie. En effet cette île s’étend dans toute sa longueur vers les mers de Sicile et de Crête.

Les Athéniens ayant pris terre, dix de leurs vaisseaui et deux mille hoplites de Milet[*](Si le nombre indiqué est exact, il faut admettre qu’il y avait sur la flotte autant d’hoplites milésiens que d’hoplites athéniens, et que les troupes de débarquement étaient aussi nombreuses que les équipages, ceux-ci devant monter à deux mille hommes pour dix vaisseaux, à raison de deux cents par trirème. Enfin Poppo remarque avec justesse que les Milésiens n’étaient guère en état de fournir tant d’auxiliaires, eux qui, ayant à défendre leurs foyers (liv. VIII, ch. xxv), ne mettent sur pied que huit cents hoplites. Il est probable qu’il y a dans le texte une erreur de chiffre. ) s’emparèrent de la ville de Scandéa, située au bord de la mer. Le reste de l’armée alla descendre dans la partie de l’ile‘qui fait face au Malée, et marcha contre la ville maritime des Cythériens. On les trouva tous campés hors des murs. Le combat s’engagea bientôt. Les Cythériens tinrent quelque temps ; mais ensuite ils tournèrent le dos et se réfugièrent dans la ville haute[*](Il y avait dans Plie de Cythère deux villes distinctes : celle de Scandéa au S., et celle de Cythère au S. Celle-ci se subdivisait en deux parties : la ville basse ou maritime et la ville haute ou acropolis. ). Plus tard, ils capitulèrent avec Nicias et ses collègues; ils se rendirent à discrétion, sous la seule réserve d’avoir la vie sauve. Déjà précédemment, Nicias avait noué des intelligences avec quelques Cythériens. C’est ce qui facilita dans le moment la transaction et valut aux habitants de meilleures conditions pour la suite ; autrement les Athéniens n’eussent pas manqué d’expulser de Cythère toute la population, qui était lacédémonienne et proche de la Laconie. Là-dessus

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les Athéniens prirent possession de Scan dé a, qui est située près du port. Ils mirent une garnison à Cythère et firent voile pour Asiné, Hélos et les autres places du littoral. Ils y opérèrent des descentes, passèrent la nuit où bon leur sembla, et ravagèrent la campagne pendant sept jours.

Les Lacédémoniens, voyant les Athéniens maîtres de Cythère, et s'attendant à ce qu’ils feraient de nouveaux débarquements dans leur pays, ne leur opposèrent nulle part leurs forces réunies ; ils se contentèrent d’envoyer des détachements d’hoplites sur les points les plus menacés. Ils redoublaient de vigilance ; car tout leur faisait craindre quelque révolution : le désastre aussi terrible qu’imprévu arrivé à Sphactérie; la prise de Pylos et de Cythère ; enfin la vivacité d’une guerre qui multipliait autour d’eux ses coups inopinés. Aussi formèrent-ils, contrairement à leur usage, un corps de quatre cents cavaliers et un autre d’archers [*](Sans doute un corps permanent de troupes mercenaires. La cavalerie de Lacédémone était mauvaise et peu nombreuse (Voyez Xénophon, JfeZL, VI, iv). Elle se composait de six compagnies de cent hommes, attachées à chacune des six divisions (μόραι) de l’armée lacédémonienne, et commandées chacune par un hippar-moste. Le service de cavalier était dédaigné par les Spartiates. Les archers étaient étrangers, ordinairement Crétois. ). Plus que jamais ils étaient las de la guerre. Ils se voyaient engagés dans une lutte maritime qu’ils étaient mal préparés à soutenir, surtout contre des Athéniens, aux yeux desquels l’inaction était une perte véritable. Cette rapide succession de calamités inattendues les avait frappés de stupeur. Sans cesse ils appréhendaient quelque nouvelle catastrophe pareille à celle de Plie. En un mot, ils n’avaient plus la même hardiesse. Ils ne pouvaient faire un pas sans crainte de commettre une faute, tant leur confiance était ébranlée par des revers inaccoutumés.

