History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XLI. A la fin, grâce à cette tactique, les Syracusains forcèrent l’ennemi et restèrent vainqueurs. Les Athéniens, en déroute, passèrent entre leurs bâtiments de charge pour se réfugier à leur mouillage. Les vaisseaux syracusains les poursuivirentjusqu’aux bâtiments de charge; mais les bascules[*](C’étaient des poutres fixées à l’extrémité des bâtiments et mobiles autour d'un pivot horizontal. Les dauphins, énormes masses de plomb suspendues à leurs extrémités, tombaient sur les bâtiments ennemis au moment où on lâchait la bascule, et les fracassaient.) adaptées à l’extrémité des bâtiments, au-dessus des passes, et armées de dauphins, ne leur permirent pas d’avancer plus loin. Cependant deux vaisseaux syracusains, dans l’entraînement de la victoire, s’en approchèrent et furent fracassés; l’un d’eux même fut pris avec son équipage. [*](1 Grâce aux antennes ou épotides dont ils avaient armé leurs proues.) [*](2 C’étaient des poutres fixées à l’extrémité des bâtiments et mobiles autour d'un pivot horizontal. Les dauphins, énormes masses de plomb suspendues à leurs extrémités, tombaient sur les bâtiments ennemis au moment où on lâchait la bascule, et les fracassaient.)

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Les Syracusains avaient coulé sept vaisseaux athéniens, maltraité beaucoup d’autres, pris ou tué bon nombre d’ennemis; ils se retirèrent et élevèrent un trophée pour les deux combats. Ils avaient désormais la ferme confiance d’avoir sur mer une incontestable supériorité, et comptaient bien vaincre également l’armée de terre : aussi se disposaient-ils à attaquer de nouveau sur terre et sur mer.

XLII. Cependant, Démosthènes et Eurymédon arrivèrent avec les renforts envoyés par les Athéniens. Ils amenaient soixante-treize vaisseaux, y compris ceux du dehors[*](Ceux de Corcyrc et de Métaponle.), environ cinq mille hoplites, athéniens ou alliés, un grand nombre d'hommes de trait, grecs et barbares, des frondeurs, des archers et le reste île l’équipement en proportion. Les Syracusains et leurs alliés furent tout d’abord dans une consternation profonde; il semblait qu’il ne dût y avoir aucun terme à leurs dangers, puisque même la fortification deDécélie n’empêchait pas l’arrivée d’une armée égale et comparable à la première, et que la puissance athénienne se montrait partout formidable. L’ancienne armée athénienne, au contraire, vit là son salut[*](Le texte porte s ώς έκ κακών, comme hors de peine.) et reprit quelque courage. Démosthènes, voyant l’état des affaires, jugea qu'il n’y avait point de temps à perdre et qu’il ne fallait pas tomber dans la même faute que Nicias : formidable d’abord à son arrivée, il avait, au lieu d’attaquer immédiatement Syracuse, pris ses quartiers d’hiver à Catane; par là, il avait perdu tout prestige et laissé à Gylippe le temps de le prévenir avec l’armée qu’il amenait du Péloponnèse. Cette armée, les Syracusains [*](1 Ceux de Corcyrc et de Métaponle.) [*](* Le texte porte s ώς έκ κακών, comme hors de peine.)

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ne l’auraient même pas appelée, s'il les eût attaqués tout d’abord; car, se croyant en état de résister, ils n’auraient reconnu leur insuffisance que lorsqu’ils eussent été déjà investis d’une muraille; et, l’eussentils appelée alors, elle ne pouvait plus leur être de la même utilité. Guidé par ces considérations, et sentant bien que l’effroi qu’ilinspirait à l’ennemi ne pourrait que s’affaiblir le premier jour passé, Démosthènes résolut de profiter sans délai de la démoralisation que causait dans le moment l’arrivée de son armée. Voyant que le mur latéral par lequel les Syracusains avaient empêché l’entier investissement de la place était simple, et qu’une fois maître des pentes d’Épipolæ et du camp assis sur la hauteur, ons’empareraitaisémentde ce mur où personne dès lors n’oserait tenir, il se hâta de tenter l’entreprise. Par là il comptait abréger de beaucoup la guerre : s’il réussissait, il s’emparerait de Syracuse; sinon, il ramènerait les troupes, au lieu de laisser se consumer sans résultat l’armée expéditionnaire et la république entière. Les Athéniens firent d’abord une sortie et ravagèrent les campagnes syracusaines aux environs de l’Anapos. Leur supériorité se maintenait encore, comme auparavant, sur terre et sur mer; car ni d’un côté ni de l’autre les Syracusains ne vinrent à leur rencontre, à part la cavalerie et les gens de trait d’Olympiéon.

