History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXI. Ce fut aussi à la même époque qu’eut lieu à Samos le soulèvement du peuple contre les riches. Le mouvement fut appuyé par les Athéniens qui se trouvaient là avec trois vaisseaux, faction populaire égorgea environ deux cents riches, en exila quatre cents et se partagea leurs terres et leurs maisons. Cela fait, ils obtinrent des Athéniens l’autonomie[*](Le droit de se gouverner par leurs propres lois.) comme des alliés désormais dévoués, prirent en main l'administration, interdirent aux grands propriétaires terriens[*](Le sens du mot γεωμόρος a beaucoup varié; tantôt il s’applique nu magistrat chargé du partage des terres, tantôt au propriétaire habitant la campagne et exploitant lui-même. Ce dernier sens est le plus général et le seul qui comiVnne i« i.) [*](1 L'armée de Clazomènes et d’Érythres, dont il a été question plus haut.) [*](2 Le mur construit par les Athéniens pour défendre Téos du côté du continent.) [*](3 Le droit de se gouverner par leurs propres lois.) [*](* Le sens du mot γεωμόρος a beaucoup varié; tantôt il s’applique nu magistrat chargé du partage des terres, tantôt au propriétaire habitant la campagne et exploitant lui-même. Ce dernier sens est le plus général et le seul qui comiVnne i« i.)

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toute participation aux affaires, et prohibèrent toute alliance entre leurs familles et celles du peuple.

XXII. Le même été, les habitants de Chio, toujours animés de la même ardeur qu’ils avaient montrée au début, continuèrent, sans attendre les Péloponnésiens, à se présenter en forces devant les diverses villes, pour les détacher d’Athènes et en associer le plus grand nombre possible à leurs propres péril. Ils dirigèrent eux-mêmes une flotte de treize vaisseaux sur Lesbos, désignée par les Lacédémoniens comme but de leur seconde expédition, la troisième étant destinée à l’Hellespont. En même temps toutes les troupes de terre du Péloponnèse présentes sur les lieux et les alliés du pays se portaient le long des côtes vers Clazomènes et Cyme. Le Spartiate Évalas les commandait. La flotte, sous les ordres du périoece[*](Voir sur les perioeces la note 1, livre 111, ch. 6.) Diniadas, se présenta d’abord devant Méthymne, la fit révolter et y laissa quatre vaisseaux; le reste alla insurger Mytilëne.

XXIII. Astyochos de Lacédémone, commandant de la flotte, fit voile de Cenchrées, suivant le plan arrêté, avec quatre vaisseaux, et se rendit à Chio. Le surlendemain de son arrivée, les vingt-cinq vaisseaux athéniens, commandés par Léon et Diomédon, abordèrent à Lesbos. — Léon, parti d’Athènes après son collègue, était venu le rejoindre avec dix vaisseaux de renfort. — Astyochos, de son côté, mit en mer le même jour sur le soir, se renforça d’un bâtiment de Chio, et fit voile pour Lesbos, afin d’y donner, s’il était possible, quelque secours. Il aborda à Pyrrha, et de là, le lendemain, à Éressos. Là il apprit que Mytilène avait été [*](1 Voir sur les perioeces la note 1, livre 111, ch. 6.)

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prise d’emblée par les Athéniens. Leur flotte s’y était présentée inopinément, avait abordé dans le port même, et s’était emparée de la flotte de Chio. Ils avaient ensuite débarqué, battu ceux qui firent résistance et occupé la ville. Astyochos apprit ces nouvelles des Éressiens et des vaisseaux de Chio qui arrivaient de Méthymne avec Eubulos. Ces bâtiments, laissés précédemment à Méthymne, s’étaient enfuis aussitôt après la prise de Mytilène; un avait été pris par les Athéniens; les trois autres rencontrèrent Astyochos. Il renonça aussitôt à gagner Mytilène, insurgea Éressos, arma les habitants, débarqua les hoplites de sa flotte et les envoya par terre à Antissa et à Méthymne, sous le commandement d’Étéonicos. Il s’y rendit, de son côté, en côtoyant, avec ses vaisseaux et les trois bâtiments de Chio, dans l’espoir que Méthymne reprendrait courage à la vue de ces forces et persisterait dans sa défection. Mais, comme tout allait mal pour lui à Lesbos, il rembarqua ses troupes de terre et fit voile pour Chio. L’armée de terre embarquée sur la flotte péloponnésienne et destinée à l’Hellespont s’en retourna de son côté. Il arriva ensuite de Cenchrées à Chio six vaisseaux de la flotte péloponnésienne alliée.

