History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
LXVII. « Pour nous, l’audace qui, à l’origine, nous faisait, sans expérience encore, affronter les périls, repose maintenant sur un fondement plus certain; il s’y joint la ferme croyance à notre supériorité militaire, puisque nous avons vaincu les troupes les plus estimées; double motif d’espérance! et, en général, dans les entreprises, on ose d'autant plus qu’on espère davantage. Quant aux emprunts faits par l’ennemi à des dispositions que l’habitude nous a rendues familières[*](11 s’agit des dispositions navales, et en particulier des hoplites installée sur les ponts des navires.), ils ne sauraient, en aucun cas, nous trouver en défaut. Eux au contraire dérogent à leurs usages en Couvrant leurs ponts d’une foule d’hoplites, en embarquant quantité de gens de trait, Acarnanes et autres, marins de terre ferme[*](Χερσαίοι, habitants de la terre, est ici un terme de mépris auquel répond exactement notre expression marin de terre ferme, le land-lubbers des Anglais*), pour ainsi dire, qui ne sauront pas même trouver une position pour lancer leur trait. Estil possible que ces gens-là ne mettent pas le trouble à bord, et que le ballottage auquel ils ne sont pas faits ne les jette pas en désordre les uns sur les autres? S’il en est parmi vous qui s’inquiètent de ce que nous n’aurons pas en ligne le même nombre de bâtiments, sachez que même la multitude de leurs vaisseaux ne leur sera d’aucune utilité; car, dans un espace étroit, [*](1 11 s’agit des dispositions navales, et en particulier des hoplites installée sur les ponts des navires.) [*](1 Χερσαίοι, habitants de la terre, est ici un terme de mépris auquel répond exactement notre expression marin de terre ferme, le land-lubbers des Anglais*)
LXVIII. « Jetons-nous donc avec colère au milieu de ce désordre, sur ces ennemis acharnés, dont la fortune se livre d’elle-même à nous; songeons que rien n’est plus légitime que de vouloir satisfaire son ressentiment sur un adversaire, en représailles de ses attaques; que rien en même temps n’est plus doux, le proverbe le dit, que de se venger d’un ennemi, comme nous allons pouvoir le faire. Ce sont des ennemis, vous le savez tous, et des ennemis acharnés, eux qui sont venus dans notre pays pour l’asservir, et qui, s’ils eussent réussi, auraient imposé aux hommes les plus cruels traitements, aux enfants et aux femmes le comble de l’ignominie, à la république entière le plus honteux de tous les noms[*](République «l’eschvea.). Vengez-vous donc; que personne ne mollisse, et croyez n’avoir rien gagné, s’ils font impunément leur retraite; car, même vainqueurs, ils ne veulent pas autre chose. Mais atteindre, comme tout nous le promet, le but de nos espérances, châtier [*](1 République «l’eschvea.)
LXIX. Les généraux syracusains et Gylippe, après avoir exhorté ainsi leurs soldats, sachant que les Athéniens embarquaient, se hâtèrent d’en faire autant. Nicias cependant, effrayé de la situation, voyant l’étendue et l’imminence du danger, puisqu’on touchait au moment de l’action, se figurait, comme il arrive toujours dans les grandes occasions, qu’en fait toutes leurs dispositions laissaient à désirer, et que même leurs exhortations étaient insuffisantes. Il appela donc de nouveau chacun des triérarques, et, les interpellant par leur nom, par leur surnom paternel[*](Les fils portaient comme surnom le nom de leur père. Nicias flattait leur vanité en paraissant les connaître parfaitement, c’était dans çejnii qu’il nommait même la tribu à laquelle ils appartenaient. A Rome, les candidats aux charges avaient des esclaves, nommés nomenclateurs, chargés de leur dire à l’oreille les noms de tous les citoyens qu’ils rencontraient, et même les particularités de leur vie. Us pouvaient, en les abordant, leur parler de tout ce qui les intéressait. Tous les grands conquérants ont pratiqué ce même genre de flatterie à l’égard de leurs soldats.), avec indication de leur tribu, il pria ceux qui jouissaient de quelque considération personnelle de ne pas trahir leur propre gloire, ceux qui avaient d’illustres ancêtres de ne pas ternir leur nom; il leur rappela leur patrie en possession d’une liberté sans égale, l’indépendance garantie à tous dans la vie privée; il leur dit, en un mot, tout ce que peut suggérer une pareille extrémité à un homme qui ne craint pas de pa- [*](1 Les fils portaient comme surnom le nom de leur père. Nicias flattait leur vanité en paraissant les connaître parfaitement, c’était dans çejnii qu’il nommait même la tribu à laquelle ils appartenaient. A Rome, les candidats aux charges avaient des esclaves, nommés nomenclateurs, chargés de leur dire à l’oreille les noms de tous les citoyens qu’ils rencontraient, et même les particularités de leur vie. Us pouvaient, en les abordant, leur parler de tout ce qui les intéressait. Tous les grands conquérants ont pratiqué ce même genre de flatterie à l’égard de leurs soldats.)
