History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Cependant Thrasybulos, qui depuis la révolution opérée à Samos n’avait pas cessé de travailler au rappel d'Alcibiade, parvint enfin, de concert avec les meneurs, à obtenir l’assentiment des soldats assemblés. Dès qu’il eut fait voter par eux son rappel et sa grâce, il se rendit auprès de Tissapherne et ramena Alcibiade à Samos ; car à ses yeux le seul moyen de salut était de s’attacher Tissapherne en l’enlevant ani Péloponésiens.

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Une assemblée fut convoquée. Alcibiade commença par déplorer les malheurs de son exil ; puis il s’étendit sur les affaires publiques et fit briller les plus belles perspectives pour l’avenir ; enfin il exagéra démesurément son crédit auprès de Tissapherne. Par là il voulait intimider les chefs de l'oligarchie d’Athènes, dissoudre les associations [*](Voyez ch. liv, note 1. Quoique ces associations eussent été travaillées dans le sens de son rappel (ch. xlviii), Alcibiade aspirait à les dissoudre à cause de la froideur que l’aristocratie avait montrée envers lui (ch. lxiii). ), inspirer à ceux de Samos plus de respect pour lui et de confiance en eux-mêmes, enfin brouiller toujours plus les ennemis avec Tissapherne, en faisant évanouir les espérances qu’ils avaient mises en lui. Alcibiade étala donc les promesses les plus pompeuses, affirmant que Tissapherne lui avait donné sa parole que, s’il pouvait se fier aux Athéniens, l’argent ne leur manquerait pas, tant qu’il lui resterait quelque ressource, dût-il faire monnayer son propre lit; qu’il amènerait pour eux, et non pour les Péloponésiens, la flotte phénicienne déjà arrivée à Aspendos ; mais qu’il ne se fierait aux Athéniens que lorsque Alcibiade rappçlé lui répondrait de leurs sentiments.

Après avoir entendu ces promesses et d’autres semblables, ils l’élurent aussitôt général, conjointement avec ceux qu’ils avaient déjà nommés, et lui remirent la direction des affaires. Dès lors chacun se crut tellement assuré de son salut et de la punition des Quatre-Cents, qu’il n’eût échangé cet espoir contre rien au monde. Déjà même, sur la foi de ce qu’ils venaient d’entendre, ils étaient tout disposés à cingler immédiatement contre le Pirée, sans s’inquiéter des ennemis qu’ils avaient devant eux. Mais Alcibiade, malgré leurs instances, s'opposa formellement à ce qu’ils prissent un tel parti en laissant des adversaires qu’ils avaient plus près d'eux. Il dit que, étant nommé général, son premier soin était d’aller trouver Tissapherne pour concerter un plan de guerre ; et en effet, au sortir de l’assemblée, il partit sur-le-champ. Il voulait d’une part faire croire à une entente complète entre lui et ce satrape, de l’autre se grandir à ses yeux en se montrant investi du commandement et désormais en mesure de lui faire ou du bien ou du mal. Alcibiade avait ainsi l’avantage d’effrayer les Athéniens par Tissapherne et Tissapherne par les Athéniens.

Quand les Péloponésiens de Milet connurent le rappel d’Alcibiade, la méfiance qu’ils avaient déjà pour Tissapherne s’accrut considérablement. Il s’y joignait encore un autre motif de haine, provenant de la négligence avec laquelle Tissapherne servait la solde depuis la démonstration faite par les Athéniens contre Milet, lorsque les Péloponésiens avaient refusé

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le combat. Formant des groupes entre eux, comme précédemment, les soldats et même quelques hommes haut placés se prirent à considérer qu’ils n’avaient pas encore touché la solde entière, que le peu qu'ils recevaient n’était pas même payé régulièrement ; qu’enfin, à moins de livrer une bataille décisive ou de se transporter là où il serait possible de subsister, on verrait la désertion se mettre dans les équipages. «Toutde mal, disaient-ils, vient d’Astyochos, qui, pour des intérêts privés, caresse les passions de Tissapherne. »

Pendant qu’ils se livraient à ces réflexions, il s’éleva tout à coup une mutinerie contre Astyochos. Les matelots syracusains et thuriens, d’autant plus arrogants qu’ils étaient de condition libre, se portèrent en masse auprès de lui en réclamant la solde. Astyochos répondit avec hauteur ; il alla même jusqu’à lever son bâton sur Doriéus[*](Voyez ch. xxxv. Les chefs lacédémoniens portaient habituellement une canne, et s’en servaient pour se faire obéir. Cette rudesse leur est souvent reprochée par les Athéniens. Du reste, il ne faut pas conclure que le port d'un bâton Tût un insigne distinctif de leur charge; car à Lacédémone cet usage était général. ), qui s’était fait l’organe de son équipage. A cette vue, la foule des soldats, en véritables gens de mer, éclate avec furie contre Astyochos et s’apprête à le lapider. Il prévint le danger en se réfugiant près d’un autel. Il en fut quitte pour la peur, et la foule se dissipa.