XLIII. Démosthènes crut devoir faire d’abord l’essai des machines sur la muraille; mais les assiégés brûlèrent les machines qu’il fit approcher, se défendirent du haut des murs et repoussèrent l’assaut que donna sur plusieurs points le reste de l’armée. Il résolut alors de suivre son plan sans délai, et, après l’avoir fait

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adopter par Nicias et les autres commandants, il attaqua Épipolæ. Le jour, il paraissait impossible de s’en approcher et d’y monter sans être aperçu : il commanda cinq jours de vivres, prit avec lui les appareilleurs, les maçons, des traits et tout le matériel nécessaire à la construction des murs, pour le cas où ils auraient l’avantage; et, à la première veille, il se mit en marche vers Épipolæ avec Eurymédon, Ménandre et toute l’armée. Nicias était resté dans les retranchements. Ils arrivèrent au pied d’Épipolæ, à Euryélos[*](prenait à revers les hauteurs d’Ëpipolæ, situées entre Euryélos et la ville.), par où l’armée était montée la première fois, trompèrent la surveillance des gardes syracusains, enlevèrent le fort que les Syracusains avaient en cet endroit et tuèrent une partie de la garnison. Le plus grand nombre s’échappa et courut aussitôt porter la nouvelle de l’attaque aux trois camps établis comme défense avancée[*](Didot a rétabli avec raison les mots έν προτειχίσμασιν, supprimés par la plupart des éditeurs; mais l’interprétation qu’il en donne ne parait pas acceptable (des camps garnis d’avant-murs). Ces mots répondent à peu près à ce qu’on a appelé chez nous forts détachés; littéralement des camps fortifiés établis en avant (des murs).) sur Épipolæ, l’un pour les Syracusains, l’autre pour le reste des Siciliens, et le troisième pour les alliés[*](Les alliés de Grèce, Péloponnésiens, Béotiens, etc.). L’alarme fut donnée d’abord aux six cents Syracusains qui formaient les premières gardes de ce côté d’Épipolæ. Ils coururent aussitôt à l’ennemi; mais Démosthènes et les Athéniens, les ayant rencontrés, les mirent en fuite, malgré leur vigoureuse défense, et continuèrent à avancer rapidement, afin d’atteindre incontinent, sans laisser ralentir l’ardeur du premier moment, [*](111 prenait à revers les hauteurs d’Ëpipolæ, situées entre Euryélos et la ville.) [*](* Didot a rétabli avec raison les mots έν προτειχίσμασιν, supprimés par la plupart des éditeurs; mais l’interprétation qu’il en donne ne parait pas acceptable (des camps garnis d’avant-murs). Ces mots répondent à peu près à ce qu’on a appelé chez nous forts détachés; littéralement des camps fortifiés établis en avant (des murs).) [*](* Les alliés de Grèce, Péloponnésiens, Béotiens, etc.)
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l’objet de leur entreprise. En même temps un autre corps enlevait l’extrémité[*](Du côté d’Épipolæ. II s’agit de l’extrémité du mur destiné à empêcher la jonction de la circonvallation athénienne, au point même où il atteignait cette ligne de circonvallation, au bas d’Épipolae.) du mur transversal, abandonné par la garnison, et en arrachait les créneaux. Cependant les Syracusains et leurs alliés, Gylippe et ses soldats, accouraient hors des camps; mais, pris au dépourvu par l’audace d’une pareille tentative en pleine nuit, ils n’abordèrent les Athéniens qu’avec effroi, furent forcés et tout d’abord ramenés en arrière. Déjà les Athéniens avançaient avec moins d’ordre; car ils se croyaient vainqueurs et voulaient au plus vite passer à travers tous les corps qui n’avaient pas encore combattu, afin de ne pas laisser à l’ennemi, en ralentissant, le temps de se reformer pour une nouvelle attaque. A ce moment ils donnèrent contre les Béotiens, le premier corps qui essayât de tenir contre eux, furent forcés à leur tour et mis en fuite.

XLIV. De ce moment, le trouble et la confusion furent tels parmi les Athéniens, que, d’un côté comme de l’autre, on était fort embarrassé pour dire en détail comment les choses s’étaient passées. En effet, même dans un combat de jour, où tout se voit, ceux qui assistent ne connaissent pas tous les détails; à grand’peine chacun sait-il ce qui le concerne personnellement; comment donc une affaire de nuit comme celle-ci, la seule du reste qui ait eu lieu dans cette guerre entre des armées considérables, pourrait-elle être connue avec certitude? La lune brillait; mais on ne se distinguait de part et d’autre que comme on peut le faire par le clair de lune, sans démêler si la forme aperçue [*](1 Du côté d’Épipolæ. II s’agit de l’extrémité du mur destiné à empêcher la jonction de la circonvallation athénienne, au point même où il atteignait cette ligne de circonvallation, au bas d’Épipolae.)