Nicias, après avoir dit, non tout ce qu’il eût voulu, mais ce qui lui paraissait indispensable, se retira et conduisit l’armée de terre sur le rivage. Il étendit sa ligne le plus possible, afin de soutenir d’autant mieux la confiance de ceux qui étaient sur les vaisseaux. Démosthènes, Ménandre et Euthydème, qui commandaient à bord de la flotte athénienne, partirent chacun de leur station, et se dirigèrent aussitôt vers le barrage du port et le passage qu’on y avait laissé libre, afin de le forcer et de gagner le large.
LXX. Déjà les Syracusains et leurs alliés avaient pris position avec le même nombre de vaisseaux à peu près que dans le précédent combat : une partie gardaient la passe; les autres étaient échelonnés autour du port, afin de fondre sur les Athéniens de tous les côtés à la fois, et de pouvoir en même temps être secourus par les troupes de terre, de quelque côté qu’ils abordassent. Sicanos et Agatharchos commandaient la flotte syracusaine et formaient les deux ailes; Pythen et les Corinthiens occupaient le centre. Une partie des Athéniens se porta contre le barrage, enfonça au premier choc la division qui le gardait, et se mit en mesure de rompre cet obstacle. Mais ensuite, les Syracusains et leurs alliés s’étant précipités sur eux de toutes parts, le combat s’engagea non plus seulement auprès du barrage, mais dans l’intérieur du port. Il fut acharné et hors de comparaison avec les précédents : il y avait de part et d’autre même entrainement chez
LXXI. Pendant que la lutte sur mer se balançait ainsi, les deux armées de terre étaient en proie à une cruelle perplexité et à une violente agitation : les indigènes ambitionnaient un succès plus glorieux encore; les agresseurs redoutaient des maux plus grands même que ceux du moment. Comme tout l’espoir des Athéniens reposait sur leurs vaisseaux, rien n’égalait l’excès de leurs inquiétudes sur le résultat; leurs regards d’ailleurs ne pouvaient embrasser que fort inégalement du rivage les incidents de la lutte : comme l’action se passait à peu de distance, et que tous ne pouvaient apercevoir en même temps le même point, ceux qui voyaient d’un côté les leurs victorieux, reprenaient courage et conjuraient les dieux de ne pas leur fermer toute chance de salut. Ceux au contraire dont les re-
Sur les vaisseaux on était en proie aux mêmes angoisses, lorsque enfin les Syracusains et leurs alliés, après une lutte longue et opiniâtre, mirent en fuite les Athéniens, les poussèrent vivement et les pour suivirent en criant, en s’animant mutuellement, jusqu’au rivage. A ce moment tout ce qui restait de l’armée navale, tout ce qui n’avait pas été pris à la mer se précipita au rivage dans toutes les directions et vint retomber sur le camp. Dans l’armée de terre la diversité des impressions avait fait place à une explosion unanime de gémissements et de lamentations; la consternation était partout; ceux-ci couraient au secours des vaisseaux, ceux-là à ce qui restait des retranchements pour les défendre, d’autres enfin, — et c’était le plus grand nombre, — ne songeaient déjà plus qu’à eux-mêmes et aux moyens de se sauver. Jamais on ne vit démoralisation plus profonde : leur situation était exactement celle qu’ils
LXXII. Le combat avait été acharné, et beaucoup de vaisseaux, beaucoup d’hommes avaient péri de part et d’autre. Les Syracusains et leurs alliés, après la victoire, recueillirent les débris des navires et leurs morts, retournèrent à la ville et dressèrent un trophée. Les Athéniens, succombant sous l’excès de leurs maux, ne songèrent pas même à réclamer leurs morts et les débris de leurs vaisseaux; ils méditaient de partir sans retard la nuit même. Démosthènes, s’étant rendu auprès de Nicias, ouvrit l’avis d’équiper de nouveau ce qui restait de vaisseaux et de forcer le passage, s’il était possible, au point du jour. Il ajouta qu’ils avaient encore plus de vaisseaux propres au serviee que les ennemis; et, en effet, il en restait aux Athéniens environ soixante, et à leurs adversaires moins de cinquante. Nicias se rangea à cet avis; mais lorsqu’il fut question de s’embarquer, les marins s’y refusèrent : frappés de leur défaite, ils désespéraientde vaincre désormais et n’avaient tous qu’une même pensée, celle d’opérer leur retraite par terre.