Les Milésiens s’emparèrent par surprise du château que Tissapherne avait fait construire dans leur ville [*](Il paraît de là, quoique l’auteur n’en ait pas fait mention, qu’à la suite de l’accord fait avec les Milésiens (ch. lviii), Tissapherne avait élevé un château fort à Milet ), et en chassèrent la garnison. Cette action fut bien vue par les alliés, surtout par les Syracusains ; mais elle n'eut pas l’approbation de Lâchas. Selon lui, les Milésiens et tous les autres habitants du pays du roi devaient se soumettre à une servitude modérée et ménager Tissapherne jusqu’à ce que la guerre eût pris une heureuse fin. Ce propos et d’autres analogues indisposèrent contre lui les Milésiens ; aussi lorsque plus tard il fut mort de maladie, ils ne permirent pas qu’on l’enterrât à l’endroit qu’avaient choisi les Lacédémoniens présents.

Les choses en étaient là et l’irritation contre Astyochos et Tissapherne était parvenue à son comble, lorsque Min-daros arriva de Lacédémone pour remplacer Astyochos dans les fonctions de navarque [*](La charge de navarque était annuelle. ). Astyochos lui remit le commandement et s’embarqua. Il était accompagné par un ambassadeur de Tissapherne, leCarien Gaulitès, qui parlait les deux langues. Ce dernier était chargé de se plaindre des Milésiens au sujet du fort et de disculper Tissapherne ; car celui-ci n’ignorait pas que les Milésiens étaient partis dans l’intention de l’accusçr et qu’avec eux se trouvait Hermocratès, qui devait le représenter comme ruinant, de concert avec Alcibiade, les affaires des Pélo-ponésiens par ses fluctuations. Tissapherne ne lui avait pas

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pardonné sa conauite dans la question de la solde. Lorsqu’en dernier lieu ce général avait été banni de Syracuse [*](Hermocratès était, comme on l’a tu, un des chefs du parti aristocratique de Syracuse. A l’époque dont il s’agit, un mouvement populaire avait eu lieu dans cette ville, et, suivant l’usage, les chefs du parti opposé avaient étéhannis (Diodore de Sicile, ΧIII, lxiii). ) et remplacé par Potamis, Myscon et Démarchos dans le commandement de l’escadre syracusaine alors à Milet, Tissapherne avait redoublé d’acharnement contre Hermocratés dès lors exilé. Il lui reprochait, entre autres choses, de n’être devenu son ennemi que parce qu'un jour il lui avait demandé de l’argent sans l'obtenir. C’est ainsi qu’Astyochos, les Milésiens et Hermocratés partirent pour Lacédémone. Alcibiade quitta Tissapherne ef, revint à Samos.

Là-dessus arrivèrent de Délos les députés envoyés dans le temps par les Quatre-Cents pour tranquilliser l’armée et lui faire entëndre raison. Alcibiade était alors à Samos. Une assemblée fut convoquée ; mais lorsque les députés voulurent prendre la parole, les soldats refusèrent de les écouter et s’écrièrent qu’il fallait tuer ces destructeurs de la démocratie. A la fin cependant ils se calmèrent, non sans peine, et consentirent à les laisser parler.

Les députés déclarèrent que la révolution avait eu pour but, non pas la ruine, mais le salut de la ville ; qu’on ne songeait aucunement à la livrer aux ennemis : et la preuve, c’est que rien n’était plus facile à faire lors de l’incursion des Péloponésiens, quand on était déjà, au pouvoir ; que tous les citoyens à tour de rôle feraient partie des Cinq-Mille ; que les familles des soldats n’étaient point outragées, comme Chéréas l’avait faussement annoncé ; qu’on ne leur faisait aucun mal et qu’elles vaquaient paisiblement à leurs affaires. Ils eurent beau répéter ces assertions, les soldats ne voulurent rien entendre ; la colère leur suggé-raittoute sorte d’avis, surtout celui d’aller au Pirée. En cette occasion, Alcibiade rendit à la patrie le service le plus signalé : au moment où l’armée, cédant à l’entraînement, allait faire voile pour Athènes, ce qui était évidemment livrer aux ennemis l’Ionie et l’Hellespont, il sut l’en empêcher. NuPautre que lui n’étaient alors capable de contenir la multitude. Alcibiade la fît renoncer à son dessein et apaisa par ses remontrances l’irritation contre les députés. Ce fut lui qui les congédia, en leur disant qu’il ne s’opposait point à ce que les Cinq-Mille gouvernassent ; mais que les Quatre-Cents devaient se démettre et rétablir l’ancien conàeil des Cinq-Cents ; que si l’on avait fait quelque réduction dans les dépenses pour alimenter l’armée, il y donnait son plein assentiment. Au surplus il recommandait de tenir ferme et de ne point céder aux ennemis : car, dit-il, la

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ville sauvée, on peut espérer un rapprochement ; mais siYun des deux partis, celui de Samos ou celui d’Athènes, vient à succomber, il ne restera plus personne avec qui se réconcilier.

