History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
LXI. « Soldats athéniens, et vous, alliés, dans le combat qui va s’engager il y a parité pour tous; il s’agit pour chacun de vous, tout aussi bien que pour l’ennemi, du salut et de la patrie; car, si nous sommes aujourd’hui vainqueurs sur mer, chacun peut espérer encore revoir son pays. Mais il ne faut pas perdre courage, ni imiter ces hommes sans aucune expérience, qui, malheureux au début dans les combats, mesurent ensuite toutes leurs appréhensions à leurs premiers revers. Vous tous qui m’écoutez, vous Athéniens, éprouvés déjà dans bien des combats, et vous, alliés, associés à toutes nos luttes, rappelez-vous combien l’imprévu domine à la guerre; ne désespérez pas de voir la fortune se ranger aussi avec nous, et préparez-vous à prendre une revanche digne de vous, digne de cette armée dont vous voyez la masse imposante.
LXII. « Toutes les mesures qui nous ont semblé utiles dans les circonstances actuelles, soit en raison du peu d’étendue du port et de la multitude des vaisseaux, soit pour parer au mal que nous ont fait précédemment les troupes ennemies disposées sur les ponts, nous les avons étudiées et adoptées de concert avec les pilotes. Nous embarquons quantité d’archers et de gens de trait, une foule d’hommes que nous nous fussions bien gardés d’employer dans un combat au large, où la pesanteur des bâtiments aurait nui à la science
LXIII. « Songez à ce danger et combattez à outrance, sans vous laisser acculer au rivage; tombez sur l’ennemi, vaisseaux contre vaisseaux, et ne lâchez pas prise avant d’avoir exterminé sur le pont tous les hoplites. Cette recommandation s’adresse aux hoplites plus encore qu’aux matelots, puisque cela regarde principalement ceux qui sont sur le tillac, et que c’est surtout l’infanterie qui peut maintenant nous donner la supériorité. Quant aux matelots, je les exhorte à ne pas se laisser trop abattre par leurs malheurs, je les en conjure même, maintenant que nous avons sur les ponts de meilleures dispositions avec des vaisseaux plus nombreux. Et vous aussi, songez à votre existence si douce, si digne d’être sauvée de la ruine, vous qui, réputés Athéniens[*](Les Métoeques.), sans l’être réellement, faisiez l’admi- [*](1 Les Métoeques.)
LXIV. « Et vous, Athéniens, je vous rappelle en outre que vous n’avez laissé derrière vous ni flotte comme celle-ci dans les arsenaux, ni hoplites dans la force de l’âge : dès lors, si vous aviez le malheur de ne pas vaincre, vos ennemis d’ici feraient voile aussitôt pour votre patrie; les concitoyens que nous y avons laissés seraient incapables de faire face à la fois aux ennemis qui les entourent et à ceux qui viendront d’ici. Vous tomberiez donc bientôt, vous, au pouvoir des Syracusains, —et vous savez avec quelles espérances vous les avez attaqués, — eux, entre les mains des Lacédémoniens. Dans un seul et même combat, vous avez en vos mains le sort des uns et des autres; redoublez donc plus que jamais d’efforts; songez tous ensemble, et chacun en particulier, qu’ici, sur ces vaisseaux, vous concentrez en vous et l’armée de terre des Athéniens, et la flotte, et Ja république entière, et le grand nom d’Athènes. En face de tels intérêts, c’est le cas ou ja-
LXV. Nicias, après cette exhortation, ordonna surle-champ d’embarquer. Gylippe et les Syracusains comprirent aisément, à la vue de ces préparatifs, que les Athéniens allaient livrer un combat naval.; ils étaient d’ailleurs informés même de l’emploi des mains de fer dans l’attaque. Ils y pourvurent comme à tout ]e reste, et garnirent de peaux la proue et la partie haute des bâtiments, sur une grande étendue, afin que le crampon, lorsqu’on le jetterait, glissât et n’eût pas de prise. Tous les préparatifs terminés, les généraux et Gylippe exhortèrent leurs soldats et leur parlèrent ainsi :