LXXIII. Cependant Hermocrates de Syracuse avait soupçonné leurs desseins : pensant que, si une armée aussi nombreuse se retirait par terre et s’établissait sur quelque point de la Sicile, il était à craindre qu’elle ne voulût recommencer la guerre contre eux, il va trouver les magistrats et leur expose, en donnant ses motifs, qu’on ne doit pas laisser l’ennemi s’échapper pendant
LXXIV. Ceux-ci, sur ce Rapport, se tinrent en repos la nuit, sans soupçonner un stratagème. Puis, du moment où ils n’étaient pas partis sur-le-champ, ils crurent devoir attendre encore le jour suivant, afin de lais-
LXXV. Enfin, quand Nicias et Démosthènes jugèrent les préparatifs suffisants, le départ de l’armée eut lieu, le surlendemain du combat naval. La situation des Athéniens était affreuse à bien des égards : ils partaient après avoir perdu tous leurs vaisseaux; au lieu de vastes espérances, il n’y avait plus que périls pour eux et pour la république. Même l’abandon du camp était pour la vue, pour l’âme de chacun, un spectacle navrant : les morts restaient sans sépulture; celui qui découvrait un des siens gisant à terre était saisi de douleur et d’effroi. Ceux qu’on délaissait vivants encore, les blessés et les malades, inspiraient à ceux qui partaient plus de compassion encore que les morts, et étaient en effet plus à plaindre. Leurs supplications, leurs gémissements jetaient l’armée dans une affreuse perplexité; ils adjuraient de les emmener; ils appelaient à grands cris tous
LXXVI. Nicias, voyant l’abattement de l’armée et le changement qui s’y était opéré, parcourut les rangs pour distribuer des consolations et des encouragements appropriés aux circonstances. L’ardeur qui l’animait, le désir de faire parvenir le plus loin possible des conseils utiles, donnaient plus de force encore à sa voix, plus de retentissement aux paroles qu’il jetait à chacun de ceux qu’il approchait.
LXXVII. « Maintenant encore, et quelle que soit notre situation, il faut, Athéniens et alliés, conserver l’espérance; d’autres, avant nous, se sont sauvés de dangers semblables et même plus terribles; que vos malheurs et des souffrances imméritées ne vous fassent donc pas désespérer de vous-mêmes. Et moi aussi, sans être plus vigoureux qu’aucun de vous, — vous voyez au contraire en quel état m’a mis la maladie, — sans le céder, ce semble, à personne ni sous le rapport des jouissances de la vie privée, ni à aucun autre égard, je suis ballotté dans un même péril avec les plus misérables. Et pourtant ma vie a été consacrée à de nombreuses pratiques de piété envers les dieux; ma conduite a été juste, irréprochable envers les hommes. [*](1 Thucydide note ce fait comme une étrange anomalie dans la situation des Athéniens, dont toute la puissance résidait dans la marine.)