Il y avait là des députés d’Argos, venus pour offrir leurs services au parti populaire résidant à Samos. Alcibiade les remercia, et leur dit en les renvoyant qu’on s'adresserait à eux en temps utile. Ces députés avaient fait leur traversée avec les Paraliens. Ceux-ci, comme on l’a vu,, avaient été placés par les Quatre-Cents sur un bâtiment de transport avec ordre de croiser autour de l'Eubée ; ensuite ils avaient été chargés de conduire à Lacédémone Lespodias, Aristophon et Mélésias, envoyés en députation' par les Quatre-Cents ; mais parvenus à la hauteur d’Argos, ils s’étaient saisis de ces ambassadeurs et les avaient livrés aux Argiens, comme coupables du renversement delà démocratie ; puis, au lieu de revenir à Athènes, ils avaient pris à bord des députés argiens et s’étaient rendus à Samos avec leur trirème.

Le même été, dans le temps ôù divers motifs et surtout le rappel d'Alcibiade avaient porté au comble l’Irritation des Péloponésiens contre Tissapherne, qu'ils regardaient comme partisan déclaré d’Athènes, celui-ci, voulant apparemment dissiper ces fâcheuses impressions , prit le parti d’aller à Aspendos au-devant de la flotte phénicienne. Il engagea Lichas à l’accompagner et promit que son lieutenant Tamos fournirait en son absence les subsides à l’armée. Les opinions varient au sujet de ce voyage, et il n’est pas facile de savoir dans quelle intention Tissapherne se rendit à Aspendos, ni pourquoi, après y être allé, il n’en ramena pas les vaisseaux. Que la flotte phénicienne , forte de cent quarante-sept voiles, soit venue jusqu’à Aspendos, c’est un fait avéré; mais pour quel motif ne poussa-t-elle pas plus loin? à cet égard le champ est ouvert aux conjectures. Les uns prétendent qu’en s'absentant ainsi il était fidèle à son système d’affaiblir les Péloponésiens, et pour preuve ils citent l’extrême négligence apportée par Tamos dans le règlement de la solde ; d’autres, qu’en faisant venir les Phéniciens à Aspendos, il voulait spéculer sur leur retraite, sans avoir la moindre intention de les employer ; d’autres enfin, qu’il n’avait pas d’autre but que de répondre aux plaintes élevées contre lui à Lacédémone, en disant à sa décharge qu’il était allé bien réellement chercher cette flotte, dont la présence n’était pas une fiction. Quant à moi, ce qui me paraît le plus probable, c’est que, s’il n'amena pas la flotte

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phénicienne, ce fut pour rainer et paralyser la puissance des Grecs. Il les ruinait par les lenteurs que causait son absence, et maintenait l'équilibre entre les deux partis. S’il eût-voulu sérieusement mettre fin à la guerre , il ne tenait qu’à lui ; car en amenant la flotte", il eût selon toute probabilité donné la victoire aux Lacédémoniens , dont les forces navales balançaient presque celles d’Athènes. Enfin rien ne révéla mieux sa pensée que le prétexte allégué par lui pour n’avoir pas amené ces vaisseaux. A l’entendre, c’est parce qu’ib étaient moins nombreux que le roi ne l’avait ordonné ; mais, dans ce cas, il aurait d’autant mieux servi son maître en épargnant les finances royales et en atteignant le même but à moins de frais. Quoi qu’il en soit, Tissapherne se rendit à Aspendos où il trouva les Phéniciens. Sur sa demande, les Péloponésiens envoyèrent au-devant de cette flotte le Lacédémonien Philippos avec deux trirèmes.

Pour Alcibiade, il ne sut pas plutôt Tissapherne en route pour Aspendos, qu’il partit lui-même avec treize vaisseaux. Il dit à ceux de Samos qu’il ne manquerait pas de leur rendre un grand service en amenant aux Athéniens la flotte phénicienne, ou tout au moins en l’empêchant de se joindre aux Péloponésiens. Apparemment il savait depuis longtemps que l’intention de Tissapherne n’était pas de faire venir cette flotte; il voulait le brouiller de plus en plus avec les Péloponésiens, en le faisant passer pour son ami et pour celui d'Athènes , et le forcer ainsi de se jeter dans les bras des Athéniens. Il mit donc à la voile et se dirigea en droite ligne sur Phasélis et sur Caunos.

De retour à Athènes, les députés envoyés à Samos par les Quatre-Cents rapportèrent la réponse d’Alcibiade , qui était de tenir ferme sans céder aucunement à l’ennemi, vu qu’il avait les meilleures espérances de les réconcilier avec l’armée et de triomper des Péloponésiens. Déjà plusieurs de ceux qui avaient donné les mains à l’établissement de l’oligarchie en étaient aux regrets, et ne demandaient pas mieux que de trouver un prétexte pour y échapper sans danger. Le langage d’Alcibiade les enhardit; ils formèrent des réunions, dans lesquelles on critiquait la direction des affaires. Parmi eux se trouvaient quelques-uns des chefs du parti aristocratique, généraux et fonctionnaires , tels que Théraménès fils d’Hagnon, Aristo-cratès fils de Scellias, et plusieurs autres. Bien qu’ils tinssent le premier rang dans le régime actuel, ils n’étaient pas, disaient-ils,

