History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XLI. Les députés, à leur arrivée, entrèrent en conférences avec les Lacédémoniens sur les bases du traité : tout d’abord ils demandèrent qu’on remît à l’arbitrage soit d’une ville, soit d’un particulier, leur éternel différend au sujet de la Cynurie, pays limitrophe entre eux (elle renferme les villes de Thyréa et d'Anthéné, et est au pouvoir des Lacédémoniens). Les Lacédémoniens ne voulurent même pas qu’il fût fait mention de cette contrée; mais ils se déclarèrent prêts à traiter sur les anciennes bases, si les Argiens le voulaient. Cependant les ambassadeurs les amenèrent aux conditions suivantes; il y aurait pour le présent une trêve de cinquante ans; mais chacune des deux parties pourrait, après déclaration préalable, et sauf le cas de peste ou de guerre, soit à Lacédémone, soit à Argos, prendre les armes pour la possession de cette contrée, comme cela avait eu lieu autrefois lorsque de part et d’autre on s’était attribué la victoire; la poursuite ne pourrait

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avoir lieu au delà des frontières d’Argos et de Lacédémone. Ces propositions parurent d’abord insensées aux Lacédémoniens; mais ensuite le désir de se concilier à tout prix l’amitié des Argiens leur fit donner les mains à ce qu’on demandait, et le traité fut rédigé; toutefois les Lacédémoniens exigèrent, avant qu’il devînt définitif, que les députés retournassent à Argos le présenter au peuple; s’il était approuvé, ils devaient revenir aux fêtes d’Hyacinthe pour l’échange des serments. Les ambassadeurs se retirèrent.

XLII. Pendant ces négociations des Àrgiens, les ambassadeurs lacédémoniens Andromèdes, Phédimos et Antiménidas, chargés de recevoir Panacton et les prisonniers des mains des Béotiens pour les remettre aux Athéniens, trouvèrent Panacton rasée par les Béotiens. Ceux-ci prétextaient qu’à la suite de différends au sujet de cette même place, il avait autrefois été convenu, sous la foi du serment, entre les Athéniens et les Béotiens, que ni les uns ni les autres ne la posséderaient exclusivement et qu’ils en jouiraient en commun. Quant aux prisonniers athéniens au pouvoir des Béotiens, remise en fut faite à Andromèdes et à ses collègues, qui les conduisirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aux Athéniens que Panacton était rasée, et prétendirent que cela équivalait à la remise de la place, puisqu’il n’y logerait plus aucun ennemi d’Athènes. A ces paroles, les Athéniens firent éclater leur indignation : ils faisaient un crime aux Lacédémoniens de la destruction de Panacton, qui devait leur être remise en bon état; ils avaient appris en outre leur alliance particulière avec les Béotiens, contrairement à l’engagement qu’ils avaient pris anté-

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rieurement de contraindre de concert ceux qui n’accepteraient pas le traité; enfin ils se remémoraient toutes les stipulations dont l’exécution se faisait encore attendre, et se croyaient joués. Aussi répondirentils durement aux ambassadeurs, et ils les congédièrent.

XLIII. Au milieu de ces contestations entre les Lacédémoniens et les Athéniens, ceux qui, à Athènes, voulaient aussi la rupture du traité, se mirent aussitôt à l’oeuvre avec ardeur; c’était, entre autres, Alcibiade, fils de Clinias, qui, à cette époque, n’eût encore été qu’un jeune homme dans toute autre ville[*](11 avait environ trente ans. Dans la plupart des États delà Grèce, en particulier chez les Achéens et les Lacédétnoniens, on n’avait droit de suffrage qu’à trente ans.), mais à qui l’illustration de ses ancêtres[*](Son aïeul Alcibiade avait contribué avec Clisthènes à l’expulsion des Pisistratides; son père Clinias avait obtenu le prix de la aleur à Artémisium et était mort à Goronée.) avait valu une grande considération. Il pensait, sans doute, que le mieux était de s’unir aux Argiens; mais, en dehors même de ce motif, les révoltes de l'orgueil blessé l’avaient rendu hostile aux Lacédémoniens : ceux-ci, en effet, avaient conclu la trêve à la considération de Nicias et de Lâchés, sans tenir aucun compte de lui, à cause de sa jeunesse; ils ne lui avaient pas témoigné les égards que commandait le titre de proxène des Lacédémoniens, depuis longtemps dans sa famille. Son aïeul, il est vrai, y avait renoncé; mais Alcibiade avait espéré le faire revivre par ses attentions pour les prisonniers de l’île. Croyant qu'on lui avait manqué à tous égards, il avait dès l’origine manifesté son opposition, en disant que les Lacédémoniens n’étaient pas sûrs, qu’ils ne trai- [*](1 11 avait environ trente ans. Dans la plupart des États delà Grèce, en particulier chez les Achéens et les Lacédétnoniens, on n’avait droit de suffrage qu’à trente ans.) [*](* Son aïeul Alcibiade avait contribué avec Clisthènes à l’expulsion des Pisistratides; son père Clinias avait obtenu le prix de la aleur à Artémisium et était mort à Goronée.)

