History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Cependant Mindaros et la flotte péloponésienne qui était à Ghios, après avoir rais deux jours à se procurer des vivres et reçu des Chiotes troistessaracostes[*](La tessaracoste était une monnaie particulière à l’ile de Chios, et qu’on suppose valoir la quarantième partie du statère d’or, c’est-à-dire une demi-drachme attique, soit 45 centimes. ) de Ghios par tête, appareillèrent à la hâte le troisième jour. Craignant, s’ils pre-nent le large, de rencontrer la flotte qui assiégeait Ërésos, ils laissèrent Lesbos sur la gauche [*](Ils traversèrent le canal qui sépare Lesbos du continent. Êrésos était située dans cette partie de l’île qui regarde la haute mer. ) et cinglèrent vers le continent. Ils touchèrent au port de Cartéries sur le territoire de Phocée, y prirent leur repas du matin, côtoyèrent ensuite la campagne de Cymé et allèrent souper aux Arginuses du continent[*](Cette désignation est ajoutée pour distinguer cette localité d’avec les îles Arginuses, situées dans le canal, entre Lesbos. et la côte d’Asie. Pareillement il y avait sur la côte d’Épire deux Sybota, ceux de rîls et ceux du continent.), à l’opposite de Mytilène. De là, par une nuit obscure, ils continuèrent à serrer le rivage et atteignirent Harmatonte sur le continent en face de Méthymne. Après le repas du matin,

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ils passèrent avec rapidité devant Lectos, Larissa , Ha-maiitos et d’autres places de ces parages, et avant minuit ils parvinrent à Rhétée, qui fait déjà partie de l’Hellespont. Quelques-uns de leurs vaisseaux prirent terre à Sigée et sur d’autres points de la côte.

Les dix-huit vaisseaux athéniens qui étaient à Sestos comprirent, aux signaux des vigies et au grand nombre des feux allumés tout à coup sur le territoire ennemi, que les Péloponésieus entraient dans l’Hellespont. Sa conséquence, et sans attendre la fin de la nuit, ils se dirigèrent de toute leur vitesse sur Ëléonte, en côtoyant la Chersonèse et tâchant de gagner le large avant la rencontre des ennemis. Ils échappèrent aux seize vaisseaux péloponésiens qui étaient à Abydos, bien que ceux-ci eussent reçu des leurs qui s’avançaient l’ordre d’avoir l’œil ouvert sur les mouvements des Athéniens ; mais, au point du jour, ils furent aperçus par la flotte de Mindaros, qui aussitôt leur donna la chasse. La plupart se sauvèrent dans la direction d’Lmbros et de Lemnos; mais quatre vaisseaux qui fermaient la marche furent atteints devant Ëléonte. L’un d’eux alla s’échouer près du sanctuaire de Protésilas[*](Le tombeau de Protésilas, le premier des héros grecs qui mourut au siège de Troie, était'situé à la pointe méridionale de IaChersonèse de Thrace. Avec le temps il fut considéré comme un sanctuaire et un oracle. ) et fut pris avec ceux qui le montaient; deux autres furent capturés sans leurs équipages; le quatrième, qui était vide, fut brûlé devant Imbros.

Ensuite les Péloponésiens, ayant rallié les vaisseaux d’Abydos et porté leur flotte au nombre de quatre-vingt-six voiles, assiégèrent Ëléonte le même jour; mais n’ayant pu s’en rendre maîtres, ils se retirèrent à Abydos.

Cependant les Athéniens, trompés par leurs vigies et ne présumant guère que la flotte ennemie passât à leur insu, battaient à loisir les murailles d’Érésos. Mieux informés, ils levèrent à l’instant le siège et se portèrent en toute hâte vers l’Hellespont. Deux vaisseaux péloponésiens qui Ί dans l’ardeur de la poursuite , s’étaient aventurés en pleine mer, vinrent donner au milieu d’eux et furent pris. Arrivés un jour trop tard, les Athéniens mouillèrent à Ëléonte, recueillirent les bâtiments réfugiés à Imbros et se préparèrent au combat pendant cinq jours.