Les Athéniens, après avoir rétabli à Lesbos l’ancien état de choses, se remirent en mer, allèrent occuper le faubourg que les Clazoméniens fortifiaient sur le continent, et les ramenèrent à la ville située dans l’île, à l’exception des chefs du mouvement, qui s’étaient retirés à Daphnonte. Clazomènes rentra sous la domination athénienne.

XXIV. Le même été, les Athéniens qui stationnaient

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à Ladé avec vingt vaisseaux dirigés contre Milet, firent une descente à Panorme, sur le territoire milésien, et tuèrent le commandant lacédémonien, Chalcidéus, venu à leur rencontre avec une troupe peu nombreuse. Le surlendemain ils revinrent dresser un trophée; mais les Milésiens le renversèrent comme ayant été élevé sans qu’il y eût occupation du pays.

Léon et Diomédon, avec la flotte athénienne de Lesbos, prirent, pour base de leurs opérations maritimes contre Chio, les îles OEnusses, en face de Chio, Sidusse et Ptéléos, places fortifiées qu’ils occupaient sur le territoire d’Érythres, et l’île de Lesbos. Ils avaient sur leur flotte des hoplites portés au rôle et obligés au service maritime[*](Les équipages et les soldats de marine étaient ordinairement pris parmi les thètes, formant la dernière classe du peuple. Le rôle de guerre pour l’armée régulière ne comprenait que les trois premières classes. Les citoyens qui y étaient portés fournissaient les hoplites et ne se prêtaient que difficilement à un autre service.). Ils descendirent à Cardamyle[*](Promontoire de Chio, en face des CEnusses.), battirent à Bolissos les troupes de Chio envoyées contre eux, en firent un grand carnage et ravagèrent cette partie de la contrée. Ils remportèrent une nouvelle victoire à Phanes[*](Aujourd’hui Phana ou Gapo Mastico.), et une troisième à Leuconion[*](Aujourd'hui Lcuconia.). De ce moment les troupes de Chio n’osèrent plus sortir contre eux; ils dévastèrent tout le pays, qui était parfaitement cultivé et n’avait jamais souffert l’invasion depuis la guerre médique. En effet les habitants de Chio sont, à ma connaissance, le seul peuple, après les Lacédémoniens, qui aient uni la sagesse à la prospérité : plus leur ville croissait en importance, plus ils veillaient à y établir [*](1 Les équipages et les soldats de marine étaient ordinairement pris parmi les thètes, formant la dernière classe du peuple. Le rôle de guerre pour l’armée régulière ne comprenait que les trois premières classes. Les citoyens qui y étaient portés fournissaient les hoplites et ne se prêtaient que difficilement à un autre service.) [*](2 Promontoire de Chio, en face des CEnusses.) [*](3 Aujourd’hui Phana ou Gapo Mastico.) [*](4 Aujourd'hui Lcuconia.)

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l'ordre et la stabilité. Dans cette défection même, s’ils ne paraissent pas avoir pris le parti le plus prudent, du moins ne se risquèrent-ils à agir qu’après avoir associé à leurs périls des alliés nombreux et braves, et cela après le désastre de Sicile, lorsqu’ils savaient que les Athéniens eux-mêmes ne pouvaient plus contester l'ébranlement profond et l'état déplorable de leur puissance. S’ils sont tombés dans un de ces mécomptes dont offrent tant d’exemples les affaires humaines, ils se sont trompés avec beaucoup d’autres qui crurent également à la prochaine destruction de la domination athénienne.