LXVI. « Syracusains et alliés, nous avons fait jusqu’ici de grandes choses, etce qui nous reste à faire dans le prochain combat ne sera pas moins grand : la plupart d’entre vous le comprennent, ce semble, à juger par l’ardeur que vous y avez apportée. Si cependant il était quelqu’un qui ne le vît pas suffisamment, voici qui Je convaincra : les Athéniens, en arrivant dans ce pays, voulaient asservir la Sicile d’abord, puis, en cas de succès, le Péloponnèse et la Grèce entière; leur puissance était la plus grande qui ait jamais été parmi les Grecs, et dans le passé et dans le présent; et c’est vous qui les premiers avez osé tenir tête à leur marine, instrument de toute leur puissance! Déjà vous les avez plusieurs fois vaincus sur mer, et vous allez vraisemblablement les vaincre encore. Car, quand on a échoué précisément sur le point où l’on croyait à sa supériorité, l’opinion qu’on avait de soi descend dès lors au-des-
LXVII. « Pour nous, l’audace qui, à l’origine, nous faisait, sans expérience encore, affronter les périls, repose maintenant sur un fondement plus certain; il s’y joint la ferme croyance à notre supériorité militaire, puisque nous avons vaincu les troupes les plus estimées; double motif d’espérance! et, en général, dans les entreprises, on ose d'autant plus qu’on espère davantage. Quant aux emprunts faits par l’ennemi à des dispositions que l’habitude nous a rendues familières[*](11 s’agit des dispositions navales, et en particulier des hoplites installée sur les ponts des navires.), ils ne sauraient, en aucun cas, nous trouver en défaut. Eux au contraire dérogent à leurs usages en Couvrant leurs ponts d’une foule d’hoplites, en embarquant quantité de gens de trait, Acarnanes et autres, marins de terre ferme[*](Χερσαίοι, habitants de la terre, est ici un terme de mépris auquel répond exactement notre expression marin de terre ferme, le land-lubbers des Anglais*), pour ainsi dire, qui ne sauront pas même trouver une position pour lancer leur trait. Estil possible que ces gens-là ne mettent pas le trouble à bord, et que le ballottage auquel ils ne sont pas faits ne les jette pas en désordre les uns sur les autres? S’il en est parmi vous qui s’inquiètent de ce que nous n’aurons pas en ligne le même nombre de bâtiments, sachez que même la multitude de leurs vaisseaux ne leur sera d’aucune utilité; car, dans un espace étroit, [*](1 11 s’agit des dispositions navales, et en particulier des hoplites installée sur les ponts des navires.) [*](1 Χερσαίοι, habitants de la terre, est ici un terme de mépris auquel répond exactement notre expression marin de terre ferme, le land-lubbers des Anglais*)
LXVIII. « Jetons-nous donc avec colère au milieu de ce désordre, sur ces ennemis acharnés, dont la fortune se livre d’elle-même à nous; songeons que rien n’est plus légitime que de vouloir satisfaire son ressentiment sur un adversaire, en représailles de ses attaques; que rien en même temps n’est plus doux, le proverbe le dit, que de se venger d’un ennemi, comme nous allons pouvoir le faire. Ce sont des ennemis, vous le savez tous, et des ennemis acharnés, eux qui sont venus dans notre pays pour l’asservir, et qui, s’ils eussent réussi, auraient imposé aux hommes les plus cruels traitements, aux enfants et aux femmes le comble de l’ignominie, à la république entière le plus honteux de tous les noms[*](République «l’eschvea.). Vengez-vous donc; que personne ne mollisse, et croyez n’avoir rien gagné, s’ils font impunément leur retraite; car, même vainqueurs, ils ne veulent pas autre chose. Mais atteindre, comme tout nous le promet, le but de nos espérances, châtier [*](1 République «l’eschvea.)