Ensuite l’action s’engagea de la manière suivante. Les Athéniens, rangés en file, serraient la côte en se dirigeant vers Sestos; les Péloponésiens, qui les avaient aperças d’Abydos, s’avancèrent à leur rencontre. Quand le combat parut imminent, les Athéniens se déployèrent le long de la Chersonèse,

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depuis Idaeos jusqu'à Arriarta, aveo soixante-seize vaisseaux. Les Péloponésiens en firent autant, depuis Abydos jusqu’à Dardanos, avee quatre-vingt-huit. A l’aile droite des Péloponé-siens étaient les Syracusains, à l’autre aile Mindaros en personne avee les bâtiments qui marchaient le mieux. Du côté des Athéniens, Tbrasylos occupait la gauche, Thrasybulos la droite ; au centre étaient les autres généraux, chacun à son rang. Les Péloponésiens se hâtèrent d’entamer le combat.Leur aile gauebe débordant la droite dçs Athéniens, ils voulaient, s’il était possible, leur fermer la sortie du détroit, les charger au centre et les pousser à la côte qui est peu éloignée. Mais les Athéniens, devinant leur intention, s’étendirent du côté où les ennemis manœuvraient pour les enfermer, prirent l’avance et les déhordèrent. Leur aile gauche avait déjà dépassé le promontoire nommé Cynosséma[*](Pointe de la Chersonèse de Thrace, un peu à ΓΕ. de Madytos. Son nom (le Tombeau de la chienne) dérive d’Hécube, qui, dans l’excès de sa douleur, fut métamorphosée en chienne, et à laquelle on avait élevé un tumulus en cet endroit. ). Ce mouvement· laissait faible et dégarni le centre de leur ligne, déjà, inférieur en nombre à l’ennemi; de plus, le contour du Cynosséma, formant un angle aigu, ne permettait pas d’apercevoir ce qui se passait au delà.

Les Péloponésiens, ayant donc enfoncé le centre, poussèrent à la côte les vaisseaux athéniens, suivirent les ennemis à terre et eurent sur ce point une supériorité marquée. Thrasybulos, qui avait sur les bras un grand nombre de vaisseaux, était dans l’impossibilité de se porter de l’aile droite au secours du centre. Tbrasylos ne le pouvait pas davantage de l’aile gauche ; car le promontoire de Cynosséma lui masquait entièrement la vue, quand il n’aurait pas été empêché par les vaisseaux syracusains et antres qu’il avait en tète et qui n’étaient pas inferieurs aux siens. A la fin cependant, les Péloponésiens qui, dans Γentraînement du succès, poursuivaient les ennemis dans toutes les directions , commencèrent à se mettre en désordre sur quelques points. Thrasybulos, qui s’en aperçoit suspend aussitôt son mouvement allongé; et, tournant vers les vaisseaux qui le menacent , il les attaque brusquement et les force à prendre la fuite. Il se porte ensuite vers le point où les Péloponésiens ont l’avantage, surprend leurs vaisseaux épars, les enfonce et les met en dé rente, sans résistance pour la plupart. Au même instant, les Syracusains pliaient devant la division de Tbrasylos ; ils s’enfuirent encore plus vite lorsqu’ils virent la défaite des autres.

Après la perte de la bataille, les Péloponésiens se réfugièrent d’abord vers le fleuve Midios et ensuite à Abydos. Les Athéniens ne prirent qu’un petit nombre de bâtiments ; car le

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peu de largeur de l’Hellespont procura aux ennemis des retraites voisines. Mais rien ne pouvait arriver plus à propos que cette victoire navale. Jusqu’alors les Athéniens avaient redouté la marine péloponésienne, à cause de leurs revers consécutifs et du désastre de Sicile ; depuis ce moment, ils cessèrent de se défier d’eux-mêmes et de faire cas des forces maritimes des ennemis. Ils leur prirent huit vaisseaux de Chios, cinq de Corinthe, deux d’Ambracie, deux de Béotie, un de Leucade, un de Laconie, un de Syracuse et un de Pellène ; ils perdirent de leur côté quinze vaisseaux. Ils érigèrent un trophée sur le promontoire de Cynosséma, recueillirent les débris, rendirent aux ennemis leurs morts par composition, et dépêchèrent une trirème pour annoncer cette victoire à Athènes. L’arrivée de ce bâtiment, apportant la nouvelle d’un succès inespéré, releva les courages abattus par les récentes infortunes de l’Eubée et par les dissensions intestines. Les Athéniens pensèrent qu'avec du zèle il était encore possible de prendre le dessus.