Comme ils étaient ainsi bloqués par mer et pillés par terre, quelques-uns d’entre eux entreprirent de remettre la ville aux Athéniens. Les magistrats, instruits de leur dessein, ne voulurent prendre aucune mesure par eux-mêmes et mandèrent d’Érythres Astyochos, commandant de la flotte, avec quatre vaisseaux qu’il avait sous la main, pour aviser de concert aux moyens les plus doux d’arrêter la conspiration, soit en prenant des otages, soit autrement. Telle était à Chio la situation des affaires.

ΧΧV. A la fin du même été arrivèrent d’Athènes mille hoplites athéniens, quinze cents d’Argos, sur lesquels cinq cents hommes de troupes légères, armées en hoplites par les Athéniens, et mille hoplites de troupes alliées. Ils amenaient cinquante-deux vaisseaux, y compris ceux pour le transport des troupes. Phrynicos, Onomaclès et Scironidès les commandaient. Ils abordèrent à Samos, passèrent de là à Milet et y campèrent. Les Milésiens sortirent contre eux, au nombre de huit cents hoplites : soutenus par les Péloponnésiens

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venus avec Chalcidéus, par quelques auxiliaires étrangers qu’avait envoyés Tissaphernes, et parTissaphernes lui-même avec sa cavalerie, ils attaquèrent les Athéniens et leurs alliés. Les Argiens déployèrent leur aile fort en avant, par mépris pour des Ioniens qu’ils croyaient incapables de soutenir leur choc, et s’avancèrent avec désordre. Ils furent vaincus par les Milésiens et perdirent un peu moins de trois cents hommes. Les Athéniens, de leur côté, battirent d’abord les Péloponnésiens, et poussèrent ensuite devant eux les barbares et le reste de la multitude. Ils n’en vinrent pas aux mains avec les Milésiens : ceux-ci voyant, lorsqu’ils revinrent de poursuivre les Argiens, le reste de leur armée en déroute, rentrèrent dans la ville. L’armée athénienne, après la victoire, alla camper sous les murs de Milet. Il se trouva dans ce combat que des deux côtés les Ioniens eurent l’avantage sur les Doriens : les Athéniens vainquirent les Péloponnésiens qui leur étaient opposés, et les Argiens furent battus par les Milésiens. Les Athéniens dressèrent un trophée et se disposèrent à investir la ville d’une muraille;— l’emplacement de Milet formait un isthme. Ils pensaient que, cette place prise, le reste se soumettrait aisément.

XXVI. Cependant, sur le soir, ils reçurent la nouvelle que les vaisseaux du Péloponnèse et de Sicile, au nombre de cinquante-cinq, ne tardaient que le moment de paraître. Les Siciliens, pressés par Hermocrates de Syracuse d’intervenir pour porter le dernier coup aux Athéniens, avaient envoyé vingt vaisseaux de Syracuse et deux de Sélinonte; ceux qu’on armait dans le Péloponnèse se trouvant alors prêts, les deux flottes avaient été confiées à Théramènes de Lacédé-

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mone pour les conduire à Astyochos, commandant en chef. Elles abordèrent d’abord à Éléon, île en avant de Milet. De là, ayant appris que les Athéniens étaient devant Milet, elles cinglèrent vers le golfe lasique, afin d’avoir des renseignements sur la place assiégée, Alcibiade arriva à cheval à Tichiousse, ville du territoire milésien, sur le golfe, où les flottes mouillaient pour la nuit, et leur donna des nouvelles du combat, car il y assistait et combattait à côté des Milésiens et de Tissaphernes. Il les exhorta, s’ils ne voulaient ruiner les affaires de l’Ionie et tout compromettre, à secourir Milet au plus vite et à n’en pas permettre l’investissement.