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sans inquiétude à l’égard de l’armée de Samos, et paiücor lièrement d’Alcibiade ; ils craignaient même que les députés partis pour Lacédémone ne prissent, sans l’aveu de ceux qui les avaient envoyés, quelque résolution funeste à l’État. Sans donc renoncer à une tendance oligarchique , ils se bornaient à demander qu’on désignât effectivement les Cinq-Mille, qui n’existaient encore que de nom, et qu’on établît plus d’égalité entre les citoyens. Du reste il n’y avait là que de vains semblants de popularité; au fond, la plupart n’écoutaient que leur ambition personnelle, cause fréquente de la chute des oligarchies issues de l’état populaire; chacun aspire à devenir de plein saut, non pas l’égal, mais le premier de tous ; dans la démocratie, au contraire on prend mieux son parti du résultat des élections , parce qu’on ne se voit pas préférer ses égaux[*](Sous la constitution démocratique d’Athènes, toutes les élections, excepté celles des généraux, se faisaient par le sort. «Le sort, dit Montesquieu, est une façon d’élire qui n’affiige personne; il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie. » ). Mais rien ne fît sur eux plus d’impression que l’autorité dont Alcibiade jouissait à Samos et le peu d’avenir que leur semblait avoir l’oligarchie. Aussi travaillaient-ils à Tenvi à devenir chacun les chefs du parti populaire.

Ceux des Quatre-Cents qui étaient le plus opposés à cette forme de gouvernement et qui avaient alors la haute main dans les affaires, savoir : Phrynichos, le même qui dans son commandement de Samos avait eu des démêlés avec Alcibiade ; Aristarchos, l'un des plus ardents et des plus anciens adversaires de la démocratie ; Pisandros, Antiphon et d’autres hommes des plus puissants, avaient, dès leur entrée en charge, envoyé quelques-uns des leurs en ambassade à Lacédémone pour travailler à un rapprochement[*](Au lieu de όλίγαρχίαν, je lis όμολογίαν, d’après le manuscrit du Vatican. On ne voit pas ce que signifierait ce zèle déployé en faveur de l’oligarchie déjà établie à Athènes. ) ; plus tard ils en firent partir d’autres, lorsqu’ils connurent la réaction démocratique de Samos. Ils avaient aussi commencé à fortifier l’endroit appelé Éétionéa [*](L’Êétionéa est une jetée naturelle, située à gauche en entrant par mer au Pirée. L’intention des Quatre-Cents était d’en faire un point isolé, également défendable du côté de la mer et du côté de la terre. Extérieurement elle était protégée par les fortifications du Pirée. Le nouveau mur qu’on élevait alors devait-mettre à l’abri des attaques de l’intérieur. A l’extrémité de l’Éétionéa s’élevait une tour, où aboutissait l’ancien mur du Pirée. Le nouveau partait de ce même point, et, longeant la côte, formait le second côté d’un triangle allongé; le troisième côté était formé par le mur transversal qui barrait le portique ou halle aux grains. ). Leur activité ne fit que s’accroître, lorsqu’au retour de leurs députés de Samps, ils virent le changement qui s’opérait dans la multitude et même chez plusieurs de ceux sur lesquels ils avaient jusqu’alors compté. Doublement inquiets, à l’égard d’Athènes et de Samos , ils se hâtèrent d’envoyer à Lacédémone Antiphon, Phrynichos et dix autres, qu’ils chargèrent de traiter à. tout prix, pour peu que les conditions fussent tolérables. Ils pressèrent aussi les travaux d’Éétionéa. Le but de cette construction , au dire de Théraménès et de ses adhérents, n’était point de fermer le Pirée à la flotte de Samoe, dans le cas où elle voudrait en foroer l’entrée, mais plutôt de recevoir à volonté les ennemis par terre et par mer. L’Éétio-néa sert de môle au Pirée, dans lequel on pénètre en la rasant.

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A la muraille déjà existante du côté du continent, on en ajoutait alors une nouvelle, afin qu’il suffit d’une garnison peu nombreuse pour commander l’entrée du port. En effet, c’était à l’une des deux tours fermant son étroite embouchure[*](A l’entrée du Pirée étaient deux tours, l’une à gauche, à l’extrémité de l’étionéa; l’Êautre à droite, sur la presqu’île de Munychie. ) que venaient aboutir l’ancien mur du côté du continent et le nouveau mur intérieur que l’on construisait alors du côté de la mer. Ils barrèrent aussi par une traverse un portique spacieux qui touchait au Pirée, et en firent un entrepôt, dont ils se réservèrent l’administration ; chacun fut tenu d'y déposer le blé qu’il pouvait avoir et celui qui arrivait par mer. C’est de là qu’on devait le tirer pour le mettre en vente.