LXIX. Les généraux syracusains et Gylippe, après avoir exhorté ainsi leurs soldats, sachant que les Athéniens embarquaient, se hâtèrent d’en faire autant. Nicias cependant, effrayé de la situation, voyant l’étendue et l’imminence du danger, puisqu’on touchait au moment de l’action, se figurait, comme il arrive toujours dans les grandes occasions, qu’en fait toutes leurs dispositions laissaient à désirer, et que même leurs exhortations étaient insuffisantes. Il appela donc de nouveau chacun des triérarques, et, les interpellant par leur nom, par leur surnom paternel[*](Les fils portaient comme surnom le nom de leur père. Nicias flattait leur vanité en paraissant les connaître parfaitement, c’était dans çejnii qu’il nommait même la tribu à laquelle ils appartenaient. A Rome, les candidats aux charges avaient des esclaves, nommés nomenclateurs, chargés de leur dire à l’oreille les noms de tous les citoyens qu’ils rencontraient, et même les particularités de leur vie. Us pouvaient, en les abordant, leur parler de tout ce qui les intéressait. Tous les grands conquérants ont pratiqué ce même genre de flatterie à l’égard de leurs soldats.), avec indication de leur tribu, il pria ceux qui jouissaient de quelque considération personnelle de ne pas trahir leur propre gloire, ceux qui avaient d’illustres ancêtres de ne pas ternir leur nom; il leur rappela leur patrie en possession d’une liberté sans égale, l’indépendance garantie à tous dans la vie privée; il leur dit, en un mot, tout ce que peut suggérer une pareille extrémité à un homme qui ne craint pas de pa- [*](1 Les fils portaient comme surnom le nom de leur père. Nicias flattait leur vanité en paraissant les connaître parfaitement, c’était dans çejnii qu’il nommait même la tribu à laquelle ils appartenaient. A Rome, les candidats aux charges avaient des esclaves, nommés nomenclateurs, chargés de leur dire à l’oreille les noms de tous les citoyens qu’ils rencontraient, et même les particularités de leur vie. Us pouvaient, en les abordant, leur parler de tout ce qui les intéressait. Tous les grands conquérants ont pratiqué ce même genre de flatterie à l’égard de leurs soldats.)
Nicias, après avoir dit, non tout ce qu’il eût voulu, mais ce qui lui paraissait indispensable, se retira et conduisit l’armée de terre sur le rivage. Il étendit sa ligne le plus possible, afin de soutenir d’autant mieux la confiance de ceux qui étaient sur les vaisseaux. Démosthènes, Ménandre et Euthydème, qui commandaient à bord de la flotte athénienne, partirent chacun de leur station, et se dirigèrent aussitôt vers le barrage du port et le passage qu’on y avait laissé libre, afin de le forcer et de gagner le large.
LXX. Déjà les Syracusains et leurs alliés avaient pris position avec le même nombre de vaisseaux à peu près que dans le précédent combat : une partie gardaient la passe; les autres étaient échelonnés autour du port, afin de fondre sur les Athéniens de tous les côtés à la fois, et de pouvoir en même temps être secourus par les troupes de terre, de quelque côté qu’ils abordassent. Sicanos et Agatharchos commandaient la flotte syracusaine et formaient les deux ailes; Pythen et les Corinthiens occupaient le centre. Une partie des Athéniens se porta contre le barrage, enfonça au premier choc la division qui le gardait, et se mit en mesure de rompre cet obstacle. Mais ensuite, les Syracusains et leurs alliés s’étant précipités sur eux de toutes parts, le combat s’engagea non plus seulement auprès du barrage, mais dans l’intérieur du port. Il fut acharné et hors de comparaison avec les précédents : il y avait de part et d’autre même entrainement chez
LXXI. Pendant que la lutte sur mer se balançait ainsi, les deux armées de terre étaient en proie à une cruelle perplexité et à une violente agitation : les indigènes ambitionnaient un succès plus glorieux encore; les agresseurs redoutaient des maux plus grands même que ceux du moment. Comme tout l’espoir des Athéniens reposait sur leurs vaisseaux, rien n’égalait l’excès de leurs inquiétudes sur le résultat; leurs regards d’ailleurs ne pouvaient embrasser que fort inégalement du rivage les incidents de la lutte : comme l’action se passait à peu de distance, et que tous ne pouvaient apercevoir en même temps le même point, ceux qui voyaient d’un côté les leurs victorieux, reprenaient courage et conjuraient les dieux de ne pas leur fermer toute chance de salut. Ceux au contraire dont les re-