XXVII. Il fut résolu que la ville serait secourue au point du jour. Cependant les Athéniens avaient eu, de Léros, des nouvelles positives de la flotte ennemie. Phrynicos, un de leurs généraux, voyant ses collègues décidés à l’attendre et à livrer un combat naval, déclara qu’il n’en ferait rien, et qu’autant qu’il serait en lui il ne permettrait ni à eux ni à personne d’en rien faire; que, puisqu’on pouvait ajourner, se renseigner exactement sur le nombre des vaisseaux ennemis et sur ceux qu’on pourrait leur opposer, en un mot se préparer au combat mûrement et à loisir, il ne consentirait jamais, par une fausse honte, à se risquer sans raison; qu’il n’y avait rien d’humiliant pour la marine athénienne à céder à propos, et que, dans tous les cas, il serait plus honteux d’éprouver une défaite, suivie non-seulement du déshonneur, mais du plus extrême péril pour la république; qu’après les désastres précédents, c’était tout au plus s’il était permis d’aller volontairement au-devant d’une action, même avec des

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armements qui inspireraient toute confiance, ou sous le coup d’une nécessité absolue : qu’à plus forte raison il ne serait point pardonnable d’aller soi-même chercher le danger sans aucune nécessité. Il conseillait donc d’embarquer au plus vite les blessés, l’armée de terre et le matériel qu’ils avaient apporté, d’abandonner le butin fait sur l’ennemi, pour ne pas surcharger les vaisseaux, et de faire voile pour Samos, d’où on pourrait, une fois toute la flotte réunie, faire des courses de côté et d’autre, si l’occasion s’en présentait. Il fit goûter ce projet et le mit à exécution. Du reste, plus tard comme en cette circonstance, dans toutes les affaires auxquelles ils se trouva mêlé comme dans celle-ci, Phrynicos montra la même rectitude de vues. Les Athéniens quittèrent ainsi Milet dès le même soir, laissant leur victoire incomplète. Les Argiens, irrités de leur échec, firent voile tout aussitôt de Samos pour rentrer chez eux.

XXVIII. Dès le point du jour, les Péleponnésiens repartirent de Tichiousse, abordèrent à Milet après le départ des Athéniens et y passèrent un jour. Le lendemain, ils recueillirent les vaisseaux de Chio, précédemment commandés par Chalcidéus, et bloqués[*](Dans le port de Milet; voy. 1. VIII, ch. 17.) par les Athéniens; puis ils résolurent de retourner à Tichiousse prendre les bagages qu’ils y avaient déposés. Ils y furent rejoints par Tissaphernes, à la tête de son armée, et consentirent, sur sa demande, à cingler vers lasos, où se trouvait Amorgès, son ennemi. Ils y abordèrent à l’improvisle, surprirent la ville, qui crut voir arriver une flotte athénienne, et l’enlevèrent. La plus [*](1 Dans le port de Milet; voy. 1. VIII, ch. 17.)

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grande part de gloire dans cette affaire revint aux Syracusains. On prit vivant Amorgès, bâtard de Pissuthnès, révolté contre le Roi. Les Péloponnésiens le remirent à Tissaphernes pour l’amener, s’il le voulait, au Roi, comme il en avait reçu l’ordre. Les soldats livrèrent lasos au pillage et y firent un immense butin, car son opulence datait de loin. Les auxiliaires d’Amorgès furent bien traités et incorporés dans l’armée, étant pour la plupart Péloponnésiens. Quant à la ville, elle fut abandonnée à Tissaphernes, ainsi que tous les prisonniers, tant esclaves qu’hommes libres, moyennant une darique[*](La darique valait environ vingt drachmes attiques, dix-huit francs de notre monnaie.) par tête. L’armée revint ensuite à Milet : les Lacédémoniens envoyèrent par terre jusqu’à Érythres, avec les auxiliaires d’Amorgès, Pédaritos, fils de Léon, nommé au commandement de Chio; Philippe eut celui de Milet. L’été finit.

XXIX. L’hiver suivant[*](Première année de la quatre-vingt-douzième olympiade, 412 avant notre ère.), Tissaphernes, après avoir armé lasos pour s’en faire un point d’appui, passa à Milet et paya, conformément à la promesse qu’il avait faite à Lacédémone, un mois de solde aux équipages de tous les navires à raison d’une drachme attique par homme[*](Et par jour.). Pour le reste du temps, il ne voulut donner que trois oboles, jusqu’à ce qu’il en eût référé au Roi, promettant de compléter la drachme sur son ordre. Hermocrates, le général syracusain, refusa cet arrangement. Théramènes, au contraire, qui ne commandait pas la flotte et ne l’avait accompagnée que pour la re- [*](1 La darique valait environ vingt drachmes attiques, dix-huit francs de notre monnaie.) [*](2 Première année de la quatre-vingt-douzième olympiade, 412 avant notre ère.) [*](3 Et par jour.)

