History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
CV. A la même époque de cet été, les Lacédémoniens envahirent l’Argolide avec leurs alliés et ravagèrent une grande partie du territoire. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens avec trente vaisseaux : c’était une infraction patente à la trêve entre Lacédémone et Athènes. Jusque-là ils avaient bien fait, de Pylos quelques courses pour piller; ils avaient pris part à la guerre des Argiens et des Mantinéens; mais quand ils opéraient des descentes c’était plutôt sur tout autre point du Péloponnèse qu’en Laconie. Invités même à plusieurs reprises par les Argiens à se montrer seulement en armes dans la Laconie, pour se retirer après avoir exercé avec eux quelques ravages insignifiants, ils s’y étaient refusés. Mais en cette circonstance, sous le commandement de Pythodoros, de Lespodias et de Démarate, ils prirent terre à ÉpidaureLiméra, à Proscis et sur une foule d’autres points, ravagèrent le pays, et fournirent par là aux Lacédémoniens un prétexte plus plausible de représailles. Après le départ des vaisseaux athéniens et l’évacuation du pays par les Lacédémoniens, les Argiens envahirent la Phliasie, ravagèrent une partie du territoire, tuèrent quelques habitants et rentrèrent chez eux.
I. Gylippos et Pythès, partis de Tarente après avoir réparé leurs vaisseaux, passèrent en côtoyant chez les Locriens-Épizéphyriens. Mieux informés alors que Syracuse n’était pas entièrement investie, et qu’il était possible d’y entrer avec une armée par Épipolæ, ils délibérèrent s’ils prendraient la Sicile par la droite et se risqueraient à pénétrer dans le port, ou s’ils cingleraient d’abord à gauche vers Himéra, afin de prendre avec eux les habitants et toutes les troupes qu’ils pourraient engager d’ailleurs, et de gagner Syracuse par terre. Ils se décidèrent à faire voile pour Himéra, d’autant mieux qu’on n’avait pas encore aperçu à Rhégium les quatre vaisseaux athéniens que Nicias s’était pourtant[*](Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.) décidé à envoyer, lorsqu’il apprit leur présence à Locres. Ils prévinrent cette croisière, passèrent le détroit, relâchèrent à Rhégium et à Messine et arrivèrent à Himéra. Là, ils persuadèrent aux habitants de les seconder dans cette guerre, en se joignant à eux et en fournissant des armes à ceux de [*](1 Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.)
II. Les Corinthiens, partis de Leucade avec le reste des vaisseaux, firent de leur côté toute la diligence possible pour secourir Syracuse. Un de leurs généraux, Gongylos, parti le dernier avec un seul bâtiment, arriva le premier, un peu avant Gylippos. Il trouva les Syracusains près de s’assembler pour traiter de la cessation des hostilités. Il les en détourna et releva les courages en leur disant qu’il allait leur arriver encore d’autres vaisseaux, et que Gylippos, fils de Cléandridas, venait, de la part des Lacédéraoniens, se mettre à leur tête. Les Syracusains reprirent confiance et sortirent avec toutes leurs forces au-devant de Gylippos; car ils venaient d’apprendre que déjà
III. Les Athéniens, pris à l’improviste par l’attaque de Gylippos et des Syracusains, se troublèrent d’abord; cependant ils se mirent en bataille. Gylippos fit halte près d’eux et envoya premièrement un héraut leur déclarer que, s’ils voulaient évacuer la Sicile dans l’espace de cinq jours, emportant tout ce qui leur appartenait, il était prêt à traiter. Les Athéniens reçurent avec mépris ces propositions et renvoyèrent le héraut sans réponse. On se prépara ensuite de part et d’autre au combat. Gylippos, s’apercevant que les Syracusains étaient en désordre et avaient peine à former leurs rangs, ramena son armée dans un endroit plus ouvert. Mais comme Nicias ne fit pas sortir les Athéniens et se tint en repos dans ses retranchements, Gylippos, ne les voyant pas venir à sa rencontre, conduisit ses troupes sur la hauteur nommée Téménitès, et y bivouaqua. Le lendemain il ramena la plus grande par-
IV. Les Syracusains et leurs alliés construisirent ensuite, à travers Épipolæ, un mur simple[*](Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) qui partait de la ville et se dirigeait transversalement vers les hauteurs[*](Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) : par là, l’ennemi, s’il ne pouvait empêcher cette construction, se trouvait dans l’impossibilité de fermer sa ligne de blocus. Déjà les Athéniens, après avoir terminé le mur au bord de la mer[*](Sur le grand port.), avaient atteint les hauteurs[*](Au nord de Syké.) : Gylippos, sachant qu’il se trouvait sur ce point une partie faible, y monta la nuit avec son armée pour attaquer la muraille. Mais les Athéniens, qui bivouaquaient en dehors, s’en aperçurent et allèrent à lui. Gylippe, dès qu’il se vit découvert, retira ses troupes à la hâte. Les Athéniens donnèrent à ce mur plus d’élévation, se chargèrent eux-mêmes de le garder[*](C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.) et distribuèrent les alliés dans le reste du re- [*](1 Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) [*](2 Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) [*](3 Sur le grand port.) [*](* Au nord de Syké.) [*](5 C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.)