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était celle d'un ami. Une multitude d’hoplites des deux partis tournoyaient dans un étroit espace. Une partie de l’armée athénienne était déjà vaincue que le reste, encore intact, et obéissant à la première impulsion, continuait à s’avancer. Tel corps ne faisait qu’aborder les pentes, tel autre continuait à les gravir; si bien qu’ils ne savaient de quel côté se diriger; car, les premières troupes étant déjà en déroute, il était difficile, au milieu du pêle-mêle général et des cris, de les reconnaître. Les Syracusains et leurs alliés, se voyant victorieux, s’animaient à grands cris, seul moyen de ralliement possible dans l’obscurité; en même temps ils recevaient vigoureusement les assaillants. Les Athéniens, au contraire, se cherchaient eux-mêmes; ils voyaient des ennemis dans tous ceux qu’ils rencontraient, fût-ce même de leurs amis refluant vers eux dans leur fuite; ils demandaient à chaque instant le mot d’ordre, faute d’autre moyen de se reconnaître, et, le demandant tous à la fois, ils accroissaient encore le désordre dans leurs rangs et livraient ce mot à l’ennemi. Ils n’apprenaient pas de même celui des Syracusains; car ceux-ci, victorieux et moins dispersés, avaient moins de peine à se reconnaître. Aussi, quand les Syracusains tombaient au milieu de forces supérieures, ils leur échappaient par la connaissance qu’ils avaient du mot d’ordre; les Athéniens, au contraire, ne pouvant répondre, étaient égorgés. Mais ce qui leur fit le plus de mal fut le chant du Péan; semblable de part et d’autre, il les jetait dans une grande perplexité : soit qu’il fût entonné par les Argiens, les Corcyréens et tous les corps de race dorique appartenant à leur propre armée, soit qu’il le fût par l’ennemi, l’effroi était le
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même. A la fin, se heurtant entre eux au milieu de la confusion générale, amis contre amis, citoyens contre citoyens, ils en vinrent, sur beaucoup de points, non plus seulement à s’effrayer, mais à se changer mutuellement, et ne se séparèrent qu’à grand’peine. Poursuivis par l’ennemi, beaucoup se jetèrentdans les précipices et y périrent; car la descente d’Épipolæ est étroile. Une fois descendus des hauteurs et arrivés dans la plaine, la plupart, surtout les soldats de la première armée qui connaissaient mieux les lieux, purent se réfugier au camp; mais, parmi les derniers arrivés, quelques-uns se trompèrent de route et s’égarèrent dans la campagne; au jour ils furent entourés par les cavaliers syracusains et massacrés.

XLV. Le lendemain, les Syracusains élevèrent deux trophées, l’un à Épipolæ vers la montée, l’autre à l’endroit où les Béotiens avaient opposé la première résistance. Les Athéniens enlevèrent leurs morts par convention. La perle en hommes fut considérable pour eux et leurs alliés; mais le nombre des armes prises par l’ennemi fut plus grand encore; car parmi ceux qui avaient été forcés de se jeter dans les précipices en se débarrassant de leurs armes et de leurs boucliers, les uns avaient péri, d’autres s’étaient sauvés.

XLVI. Après ce succès inespéré, les Syracusains retrouvèrent leur première ardeur. Ils envoyèrent à Agrigente, alors en proie aux séditions, quinze vaisseaux sous les ordres de Sicanos, afin de soumettre cette ville, s’il était possible. Gylippe recommença à parcourir par terre le reste de la Sicile, afin d’en amener une nouvelle armée. Cette heureuse issue de l’affaire d’Épi-

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polæ lui donnait l’espoir d'enlever de vive force les retranchements mêmes des Athéniens.

XLVII. Cependant les généraux athéniens tinrent conseil à propos du dernier désastre et de l’état d’épuisement où, à tous égards, l’armée était réduite. Ils voyaient toutes leurs entreprises déjouées et les soldats impatients de leur séjour; les maladies sévissaient, développées par une double cause, d’une part la saison où l’on était, la plus défavorable de toutes sous ce rapport[*](Le commencement de l’automne.), de l’autre l’assiette du camp sur un terrain marécageux et malsain. Tout leur paraissait d’ailleurs complètement désespéré. Démosthènes voulait ne pas séjourner plus longtemps et suivre, puisqu’il avait échoué, le plan déjà arrêté dans sa pensée lorsqu’il avait tenté l’attaque d’Épipolæ[*](Thucydide a dit plus haut qu’il était résolu à évacuer la Sicile dans le cas où il ne parviendrait pas à investir entièrement la ville par la prise d’Épipoloe.) : on devait, suivant lui, partir sans retard pendant que la traversée était encore possible et que l’arrivée de la nouvelle flotte[*](Celle qu’il avait lui-même amenée.) promettait la supériorité sur l’ennemi. Il représentait d’ailleurs que mieux valait pour Athènes faire la guerre à ceux qui élevaient des fortifications sur son territoire, qu’aux Syracusains, bien difficiles à vaincre désormais; qu’il ne convenait pas d’ailleurs de faire inutilement d’énormes dépenses pour continuer le siége. Tel était l’avis de Démosthènes.