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taient que pour, écraser les Argiens, à la faveur de cette alliance, et pour attaquer ensuite les Athéniens isolés. Puis, une fois ce démêlé engagé, il s’empressa d’envoyer, en son propre nom, des émissaires aux Argiens, pour les engager à venir en toute hâte, avec les Mantinéens et les Éléens, réclamer l’alliance. Le moment était opportun, disait-il, et il leur apporterait un énergique concours.

XLIV. Sur cet avis, les Argiens, informés d'ailleurs que l’alliance avec les Béotiens avait eu lieu sans la participation des Athéniens, que, tout au contraire, de graves contestations s’étaient élevées entre eux et les Lacédémoniens, ne s’inquiétèrent plus des ambassadeurs qu’ils avaient envoyés négocier un accommodement à Lacédémone. Ils aimaient mieux tourner leurs pensées du côté des Athéniens, par cette considération que, s’ils avaient à faire la guerre, ils seraient soutenus par une ville avec laquelle ils avaient d’anciennes relations d’amitié, constituée comme eux en démocratie et disposant d’une grande puissance maritime. Ils envoyèrent donc sur-le-champ des députés à Athènes pour négocier une alliance; les Éléens et les Mantinéens se joignirent à cette ambassade. Les Lacédémoniens s’empressèrent également d’envoyer aux Athéniens des ambassadeurs qu’ils croyaient devoir leur être agréables, Philocaridas, Léon et Endios; car ils craignaient que les Athéniens irrités ne contractassent alliance avec les Argiens. Ils voulaient aussi réclamer la restitution de Pylos, en échange de Panacton, et démontrer que leur alliance avec les Béotiens ne couvrait aucun mauvais dessein contre Athènes.

XLV. Quand ils eurent exposé ces divers objets de

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leur mission dans le sénat, et déclaré qu’ils venaient munis de pleins pouvoirs pour régler toutes les difficultés, Alcibiade craignit qu’en renouvelant les mêmes déclarations devant le peuple, ils n’entraînassent la multitude et ne fissent rejeter l’alliance d’Argos. Voici le piège qu’il leur tendit : il leur persuade, en leur donnant des assurances positives, que, s’ils ne déclarent pas devant le peuple qu’ils sont munis de pleins pouvoirs, il leur fera rendre Pylos; qu’il y décidera les Athéniens, tout aussi bien qu’il les en détourne maintenant, et qu’il arrangera tout le reste. Il voulait, par là, les détacher de Nicias; en même temps il espérait, en les décriant auprès du peuple, comme n’ayant que fausseté dans l'esprit, que duplicité dans le langage, obtenir par ce moyen l’alliance d’Athènes pour les Argiens, les Éléens et les Mantinéens; ce fut ce qui arriva. Lorsque les ambassadeurs parurent devant le peuple, et qu’aux questions qu’on leur fit ils ne répondirent plus, comme au sénat, qu’ils avaient de pleins pouvoirs, les Athéniens ne se continrent plus. Alcibiade alors attaqua les Lacédémoniens avec bien plus de force encore qu’auparavant, et se fit écouter avec faveur; déjà on se disposait à introduire immédiatement les Argiens et les autres ambassadeurs, pour contracter alliance, lorsqu’un tremblement de terre, survenu avant qu’il y eût rien d’arrêté[*](Si le tremblement de terre survenait au milieu d’une action déjà commencée, c’était au contraire un signe favorable.), fit ajourner l’assemblée.

XLVI. A l’assemblée suivante, Nicias, — tout abusé qu’il était par la déclaration des Lacédémoniens, qui s’étaient laissé abuser eux-mêmes jusqu’à nier leurs [*](* Si le tremblement de terre survenait au milieu d’une action déjà commencée, c’était au contraire un signe favorable.)

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pleins pouvoirs,—n’en prétendit pas moins que l’amitié des Lacédémoniens devait être préférée; qu’il fallait suspendre les négociations avec Argos, et députer de nouveau à Lacédémone, pour savoir ce qu’on y pensait. Il disait qu’Athènes étant dans une situation glorieuse, et Lacédémone humiliée, il convenait de différer la guerre; que le mieux pour les Athéniens, dans l’état prospère où se trouvaient leurs affaires, était de conserver leur bonheur le plus longtemps possible; tandis que, pour les Lacédémoniens qui étaient malheureux, c’était une bonne fortune que de courir au plus tôt les hasards. Il obtint qu’on enverrait une députation, dont il fit partie, pour enjoindre aux Lacédémoniens, si leurs intentions étaient droites, de rendre Panacton en bon état, ainsi qu’Amphipolis, et de renoncer à l’alliance des Béotiens,— à moins que ceux-ci n’accédassent au traité, — conformément à la clause qui ne permettait pas de contracter les uns sans les autres. Les ambassadeurs avaient ordre d’ajouter que les Athéniens auraient pu déjà, eux aussi, s’ils avaient voulu manquer à leur parole, admettre à leur alliance les Argiens; car ceux-ci étaient à Athènes dans ce but. Enfin on donna à Nicias et à ses collègues des instructions sur tous les autres griefs, et on les fit partir.