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mettre à Astyochos, traita mollement cette question de la solde. Cependant la somme attribuée à chaque groupe de cinq vaisseaux porta la solde à plus de trois oboles[*](L’obole était la sixième partie de la drachme, environ quinie centimes de notre monnaie.) par homme; car elle fut fixée, pour cinquante vaisseaux, à trois talents chaque mois par cinq bâtiments[*](A raison de deux cents hommes d’équipage, la solde était d’ifll peu moins de quatre oboles.), et à une somme proportionnelle pour tous les bâtiments en sus[*](La convention faite pour les cinquante-cinq bâtiments présenta dans le port de Milet fut étendue à tous les vaisseaux que les Péloponnésiens pourraient envoyer plus tard. Cette phrase, torturée dans tous les sens par les commentateurs, est parfaitement claire en répétant dans le second membre les mots παρά πεντέ ναϋς, qui se trouvent une ligne plus haut et dominent évidemment toute la phrase.).

XXX. Le même hiver, les Athéniens, qui étaient à Samos, reçurent d’Athènes un renfort de trente-cinq vaisseaux, commandés par Charminos, Strombichidès et Euctémon; ils y réunirent ceux de Chio[*](Les vaisseaux de Léon et de Diomédon, qui bloquaient Chio et qui furent rappelés alors. Voyez même livre, ch. 24.) et tous ceux qu’ils avaient dans ces parages, et résolurent de bloquer Milet par mer en même temps qu’ils enverraient à Chio une flotte et une armée de terre. Le sort devait décider à qui reviendrait chaque expédition; ce qui fut' fait. Strombichidès, Onomaclès et Euctémon, désignés par le sort, cinglèrent vers Chio avec trente-cinq vaisseaux et une partie des mille hoplites envoyés contre Milet, qu’ils embarquèrent sur des transports. Les autres, avec soixante-quatorze bâtiments, restèrent à Samos, maîtres de la mer, et faisant des courses sur Milet.

[*](1 L’obole était la sixième partie de la drachme, environ quinie centimes de notre monnaie.)[*](3 A raison de deux cents hommes d’équipage, la solde était d’ifll peu moins de quatre oboles.)[*](3 La convention faite pour les cinquante-cinq bâtiments présenta dans le port de Milet fut étendue à tous les vaisseaux que les Péloponnésiens pourraient envoyer plus tard. Cette phrase, torturée dans tous les sens par les commentateurs, est parfaitement claire en répétant dans le second membre les mots παρά πεντέ ναϋς, qui se trouvent une ligne plus haut et dominent évidemment toute la phrase.)[*](* Les vaisseaux de Léon et de Diomédon, qui bloquaient Chio et qui furent rappelés alors. Voyez même livre, ch. 24.)
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XXXI. Astyochos, qui se trouvait alors à Chio, occupé à choisir des otages, dans la crainte d’une trahison, suspendit cette mesure lorsqu’il apprit l’arrivée de la flotte que lui amenait Théramènes et l’état plus satisfaisant des affaires du côté des alliés. Il prit les dix vaisseaux péloponnésiens[*](Quatre qu’il avait lui-même amenés d’Érythres, et six expédiés plus tard de Cenclirées.), dix autres de Chio et mit en mer. Il attaqua d’abord Ptéléos : mais, n’ayant pu s’en emparer, il suivit la côte jusqu’à Clazomènes. Là il ordonna aux partisans des Athéniens de se retirer à Daphnonte, et à la ville de se soumettre. Tamos, hyparque[*](Sous-gouverneur,) d’Ionie, appuyait cette injonction. Sur leur refus il attaqua la ville, mais ne put la prendre, quoiqu’elle ne fût pas murée, et dut remettre en mer malgré un vent violent. Son vaisseau toucha à Phocée et à Cyme, tandis que le reste de la flotte abordait aux îles voisines deClazomènes, Marathousse, Pelé, Drymousse. Retenus huit jours dans ces îles par les vents contraires, ils pillèrent et consommèrent une partie des provisions que les Clazoméniens y avaient secrètement déposées, embarquèrent le reste et firent voile pour Phocée et Cyme à la recherche d’Astyochos.