Pendant que les Athéniens dévastaient les côtes de la Laconie, les Lacédémoniens se tinrent la Plupart du temps en repos. Chaque garnison à proximité de laquelle s'opérait une descente, se croyait trop inférieure en nombre et obéissait aux motifs qui viennent d’être énumérés. Une seule garnison se défendit près de Cotyrta et d’Aphrodisia[*](Bourgades situées près de la ville· de Bœoer entre le-cap Malée et la presqu’île d’Onougnathos. ). Elle fondit sur une troupe légère dispersée dans la campagne, et la mit en déroute ; mais accueillie par les hoplites, elle se retira en perdant quelques hommes. Les Athéniens enlevèrent les armes, érigèrent un trophée et revinrent à Cythère.

De là ils longèrent la côte jusqu’à Épidaure-Liméra, dont ils ravagèrent partiellement le territoire ; puis ils se dirigèrent vers Thyréa, ville située en Cynurie, sur les confins de l’Argolide et de la Laconie. Les Lacédémoniens, à qui cette ville appartenait, l’avaient cédée aux émigrés d’Égine, soit en retour des services qu’ils en avaient reçus lors du tremblement de terre et de l’insurrection des Hilotes [*](Voy. liv. I, ch. ci, note U ). soit aussi parce que les Éginètes,

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qugique sujçts d’Athènes, n’avaient pas laissé de tenir constamment leur parti [*](Voy. liv. I, ch. lxvit, et liv. Π, ch. xxvn. ).

A l’apprôche des Athéniens, les Ëginètes abandonnèrent le fort qu’ils construisaient près du rivage, et se retirèrent dans la ville haute qu’ils habitaient, à dix stades de la mer. Une garnison lacédémonienne du voisinage, qui travaillait avec em à la fortification, refusa, malgré leurs instances, d’entrer dans la ville, où il lui sembla dangereux de s’enfermer. Elle aima mieux se retirer sur la hauteur ; et, ne se jugeant pas en mesure de combattre, elle se tint en repos.

Les Athéniens abordent ; et, s’avançant aussitôt avec toutes leurs forces, ils s’emparent de Thyréa. La ville fut entièrement pillée et livrée aux flammes. Ils repartirent ensuite, emmenant tous les Éginètes qui n’avaient pas péri dans la mêlée, et avec eux le Lacédémonien Tantalos fils de Patroclès, qui commandait la place et qui fut pris blessé. Ils emmenèrent pareillement un certain nombre de Cythériens, qu’ils estimaient prudent de déporter. Le peuple d’Athènes décida que ces derniers seraient déposés dans les îles ; que les autres Cythériens demeureraient dans leur patrie, à condition de payer un tribut de quatre talents; que tous les Éginètes seraient mis à mort, à cause de leur ini-. mitié invétérée ; enfin que Tantalos serait tenu dans les fers avec les autres Lacédémoniens pris à Sphactérie.

Le même été, en Sicile, les habitants de Camarine conclurent d’abord avec ceux de Géla une suspension d’armes. Ensuite des députés de toutes les villes grecques de la Sicile s’assemblèrent à Géla, et ouvrirent des conférences dans le but d’opérer une réconciliation générale. Une foule d’opinions contradictoires furent émises de part et d’autre ; on ne s’entendait point et les prétentions les plus opposées se faisaient jour, selon que chacun se croyait lésé dans ses droits. Le Syracusain Hermocratès fils d’Hermon contribua le plus à rallier les suffrages en prononçant dans l’assemblée le discours suivant :

« Député d’une ville qui n’est point des plus faibles ni des plus éprouvées par la guerre, je prends la parole dans cette assemblée pour énoncer l’avis qui me paraît le plus conforme à l’intérêt bien entendu de la Sicile. a Et d’abord, à quoi sert d’énumérer longuement les maux que la guerre traîne après elle? Us ne nous sont que trop connus. D’ailleurs ce n’est pas par ignorance qu’on l’entreprend, ni par crainte qu’on l’évite, si Ton croit y trouver du profit ; mais les uns considèrent ses avantages comme supérieurs à ses inconvénients

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; les autres aiment mieux courir un danger que de subir une perte immédiate. Il n’y a qu’un cas où les exhortations à la paix aient chance d'être écoutées : c’est lorsqu’il y a malentendu entre les deux partis. Je voudrais vous convaincre que telle est notre position actuelle. Dans le principe, nous avons pris les armes pour soutenir ce que chacun de nous regardait comme son intérêt ; aujourd’hui nous sommes assemblés pour chercher à nous mettre d’accord. Si nous ne pouvons y réussir, la lutte recommencera avec une nouvelle ardeur.