A leur arrivée, ils firent connaître les divers objets de leur mission, et finirent par déclarer que, si les Lacédémoniens ne renonçaient pas à l’alliance des Béotiens, dans le cas où ceux-ci. n’accéderaient pas au traité, Athènes, de son côté, ferait alliance avec les Argiens et leurs amis. Les Lacédémoniens répondirent qu’ils ne renonceraient pas à l’alliance des Béotiens : cette décision fut emportée par l’influence de l’éphore

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Xénarès et de ceux qui partageaient son opinion. Cependant on renouvela les serments, à la demande de Nicias. Il craignait de partir sans avoir absolument rien fait, et d’être en butte aux récriminations, ce qui arriva en effet, d’autant plus qu’il passait pour l’auteur du traité. A son retour, les Athéniens, apprenant qu’il n’avait rien obtenu à Lacédémone, s'irritèrent; et tout aussitôt, se croyant lésés, ils conclurent avec les Argiens et leurs alliés, qui se trouvaient présents et qu’Alcibiade introduisit, un traité de pâix et d’alliance dont voici la teneur :

XLVII. « Un traité de paix de cent années est conclu entre les Athéniens, les Argiens, les Mantinéens et les Éléens, tant pour eux que pour les alliés auxquels ils commandent respectivement, sans dol ni dommage, sur terre et sur mer.

« Il est interdit de porter les armes en vue de nuire : aux Argiens, aux Éléens, aux Mantinéens et à leurs alliés, contre les Athéniens et les alliés soumis à la domination athénienne; aux Athéniens et à leurs alliés, contre les Argiens, les Éléens, les Mantinéens et leurs alliés, de quelque façon et sous quelque prétexte que ce soit.

« A cette condition, les Athéniens, les Argiens, les Éléens et les Mantinéens seront alliés pendant cent ans. Si quelque ennemi envahit le territoire des Athéniens, les Argiens, les Éléens et les Mantinéens viendront au secours d’Athènes, sur l’invitation des Athéniens, autant que faire se pourra et par les moyens les plus efficaces en leur pouvoir. S’il se retire après avoir ravagé le pays, il sera considéré comme ennemi d’Argos, de Mantinée, d’Élée et d’Athènes; toutes ces villes lui

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feront la guerre, et aucune d’elles ne pourra se retirer de la lutte sans le consentement unanime de toutes.

« Si quelque ennemi envahit le territoire des Éléens, des Manlinéens ou des Argiens, les Athéniens viendront au secours d’Argos, de Mantinée et d’Élée, sur la réclamation de ces villes, autant que faire se pourra et par les moyens les plus efficaces en leur pouvoir. S’il se retire après avoir ravagé le pays, il sera considéré comme ennemi des Athéniens, des Argiens, des Mantinéens et des Éléens; tous ensemble lui feront la guerre, et aucun d’eux ne pourra se retirer de la lutte sans le consentement unanime de tous.

« Ils s’engagent à interdire à toutes troupes armées en guerre le passage sur leur territoire et sur celui des alliés soumis à leur domination, ainsi que la traversée par mer, — à moins que l’autorisation n’ait été accordée de concert par toutes les villes, par Athènes, Argos, Mantinée et Élée.

« La ville qui enverra des troupes auxiliaires leur fournira trente jours de vivres, à dater de leur arrivée dans la ville qui les aura réclamées, et pourvoira de même au retour. Si la ville qui a mandé ces troupes veut en disposer plus longtemps, elle payera, pour subsistances, trois oboles d’Égine par jour à chaque hoplite, soldat léger ou archer, et aux cavaliers une drachme d’Égine[*](Trois oboles d’Égine valaient cinq oboles, et la drachme d’Égine dix oboles attiques, c’est-à-dire environ un franc cinquante centimes de notre monnaie.).

« La ville qui aura réclamé les secours aura le commandement tant que la guerre se fera sur son territoire. Si les villes confédérées jugent à propos de faire quel- [*](1 Trois oboles d’Égine valaient cinq oboles, et la drachme d’Égine dix oboles attiques, c’est-à-dire environ un franc cinquante centimes de notre monnaie.)

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que expédition en commun, le commandement sera partagé sur le pied de l’égalité.

« Les Athéniens jureront le traité pour eux et leurs alliés; du côté des Argiens, des Mantinéens, des Éléens et de leurs alliés, chaque ville s’obligera en particulier[*](Cette différence tient à ce que les Athéniens tenaient leurs alliés dans une complète dépendance, tandis que les peuples du Péloponnèse, dans la jouissance entière de leurs droits, n’étaient engagés que de leur propre consentement.); chacune prêtera le serment le plus sacré dans le pays, et immolera des victimes parfaites[*](C’est-à-dire des boeufs, des béliers, et non des animaux encore allaités, comme les veaux et les agneaux.). La formule est : « Je resterai fidèle à l’alliance et aux présentes stipulations, suivant la justice, sans dommage et sans dol; je n’y contreviendrai en quelque façon et sous quelque prétexte que ce soit. »

« A Athènes le serment sera prêté par le sénat et les magistrats urbains[*](Par opposition à ceux que leurs fonctions appelaient au dehors» comme les généraux, les commandants des colonies.), et reçu par les prytanes; à Argos par le sénat, les quatre-vingts èt les artynes[*](Les fonctions de ces magistrats ne sont pas bien connues; peut- être présidaient-ils le conseil des Quatre-vingts.), entre les mains des quatre-vingts; à Mantinée par les démiurges[*](C’était sans doute là une magistrature populaire analogue au tribunal.), le sénat et les autres magistrats, entre les mains des théores[*](Collège de prêtres chargés de consulter les oracles.) et des polémarques[*](Magistrats chargés de l’intendance militaire et de tout ce qui avait trait à la guerre.); à Élis, par les démiurges, les magistrats souverains et les six cents, entre les mains des démiurges et des thesmophylaces[*]("Gardiens des lois.).