Depuis longtemps, Théraménès allait se plaignant de toutes ces mesures. Lorsque les députés furent revenus de Lacédémone sans rapporter de solution, il prétendit que oe fort menaçait la sûreté de la ville. Par une singulière coïncidence, quarante-deux vaisseaux —dont quelques-uns italiens , de Tarente et de Locres , quelques autres siciliens — partirent du Péloponèse et vinrent mouiller à Las en Laconie [*](Petite ville sur le golfe de Laconie, à quarante stades S. O. de Gythion. Ses ruines subsistent près du village moderne de Passava. ), se disposant à passer en Eubée à la requête des Eubéens. Cette flotte était commandée par le Spartiate Agésandridas fils d’Agésan-dros. Théraménès soutint qu’elle avait moins en vue de secourir l’Eubée que d’appuyer ceux qui fortifiaient l’Ëétionéa, et que, si l’on n’y prenait garde, la ville s’en irait tout doucement à sa perte. Il y avait quelque chose de vrai dans cette accusation et ce n’était pas une pure calomnie. Les Quatre-Cents voulaient avant tout maintenir leur autorité oligarchique, même sur les alliés ; si cela n’était pas possible , conserver l’indépendance en gardant la flotte et les murs; enfin, en désespoir de cause, n’être pas les premières victimes du peuple redevenu souverain, mais plutôt introduire les ennemis, traiter avec eux, moyennant le sacrifice des murs et de la flotte, et sauver ce qu’ils pourraient de la ville, en assurant leur sécurité personnelle. Aussi pressaient-ils l’achèvement de la fortification commencée : ils y ménageaient des guichets et des passages dérobés pour donner entrée aux ennemis. Tout devait être achevé en temps utile.

Ce furent d’abord de sourdes rumeurs répandues entre peu de personnes ; mais sur ces entrefaites Phrynichos, au retour de son ambassade à Lacédémone, fut frappé en trahison par un des péripoles[*](Voyez liv. II, ch. xra, note 5. Les péripoles étaient sous les ordres d’un commandant spécial, nommé péripo-larque. ) et tué roide en pleine agora, au sortir même du conseil. Le meurtrier s’échappa. Un Argien, son complice, arrêté et mis à la question par les Quatre-Cents, ne nomma aucun instigateur

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de ce crime , et déclara ne savoir autre chose, sinon qu’il y avait de fréquents conciliabules chez le commandant des péripoles et ën d’autres maisons. Comme cette affaire n’eut pas de suites, Théraménès, Aristocratès et leurs adhérents pensèrent que le moment d'agir était venu. Déjà la flotte pélo-ponésienne„ partie de Las, avait tourné la côte jusqu’à Épi-daure, d’où elle avait fait une excursion contre Ëgine. Théraménès soutint que, si elle était effectivement à destination de l’Eubée, il n’était pas naturel qu’elle entrât dans le golfe dfË-gine pour retourner mouiller à Epidaure, à moins qu’elle ne fût appelée dans le but qu’il ne cessait de lui prêter, ajoutant qu’il n’était plus possible de se croiser les bras.

Enfin, après maint propos séditieux et sur quelques nouveaux soupçons, l’on en vint aux effets. Les hoplites du Pirée qui travaillaient aux fortifications d’Éétionéa et parmi lesquels se trouvait, en qualité de taxiarque, Aristocratès avec sa tribu, se saisirent d’Alexiclès, l’un des généraux les plus dévoués à i’o-ligarchie, le conduisirent dans une maison et l’y enfermèrent. Ils furent activement secondés par Hermon, chef des péripoles de garde à Munychie ; et, ce qui était plus grave, la masse des hoplites les soutenaient.

Lies Quatre-Cents se trouvaient alors en séance au conseil. A cette nouvelle leur premier mouvement fut de courir aux armes, excepté toutefois ceux à qui ne plaisait pas l’état actuel ; en même temps ils éclataient en menaces contre Théraménès et ses adhérents. Celui-ci se défendit en disant qu’il était prêt à aller de ce pas avec eux délivrer le prisonnier. Il s’adjoignit un des généraux de la même opinion que lui et se rendit au Pirée. Aristarchos s’y porta de son côté avec quelques jeunes gens d’entre les cavaliers. Le tumulte était à son comble. Dans la ville on croyait le Pirée occupé et le prisonnier déjà mort ; au Pirée on s’attednait de moment en moment à se voir attaqué par les citadins. De toutes parts on prenait les armes. Ce ne fut pas sans peine que les vieillards parvinrent à contenir la foule. Ils furent aidés par le Pharsalien Thucydide, proxène d’Athènes, qui, se jetant entravers des plus échauffés, criait de ne pas perdre la république menacée de près par l’ennemi. A la fin cependant ils se calmèrent et s’abstinrent de s’entr’égorger.