Le quatrième jour après ce combat naval, les Athéniens , qui avaient radoubé à la hâte leurs navires, cinglèrent de Sestos vers Cyzique , insurgée contre eux. Ils aperçurent à l’ancre devant Harpagion et Priapos les huit vaisseaux venus de Byzance. Ils fondirent sur eux, défirent les troupes qui étaient débarquées et s'emparèrent de ces bâtiments. Arrivés à Cyzique, ils firent rentrer sous leur obéissance cette ville ouverte et la frappèrent d'une contribution.

Pendant ce temps, les Péloponésiens passèrent d’Abydos à Ëléonte et reprirent ceux de leurs vaisseaux capturés qui étaient encore intacts; les autres avaient été brûlés par les Éléontins. Ils envoyèrent Hippocratès et Épiclès en Eubée pour ramener la flotte qui s’y trouvait.

Sur ces entrefaites, Alcibiade, avec ses treize vaisseaux, revint de Caunos et de Phasélis à Samos, annonçant qu’il avait empêché la flotte phénicienne de se joindre aux Péloponésiens et cimenté les bonnes dispositions de Tissapherne pour Athènes. Il équipa neuf bâtiments outre ceux qu’il avait déjà, leva une forte contribution sur Halicarnasse et fortifia Cos ; après quoi, il établit un gouverneur dans cette dernière ville et regagna Samos à l’approche de l’arrière-saison. Lorsque Tissapherne apprit que la flotte péloponésienne avait passé de Milet dans l’Hellespont, il partit lui-même d’As-pendos et s’achemina vers l'Ionie.

Pendant que les Péloponésiens étaient dans l'Hellespont, les

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habitants d’Antandros, Éoliens d'origine, ayant à se plaindre d’Arsacès, lieutenant de Tissapherne , firent venir par terre, à travers le mont Ida, des hoplites d’Abydos, qu’ils introduisirent dans leur ville. Cet Arsacès avait indignement traité ceux des Déliens qui s’étaient établis à Atramyttion, lorsque les Athéniens les avaient expulsés de Délos pour purifier cette île[*](Voyez liv. V, ch. i. ). Sous prétexte de combattre un ennemi qu’il ne désignait pas, il avait mis en réquisition les principaux d’entre eux, les avait emmenés sous les dehors de l’amitié et de l’alliance; puis, saisissant le moment de leur repas, il les avait fait envelopper par ses gens et percer de traits. Cette action fit craindre aux Antandri ens qu’un jour il ne se portât contre eux à quelque violence analogue ; et, comme ils ne pouvaient plus supporter les charges qu’il leur imposait, ils chassèrent sa garnison de leur citadelle.

Tissapherne, sentant que cette expulsion était l’ouvrage des Péloponésiens, non moins que ce qui s’était passé à Milet et à Cnide[*](Voyez liv. VIII, ch. lxxxiv. ), dont ses garnisons avaient été pareillement chassées , les crut définitivement brouillés avec lui, et appréhenda de leur part quelque nouveau dommage. D’ailleurs il ne voyait pas sans dépit que Pharnabaze, qui les avait appelés depuis moins de temps et à moins de frais que lui, en tirât contre les Athéniens de plus grands services. Il résolut donc de les aller trouver dans l’Hellespont, afin de se plaindre des événements d’Antandros et de se disculper de son mieux au sujet de la flotte phénicienne et des autres griefs articulés contre lui. Il se rendit en premier lieu à Ëphèse, où il offrit un sacrifice à Diane.

Quand l’hiver qui suit cet été aura pris fin, la vingt et unième année de la guerre sera terminée[*](Cette dernière phrase a été probablement ajoutée par une main étrangère, pour indiquer le point d’interruption où Thucydide a laissé son histoire. ).