History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Les Péloponésiens se rassemblaient encore à l’Isthme ou se mettaient en marche, lorsque Périclès fils de Xanthippos, un des dix généraux d’Athènes, prévoyant l’invasion, se douta qu'Archidamos, qui était son hôte, pourrait bien respecter ses domaines, soit de son chef pour lui être agréable, soit d’après l’ordre des Lacédémoniens pour le rendre suspect, comme lorsqu’ils avaient, à cause de lui, réclamé l’expulsion des sacrilèges. Il déclara donc aux Athéniens en pleine assemblée qu’Archidamos était son hôte, mais qu’il n’en devait résulter aucun détriment pour l’État; que, si les ennemis ne dévastaient pas ses terres et ses maisons comme celles des autres, il en faisait l’abandon au public, afin qu’à cet égard il n’y eût contre lui aucune prévention défavorable.
En même temps il renouvela, au sujet des affaires présentes, les conseils qu’il avait déjà donnés. Il leur recommanda de se préparer à la guerre ; de retirer tout ce qui était aux champs ; de ne pas sortir pour combattre, mais de se borner à la défense de la ville; de tourner tous leurs soins vers ce qui faisait leur force, c’est-à-dire vers la marine, et de tenir en bride leurs alliés, « qui, disait-il, sont la source de notre puissance par les subsides qu’ils nous fournissent; or, l’âme de la guerre, c’est l’intelligence et l’argent. » Il les exhorta d’ailleurs à avoir bonne espérance, puisque la ville percevait, année commune, six cents talents des tributs des alliés[*](Environ trois millions trois cent mille francs. La somme du tribut fixée par Aristide était de quatre cent soixante talents (I, xcvi). Le surplus provenait de l’adjonction de nouveaux alliés, des subsides consentis en remplacement des prestations militaires, enfin de l’aggravation de tribut imposée aux alliés révoltés et soumis. ), non compris les autres revenus, et qu’elle avait en réserve dans l’acropole
A ces motifs de confiance tirés de leurs richesses, Périclès joignit un tableau de leurs forces militaires. Il dit qu’ils avaient treize mille hoplites, indépendamment des seize mille placés dans les forts et le long des remparts. Tel était dans l’origine, à chaque invasion de l’ennemi, le nombre des hommes de garde; c’étaient les vieillards, les jeunes gens et les métèques astreints au service d’hoplites[*](Les jeunes Athéniens, avant d’être incorporés dans la milice régulière, devaient faire pendant deux ans, sous le nom de péripoles, un service de garnison dans les places fortes sur les frontières de l’At-tique. (IV, lxvii, note 1, et VIII, xcn, noté 1.)—Pour ce qui est des métèques et de leur service militaire, voyez liv. I, ch. cxljii, note 1. ). Le mur de Pha-lère avait trente-cinq stades jusqu’à l’enceinte de la ville, et la partie de cette enceinte que l’on gardait était de quarante-trois stades ; on laissait sans garde l’espace compris entre le long mur et celui de Phalère. Les longs murs allant au Pirée avaient quarante stades; celui du dehors était seul gardé[*](Le bras occidental des longs murs, appelé aussi le mur extérieur, et dans la direction duquel venaient les Péloponésiens. Le bras oriental, qui était couvert par l’Ilissus et par les pentes de l’Hymette, se trouvait d’ailleurs protégé par les fortifications du Phalère. ). L’enceinte totale du Pirée et de Munychie était de soixante stades; on n’en gardait que la moitié[*](La partie qui bordait la mer n’avait pas besoin de défense. ). Périclès ajouta qu’on avait douze cents cavaliers, y compris les archers à cheval[*](Les archers à cheval, Thraces ou Scythes, étaient une sorte de gendarmerie que les Athéniens entretenaient pour faire la police. Leur quartier était sur l’agora et s’appelait la tente des Scythes. ), seize cents archers à pied et trois cents trirèmes en état de tenir la mer. Telles étaient,, sans en rien rabattre, les forces des Athéniens à l’époque de la première invasion des Péloponésiens et au début de cette guerre. Enfin Périclès, selon sa coutume, termina cette revue par diverses considérations propres à démontrer qu'on sortirait victorieux de la lutte.