Arrivé au Pirée, Théraménès, en qualité de général, se fâcha contre les hoplites, mais pour la forme seulement. Aristarchos au contraire et les ennemis de la multitude étaient furieux tout de bon. La plupart des hoplites n’en persévérèrent pas moins

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dans leur entreprise, sans témoigner le moindre repentir. Ils demandèrent à Théraménès s’il croyait les fortifications élevées à bonne fin et s’il ne vaudrait pas mieux les détruire. Il répondit que, si tel était leur avis, c’était aussi le sien. A l’instant les hoplites et beaucoup de gens du Pirée escaladèrent la muraille pour la démolir. Le mot d’ordre parmi la foule était : « A l’œuvre ceux qui préfèrent le gouvernement des Cinq-Mille à celui des Quatre-Gents. i On employait encore le nomdes Cinq-Mille, pour se mettre à couvert et ne pas dire ouvertement le peuple. On craignait que les Cinq-Mille n’existassent en réalité, et qu’on ne se compromît en s’adressant à des inconnus. C’est pour cette raison que les Quatre-Cents Savaient voulu ni désigner effectivement les Cinq-Mille, ni faire savoir qu’ils n’étaient pas désignés. D’une part, un personnel si nombreux leur semblait être une véritable démocratie ; de l’autre, ils pensaient que l'incertitude sur leur existence entretiendrait la crainte parmi les citoyens.

Le lendemain les Quatre-Cents, malgré leur trouble, s’assemblèrent au conseil. Les hoplites du Pirée, après avoir relâché Alexiclès et rasé la muraille, se rendirent au théâtre de Bacchus près de Munychie, mirent les armes à terre et se formèrent en assemblée. Après une courte délibération, ils se transportèrent à la ville, et allèrent faire halte dans TAnacéion[*](Temple de Castor et de Pollux ou des Dioscures (Άνακες dans la langue sacrée), situé au pied de l’acropole. ). Quelques émissaires des Quatre-Cents vinrent les y trouver, s’entretinrent individuellement avec eux et engagèrent les plus modérés à demeurer en repos et à contenir les autres. Ils leur dirent qu’on allait proclamer les Cinq-Mille, que dans ce nombre seraient pris alternativement les Quatre-Cents, d’après le mode que les Cinq-Mille auraient fixé [*](Ils entendaient que l’institution des Quatre-Cents serait permanente, et que ce corps remplacerait le conseil des Cinq-Cents, avec cette différence que les Quatre-Cents ne seraient pas inamovibles, mais qu’ils seraient pris alternativement parmi les cinq mille. ) ; qu’en attendant il ne fallait pas perdre la république ni la livrer aux ennemis. Ces discours, répétés daDs les groupes, calmèrent la masse des hoplites, en leur inspirant des craintes pour le salut de l’État. On convint de convoquer, à jour déterminé, une assemblée dans le théâtre de Bacchus [*](Le grand théâtre d’Athènes, dit de Bacchus aux Marais, servait quelquefois aux assemblées du ρβμρΐβ, surtout à celles qu’on prévoyait devoir être fort nombreuses. Il y avait place dans ce théâtre pour trente mille personnes. ) pour le rétablissement de la concorde.

Le jour marqué pour cette assemblée était venu et la séance allait s’ouvrir, lorsqu’on apprit que les quarante-deux vaisseaux d^Agésandridas, partis de Mégare, côtoyaient Salamine. Il n’y eut alors parmi le peuple[*](Je lis, d'après les meilleures manuscrits, των πολλών. Le texte reçu porte των όπλιτών. ) personne qui ne vît dans ce fait la réalisation des craintes exprimées depuis longtemps par Théraménès et par ses adhérents. On ne mit pas en doute que cette flotte ne vînt occuper le fort d’Éétionéa, et l’on s’applaudissait de sa destruction. Il se peut qu’Agésandridas fût resté dans les parages d’Ëpidaure par suite de quelques intelligences

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; peut-être aussi attendait-il tout simplement l’issue èes dissensions d’Athènes pour intervenir à propos. A la première nouvelle de son approche, les Athéniens en masse coururent au Pirée, pensant que leurs divisions intestines devaient s'effacer en présence de l’ennemi, qui était, non plus à distance, mais déjà devant le port. Ceux-ci montaient sur les vaisseaux qui étaient à flot ; ceux-là en tiraient d'autres à la mer ; quelques-uns couraient à la défense des murailles ou vers l’entrée du port.

La flotte péloponésienne, après avoir rangé la côte et doublé le cap Sunion, alla mouiller devant Thoricos et Prasies[*](Deur dèmes de l'Àttique, situés sur la côte orientale de ce pays, en face de l'Eubée. Il y aussi une ville de Prasies en Laconie (II, lyi). ), d’où elle atteignit ensuite Oropos. Les Athéniens, malgré l’état de désorganisation de leurs équipages, conséquence inévitable des troubles civils, voulurent néanmoins secourir promptement la plus importante de leurs possessions ; en effet, depuis le blocus de l’Attique, l’Eubée était tout pour eux. Ils envoyèrent donc en grande hâte à Érétrie une flotte commandée par Thy-mocharès. Cette flotte, réunie aux vaisseaux qui étaient déjà à Érétrie, se trouva forte de trente-six voiles. Bientôt ehe fut contrainte de livrer bataille. Agésandridas, après le repas du matin, avait levé l’ancre d’Oropos, ville qui n’est séparée d’Érétrie que par un bras de mer large de soixante stades. Dès qu’il s’avança, les Athéniens commencèrent à s’embarquer, croyant leurs soldats dans le voisinage; mais ceux-ci n’ayant pas trouvé de vivres au marché, où les Érétriens avaient eu soin de ne rien laisser en vente, avaient été obligés d’aller dans les maisons situées à l’extrémité de la ville. Par là on avait voulu que l'embarquement v se fit avec lenteur, afin que les ennemis eussent le temps de fondre sur les Athéniens et les forçassent à combattre dans l’état où ils se trouveraient. Un signal avait été élevé d’Ërétrie pour indiquer à Oropos l’instant de mettre en mer. Ce fut dans cette situation que les Athéniens appareillèrent et engagèrent le combat en avant du port d'Érétrie. Ils tinrent quelques instants; mais ils ne tardèrent pas à être mis en fuite et jetés à la côte. Ceux d’entre eux qui cherchèrent un asile dans Erétrie, comme dans une ville amie, furent le plus maltraités; le peuple les massacra ; ceux au contraire qui gagnèrent le fort occupé par les Athéniens sur la terre d’Érétrie furent sauvés, de même que la partie de la flotte qui atteignit Chalcis. Les Péloponésiens prirent vingt-deux vaisseaux athéniens, tuèrent ou firent prisonniers les équipages, et dressèrent un trophée. Peu de temps après, ils insurgèrent toute l’Eubée, excepté Oréos que les