[*](1 Cette différence tient à ce que les Athéniens tenaient leurs alliés dans une complète dépendance, tandis que les peuples du Péloponnèse, dans la jouissance entière de leurs droits, n’étaient engagés que de leur propre consentement.)[*](s C’est-à-dire des boeufs, des béliers, et non des animaux encore allaités, comme les veaux et les agneaux.)[*](8 Par opposition à ceux que leurs fonctions appelaient au dehors» comme les généraux, les commandants des colonies.)[*](4 Les fonctions de ces magistrats ne sont pas bien connues; peut- être présidaient-ils le conseil des Quatre-vingts.)[*](8 C’était sans doute là une magistrature populaire analogue au tribunal.)[*](6 Collège de prêtres chargés de consulter les oracles.)[*](7 Magistrats chargés de l’intendance militaire et de tout ce qui avait trait à la guerre.)[*](8 "Gardiens des lois.)
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« Les serments seront renouvelés, par les Athéniens, à Élis, à Mantinée et à Argos, trente jours avant les jeux Olympiques; par les Argiens, les Éléens, les Mantinéens, à Athènes, dix jours avant les grandes Panathénées[*](Les petites Panathénées se célébraient tons les ans; les grandes tous les quatre ans, la troisième année de chaque olympiade.)

« Les clauses relatives à la paix, aux serments et à l’alliance, seront inscrites sur une colonne de marbre, à Athènes, dans l’Acropole; à Argos, dans l’Agora, au temple d’Apollon; à Mantinée, dans le temple de Jupiter, sur l’Agora. On placera aussi en commun une colonne d’airain à Olympie, pendant les jeux actuels. Si les États contractants trouvent quelque chose de mieux, ils pourront l’ajouter à ces articles, et ce qui aura été arrêté de concert dans une délibération commqne sortira son entier effet. »

XLVIII. Ainsi fut conclu ce traité de paix et d’alliance. Ni les Lacédémoniens ni les Athéniens ne renoncèrent pour cela à celui qu’ils avaient entre eux. Les Corinthiens, quoique alliés des Argiens, ne voulurent ni adhérer à ce nouveau traité, ni même jurer l’alliance conclue précédemment entre les Éléens, les Argiens et les Mantinéens, sous la condition de ne faire la guerre et la paix que d’un commun accord. Ils déclarèrent se contenter de la première alliance défensive, en vertu de laquelle ils devaient se prêter un mutuel secours, sans attaquer personne de concert. Par là les Corinthiens se séparaient de leurs alliés, et tournaient de nouveau leurs vues vers les Lacédémoniens.

XLIX. Cet été furent célébrés les jeux Olympiques, où Androsthènes d’Arcadie remporta pour la première [*](1 Les petites Panathénées se célébraient tons les ans; les grandes tous les quatre ans, la troisième année de chaque olympiade.)

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fois le prix du pancrace[*](Vers le milieu de juillet.). Les Lacédémoniens se virent interdire par les Éléens l’entrée du temple; ils ne purent, dès lors, ni sacrifier, ni participer aux jeux, comme n’ayant pas payé l’amende à laquelle les Éléens les avaient condamnés, suivant la loi olympique, sous prétexte qu’ils avaient, pendant la trêve olympique[*](Les Éléens, chargés de l’administration du temple et des jeux, faisaient publier cette trêve, afin que tons les Grecs pussent assister aux fêtes; les hostilités devaient être partout suspendues pendant ce temps.), porté les armes contre la place des Phrycos et envoyé des hoplites à Lépréon. L’amende était de deux mille raines, à deux mines par hoplite[*](C’était le prix de rachat d’un soldat péloponnésien, dans les guerres des Péloponnésiens entre eux. Tous les soldats qui avaient porté les armes pendant la trêve olympique étaient considérés comme captifs de Jupiter.), suivant la loi. Les Lacédémoniens envoyèrent des députés et soutinrent qu’ils avaient été condamnés à tort, la trêve n’ayant pas encore été proclamée à Lacédémone[*](Elle était proclamée par des hérauts appelés spoudophores.) quand ils envoyèrent leurs hoplites. Les Éléens alléguaient que pour eux la suspension d’armes existait déjà, — car ils ont coutume de la proclamer chez eux d’abord,— et que, tandis qu’ils étaient tranquilles, sans inquiétude, comme en temps de trêve, les Lacédémoniens en avaient profité pour commettre inopinément cette injuste violence. Les Lacédémoniens répondaient que les Éléens n’auraient pas dû faire proclamer la trêve à Sparte, si déjà à cette époque ils se croyaient lésés par les Lacédémoniens; qu’ils l’avaient fait cependant, preuve qu’ils étaient loin de cette pensée; que de ce moment les Lacédémoniens n’avaient plus porté les [*](1 Vers le milieu de juillet.) [*](8 Les Éléens, chargés de l’administration du temple et des jeux, faisaient publier cette trêve, afin que tons les Grecs pussent assister aux fêtes; les hostilités devaient être partout suspendues pendant ce temps.) [*](3 C’était le prix de rachat d’un soldat péloponnésien, dans les guerres des Péloponnésiens entre eux. Tous les soldats qui avaient porté les armes pendant la trêve olympique étaient considérés comme captifs de Jupiter.) [*](* Elle était proclamée par des hérauts appelés spoudophores.)
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armes contre eux. Néanmoins les Éléens persistèrent dans leur dire, soutenant qu’on ne leur persuaderait pas que les Lacédémoniens fussent irréprochables; que si cependant ceux-ci voulaient leur rendre Lépréon, ils offraient de leur côté de faire remise de ce qui leur revenait sur l’amende, et de payer pour les Lacédémoniens la part afférente au dieu.