Les Athéniens se laissèrent persuader par ses discours. Ils retirèrent des campagnes leurs enfants, leurs femmes et tout leur mobilier; ils enlevèrent jusqu’à la charpente des maisons ; les troupeaux et les bêtes de somme furent transportés dans l’Eubée et dans les îles voisines. Ce déplacement leur
Les Athéniens, plus qu’aucun autre peuple, avaient adopté ce genre de vie depuis un temps immémorial. Sous Cécrops et les premiers rois jusqu’à Thésée, les habitants de l'Attique étaient disséminés dans des bourgades, dont chacune avait son prytanée et ses magistrats[*](Les bourgades de l’ancienne Attique étaient au nombre de douie, comme dans les autres États ioniens. Le prytanée était l’hôtel de ville, où s’assemblaient les prytanes ou présidents du conseil. ). A part le cas de guerre, ils ne se réunissaient point auprès du roi pour délibérer en commun; ils se gouvernaient eux-mêmes et tenaient conseil isolément. On vit même quelques-unes de ces bourgades faire la guerre au roi, comme il arriva aux Éleusiniens et à Eu-molpos contre Érechthée[*](Suivant la légende, Eumolpos était d’origine thrace, fils de Neptune et roi d’Êleusis. On lui attribue la fondation des mystères de Cérès, dont le sacerdoce resta dans sa famille, les Eumolpides. — Érechthée est le plus ancien roi d’Athènes connu, prédécesseur de Cécrops. Il eut à soutenir une guerre contre les Ëleusiniens, les vainquit, tua leur roi Eumolpos, et fut lui-même tué par Neptune. ). Mais Thésée, qui alliait le génie à la force, étant devenu roi, introduisit dans le pays diverses améliorations : en particulier il abolit les conseils et les magistratures des bourgades et réunit tous les citoyens dans la ville actuelle, où il institua un seul conseil et un seul prytanée. Les Athéniens continuèrent à exploiter leurs terres comme auparavant ; mais il les contraignit de n’avoir que cette seule cité. Grâce à cette centralisation, Athènes prit un rapide accroissement, et elle était déjà considérable lorsque Thésée la transmit à ses successeurs. En mémoire de cet événement, les Athéniens célèbrent encore aujourd’hui une fête nationale, dédiée à Minerve et appelée Xynœcia[*](La fête des Xynœcia (réunion des habitations), que Plutarque (Vie de Thésée, xxiv) appelle Metœcia, se célébrait le seizième jour du mois Hécatombéon (juillet-août). On rapporte à la môme origine l’institution des Panathénées. ). Antérieurement la ville ne consistait que dans l’acropole et dans le quartier situé au-dessous, du côté méridional. En veut-on la preuve? c’est dans l’acropole ou dans cette partie de la ville basse que se trouvent les temples de la plupart des divinités, par exemple de Jupiter Olympien, d’Apollon Pythien, de la Terre, de Bacchus Limnéen[*](Les Limnæ ou Marais étaient le quartier d’Athènes situé au S. de l’acropole jusqu’à l’Ilissus. C’est dans ce quartier que $e trouvaient le grand théâtre et le temple de Bacchus. ), en l’honneur duquel se célèbrent les anciennes Dionysies le douzième jour du mois Anthestérion[*](Il y avait à Athènes quatre fêtes de Bacchus : 1· les petites Dio-nysies, dites des champs, qui se célébraient dans toute l’Attique au mois Posidéon (décembre-janvier); 2° les Lenæa (fête des pressoirs), particulières à Athènes, et qui avaient lieu au mois Gamélion (janvier-février); 3° les Anthestéries (février-mars), dont il est ici question; 4e les grandes Dionysies, dites de la ville, le douzième du mois ÉU- phébolion (mars-avril). Celles-ci duraient plusieurs jours et contenaient les représentations dramatiques.), usage qui s’est conservé chez les Ioniens originaires d’Athènes. Il existe dans ce quartier d’autres temples anciens. Là est encore la fontaine actuellement appelée aux Neuf Bouches, par suite de la disposition que lui donnèrent les tyrans, mais qui autrefois, quand les sources étaient à découvert, se nommait Callirrhoè[*](Pisistrate ou, selon d’autres, ses fils, avait fait arranger la fontaine Callirrhoé (au beau courant), de' manière que l’eau fût distribuée par neuf bouches, d’où lui vint le nom d'Ennéacrounos. Elle était située un peu au S. de l’Olympéion. ); comme elle était proche, on s’en servait pour les usages principaux; maintenant encore subsiste la coutume d’employer l’eau de cette fontaine pour les cérémonies nuptiales et pour d’autres ablutions. Enfin ce qui achève de prouver que jadis l’acropole seule était peuplée, c’est que les Athéniens lui ont conservé le nom de Cité.