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Athéniens occupaient, et ils organisèrent le pays à leur volonté.

Quand on connut à Athènes les événements de l’Eubée, on fut dans la dernière consternation. Ni le désastre de Sicile, tout affreux qu’il parut dans le temps, ni aucun autre revers n'avait encore causé une pareille épouvante. L'armée de Samos était en pleine révolte ; plus de vaisseaux, plus d’équipages ; dans la ville, la désunion ; la guerre civile près d’éclater ; enfin, pour comble de disgrâce, on venait de perdre une flotte et, ce qui était encore pis, l’Eubée, l’Eubée plus précieuse à elle seule que l’Attique elle-même. Comment ne pas éprouver un profond découragement ? Ce qui augmentait encore les alarmes, c’était la crainte que les ennemis, enhardis par leur victoire, ne cinglassent directement contre le Pirée dépourvu de vaisseaux ; à chaque instant on s’attendait à les voir arriver. S’ils eussent été plus audacieux, ce leur eût été chose aisée ; leur présence eût accru la division entre les citoyens ; le blocus eût forcé les soldats de Samos, quoique hostiles à l’oligarchie, de venir au secours de leurs parents et de la république entière; dès lors l’Hellespont était aux ennemis, de même que l’Ionie, les îles, tous les pays jusqu’à l’Eubée, en un mot la totalité de l’empire des Athéniens. Mais ce ne fut pas la seule occasion où les Lacédémoniens se montrèrent pour les Athéniens les plus commodes adversaires. L’extrême différence de caractère de ces deux peuples, l’un vif et audacieux, l’autre circonspect et timide, procura un immense avantage aux Athéniens, surtout dans une lutte maritime. C’est ce que firent bien voir les Syracusains ; ce peuple qui avait avec les Athéniens plus de ressemblance que tout autre, fut aussi celui qui leur fit la plus rude guerre.

Sur ces nouvelles, les Athéniens n’en équipèrent pas moins vingt vaisseaux et convoquèrent immédiatement, pour la première fois depuis la révolution [*](Depuis l'établissement des Quatre-Cents les assemblées du peuple avaient été suspendues. ), une assemblée dans le Pnyx[*](Colline située dans Pintérieur d’Athènes, au S. O. de l’acropole. Le Pnyx servait aux assemblées ordinaires du peuple. A cet effet, il avait été garni de gradins de pierre, en forme de théâtre ou d’hémicycle, et en face desquels s'élevait la tribune aux harangues. ), lieu ordinaire des séances. Là ils déposèrent les Quatre-Cents ; ils décidèrent que le pouvoir serait remis aux Cinq-Mille, dont ferait partie quiconque se fournissait d’armes [*](Il n’y avait donc que les hoplites et les cavaliers, c’est-à-dire les citoyens appartenant aux trois premières classes, qui fissent partie de ce corps privilégié. Les thétes ou prolétaires en étaient exclus. Cette forme politique répondait à notre cens électoral. ) ; et qu’aucun emploi ne serait rétribué, sous peine de malédiction[*](Ainsi furent supprimées les indemnités allouées aux conseillers, aux juges et aux citoyens qui assistaient aux assemblées. ). Il y eut par la suite de fréquentes assemblées, où l’on vota la création de nomothètes [*](C’est-à-dire législateurs. C’était une commission permanente, chargée de rédiger les projets de lois qui devaient être soumis à la sanction du peuple. ) et divers arrêtés législatifs. Jamais de mémoire d’homme les Athéniens ne furent mieux gouvernés qu’en ces premiers temps ; il y avait une sage combinaison de l’oligarchie et de la démocratie ; aussi la ville ne tarda-t-elle pas à se relever de son abaissement. Enfin on vota le rappel

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d’Alcibiade et d’autres exilés [*](Le retour d’Alcibiade à Athènes n’eut cependant lieu que quatre ans plus tard (Xénophon, Helléniques, I, iv). ). On lui envoya, ainsi qu’à l’armée de Samos, un message pour l’inviter à se mettre à la tète des affaires.