LXXVIII. Nicias, tout en adressant ces exhortations, parcourait, les rangs de l’armée : s’il apercevait quelque part des soldats dispersés et marchant sans ordre, il les réunissait et rétablissait les rangs. Démosthènes, de son côté, faisait les mêmes recommandations aux troupes sous ses ordres. Le corps d’armée de Nicias marchait formé en carré long; celui de Démosthènes suivait; au centre des hoplites étaient les porteurs de bagages et le gros de la multitude[*](Thucydide désigne toujours par ce mot les troupes légères, celles qui u’étaient pas complètement armées et ne comptaient que comme accessoires.). Arrivés au passage de l’Anapos, ils trouvèrent un détachement des Syracusains et de leurs alliés en bataille le long du fleuve; ils le culbutèrent, occupèrent le passage et poussèrent en avant. La cavalerie syracusaine voltigeait autour d’eux et les harcelait, pendant que les troupes légères les accablaient de traits. Les Athéniens franchirent ce jour-là environ quarante stades, et bivouaquèrent sur une éminence. Le lendemain, ils se mirent en marche de bonne heure, firent environ vingt stades, et descendirent dans une plaine où ils campèrent. Cet endroit étant habité, ils voulaient tirer des maisons quelques vivres et de l’eau pour emporter avec eux; car en avant, sur la route qu’ils devaient suivre, l’eau était rare pendant un grand nombre de stades. Pendant ce temps, les Syracüsains prirent [*](* Thucydide désigne toujours par ce mot les troupes légères, celles qui u’étaient pas complètement armées et ne comptaient que comme accessoires.)
LXXIX. Le matin, ils levèrent le camp, se remirent en marche, et à force d’efforts parvinrent à la colline fortifiée. Là ils trouvèrent devant eux l’infanterie rangée au-dessus du retranchement, en colonne profonde; car le lieu était étroit. Ils poussèrent en avant et attaquèrent la muraille. Mais, criblés de traits par les ennemis étagés en grand nombre sur les pentes, et qui de haut visaient plus sûrement, ils ne purent forcer le passage, battirent en retraite et prirent quelque repos. A ce moment survint un orage mêlé de pluie, comme il arrive fréquemment aux approches de l’automne; l’abattement des Athéniens s’en accrut encore, et ils crurent que tout conspirait pour leur ruine. Pendant qu’ils étaient arrêtés, Gylippe et les Syracusains envoyèrent un détachement élever un nouveau retranchement derrière eux, sur la route par où ils étaient venus; mais ils envoyèrent de leur côté quelques troupes et déjouèrent ce projet. Toute l’armée [*](1 La Roche élevée.)
LXXX. Nicias et Démosthènes, voyant la détresse de l’armée, le manque absolu de vivres et le grand nombre de soldats blessés dans les attaques incessantes de l’ennemi, imaginèrent d’allumer, la nuit, une grande quantité de feux, et de faire filer l’armée non plus par la route qu’ils avaient d’abord résolu de suivre, mais vers la mer en sens contraire des positions gardées par les Syracusains. La direction générale de leur marche les portait à l’opposé de Catane, de l’autre côté de la Sicil/e vers Camarina, Géla et les villes grecques et barbares de cette contrée. Ils allumèrent donc un grand nombre de feux et partirent de nuit. Mais ils éprouvèrent de ces terreurs paniques si communes dans toutes les armées, surtout quand elles sont nombreuses, et particulièrement dans des marches de nuit, à travers un pays hostile, et dans le voisinage de l’ennemi. Le désordre se mit parmi eux. Le corps de Nicias, qui marchait en
LXXXI. Cependant les Syracusains et leurs alliés s’étaient aperçus, dès qu’il fit jour, du départ des Athéniens. La plupart accusaient Gylippe de les avoir à dessein laissés échapper. Ils reconnurent aisément la route qu’ils avaient suivie, se mirent vivement à leur poursuite et les atteignirent à l’heure du dîner. La division de Démosthènes était restée en arrière, marchant plus lentement et avec moins d’ordre, par suite dé la confusion qui s’y était mise pendant la nuit; dès qu’ils l’eurent jointe; ils fondirent sur elle et engagèrent le combat. La cavalerie syracusaine enveloppa sans peine cette multitude disséminée, et la refoula à l’étroit sur elle-même. La division de Nicias était en avant, à une distance de cinquante stades. Nicias, en effet, avait fait presser la marche, persuadé qu’en pareil cas le moyen d’échapper n’est pas d’attendre volontairement l’ennemi et de le combattre,