L. N’ayant pu se faire écouter, ils leur proposèrent encore, non plus de rendre Lépréon, s’ils ne le voulaient pas, mais de monter à l’autel de Jupiter Olympien, puisqu’ils tenaient à jouir du temple, et là de s’engager par serment, en présence des Grecs, à payer plus tard l’amende. Les Lacédémoniens, ayant repoussé même cette proposition, furent exclus du temple, des sacrifices et des jeux, et durent sacrifier chez eux. Les autres Grecs prirent part à la solennité, à l’exception des Lépréates. Cependant les Éléens, craignant que les Lacédémoniens n’employassent la force pour sacrifier dans le temple, établirent une gaéde de jeunes gens armés : mille Argiens, autant de Mantinéens vinrent se joindre à eux, ainsi que des cavaliers athéniens, qui attendaient à Argos la célébration de la fête. La crainte était grande, au milieu des Grecs assemblés, que les Lacédémoniens ne. vinssent en armes, surtout depuis que Lichas, de Lacédémone, fils d’Arcésilas, avait été frappé dans la lice par les sergents d’armes[*](Mot à mot, les porte-verges, espèce de licteurs.) : son attelage était vainqueur; mais comme il ne lui était pas permis de concourir, le héraut proclama que la victoire était au char envoyé par le peuple béotien[*](Lichas, ne pouvant concourir comme Lacédémonien, avait fait inscrire son char sous le nom du peuple béotien.) Ί Li- [*](1 Mot à mot, les porte-verges, espèce de licteurs.) [*](2 Lichas, ne pouvant concourir comme Lacédémonien, avait fait inscrire son char sous le nom du peuple béotien.)

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chas alors s’avança dans la lice, et ceignit le cocher d’une bandelette, pour montrer que le char lui appartenait. Cela ne fit qu’augmenter la crainte générale, et on s’attendait à quelque événement. Cependant les Lacédémoniens se tinrent en repos, et la fête se passa sans accident.

Après les jeux Olympiques, les Argiens et leurs alliés se rendirent auprès des Corinthiens pour les engager à se joindre à eux. Des ambassadeurs de Lacédémone se trouvaient alors à Corinthe. De nombreuses conférences eurent lieu, mais sans résultat en définitive : un tremblement de terre étant survenu, on se sépara, et chacun retourna chez soi. L’été finit.

LI. L’hiver suivant[*](420 avant notre ère.), les Héracléotes de Trachine[*](Les Lacédémoniens avaient envoyé une colonie à Trachiuc et changé son nom en celui d’Héraclée.) en vinrent aux mains avec les Énianes, les Dolopes, les Méliens et quelques Thessaliens. Ces peuples, voisins d’Héraclée, lui étaient hostiles; car l’érection de cette place forte ne pouvait être dirigée que contre leur pays. Aussi, à peine fondée, ils l’attaquèrent et lui firent tout le mal possible. Dans cette circonstance, les Héracléotes furent vaincus; le Lacédémonien Xénarès, fils de Cnidis, qui les commandait, fut tué; plusieurs Héracléotes eurent le même sort. L’hiver finit, et, avec lui, la douzième année de la guerre.

LII. Dès le commencement de l’été suivant, les Béotiens, voyant Héraclée affaiblie et ruinée par cette défaite, l’occupèrent et en chassèrent le Lacédémonien Hégésippidas, sous prétexte d'incapacité : ils mirent la main sur cette ville, dans la crainte que les Athéniens [*](1 420 avant notre ère.) [*](* Les Lacédémoniens avaient envoyé une colonie à Trachiuc et changé son nom en celui d’Héraclée.)

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ne profitassent, pour s’en emparer, de l’occupation que donnaient aux Lacédémoniens les troubles du Péloponnèse. Les Lacédémoniens n’en furent pas moins irrités contre eux. Le même été, Alcibiade, fils de Clinias, général des Athéniens, secondé par les Argiens et leurs alliés, pénétra dans le Péloponnèse avec un petit nombre d’hoplites et d’archers athéniens. Il prit à sa suite quelques alliés du pays, régla avec eux tout ce qui intéressait les contrées alliées, traversa le Péloponnèse avec son armée et persuada aux habitants de Patras de pousser leurs murs jusqu’à la mer. Il songeait lui-même à élever d’autres fortifications à Rhiond’Achaïe; mais les Corinthiens, les Sicconiens et tous ceux que cet établissement eût incommodés, accoururent et s’y opposèrent.