XLVIII. Nicias regardait, lui aussi, la situation comme critique; mais il ne voulait pas en divulguer la faiblesse, ni dénoncer lui-même à l’ennemi ces pro- [*](1 Le commencement de l’automne.) [*](2 Thucydide a dit plus haut qu’il était résolu à évacuer la Sicile dans le cas où il ne parviendrait pas à investir entièrement la ville par la prise d’Épipoloe.) [*](3 Celle qu’il avait lui-même amenée.)

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jets de départ, en les discutant ostensiblement dans un nombreux conseil; car de cette manière le secret serait bien plus difficile lorsqu’on en viendrait à l’exécution. D’ailleurs, ce qu’il savait des affaires de l’ennemi, qu’il connaissait mieux que les autres, lui donnait quelque espoir qu’elles deviendraient plus mauvaises encore que celles des Athéniens, si on persistait dans le siége. On épuiserait leurs ressources et on les réduirait à l’extrémité, d’autant mieux que la flotte actuelle garantissait désormais une plus grande supériorité sur mer. Enfin il y avait dans Syracuse même un parti qui voulait livrer le gouvernement aux Athéniens et qui lui envoyait des émissaires pour le détourner de renoncer à l’entreprise. Ces diverses considérations le faisaient en réalité balancer entre les deux partis; il observait et ajournait toute décision; mais ostensiblement il n’en déclara pas moins qu’il n’emmènerait pas l’armée. Il était sûr, disait-il, que les Athéniens n’approuveraient pas qu’ils eussent d’eux-mêmes ramené l’armée sans un décret du peuple; car ceux qui seraient appelés à prononcer sur leur compte n’auraient pas, comme eux, vu personnellement l’état des choses; ils n’en connaîtraient rien que par les accusations répétées autour d’eux; il suffirait de calomnies habilement présentées pour entraîner leur assentiment; quant aux soldats qui étaient sur les lieux, beaucoup d’entre eux, la plupart même, tout en se plaignant bien fort maintenant de leurs maux, crieraient le contraire une fois de retour et accuseraient les généraux d’avoir trahi et vendu leur départ. Il ne voulait donc pas, pour sa part, connaissant le caractère des Athéniens, s’exposer à tomber victime d’une accu-
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sation infamante et injuste; il aimait mieux périr, s’il le fallait, en s’exposant personnellement aux coups de l’ennemi. Π ajouta que la situation des Syracusains était encore plus critique que la leur; que la solde des troupes étrangères, les dépenses des garnisons disséminées sur le territoire, jointes à l’entretien, depuis une année déjà, d’une flotte nombreuse, avaient épuisé leurs ressources et que leurs embarras ne feraient que s’accroître; qu’ils avaient dépensé déjà deux mille talents et avaient en outre un arriéré considérable; que s’ils faisaient quelques réductions à leurs dépenses actuelles, en supprimant la solde, ils ruinaient leurs affaires, puisque leur armée se composait surtout d’auxiliaires et non d’hommes astreints au service, comme chez les Athéniens; qu’il fallait donc atermoyer, s’opiniâtrer au siége et ne pas se retirer vaincu par le défaut de ressources quand on en avait de bien supérieures à celles de l’ennemi.

XLIX. Ce qui fortifiait Nicias dans le sentiment qu’il énonçait, c’est qu’il connaissait exactement l’état intérieur de Syracuse, l’épuisement des finances et l’existence d’un parti qui, décidé à livrer le gouvernement aux Athéniens, l’encourageait par des messages à ne pas lever le siége. II était d’ailleurs confirmé dans ce dessein par la confiance que lui avait jusque-là inspirée la flotte.

Démosthènes, au contraire, repoussait absolument l’idée de continuer le siége. Suivant lui, s’il fallait attendre un décret des Athéniens pour emmener l’armée et temporiser jusque-là, on devait à cet effet se transporter à Thapsos ou à Catane, et de là faire des incursions dans tous les sens avec l’infanterie, vivre sur

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le pays ennemi, le ravager et lui faire le plus de mal possible. En même temps la flotte, au lieu de combattre à l’étroit, ce qui était surtout favorable à l’ennemi, attaquerait au large, dans une mer ouverte, où leur expérience trouverait à s’utiliser, où ils auraient de l’espace pour les manoeuvres en avant et en arrière, sans être circonscrits et gênés dans toutes les évolutions par la proximité du rivage. En un mot, il se déclara absolument opposé à un séjour plus longtemps prolongé sur le même point, et ouvrit l’avis de partir immédiatement et sans délai. Eurymédon se rangea à cette opinion. Mais l’opposition de Nicias amena de l’hésitation et des retards; on supposait d’ailleurs que sa persistance tenait à quelques données particulières; et, par suite, les Athéniens continuèrent à temporiser et à rester dans leur immobilité.