Pendant que cette révolution s’accomplissait, Pisan-dros, Alexiclès et les principaux oligarques se réfugièrent à Décélie. Le seul Aristarchos, se trouvant alors général, prit à la hâte quelques archers des plus barbares [*](Probablement de ces Scythes que les Athéniens entretenaient pour faire la police. ) et se dirigea vers OEnoé, château fort des Athéniens sur la frontière de Béotie. Les Corinthiens, avec un certain nombre de Béotiens, l’assiégeaient comme volontaires [*](Cette opération n’entrait pas dans le plan général de la guerre, et n’avait été ordonnée ni par les Lacédémoniens ni par le roi Agis. Les Corinthiens faisaient le siège de cette place à leurs frais et pour leur propre compte. ), pour venger le massacre de quelques-uns des leurs, tombés sous les coups de ceux d’OEnoé en revenant de Décélie. Aristarchos, après s’être concerté avec les assiégeants, trompa la garnison d’OEnoé en lui disant qu’A-thènes avait conclu un accommodement avec les Lacédémoniens et qu’il fallait remettre la place aux Béotiens en vertu du traité. Ces gens le crurent sur parole, parce qu’il était général et qu’eux-mêmes, étant assiégés, ne savaient rien de ce qui se passait au dehors. Ils sortirent donc sous assurance de la foi publique. C’est ainsi que les Béotiens devinrent maîtres d’OEnoé en même temps que prenaient fin l’oligarchie et les troubles d’Athènes.

Vers la même époque de cet été, les Péloponésiens qui étaient à Milet se décidèrent à passer vers Pharnabaze. La solde n’était servie par aucun de ceux qu’à son départ pour Aspendos Tissapherne avait chargés de ce soin. Ni la flotte phénicienne ni Tissapherne ne paraissaient. Philippos, qui l’avait accompagné dans ce voyage ainsi qu’un autre Spartiate nommé Hippocratès, mandaient de Phasèlis au navarque Mindaros que cette flotte ne viendrait pas et qu’ils étaient complètement joués par Tissapherne. D’autre part, Pharnabaze les appelait à lui et se montrait disposé à insurger, dès leur arrivée, les villes de son gouvernement qui restaient encore aux Athéniens; en quoi il trouvait pour son compte le même avantage que Tissapherne pour le sien. Par ces divers motifs, Mindaros , avec soixante-treize vaisseaux, partit de Milet pour l’Hellespont dans le plus grand ordre, à un signal donné à l’improviste, afin de dérober sa marche aux Athéniens stationnés à Samos. Déjà ce même été seize vaisseaux étaient entrés dans l’Hellespont et avaient infesté une portion de la Chersonèse. Mindaros, assailli par une tempête, fut contraint de relâcher à Icaros , où les vents contraires le retinrent cinq ou six jours ; il aborda ensuite à Chios.

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Dès que Thrasylos le sut parti de Milet, il quitta lui-même Samos avec cinquante-cinq navires, et fit diligence afin de ne pas être devancé par lui dans THellespont. Informé que Mindaros était à Chios, et croyant qu’il y séjournerait, il établit des vigies à Lesbos et sur le continent voisin, afin d’être prévenu du moindre mouvement que ferait la flotte ennemie. Lui-même se rendit à Méthymne, où il ordonna de préparer de la farine et d’autres substances alimentaires, dans le dessein de diriger des courses de Lesbos contre Ghios, pour peu que la guerre traînât en longueur. De plus, comme Ërésos dans l’île de Lesbos avait fait défection, il voulait se porter contre cette ville et, s’il se pouvait, la détruire. Il faut savoir que les plus riches bannis de Méthymne avaient fait venir de Cymé , grâcè à leurs affiliations, une cinquantaine d’hoplites, levé des mercenaires sur le continent, et réuni ainsi trois cents hommes, dont ils avaient donné le commandement au Thébain Anaxandros, à cause de la parenté des deux peuples [*](Les Lesbiens et les Béotiens étaient d’origine éolienne (liv.. III, ch. ii). Les Lesbiens, se considérant comme une colonie béotienne, déféraient le commandement à un Thébain qui se trouvait parmi eux. ). Ils avaient d’abord assailli Méthymne ; mais l’entreprise avait manqué par un mouvement de la garnison athénienne de Mytilène. Vaincus dans un second combat et rejetés au dehors, ils avaient franchi la montagne et fait révolter Érésos. Thrasylos commença donc par s’y rendre avec toute sa flotte et fit ses dispositions d’attaque. Thrasybulos l’y avait précédé avec cinq vaisseaux partis de Samos à la première nouvelle du passage des bannis ; mais, arrivé trop tard, il s’était contenté de mettre le blocus devant Ërésos. Les Athéniens furent aussi ralliés par deux vaisseaux, venant de l’Hellespont et par desbâtiments de Méthymne, ce qui porta l’effectif de leur flotte à soixante-sept voiles. A Laide des troupes qui étaient à bord, ils se disposèrent à enle-. ver Ërésos avec des machines et par tous les moyens possibles.