LIII. Le même été, la guerre éclata entre les Épidauriens et les Argiens, à propos d’un sacrifice que les Épidauriens devaient offrir à Apollon Pythéen[*](Il y avait un temple d’Apollon Pythéen à Asiné. Pythé passait pour le fils d’Apollon.) pour un droit de pâturage[*](La plupart des commentateurs ont désespéré de ce passage : les manuscrits portent παραβοταμίων, ou παραποτάμιων. J’ai adopté la première leçon qui seule pouvait offrir un sens raisonnable. Boτάμια signifiant des herbages, j’ai traduit παραβοτάμια par droit d’herbage, quoique je ne connaisse aucun autre emploi de ce mot.) et qu’ils n’avaient pas envoyé. Les Argiens avaient l’intendance suprême du temple; mais, en dehors même de ce motif, ils méditaient, d’accord avec Alcibiade, de s’emparer d’Épidaure, afin de tenir Corinthe en respect et d’ouvrir aux Athéniens, obligés maintenant de doubler Scylléon, une voie plus courte pour leur amener des secours d’Égine. Les Argiens se disposèrent donc à attaquer Épidaure, afin d’exiger le sacrifice.

[*](1 Il y avait un temple d’Apollon Pythéen à Asiné. Pythé passait pour le fils d’Apollon.)[*](* La plupart des commentateurs ont désespéré de ce passage : les manuscrits portent παραβοταμίων, ou παραποτάμιων. J’ai adopté la première leçon qui seule pouvait offrir un sens raisonnable. Boτάμια signifiant des herbages, j’ai traduit παραβοτάμια par droit d’herbage, quoique je ne connaisse aucun autre emploi de ce mot.)
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LIV. Vers le même temps, les Lacédémoniens, sous la conduite du roi Agis, fils d’Archidamos, firent de leur côté une expédition en masse à Leuctra, sur leur frontière, du côté du Lycée. Personne ne savait le but de l’expédition, pas même les villes qui avaient fourni les troupes. Mais, les sacrifices offerts avant d’entrer chez l'ennemi n’ayant pas été favorables[*](On trouve dans Thucydide et dans les autres historiens de nombreux exemples de cette superstition, bien d’accord d’ailleurs avec le caractère temporisateur des Lacédémoniens.), ils rentrèrent chez eux, et prévinrent partout leurs alliés de se tenir prêts pour une expédition aussitôt après le mois suivant. C’était le mois carnéen[*](Ce mois était consacré à Apollon, surnommé Garaéus. Pendant tout le mois, les Lacédémoniens n’entreprenaient aucune expédition, à moins d’une extrême urgence.), mois sacré pour les Doriens. Lorsqu’ils furent rentrés, les Argiens se mirent en marche, le quatrième jour avant le commencement du mois carnéen; et, comme s’il ne devait être tenu compte, pour toute la durée de l’expédition, que du jour de l’entrée en campagne[*](Καί άγοντες τήν ή μέραν ταύτην πάντα τον χρόνον, et ducentes hanc diem omne tempus; et considérant ce jour comme tout le temps, c’est-à-dire pensant que, du moment où le jour de l’entrée en campagne n’était pas réservé, il devait communiquer son caractère à tout le reste de l’expédition. Aucun des traducteurs n’a compris ce passage.), ils envahirent le territoire d’Épidaure et le ravagèrent. Les Épidauriens appelèrent à eux leurs alliés; mais les uns prétextèrent le mois où l’on se trouvait, les autres vinrent jusqu’aux frontières de l’Épidaurie et restèrent dans l’inaction.

LV. Pendant que les Argiens étaient à Épidaure, des députés des divers États[*](Athéniens et Péloponnésiens.) se rassemblèrent à Mantinée, [*](1 On trouve dans Thucydide et dans les autres historiens de nombreux exemples de cette superstition, bien d’accord d’ailleurs avec le caractère temporisateur des Lacédémoniens.) [*](8 Ce mois était consacré à Apollon, surnommé Garaéus. Pendant tout le mois, les Lacédémoniens n’entreprenaient aucune expédition, à moins d’une extrême urgence.) [*](3 Καί άγοντες τήν ή μέραν ταύτην πάντα τον χρόνον, et ducentes hanc diem omne tempus; et considérant ce jour comme tout le temps, c’est-à-dire pensant que, du moment où le jour de l’entrée en campagne n’était pas réservé, il devait communiquer son caractère à tout le reste de l’expédition. Aucun des traducteurs n’a compris ce passage.) [*](* Athéniens et Péloponnésiens.)

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sur la convocation des Athéniens. Les conférences ouvertes, Euphamidas de Corinthe dit que les actes n’étaient pas d’accord avec les paroles, puisque, pendant qu’eux étaient tranquillement assis à traiter de la paix, les Épidauriens et leurs alliés étaient, les armes à la main, en présence des Argiens; qu’il fallait d’abord aller séparer les deux armées, et qu’on pourrait alors revenir traiter de la paix. Cette proposition fut agréée; on partit et on éloigna les Argiens de rÉpidaurie. Mais plus tard, les conférences ayant été reprises sans qu’on parvînt à s’entendre, les Argiens firent une nouvelle irruption dans l’Épidaurie et la ravagèrent. Les Lacédémoniens, de leur côté, se portèrent à Caryes[*](Petite ville au nord de la Laconie, sur la frontière de l’Arcadie; distincte d’une autre ville du même nom au nord de l’Arcadie.); mais, cette fois encore, les sacrifices offerts avant d’entrer chez l’ennemi furent contraires, et ils revinrent sur leurs pas. Les Argiens ravagèrent environ le tiers de l’Épidaurie, et rentrèrent chez eux. Mille hoplites athéniens, sous la conduite d’Alcibiade, étaient venus se mettre à leur disposition; mais lorsqu’on apprit que les Lacédémoniens avaient renoncé à leur expédition, leur secours cessant d’être nécessaire, ils se retirèrent. Ainsi se passa l’été.