L. Cependant Gylippe et Sicanos étaient de retour à Syracuse : Sicanos avait manqué Agrigente; car, pendant qu’il était encore à Géla, la faction qui voulait nouer amitié avec les Syracusains avait succombé. Quant à Gylippe, il avait amené, indépendamment d’une nombreuse armée levée en Sicile, les hoplites envoyés du Péloponnèse au printemps sur des bâtiments de charge, et qui, de Libye, avaient abordé à Sélinonte. Jetés sur les côtes de Libye, ils avaient obtenu des Cyrénéens deux trirèmes et des pilotes; après avoir, chemin faisant, secouru les Evespéritains assiégés par les Libyens, et battu ces derniers, ils avaient rangé la côte jusqu’à Néapolis, comptoir des Carthaginois, et le point le plus rapproché de la Sicile, qui n’en est séparée que par un trajet de deux jours et une nuit. Ils avaient de là passé à Sélinonte. Les Syracu-

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sains, à leur arrivée, se disposèrent aussitôt à attaquer de nouveau les Athéniens par terre et par mer. Les généraux athéniens, voyant qu’une nouvelle armée était venue renforcer l’ennemi, que leurs propres affaires, loin de s’améliorer, empiraient chaque jour sous tous les rapports, et surtout que les maladies ruinaient les troupes, regrettèrent de n’être pas partis plus tôt. Comme d’ailleurs Nicias ne faisait plus la même opposition et se bornait à demander que la résolution ne fût pas divulguée, ils firent prévenir toutes les troupes le plus secrètement possible d’avoir à se tenir prêtes à lever le camp et à s’embarquer au premier signal. Les préparatifs terminés, ils allaient mettre à la voile quand la lune s’éclipsa; car elle était alors au plein. La plupart des Athéniens, inquiets de ce phénomène, prièrent les généraux de différer. D’un autre côté, Nicias, qui attachait aux présages et à tous les faits de ce genre une importance exagérée, déclara que toute délibération sur le départ devait être ajournée jusqu’à ce qu’il se fût écoulé, suivant l’indication des devins, trois fois neuf jours. Les Athéniens, retenus par là, prolongèrent encore leur séjour.

LI. Les Syracusains, informés de ces détails, eurent l'oeil plus ouvert encore à ne laisser aucun relâche aux Athéniens, puisque ceux-ci reconnaissaient eux-mêmes et prouvaient suffisamment par leurs projets de départ qu’ils n’avaient plus dès lors la supériorité ni sur terre ni sur mer; autrement ils n’auraient pas songé au départ. Voulant d’ailleurs les empêcher de s’établir sur quelque autre point de la Sicile, où ils seraient plus difficiles à combattre, ils résolurent de les forcer au plus vite sur place, et dans des conditions avantageuses

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pour eux-mêmes, à un combat naval. Ils équipèren donc leurs vaisseaux et s’exercèrent pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’ils se crussent suffisamment préparés. Le moment arrivé, ils attaquèrent dès la veille[*](La veille du jour fixé pour l’engagement général.) les murs des Athéniens. Un corps peu considérable d’hoplites et de cavaliers s’étant avancé contre eux par quelques portes de sortie, ils coupèrent quelques-uns des hoplites, les mirent en fuite et les poursuivirent. Comme l’entrée[*](Les portes pratiquées dans les murs.) était étroite, les Athéniens perdirent soixante-dix chevaux et des hoplites, mais ceux-ci en petit nombre.

LII. L’armée syracusaine rentra pour ce jour-là; mais le lendemain ils firent sortir soixante-seize vaisseaux, pendant que l’armée de terre marchait de son côté contre les retranchements. Les Athéniens opposèrent quatre-vingt-six vaisseaux; on s’aborda et le combat commença. Eurymédon, qui tenait la droite des Athéniens, avait étendu sa ligne et rasait de près la côte, afin d’envelopper la flotte ennemie; mais les Syracusains et leurs alliés, après avoir enfoncé le centre des Athéniens, le coupèrent du reste de la flotte, l’enfermèrent dans le golfe au fond du port[*](A l’embouchure de l’Anapos.) et détruisirent son vaisseau, ainsi que ceux qui l’accompagnaient. Ensuite ils se mirent à la poursuite du reste de la flotte et la poussèrent au rivage.

LIII. Gylippe voit la flotte ennemie vaincue et rejetée on dehorsdes pilotis et du camp des Athéniens[*](C’est-à-dire en dehors de l’abri que les Athéniens avaient établi dans le grand port au moyen de palissades, en avant de leur camp.); [*](1 La veille du jour fixé pour l’engagement général.) [*](2 Les portes pratiquées dans les murs.) [*](3 A l’embouchure de l’Anapos.) [*](4 C’est-à-dire en dehors de l’abri que les Athéniens avaient établi dans le grand port au moyen de palissades, en avant de leur camp.)