Sur les vaisseaux on était en proie aux mêmes angoisses, lorsque enfin les Syracusains et leurs alliés, après une lutte longue et opiniâtre, mirent en fuite les Athéniens, les poussèrent vivement et les pour suivirent en criant, en s’animant mutuellement, jusqu’au rivage. A ce moment tout ce qui restait de l’armée navale, tout ce qui n’avait pas été pris à la mer se précipita au rivage dans toutes les directions et vint retomber sur le camp. Dans l’armée de terre la diversité des impressions avait fait place à une explosion unanime de gémissements et de lamentations; la consternation était partout; ceux-ci couraient au secours des vaisseaux, ceux-là à ce qui restait des retranchements pour les défendre, d’autres enfin, — et c’était le plus grand nombre, — ne songeaient déjà plus qu’à eux-mêmes et aux moyens de se sauver. Jamais on ne vit démoralisation plus profonde : leur situation était exactement celle qu’ils
LXXII. Le combat avait été acharné, et beaucoup de vaisseaux, beaucoup d’hommes avaient péri de part et d’autre. Les Syracusains et leurs alliés, après la victoire, recueillirent les débris des navires et leurs morts, retournèrent à la ville et dressèrent un trophée. Les Athéniens, succombant sous l’excès de leurs maux, ne songèrent pas même à réclamer leurs morts et les débris de leurs vaisseaux; ils méditaient de partir sans retard la nuit même. Démosthènes, s’étant rendu auprès de Nicias, ouvrit l’avis d’équiper de nouveau ce qui restait de vaisseaux et de forcer le passage, s’il était possible, au point du jour. Il ajouta qu’ils avaient encore plus de vaisseaux propres au serviee que les ennemis; et, en effet, il en restait aux Athéniens environ soixante, et à leurs adversaires moins de cinquante. Nicias se rangea à cet avis; mais lorsqu’il fut question de s’embarquer, les marins s’y refusèrent : frappés de leur défaite, ils désespéraientde vaincre désormais et n’avaient tous qu’une même pensée, celle d’opérer leur retraite par terre.
LXXIII. Cependant Hermocrates de Syracuse avait soupçonné leurs desseins : pensant que, si une armée aussi nombreuse se retirait par terre et s’établissait sur quelque point de la Sicile, il était à craindre qu’elle ne voulût recommencer la guerre contre eux, il va trouver les magistrats et leur expose, en donnant ses motifs, qu’on ne doit pas laisser l’ennemi s’échapper pendant
LXXIV. Ceux-ci, sur ce Rapport, se tinrent en repos la nuit, sans soupçonner un stratagème. Puis, du moment où ils n’étaient pas partis sur-le-champ, ils crurent devoir attendre encore le jour suivant, afin de lais-
LXXV. Enfin, quand Nicias et Démosthènes jugèrent les préparatifs suffisants, le départ de l’armée eut lieu, le surlendemain du combat naval. La situation des Athéniens était affreuse à bien des égards : ils partaient après avoir perdu tous leurs vaisseaux; au lieu de vastes espérances, il n’y avait plus que périls pour eux et pour la république. Même l’abandon du camp était pour la vue, pour l’âme de chacun, un spectacle navrant : les morts restaient sans sépulture; celui qui découvrait un des siens gisant à terre était saisi de douleur et d’effroi. Ceux qu’on délaissait vivants encore, les blessés et les malades, inspiraient à ceux qui partaient plus de compassion encore que les morts, et étaient en effet plus à plaindre. Leurs supplications, leurs gémissements jetaient l’armée dans une affreuse perplexité; ils adjuraient de les emmener; ils appelaient à grands cris tous
LXXVI. Nicias, voyant l’abattement de l’armée et le changement qui s’y était opéré, parcourut les rangs pour distribuer des consolations et des encouragements appropriés aux circonstances. L’ardeur qui l’animait, le désir de faire parvenir le plus loin possible des conseils utiles, donnaient plus de force encore à sa voix, plus de retentissement aux paroles qu’il jetait à chacun de ceux qu’il approchait.