« Et pourtant si nous sommes sages, il s’agira moins encore dans cette assemblée de régler nos intérêts particuliers, que de préserver la Sicile des pièges que lui tendent les Athéniens. Aussi, pour amener un rapprochement entre nous,, je compte bien moins sur mes discours que sur les Athéniens eux-mêmes. Plus puissants qu’aucun peuple de la Grèce, ils épient, avec un petit nombre de vaisseaux, les fautes que nous pourrons commettre ; et, sous le voile d’une alliance légitime, ils exercent au profit de leur ambition leur haine naturelle contre nous. Si nous persistons à nous faire la guerre, si nous appe-• Ions à notre aide ces hommes qui, pour intervenir, n’attendent pas qu’ on les sollicite, si nous nous entre-déchirons comme à plaisir, en un mot, si nous travaillons nous-mêmes à l’extension de leur empire, n’en doutez pas : à pèine nous verrontrils épuisés, qu’ils arriveront en forces pour faire passer tout ce pays sous leur joug.

« C’est en vue d’acquérir ce qu’on n’a pas, et non d’exposer ce qu’on possède, qu’il faudrait, si l’on était sage, appeler des auxiliaires et courir les chances des combats. Ne sait-on pas que rien n’est plus mortel que la désunion pour les États en général, et spécialement pour la Sicile, dont toutes lès villes sont divisées, quoique menacées en commun?

« Convaincus de. ces vérités , réconcilions-nous, États comme particuliers, et réunissons nos efforts pour le salut de la Sicile entière. Ne vous figurez pas que les Athéniens n’en veulent chez nous qu’aux Doriens, et que les Chalcidéens. seront protégés par leur affinité avec la branche ionienne [*](La race ehalcidique, dont faisaient partie plusieurs villes de Sicile, par exempte: Léontini, Maxos, Catane, était uu rameau de la grande famille ionienneT à laquelle appartenaient les Athéniens. ). Ce n’est point par inimitié nationale ni par antipathie de races qu’ils viennent nous attaquer; c’est parce qu’ils convoitent les richesses de la Sicile, notre commun patrimoine. Ils l’ont bien prouvé en dernier lieu, à l’appel de la race chalcidique. Jamais ils n’en avaient reçu le moindre secours en vertu d’un traité ; ce

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sont eux qui ont saisi avec empressement le prétexte d’une alliance.

« Que les Athéniens aient ces vues ambitieuses, je le conçois sans peine. Je ne blâme pas ceux qui aspirent à la domination, mais bien plutôt ceux qui se résignent à la jsubir. Il est dans la nature de l’homme de fouler ce qui lui cède et de se garer de ce qui le menace. Mais, de notre côté, nous serions impardonnables, si nous ne prenions pas d’utiles précautions, ou si nous ne regardions pas comme notre premier devoir de conjurer le danger qui est suspendu sur nos têtes.

« Il serait bientôt nul ce danger, si nous voulions faire une transaction générale ; car le point d’appui des Athéniens n’est pas chez eux, mais chez les peuples qui les appellent. Dès lors ce n’est pas une guerre qui mettra fin à une autre guerre : mais c’est la paix qui terminera à l’amiable nos différends; et ces perfides auxiliaires, qui se couvrent d’un masque spécieux, s’en retournerout comme ils sont venus, sans avoir rien gagné.