LXXXII. Tout le jour on tira ainsi sur les Athéniens et leurs alliés. Quand Gylippe, les Syracusains et leurs alliés les virent accablés de blessures, épuisés de souffrances, ils firent proclamer d’abord que ceux des insulaires qui voudraient passer de leur côté seraient libres : quelques habitants des villes, mais en petit nombre, passèrent dans leur camp. Tout le reste de l’armée de Démosthènes capitula ensuite et convint de livrer ses armes, à la condition qu’il n’y aurait aucune violence contre la vie des personnes, qu’on ne les ferait périr ni dans les fers, ni par la privation du
LXXXIII. Le lendemain les Syracusains l’atteignirent, lui apprirent que les troupes de Démosthènes avaient capitulé, et le sommèrent d’en faire autant. Nicias, se défiant de cette déclaration, convint d’envoyer un cavalier pour s’en assurer. Celui-ci, à son retour, ayant confirmé la nouvelle de la reddition, il fit déclarer par un héraut à Gylippe et aux Syracusains qu’il était prêt à stipuler, au nom des Athéniens, le remboursement de tous les frais de la guerre, à condition qu’on le laisserait partir avec son armée. Comme garantie du payement, il offrait de fournir des otages athéniens, un homme par talent. Les Syracusains et Gylippe n’acceptèrent pas ces propositions; ils fondirent sur les Athéniens, les enveloppèrent de toutes parts, et tirèrent sur eux jusqu’au soir. La division de Nicias n’était pas moins épuisée que l’autre par le manque de blé et de provisions. Cependant elle résolut de profiter du répit de la nuit pour se remettre en route; mais, au moment où on prit les armes, les Syracusains s’en aperçurent et chantèrent le péan. Les Athéniens, voyant qu’ils ne pouvaient tromper la surveillance de l’ennemi, renoncèrent à leur tentative, à l’exception de trois cents hommes seulement qui forcèrent les gardes et s’échappèrent la nuit où ils purent.
LXXXIV. Le jour venu, Nicias remit l’armée en marche. Les Syracusains et leurs alliés continuaient à les harceler dans tous les sens, à tirer sur eux, et à les accabler de traits. Les Athéniens s’efforçaient de gagner le fleuve Assinaros; refoulés de toutes parts par les charges d’une nombreuse cavalerie et par une nuée d’ennemis, ils espéraient respirer un peu derrière le fleuve, s’ils parvenaient à le franchir; l’épuisement et la soif les y poussaient également. Arrivés sur les bords, ils s’y précipitent sans ordre; chacun veut passer le premier. L’ennemi qui les presse ajoute aux difficultés du passage. Obligés de se serrer en avançant, ils se précipitent les uns sur les autres, se foulent aux pieds; ceux-ci tombent sur les pointes des lances, au milieu des bagages, et périssent avant de toucher le bord; ceux-là s’embarrassent et tombent dans le courant. Les Syracusains, postés sur l’autre rive, escarpée en cet endroit, tirent d’en haut sur les Athéniens occupés la plupart à boire avidemeht, et confondus en désordre dans le lit encaissé du fleuve. Les Péloponnésiens descendent à leur suite et s’attachent surtout à égorger ceux qui sont dans le fleuve. L’eau, souillée dès le premier instant, roule bourbeuse et sanglante; on la boit néanmoins, le plus souvent on se la dispute les armes à la main.
LXXXV. Déjà des monceaux de cadavres étaient entassés entre les rives, l’armée était anéantie; une partie avait péri dans le fleuve; la cavalerie avait détruit ce qui avait pu s’échapper. Nicias alors, se fiant plus à Gylippe qu’aux Syracusains, se rendit à lui; il s’en remit entièrement à sa discrétion et à celle des Lacédémoniens, en le priant seulement de faire cesser le car-
LXXXVI. Les Syracusains et leurs alliés, après s’être réunis, prirent avec eux le plus possible de prisonniers et 'de dépouilles, et retournèrent à la ville. Ils descendirent tous les prisonniers faits sur les Athéniens et leurs alliés au fond des carrières, comme dans le lieu où il était le plus facile de les garder. Quant à Nicias et à Démosthènes, on les égorgea, malgré Gylippe. Celui-ci eût regardé comme un beau triomphe ajouté à tous ses succès d’amener aux Lacédémoniens les généraux ses adversaires. Démosthènes se trouvait être l’homme qu’ils détestaient le plus, à cause des événements de Sphactérie et de Pylos. Ces mêmes événements avaient valu à Nicias toute leur bienveillance; car il avait té-
[*](1 Pour se les approprier, au lieu de les abandonner à l’État.)[*](* Une capitulation permettait de les compter et empêchait ainsi les détournements.)