XXXII. Pendant qu’Astyochos était dans ces parages, des députés de Lesbos vinrent lui offrir de se soulever de nouveau. Il accueillit leurs ouvertures; mais, comme les Corinthiens et les autres alliés témoignaient de la répugnance à cause du précédent échec, il mit en mer et cingla vers Chio. Une tempête dispersa ses vaisseaux qui n’arrivèrent à Chio que plus tard etisolé- [*](1 Quatre qu’il avait lui-même amenés d’Érythres, et six expédiés plus tard de Cenclirées.) [*](* Sous-gouverneur,)

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ment. Pédaritos, arrivé par terre de Milet à Érythres[*](Voir même livre, ch. 28.), passa ensuite à Chio avec son armée. Il avait aussi avec lui environ cinq cents soldats armés provenant des cinq vaisseaux de Chalcidéus[*](Voir sur ces cinq vaisseaux le ch. 12.). Astyochos, pour répondre aux offres de défection que lui faisaient quelques habitants de Lesbos, représenta à Pédaritos et à ceux de Chio la nécessité d’envoyer une flotte devant Lesbos, afin de l’insurger; il dit qu’on accroîtrait par là le nombre de ses alliés, ou qu’on ferait du moins, en cas d’insuccès, du mal aux Athéniens. Mais on ne l’écouta pas, et Pédaritos déclara même qu’il ne laisserait pas la flotte de Chio partir avec lui[*](Pédaritos, en sa qualité de commandant de Gbio, disposait seul de toutes les forées du pays.).

XXXIII. Astyochos prit les cinq vaisseaux de Corinthe, un de Mégare, un d’Hermione, avec les navires laconiens qu’il avait amenés, et fit voile pour Milet, afin d’y prendre le commandement de la flotte. En partant, il protesta, avec force menaces, que, si Chio avait besoin de secours, il ne lui en donnerait pas. Il toucha à Corycos, dans l’Érythrée, et y passa la nuit. Les Athéniens qui traversaient de Samos à Chio avec leur armée mouillaient au même lieu pour la nuit et n’étaient séparés de l’ennemi que par une colline; mais on ne s’aperçut ni d’un côté ni de l’autre. Averti la nuit par une lettre de Pédaritos que des prisonniers érythréens, relâchés à Samos avec mission de livrer leur patrie, venaient d’y arriver, Astyochos se hâta de retourner à Érythres. Il ne dut qu’à cela de ne pas tomber au milieu des Athéniens. Pédaritos vint le rejoin- [*](1 Voir même livre, ch. 28.) [*](3 Voir sur ces cinq vaisseaux le ch. 12.) [*](3 Pédaritos, en sa qualité de commandant de Gbio, disposait seul de toutes les forées du pays.)

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dre à Érythres; mais, enquête faite, ils trouvèrent que cette prétendue, conspiration n’était qu’un prétexte mis en avant par les prisonniers pour s’évader de Samos, et les déchargèrent de toute accusation. Pédaritos repartit pour Chio, et Astyochos pour Milet, sa première destination.

XXXIV. Cependant la flotte athénienne qui portait l’armée contournait la côte au sortir de Corycos, lorsqu’elle rencontra, à la hauteur d’Arginon, trois vaisseaux longs de Chio. Dès qu’elle les aperçut, elle leur donna la chasse. Mais, une violente tempête étant survenue, les vaisseaux de Chio se réfugièrent à grand'peine dans leur port. Trois de ceux des Athéniens, qui s’étaient le plus avancés, se perdirent et échouèrent près de Chio. Une partie des équipages fut prise, le reste égorgé. Les autres vaisseaux se réfugièrent dans un port nommé Phoenicous, au-dessous de Mimas. De là ils allèrent mouiller à Lesbos, et firent leurs dispositions pour le siége[*](Évidemment le siège de Chio; car ils étaient maîtres de Lesbos.).