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voulant exterminer ceux qui en descendent et faciliter aux Syracusains la remorque des vaisseaux sur un rivage dont ils seraient maîtres, il se porte sur la jetée[*](Du côté d’Ortygie*) suivi d’un détachement. Les Tyrséniens, qui gardaient cette position pour les Athéniens, voyant l’ennemi s’avancer en désordre, se portent à sa rencontre, tombent sur l’avant-garde, la mettent en fuite et la rejettent dans le marais nommé Lysimélia. Les Syracusains et leurs alliés arrivent alors en forces; mais les Athéniens, craignant pour leurs vaisseaux, se portent au secours de leurs alliés, sont vainqueurs, poursuivent l’ennemi et lui tuent quelques hoplites. La plus grande partie de la flotte fut sauvée par là et put être recueillie en avant du camp, sauf dix-huit vaisseaux que les Syracusains avaient pris et dont ils tuèrent tous les équipages. Dans le dessein d’incendier les autres, ils remplirent de sarments et de torches un vieux bâtiment de charge, et, profitant du vent qui portait sur les Athéniens, ils y mirent le feu et le laissèrent aller en dérive. Les Athéniens, effrayés pour leur flotte, mirent tout en oeuvre pour arrêter l’incendie; ils parvinrent à étouffer la flamme, enpêchèrent le bâtiment d’approcher et échappèrent au danger.

LIV. Les Syracusains dressèrent un trophée pour leur victoire navale, et pour avoir, dans l’engagement précédent contre les retranchements, enveloppé les hoplites et pris quelques chevaux. Les Athéniens en élevèrent un, de leur côté, pour l’avantage remporté soit par les Tyrséniens sur l’infantrie, qui avait été mise en fuite et rejetée dans le marais, soit par euxmêmes sur le reste de l’armée.

[*](1 Du côté d’Ortygie*)
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LV. Cette victoire éclatante, surtout une victoire navale, remportée par les Syracusains qu’effrayait jusque-là la nouvelle flotte amenée par Démosthènes, jeta les Athéniens dans le plus complet découragement : la déception était grande, et plus grand encore le regret de l’entreprise. De toutes les villes auxquelles ils avaient fait la guerre jusque-là, celles de Sicile seules avaient mêmes institutions qu’eux, même gouvernement démocratique; elles étaient considérables, possédaient des flottes et de la cavalerie; il ne leur était possible par conséquent ni d’y semer des germes de sédition en vue de quelque révolution qui les leur soumît, ni de compter sur une grande supériorité de forces, puisqu’ils avaient le plus souvent échoué et se trouvaient dans une position critique même avant les derniers événements : aussi la défaite de leur flotte, qu’ils n’auraient pas supposée possible, mit-elle le comble à leur consternation.

LVI. De ce moment les Syracusains purent librement parcourir le port, et résolurent d’en fermer l’entrée, pour qu’il ne fût plus possible aux Athéniens d’en sortir à leur insu, quand bien même ils le voudraient. Car déjà ce n’était plus seulement à se sauver euxmêmes qu’ils donnaient leurs soins, ils voulaient interdire à l’ennemi toute voie de salut. Ils croyaient, ce qui était vrai, que déjà les faits accomplis leur assuraient une grande supériorité; que s’ils parvevenaient à vaincre les Athéniens et leurs alliés sur terre et sur mer, ce serait pour eux une glorieuse recommandation auprès des Grecs; que les autres nations helléniques seraient par cela seul affranchies, celles-ci de l’esclavage, celles-là de la crainte, les Athéniens,

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se trouvant dès lors hors d’état de soutenir, avec ce qui leur resterait de forces, la guerre qu’on leur ferait; qu’eux-mêmes enfin, regardés comme les auteurs de ce bienfait, seraient un objet d’admiration pour leurs contemporains et pour l’avenir. Certes, à ce point de vue et à d’autres égards encore, c’était une lutte glorieuse; ce n’était pas seulement des Athéniens qu’ils triomphaient, mais aussi d’un grand nombre d’alliés d’Athènes; de leur côté, ils n’étaient point restés isolés, mais avaient vu un grand nombre de peuples se ranger autour d’eux; ils avaient partagé le commandement avec les Corinthiens et les Lacédémoniens, exposé leur ville aux premiers périls, et grandement accru leur importance maritime. En effet, à part le rassemblement général qui dans cette guerre se fit à Athènes et à Lacédémone, jamais une seule ville n’avait vu pareil concours de peuples.

LVII. Voici l’énuméralion des peuples qui, de part et d’autre, vinrent combattre devant Syracuse pour ou contre la Sicile, afin de concourir, ceux-ci à la conquête, ceux-là à la défense du pays. Ce n’était ni la justice ni la parenté qui avaient formé les liaisons réciproques; chacun avait cédé aux circonstances, à l’intérêt, à la nécessité.

Les Athéniens, Ioniens d’origine, marchèrent avec joie contre les Syracusains, de race dorienne. Avec eux combattaient des peuples qui conservaient encore la langue et les institutions athéniennes, les habitants de Lemnos, d’lmbros, les possesseurs actuels d’Égine[*](Les Athéniens avaient, au commencement de la guerre, expulsé tous les habitants d’Égine, et s’y étaient eux-mêmes établis (Thuc., 11, 27).) et [*](1 Les Athéniens avaient, au commencement de la guerre, expulsé tous les habitants d’Égine, et s’y étaient eux-mêmes établis (Thuc., 11, 27).)