« Tel est, à l’égard des Athéniens, l’immense avantage que nous nous assurons en prenant une sage résolution. Quant à la paix entre nous, à cette paix que chacun s’accorde à regarder comme le premier des biens, pourquoi ne pas la conclure? Si les uns prospèrent, si les autres souffrent, ne croyez-vous pas que la tranquillité convienne mieux que la guerre pour procurer à ceux-ci la cessation de leurs maux , à ceux-là le maintien de leur bien-être? N’est-ce pas la paix qui garantit les honneurs et les distinctions? N’est-ce pas elle qui produit mille autres avantages, aussi longs à énumérer que les maui de la guerre? Pesez donc mûrement mes paroles ; et, loin d'en tenir peu de compte, profitez-en pour votre salut.

« Si quelqu’un de vous s’imagine triompher à coup sûr, parce qu’il a pour lui le droit ou la force, je crains une amère déception. Que de fois n’a-t-on pas vu des hommes qui poursuivaient une juste vengeance, non seulement ne pas l’atteindre, mais encore compromettre leur propre sécurité? tandis que d’autres qui espéraient s’agrandir par la force , bien loin de faire des conquêtes, n’ont réussi qu’à perdre ce qu’ils possédaient. En effet, la vengeance n’aboutit pas toujours par cela seul qu’elle est légitime; de même que la force, pour être pleine d’espérance, n’est pas toujours un sûr appui. C’est la fortune qui décide de l’avenir. Malgré ses incertitudes, elle ne laisse pas d’avoir son bon côté ; car une crainte réciproque

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fait qu’on y regarde à deux fois avant d'en venir à des actes hostiles.

« Maintenant donc, doublement alarmés et par la perspective d’un avenir impénétrable, et par la présence inquiétante des Athéniens ; convaincus d’ailleurs que, si nos espérances particulières ont été déçues, ce malheur est l’effet des obstacles que je viens d’indiquer, éloignons de notre patrie les ennemis qui la menacent; réunissons-nous dans une paix perpétuelle, s’il se peut, sinon dans une trêve aussi longue que possible, et remettons à une autre époque le règlement de nos démêlés. Si vous m’écoutez, chacun de vous conservera sa ville libre et trouvera dans son indépendance les moyens de récompenser le bien ou de punir le mal qu’il aura reçu. Si au contraire, vous défiant de mes paroles, vous prêtez l’oreille à d’autres conseils, ce ne sera plus de vengeance qu’il s’agira pour nous ; mais, dans l’Hypothèse la plus heureuse, nous subirons forcément l'alliance de nos ennemis implacables et l’hostilité de nos meilleurs amis[*](Ils seront forcés d’entrer dans l’alliance des Athéniens, qu’ils détestent, et de faire avec eur la guerre aux Pélo-ponésiens, auxquels les unissent les liens d’une antique amitié. ).

« Pour moi, comme je l’ai dit en commençant, citoyen d’une république puissante, dont le rôle est moins de se défendre que d’attaquer, j’insiste, à raison de ces éventualités, pour qu’on se fasse des concessions réciproques. Je ne veux pas, pour faire du mal à mes adversaires, m’en faire encore plus à moi-même. Je ne pousse pas la manie des rivalités jusqu’à me persuader que la fortune, dont je ne suis pas le maître, m’est subordonnée aussi bien que ma propre pensée ; mais je cède tout ce qu’il est raisonnable de céder. J’engage les autres à suivre mon exemple et à se faire mutuellement des sacrifices volontaires, sans attendre d’y être forcés par nos ennemis. Il n’y a pas de honte à se céder entre parents, Doriens à Doriens, Chalcidéens à Ghalcidéens, en un mot, voisins à voisins, habitants d’une même contrée, entourés par une même mer, et portant le même nom de Grecs de Sicile. Le temps viendra, j’en ai la conviction, où nous reprendrons les armes, sauf à nous réconcilier de nouveau. Mais, si des étrangers nous attaquent, nous aurons le bon esprit de former le faisceau pour les repousser; car nous sommes tous solidaires. A l’avenir, n’appelons plus ni alliés ni médiateurs. Par là nous procurerons dès aujourd’hui deux biens à la Sicile : l’un d’éloigner les Athéniens, l’autre d’échapper aux guerres intestines ; et désormais nous habiterons ensemble un pays libre, moins exposé aux pièges de l’étranger. »

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