LVI. L’hiver suivant[*](Olympiade quatre-vingt-dixième, seconde année, 419 avant notre ère; octobre.), les Lacédémoniens, à l’insu des Athéniens, envoyèrent, par mer, à Épidaure, une garnison de trois cents hommes, sous le commandement d’Agésippidas. Les Argiens allèrent à Athènes se plaindre de ce que, malgré les traités qui portaient que chacun des peuples contractants interdirait à l’en- [*](1 Petite ville au nord de la Laconie, sur la frontière de l’Arcadie; distincte d’une autre ville du même nom au nord de l’Arcadie.) [*](i Olympiade quatre-vingt-dixième, seconde année, 419 avant notre ère; octobre.)

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nemi le passage sur son territoire, ils eussent laissé passer ces troupes par mer. Ils disaient qu’il y aurait injustice de leur part à ne pas envoyer aussi les Messéniens et les Hilotes à Pylos contre les Lacédémoniens. Les Athéniens, à l’instigation d’Alcibiade, écrivirent sur la colonne[*](Quand on déclarait le traité rompu, on renversait la colonne sur laquelle il était inscrit; les Athéniens, ne voulant pas encore reprendre les hostilités, se contentaient, comme vengeance, d’une insulte publique aux Lacédémoniens.), au bas du traité conclu avec Lacédémone, que les Lacédémoniens avaient violé leurs serments; puis ils transportèrent les Hilotes de Cranies[*](Voyez même livre, ch. 35.) à Pylos, pour piller le pays; du reste ils se tinrent en repos. Dans la guerre que se firent cet hiver les Argiens et les Épidauriens, il n’y eut point de bataille rangée, mais seulement des embuscades et des incursions où la perte se bornait à quelques hommes de part et d’autre. L’hiver finissait et on touchait au printemps, lorsque les Argiens s’approchèrent d’Épidaure avec des échelles : ils espéraient la trouver sans défense à cause de la guerre[*](Par suite de la dispersion des troupes dans tout le pays.) et l’emporter de vive force; mais ils durent se retirer sans avoir rien fait. L’hiver finit, et avec lui la treizième année de la guerre.

LVII. Au milieu de l’été suivant[*](418 avant notre ère 5 juin.), les Lacédémoniens, voyant la détresse des Épidauriens, leurs alliés, la défection d’une partie du Péloponnèse et les mauvaises dispositions du reste, songèrent que le mal ne ferait qu’empirer s’ils ne le prévenaient au plus tôt. Ils se portèrent en masse contre Argos, eux et les Hilotes, sous [*](1 Quand on déclarait le traité rompu, on renversait la colonne sur laquelle il était inscrit; les Athéniens, ne voulant pas encore reprendre les hostilités, se contentaient, comme vengeance, d’une insulte publique aux Lacédémoniens.) [*](2 Voyez même livre, ch. 35.) [*](3 Par suite de la dispersion des troupes dans tout le pays.) [*](4 418 avant notre ère 5 juin.)

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la conduite d’Agis, fils d’Archidamos, leur roi. Les Tégéates prirent part à cette expédition, ainsi que tous les alliés des Lacédémoniens dans l’Arcadie. Les alliés du reste du Péloponnèse et ceux du dehors se rassemblèrent à Phlionte : les Béotiens avaient cinq mille hoplites, autant de troupes légères, cinq cents cavaliers et même nombre d’hamippes[*](Soldats légers, intercalés dans les rangs des cavaliers, comme l’inclique leur nom, et combattant soit à pied; soit à cheval.). Les Corinthiens avaient fourni deux mille hoplites; les autres en proportion. Les Phliasiens prirent les armes en masse, l’armée se trouvant sur leur territoire.

LVIII. Les Argiens avaient été tout d’abord informés des préparatifs des Lacédémoniens; lors qu’ils les surent en marche pour rejoindre leurs alliés à Phlionte, ils se mirent eux-mêmes en campagne. Les Mantinéens, assistés de leurs alliés, et trois mille hoplites éléens, vinrent à leur secours. Ils se portèrent en avant, et rencontrèrent les Lacédémoniens à Méthydrion, en Arcadie; chacune des deux armées occupa une colline. Les Argiens se disposaient à profiter de l’isolement des Lacédémoniens pour attaquer, lorsque Agis leva secrètement son camp pendant la nuit et se porta vers Phlionte à la rencontre de ses alliés. Lorsque les Argiens s’en aperçurent, au point du jour, ils marchèrent d’abord vers Argos et suivirent ensuite la route de Némée, par où ils supposaient que les Lacédémoniens descendraient avec leurs alliés. Mais Agis, au lieu de suivre ce chemin, comme ils s’y étaient attendus, prit avec lui les Lacédémoniens, les Arcadiens et les Épidauriens, s’engagea dans une autre [*](1 Soldats légers, intercalés dans les rangs des cavaliers, comme l’inclique leur nom, et combattant soit à pied; soit à cheval.)