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d’Hestiée[*](Ils avaient également chassé les habitants d’Hestiée pour occuper eux-mêmes le pays (Thcc., I, 114).) en Eubée, tous colons d'Athènes. D’autres prirent part à l’expédition comme sujets, comme alliés libres, quelques-uns comme mercenaires : parmi les peuples sujets et tributaires, étaient les habitants de l’Eubée, Érétriens, Chalcidéens, Styréens, Carystiens; les insulaires de Céos, d’Andros, de Ténos; de l’Ionie étaient venus les Milésiens, les Samiens et ceux de Chio. Ces derniers toutefois, non tributaires, et ne devant que des vaisseaux, avaient gardé leur autonomie. Tous ces peuples, presque entièrement Ioniens et d’origine athénienne, — à l’exception des Carystiens, qui sont des Dryopes, — prenaient part à l’expédition comme sujets et astreints au service; mais du moins c’étaient des Ioniens combattant contre des Doriens. Venaient ensuite les peuples de race éolique; les Méthymnéens fournissaient, comme sujets, un contingent de vaisseaux, mais ne payaient pas tribut; ceux de Ténédos et d’Énos étaient tributaires. Ceux-là, quoique Éoliens, étaient forcés à porter les armes contre des Éoliens, leurs fondateurs, contre les Béotiens alliés des Syracusains. Les Platéens, tout au contraire, étaient les seuls Béotiens armés contre des Béotiens par un juste sentiment de haine. Les habitants de Rhodes et de Cythère, Doriens les uns et les autres, prenaient également part à la guerre : ceux de Cythère, colons de Lacédémone, marchaient avec les Athéniens contre les Lacédémoniens compagnons de Gylippe; ceux de Rhodes, Argiens d’origine, étaient contraints à faire la guerre aux Syracusains qui étaient Doriens, [*](1 Ils avaient également chassé les habitants d’Hestiée pour occuper eux-mêmes le pays (Thcc., I, 114).)
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et aux habitants de Géla, leurs propres colons, engagés dans le parti de Syracuse. Parmi les insulaires voisins du Péloponnèse, ceux de Céphallénie et de Zacynthe, indépendants il est vrai, cédaient surtout, en suivant les Athéniens, aux nécessités de leur position d’insulaires vis-à-vis des maîtres de la mer; les Corcyréens, qui sont non seulement des Doriens, mais de véritables Corinthiens, marchaient à la suite des Athéniens contre les Corinthiens dont ils descendent, et contre les Syracusains qui ont avec eux même origine; en apparence ils cédaient à la force, en réalité ils n’étaient pas fâchés de satisfaire leur haine contre les Corinthiens. Ceux qu’on appelle aujourd’hui Messéniens de Naupacte, et les Messéniens de Pylos, qui était alors au pouvoir des Athéniens, furent également enrôlés pour cette guerre. Des exilés mégariens, en petit nombre, combattirent aussi, par le malheur de leur situation, contre les Sélinontins originaires de Mégare. Quant aux autres peuples, la part qu’ils prirent à l’expédition fut plutôt toute volontaire. Les Argiens y vinrent, moins à titré d’alliés qu’en haine des Lacédémoniens el par des considérations toutes personnelles : Doriens, ils suivaient contre des Doriens les Athéniens qui sont Ioniens. Les Mantinéens et les autres mercenaires arcadiens, accoutumés à marcher toujours contre quiconque est désigné à leurs coups, ne faisaient alors aucune différence, grâce à la solde qu’ils touchaient, entre les Arcadiens venus avec les Corinthiens et les autres ennemis. Les Crétois et les Étoliens avaient aussi été entraînés par l’appât d’une solde : les Crétois, qui avaient fondé Géla de concert avec les Rhodiens, se trouvèrent ainsi, à titre de mercenaires, marcher
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sans le vouloir contre leur colonie, au lieu de la défendre. Parmi les Acarnanes, quelques-uns avaient cédé à l’attrait du gain; mais la plupart obéissaient à leur affection pour Démosthènes, à leur penchant pour les Athéniens, et les secondaient en qualité d’alliés. Indépendamment de ces peuples qu’embrasse le golfe d'lonie, quelques villes d’ltalie, Thurium et Métaponte, participèrent à l’expédition, réduites à cette nécessité par les malheurs d’un temps de sédition. En Sicile, Naxos et Catane; parmi les barbares, les Égestains, qui avaient appelé les Athéniens, et la plupart des Sicèles; en dehors de la Sicile, quelques Tyrséniens en hostilité avec Syracuse et des lapyges mercenaires : tels sont les peuples qui marchaient avec les Athéniens.