XXXV. Le même hiver, Hippocrates de Lacéd mone partit du Péloponnèse et fit voile pour Cnide; il avait avec lui dix vaisseaux de Thurion, commandes par Doriée, fils de Diagoras, et deux collègues, un vaisseau de Laconie èt un de Syracuse. Déjà Cnide s’était insurgée[*](Contre les Athéniens.) à la sollicitation de Tissaphernés. Lorsqu’on connut à Milet l’arrivée de ces forces, ordre fut donné à la moitié de la flotte de garder Cnide, tandis que le reste croiserait à Triopion, pour intercepter les bâtiments de charge arrivant d’Égypte[*](Les bâtiments athéniens.). —Triopion [*](1 Évidemment le siège de Chio; car ils étaient maîtres de Lesbos.) [*](8 Contre les Athéniens.) [*](3 Les bâtiments athéniens.)

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est un promontoire, consacré à Apollon, sur le territoire de Cnide. — Mais les Athéniens, à cette nouvelle, partirent de Samos et capturèrent les six bâtiments de garde à Triopion. Cependant les équipages se sauvèrent. Les Athéniens abordèrent ensuite à Cnide et attaquèrent la ville, qui n’était pas fortifiée; peu s’en fallut qu’ils ne la prissent. Le lendemain, nouvelle attaque; mais, pendant la nuit, les habitants s’étaient mieux barricadés et avaient été renforcés par les équipages échappés des vaisseaux de Triopion; ils furent moins maltraités que la veille. Les Athéniens se rembarquèrent après avoir ravagé la campagne de Cnide, et regagnèrent Samos.

XXXVI. A l’époque où Astyochos vint à Milet prendre le commandement de la flotte, l’abondance régnait encore au camp des Péloponnésiens : la solde qu’ils recevaient était suffisante; les soldats avaient par-devers eux des richesses considérables, provenant du pillage d’lasos, et les Milésiens supportaient avec zèle les charges de la guerre. Cependant, trouvant que le premier traité conclu entre Tissaphernes et Chalcidéus laissait à désirer et n’était pas assez à leur avantage, ils en conclurent un autre, pendant que Théramènes était encore à Milet. En voici la teneur :

XXXVII. « Il a été convenu entre les Lacédémoniens et leurs alliés, d’une part, de l’autre le Roi Darius, les enfants du Roi, et Tissaphernes, qu’il y aura paix et amitié aux conditions suivantes : — Les Lacédémoniens et les alliés des Lacédémoniens ne feront pas la guerre et ne nuiront en quoi que ce soit à aucune des villes et contrées qui appartiennent au Roi, ou qui ont appartenu à son père ou à ses ancêtres. — Ni les Lacédémo-

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niens, ni les alliés des Lacédémoniens ne tireront de ces villes aucun tribut. — Ni le roi Darius, ni aucun de ceux à qui il commande ne fera la guerre et ne nuira en quoi que ce soit aux Lacédémoniens et aux alliés des Lacédémoniens. — Si les Lacédémoniens ou leurs alliés ont quelque besoin du Roi, si le Roi a besoin des Lacédémoniens ou de leurs alliés, tout ce qui sera fait d’un commun accord sera bien fait. — Ils feront en commun la guerre contre les Athéniens et leurs alliés. — S’ils font la paix, ce ne sera qu’en commun. — Toute armée qui se trouvera sur les terres du Roi, mandée par lui, sera défrayée par le Roi. — Si quelqu’une des villes contractantes' attaque les possessions du Roi, les autres s’y opposeront et aideront le Roi dé tout leur pouvoir. — Si quelque peuple des domaines du Roi ou de sa domination marche contre les Lacédémoniens ou leurs alliés, le Roi s’ÿ opposera, et les aidera de tout son pouvoir. »