LXXVII. « Maintenant encore, et quelle que soit notre situation, il faut, Athéniens et alliés, conserver l’espérance; d’autres, avant nous, se sont sauvés de dangers semblables et même plus terribles; que vos malheurs et des souffrances imméritées ne vous fassent donc pas désespérer de vous-mêmes. Et moi aussi, sans être plus vigoureux qu’aucun de vous, — vous voyez au contraire en quel état m’a mis la maladie, — sans le céder, ce semble, à personne ni sous le rapport des jouissances de la vie privée, ni à aucun autre égard, je suis ballotté dans un même péril avec les plus misérables. Et pourtant ma vie a été consacrée à de nombreuses pratiques de piété envers les dieux; ma conduite a été juste, irréprochable envers les hommes. [*](1 Thucydide note ce fait comme une étrange anomalie dans la situation des Athéniens, dont toute la puissance résidait dans la marine.)
LXXVIII. Nicias, tout en adressant ces exhortations, parcourait, les rangs de l’armée : s’il apercevait quelque part des soldats dispersés et marchant sans ordre, il les réunissait et rétablissait les rangs. Démosthènes, de son côté, faisait les mêmes recommandations aux troupes sous ses ordres. Le corps d’armée de Nicias marchait formé en carré long; celui de Démosthènes suivait; au centre des hoplites étaient les porteurs de bagages et le gros de la multitude[*](Thucydide désigne toujours par ce mot les troupes légères, celles qui u’étaient pas complètement armées et ne comptaient que comme accessoires.). Arrivés au passage de l’Anapos, ils trouvèrent un détachement des Syracusains et de leurs alliés en bataille le long du fleuve; ils le culbutèrent, occupèrent le passage et poussèrent en avant. La cavalerie syracusaine voltigeait autour d’eux et les harcelait, pendant que les troupes légères les accablaient de traits. Les Athéniens franchirent ce jour-là environ quarante stades, et bivouaquèrent sur une éminence. Le lendemain, ils se mirent en marche de bonne heure, firent environ vingt stades, et descendirent dans une plaine où ils campèrent. Cet endroit étant habité, ils voulaient tirer des maisons quelques vivres et de l’eau pour emporter avec eux; car en avant, sur la route qu’ils devaient suivre, l’eau était rare pendant un grand nombre de stades. Pendant ce temps, les Syracüsains prirent [*](* Thucydide désigne toujours par ce mot les troupes légères, celles qui u’étaient pas complètement armées et ne comptaient que comme accessoires.)
LXXIX. Le matin, ils levèrent le camp, se remirent en marche, et à force d’efforts parvinrent à la colline fortifiée. Là ils trouvèrent devant eux l’infanterie rangée au-dessus du retranchement, en colonne profonde; car le lieu était étroit. Ils poussèrent en avant et attaquèrent la muraille. Mais, criblés de traits par les ennemis étagés en grand nombre sur les pentes, et qui de haut visaient plus sûrement, ils ne purent forcer le passage, battirent en retraite et prirent quelque repos. A ce moment survint un orage mêlé de pluie, comme il arrive fréquemment aux approches de l’automne; l’abattement des Athéniens s’en accrut encore, et ils crurent que tout conspirait pour leur ruine. Pendant qu’ils étaient arrêtés, Gylippe et les Syracusains envoyèrent un détachement élever un nouveau retranchement derrière eux, sur la route par où ils étaient venus; mais ils envoyèrent de leur côté quelques troupes et déjouèrent ce projet. Toute l’armée [*](1 La Roche élevée.)
LXXX. Nicias et Démosthènes, voyant la détresse de l’armée, le manque absolu de vivres et le grand nombre de soldats blessés dans les attaques incessantes de l’ennemi, imaginèrent d’allumer, la nuit, une grande quantité de feux, et de faire filer l’armée non plus par la route qu’ils avaient d’abord résolu de suivre, mais vers la mer en sens contraire des positions gardées par les Syracusains. La direction générale de leur marche les portait à l’opposé de Catane, de l’autre côté de la Sicil/e vers Camarina, Géla et les villes grecques et barbares de cette contrée. Ils allumèrent donc un grand nombre de feux et partirent de nuit. Mais ils éprouvèrent de ces terreurs paniques si communes dans toutes les armées, surtout quand elles sont nombreuses, et particulièrement dans des marches de nuit, à travers un pays hostile, et dans le voisinage de l’ennemi. Le désordre se mit parmi eux. Le corps de Nicias, qui marchait en