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route d'un difficile accès, et déboucha dans la plaine d’Argos. Les Corinthiens, les Pelléniens et les Phliasiens prirent un autre chemin par les hauteurs. Les Béotiens, les Mégariens et les Sicyoniens avaient ordre de descendre par la route de Némée, occupée par les Argiens, afin de les prendre par derrière avec la cavalerie, s’ils venaient attaquer les Lacédémoniens dans la plaine. Ces dispositions prises, Agis, après avoir débouché dans la plaine, ravagea Saminthos et d’autres points.

LIX. Il était déjà jour quand les Argiens, mieux renseignés, descendirent de Némée. Ils donnèrent au milieu des troupes de Phlionte et de Corinthe, tuèrent quelques Phliasiens et éprouvèrent eux-mêmes, de la part des Corinthiens, des pertes qui ne furent pas beaucoup plus considérables. Les Béotiens, les Mégariens et les Sicyoniens s’avancèrent vers Némée, suivant leurs instructions, mais n’y trouvèrent plus les Argiens; ceux-ci étaient déjà descendus, et, à la vue de leur territoire ravagé, s’étaient mis en ordre de bataille. En face d’eux étaient les Lacédémoniens, également en ordre de combat. Les Argiens se trouvaient cernés au milieu des ennemis : du côté de la plaine, les Lacédémoniens et les alliés qu’ils avaient avec eux leur fermaient toute communication avec la ville; les Corinthiens, les Phliasiens et les Pelléniens occupaient les hauteurs; la route de Némée était fermée par les Béotiens, les Sicyoniens et les Mégariens. Ils n’avaient pas de cavalerie; car, de tous leurs alliés, les Athéniens étaient les seuls qui ne fussent pas encore arrivés. Toutefois les Argiens et leurs alliés ne croyaient pas généralement la situation aussi critique :

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le combat leur semblait au contraire se présenter favorablement, et ils s’applaudissaient de tenir ainsi sur leur propre territoire et auprès de leur ville les Lacédémoniens enfermés. Mais, au moment même où les deux armées allaient en venir aux mains, deux Argiens, Thrasyllos, l’un des cinq généraux, et Alciphron, proxène des Lacédémoniens, allèrent trouver Agis et eurent avec lui une conférence pour empêcher le combat : ils disaient les Argiens disposés à donner et à recevoir toutes satisfactions réciproques sur le pied de l’égalité, si les Lacédémoniens avaient quelques griefs contre eux; à faire la paix pour l’avenir et à conclure un traité.

LX. Ceux des Argiens qui faisaient ces propositions parlaient en leur nom propre et sans aucune mission publique. Agis les accepta, également de sa propre autorité : sans aucune délibération générale, sans les communiquer à d’autres qu’à un des magistrats qui l’accompagnaient dans son expédition[*](Deux éphores accompagnaient toujours le roi dans ses expéditions.), il conclut une trêve de quatre mois, pendant laquelle les Argiens devaient exécuter leurs promesses. Aussitôt après il ramena son armée, sans rien dire à aucun des alliés. Les Lacédémoniens et les alliés obéirent aux ordres d’Agis, conformément à la loi[*](Quand le roi commandait, lui seul donnait les ordres.); mais, entre eux, ils le critiquèrent amèrement, en songeant qu’au moment même où s’offrait une si belle occasion de combattre, quand l’ennemi était enveloppé de toutes parts par la cavalerie et l’infanterie, ils se retiraient sans avoir rien fait qui répondît à leurs préparatifs. C’était, en effet, la [*](1 Deux éphores accompagnaient toujours le roi dans ses expéditions.) [*](* Quand le roi commandait, lui seul donnait les ordres.)

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plus belle armée grecque qui eût été rassemblée jusquelà : rien de plus brillant, surtout à Némée, quand elle s’y trouvait réunie tout entière. Là étaient les Lacédémoniens avec toutes leurs forces, les Arcadiens, les Béotiens, les Corinthiens, les Sicyoniens, les Pelléniens, les Phliasiens et les Mégariens; toutes troupes d’élite et qui semblaient capables de se mesurer, non-seulement avec la confédération des Argiens, mais avec bien d’autres forces encore réunies aux leurs. L’armée se retira donc, tout en accusant Agis; on se sépara, et chacun regagna son pays.

Les Argiens, de leur côté, accusaient bien plus amèrement encore ceux qui avaient traité sans l’aveu de la multitude : ils pensaient, eux aussi, que jamais plus belle occasion ne s’était présentée à eux que celle où les Lacédémoniens venaient de leur échapper; car ils auraient combattu au pied de leurs murailles, avec l’assistance d’alliés nombreux et braves. Aussi, à leur retour, se mirent-ils à lapider Thrasyllos dans le Charadron[*](Torrent près d’Argos, dans le lit duquel siégeait ce tribunal improvisé.), là où ils jugent, avant de rentrer, les délits militaires. Thrasyllos se réfugia au pied de l’autel, et échappa à la mort; mais ses biens furent confisqués[*](Diodore de Sicile ajoute que sa maison fut rasée.).