XXXVIII. Après ce traité, Théramènes remit la flotte à Astyochos, s’embarqua sur un bâtiment léger et disparut[*](‘Αφανίζεται. 11 est impossible de déterminer si Thucydide a voulu dire par là qu’il quitta Milet, ou s'il entend qu’il ne fut plus jamais question de lui») Déjà les Athéniens étaient passés de Lesbos à Chio avec leur armée. Maîtres sur terre et sur mer, ils fortifiaient Delphinion, position naturellement défendue du côté de la terre, munie de ports et peu éloignée de Chio. Les habitants de Chio, battus précédemment dans plusieurs combats, étaient encore affaiblis à l’intérieur par leurs propres discordes; Pédaritos avait fait périr Tydée, fils d’Ion, et ses partisans, comme favorables aux Athéniens; le reste des habi- [*](1 ‘Αφανίζεται. 11 est impossible de déterminer si Thucydide a voulu dire par là qu’il quitta Milet, ou s'il entend qu’il ne fut plus jamais question de lui»)

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tants, soumis par force à l’oligarchie, en défiance mutuelle, demeurait dans l’inaction. Ils ne comptaient ni sur eux-mêmes ni sur les auxiliaires de Pédaritos pour tenir tête aux Athéniens. Ils avaient bien envoyé à Milet demander des secours à Astyochos; mais il n’avait rien voulu entendre, et Pédaritos l’avait dénoncé à Lacédémone comme traître à son devoir. Telle était la situation des Athéniens à Chio : d’un autre côté, leur flotte faisait, de Samos, des courses contre les vaisseaux de Milet; mais, comme ceux-ci ne sortaient pas à sa rencontre, elle revint à Samos et y demeura en repos.

XXXIX. Le même hiver, les vingt-sept vaisseaux armés par les Lacédémoniens pour Pharnabaze, à la sollicitation de Calligitos de Mégare et de Timagoras de Cyzique, firent voile pour l’Ionie vers le solstice. Antisthènes de Sparte les commandait. Cette même flotte emportait onze commissaires Spartiates, donnés par les Lacédémoniens comme conseillers à Astyochos. L’un d’eux était Lichas, fils d’Arcésilas. Ils avaient pour mission, une fois à Milet, de travailler en commun à mettre partout le meilleur ordre possible; d’énvoyer à Pharnabaze dans l’Hellespont, s’ils le jugeaient convenable, soit ces vingt-sept vaisseaux, soit une flotte plus ou moins considérable, sous le commandement de Cléarchos, fils de Rhamphias, qui faisait route avec eux; enfin de destituer de son commandement, s’ils le croyaient nécessaire, et de remplacer par Antisthènes, Astyochos que les lettres de Pédaritos avaient rendu suspect. Cette flotte, partie de Malée, cingla au large, aborda à Mélos, y trouva dix vaisseaux athéniens et en prit trois vides qu’elle brûla. Mais ensuite, craignant

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que les vaisseaux échappés de Mélos n’avertissent de leur traversée la flotte athénienne de Samos, ce qui arriva, ils firent voile pour la Crète, prirent la route la plus longue, se tinrent sur leurs gardes, et arrivèrent à Caune en Asie. De là, se croyant en sûreté, ils avertirent la flotte de Milet de venir les escorter.

XL. Vers le même temps, les habitants de Chio et Pédaritos ne cessaient d’envoyer des messages à Astyochos, malgré son mauvais vouloir, pour le prier de venir avec toute la flotte au secours de la ville assiégée, et de ne pas tolérer que la plus importante des villes alliées de l’Ionie vît la mer fermée à ses vaisseaux et son territoire livré au brigandage. Comme Chio possédait un grand nombre d’esclaves, plus même qu’aucune autre ville, Lacédémone seule exceptée, on avait dû, par le fait même de leur multitude, punir leurs fautes avec une grande rigueur; aussi, dès qu’ils virent l’armée athénienne solidement établie et retranchée, ils désertèrent en foule de son côté, et, grâce à leur connaissance des lieux, firent un mal immense. Les habitants de Chio signifièrent donc à Astyochos qu’il était urgent, pendant qu’on en avait encore l’espoir et les moyens, de s’opposer à ce que l’ennemi terminât les fortifications encore inachevées de Delphinion. Ils ajoutaient que la construction d’un nouveau retranchement plus considérable, enveloppant le camp et la flotte, nécessitait une prompte intervention de sa part. Astyochos, quoique mal disposé, d’après ses précédentes menaces, se mit cependant en mesure de les secourir, lorsqu’il vit les alliés témoigner de leur côté beaucoup d’ardeur.

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