LVIII. Les Syracusains, de leur côté, avaient pour auxiliaires les habitants de Camarina qui leur sont limitrophes, et ceux de Géla qui viennent ensuite. Les Agrigentins étaient neutres; mais, de l’autre côté d’Agrigente, les Sélinontins étaient avec Syracuse. Tous ces peuples habitent la partie de la Sicile tournée vers la Libye. Du côté qui regarde la mer Tyrsénienne, les Himériens, les seuls Grecs établis dans cette partie, furent aussi les seuls qui secoururent les Syracusains. Tels étaient les alliés de Syracuse parmi les peuples grecs de la Sicile; tous sont Doriens et autonomes. Parmi les barbares, ils n’avaient avec eux que ceux des Sicèles qui n’avaient point passé aux Athéniens. Quant aux Grecs du dehors, les Lacédémoniens fournirent un commandant Spartiate, des néodamodes et des hilotes (néodamode signifie affranchi). Les Corinthiens seuls amenèrent simultanément une flotte et une armée

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de terre; des liens de parenté engagèrent dans la ligue les Leucadiens et les Ambraciotes; il vint d’Arcadie des mercenaires envoyés par les Corinthiens; les Sicyoniens furent forcés à marcher. En dehors du Péloponnèse ils eurent avec eux les Béotiens. Mais comparativement, les secours fournis par les Siciliens furent, grâce à l’importance de leurs villes, supérieurs de beaucoup sous tous les rapports à ceux envoyés du dehors. Ils rassemblèrent un grand nombre d’hoplites, de vaisseaux, de cavalerie et une masse d’autres troupes. Toutefois les Syracusains contribuèrent, on peut le dire, plus que tous les autres ensemble, en raison de la puissance de leur ville et du péril extrême où ils étaient.

LIX. Telles furent les forces auxiliaires réunies de part et d’autre : toutes se trouvaient alors présentes à Syracuse, et, à partir de ce moment, ni l’un ni l’autre parti ne reçut plus aucun renfort.

Les Syracusains et leurs alliés pensèrent donc avec raison que ce serait pour eux un glorieux exploit, après la victoire navale qu’ils venaient de remporter, que de prendre en entier cette armée athénienne si nombreuse, et de ne lui laisser aucun moyen d’échapper ni par terre ni par mer. Ils se mirent aussitôt à fermer le grand port, qui avait environ huit stades d’ouverture, en mouillant transversalement des trirèmes, des vaisseaux de charge et des barques qu’ils affermirent sur des ancres. Ils faisaient d’ailleurs tous leurs préparatifs pour le cas où les Athéniens oseraient tenter un nouveau combat naval, et ne formaient plus que de vastes desseins.

LX. Les Athéniens, se voyant enfermer et devinant

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toute la pensée de l’ennemi, crurent devoir délibérer. Les généraux et les taxiarques[*](Les taxiarqnes ne prenaient pas part aux délibérations dans les circonstances normales.) tinrent conseil : l’armée manquait de tout; les vivres étaient épuisés, et comme on avait fait passer l’ordre à Catane, en vue du départ projeté, de suspendre les envois, on n’en pouvait espérer pour l’avenir, à moins d’une victoire navale. En présence de cette situation, ils s’arrêtèrent aux résolutions suivantes : abandonner la partie supérieure de leurs murailles[*](l.a partie qui se dirigeait vers Épipolæ, leur but étant de se concentrer sur le grand port.); retrancher auprès des vaisseaux l’espace strictement nécessaire pour le matériel et les malades, et y mettre garnison; embarquer le reste de l’armée de terre sur tous les vaisseaux, même sur ceux qui étaient moins propres au service, et forcer le passage en combattant; vainqueurs, se retirer à Catane : vaincus, brûler la flotte, prendre, en ordre de bataille, la voie de terre et occuper au plus tôt quelque place amie, soit grecque, soit barbare. Cette résolution prise, l’exécution suivit : ils abandonnèrent furtivement les retranchements supérieurs pour se rabattre vers la mer, équipèrent tous leurs vaisseaux et forcèrent à s’y embarquer sans distinction quiconque paraissait, par sa vigueur, propre à rendre le moindre service. On arma ainsi cent dix vaisseaux en tout; on y fit monter un grand nombre d’archers et des gens de trait étrangers, Acarnanes et autres; enfin on disposa tout le reste autant que le permettaient les nécessités du moment et un pareil dessein.

Les préparatifs à peu près terminés, Nicias, voyant [*](1 Les taxiarqnes ne prenaient pas part aux délibérations dans les circonstances normales.) [*](* l.a partie qui se dirigeait vers Épipolæ, leur but étant de se concentrer sur le grand port.)

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les soldats découragés de tant de défaites sur mer auxquelles ils n’étaient pas habitués, et résolus néanmoins, faute de vivres, à risquer au plus tôt le combat, les assembla tous et leur adressa pour la première fois quelques paroles d’encouragement. Il s’exprima en ces termes :