Ainsi, pendant longtemps, les Athéniens habitèrent
Arrivés à Athènes, un petit nombre d’entre eux y trouvèrent des logements ou un abri chez des amis ou des parents; la plupart s’établirent dans les endroits inhabités de la ville, dans les enceintes consacrées aux dieux et aux héros, partout enfin, sauf dans l’acropole, dansl’Éleusinion[*](Temple de Cérès Êleusinienne, situé au N. de l’acropole, dans le voisinage de l’agora. ) et autres lieux solidement fermés. Il n’y eut pas jusqu’au Pèlasgicon[*](Espace situé le long du mur septentrional de l’acropole, mur que les Pélasges avaient anciennement construit (Hérodote, VI, cxxxvii). Ce terrain devait rester vague et inhabité, peut-être pour des raisons religieuses, comme le pomœrium romain, peut-être aussi pour des motifs militaires, comme le rayon des forteresses modernes. ), situé au pied de ^acropole, que la nécessité du moment ne contraignît d'occuper, nonobstant les imprécations qui s’y opposaient et l’oracle de Delphes qui l’avait expressément défendu dans ce vers :
Mieux vaut que le Pèlasgicon reste vacant.
Pour moi, je pense que cet oracle s’accomplit à l’inverse de ce qu’on avait prévu ; ce ne fut pas l’occupation sacrilège qui attira des maux sur la ville, mais ce fut la guerre qui nécessita l’occupation. C’est là ce que l’oracle n’avait pas expliqué; mais il savait sans doute que ce lieu ne serait habité que dans un temps de calamité publique. Plusieurs s’installèrent dans les tours des remparts, chacun enfin comme il put; car la ville ne suffisait pas à l’affluence. Finalement on envahit l’intervalle des longs murs[*](D’après les vestiges encore existants des longs murs près du Pirée, la distance entre leurs deux lignes parallèles était de cinq cent cinquante pieds. ) et la majeure partie du Pirée. En même temps les Athéniens se préparaient à la guerre, rassemblaient leurs alliés et armaient cent vaisseaux contre le Péloponèse.
Pendant ces préparatifs, l’armée des Péloponésiens, continuant sa marche, arriva devant OEnoé, première ville de l’Attique du côté où ils voulaient opérer l’invasion. Après avoir assis leur camp, ils se disposèrent à attaquer la muraille avec des machines [*](Des béliers. Les autres machines de siège, telles que catapultes, balistes ou oxybêles, sont d’un usage plus récent, et qui date de l’époque de l’ancien Denys, tyran de Syracuse. (Voyez Diodore de Sicile, XIV, xliu.) ) et par d’autres moyens. OEnoé, située sur les confins de l’Attique et de la Béotie, était fortifiée et servait aux Athéniens de place d’armes en temps de guerre. Les Péloponésiens firent le siège de cette ville et y perdirent beaucoup de temps. L’armée en prit occasion de murmurer contre Archi