Nicias jugea à propos de fortifier le lieu nommé Plemmyrion[*](La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) : c’est un promontoire qui s’avance dans le grand port, sur la côte opposée à la ville, et rétrécit la passe. Il pensait, en le fortifiant, rendre l’arrivage des vivres plus facile[*](Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.), parce que sa flotte, stationnant plus près du port des Syracusains[*](Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.), n’aurait plus, comme par le passé, à accourir du fond du grand port pour proléger l’arrivée des convois, si les vaisseaux ennemis faisaient quelque mouvement. Le côté maritime de la guerre le préoccupait dès lors davantage, parce qu’il voyait que, par terre, l’arrivée de Gylippos laissait moins d’espoir. Il y fit donc passer un corps de troupes et les vaisseaux, éleva trois forts, et y déposa la plus grande partie du matériel. C’est là que stationnèrent désormais les grands bâtiments de charge et les vaisseaux légers. C’est de ce moment aussi que commencèrent pour les équipages les privations et les souffrances : l’eau était rare et éloignée; et, lorsque les matelots sortaient pour aller faire du bois, ils étaient massacrés parles cavaliers syracusains qui tenaient la campagne : car, par suite de l’occupation de Plemmyrion, le tiers de la cavalerie syracusaine avait pris ses quartiers au bourg d’Olympiéon, pour s’opposer à leurs incursions. Nicias, informé d’un autre côté que le reste de la flotte corinthienne approchait. [*](1 La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) [*](* Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.) [*](5 Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.)
V. Gylippos continuait la construction du mur à travers Épipolæ, et y employait les pierres que les Athéniens avaient amassées pour eux-mêmes; en même temps il faisait sortir régulièrement et rangeait devant le retranchement les Syracusains et leurs alliés. En face, les Athéniens formaient aussi leurs rangs. Lorsque Gylippos crut le moment favorable, il commença l'attaque; on en vint aux mains, et l’action eut lieu dans l’intervalle des retranchements, où la cavalerie des Syracusains et de leurs alliés ne fut d’aucun usage. Les Syracusains et leurs alliés furent vaincus. Après que les Athéniens eurent rendu les morts par convention et dressé un trophée, Gylippos convoqua ses soldats et leur dit que ce qui était arrivé n’était pas de leur faute, mais de la sienne; que, par ses dispositions mêmes, il avait, en les massant trop à l’étroit entre les murs[*](Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.), rendu inutiles la cavalerie et les gens de trait; qu’il allait donc les mener de nouveau à l’ennemi. Il les engagea à bien réfléchir que, sous le rapport des forces, ils ne seraient pas inférieurs, et que, quant au courage, il serait intolérable qu’ils se crussent incapables, eux Péloponnésiens et Doriens, de vaincre et de chasser du pays des Ioniens, des insulaires, un ramas de troupes.
VI. Ensuite, le moment venu, il les conduisit de nouveau au combat. Nicias et les Athéniens sentaient [*](1 Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.)
VII. Les vaisseaux de Corinthe, d’Ambracie et de Leucade, restés en arrière au nombre de douze, entrèrent ensuite dans le port, sans avoir été aperçus par la croisière athénienne. Ils étaient commandés par Érasinidès de Corinthe. Ces troupes travaillèrent de concert avec les Syracusains à terminer les retranche- [*](1 Parce que, malgré leurs victoires, les communications de Syracuse avec l’extérieur resteraient libres, au moyen de cette muraille.)
VIII. Nicias le savait, et voyait chaque jour ajouter à la force des ennemis et aux difficultés de sa propre situation. Il envoyait de son côté des messages à Athènes; bien des fois déjà il en avait fait passer dans d’autres circonstances pour tenir au courant de chaque événement; mais il les multiplia alors, persuadé qu’il était dans une position critique, et que, si on ne se hâtait soit de rappeler l’armée, soit de lui envoyer des renforts considérables, il n’y avait aucune chance de salut. Comme il craignait que ses messagers ne fissent pas connaître le véritable état des choses, soit faute de savoir s’exprimer, soit par défaut de mémoire, ou même pour [*](1 Les retranchements dont il est question ici devaient longer les hauteurs d’Épipolæ et venir rejoindre le mur transversal qui s’étendait jusqu’à l’enceinte de Syracuse. Les mots μέχρι τοῦ ἐγκαρσίου τείχους, qui ont fort embarrassé les interprètes, pourraient aussi bien se traduire s à partir du mur transversal; ils indiquent que le mur en question, au lieu de suivre la direction primitive de la muraille transversale, ce qui l’eût porté trop au nord vers les hauteurs, venait s’embrancher sur lui pour suivre la plaine vers le nord-est.)
IX. A la fin du même été, Évétion, général athénien, fit avec Perdiccas une expédition contre Amphipolis, à la tête d’un corps nombreux de Thraces; mais, n’ayant pu la prendre, il suivit avec les trirèmes les contours du Strymon, alla stationner à Himéréon, et de là bloqua la ville; l’été finit.
X. L’hiver suivant les messagers deNicias étant arrivés à Athènes, rapportèrent tout ce qui leur avait été dit de vive voix, répondirent aux questions qu’on leur fit, et remirent la lettre. Le secrétaire de la ville en donna lecture aux Athéniens; en voici le contenu :
XI « Les faits antérieurs vous sont connus, Athéniens, par beaucoup d’autres lettres : il est opportun que vous ne connaissiez pas moins bien aujourd’hui la situation où nous nous trouvons, pour prendre une décision. Nous avions vaincu dans de nombreux combats les Syracusains contre qui vous nous avez envoyés, et nous avions élevé les retranchements où nous sommes maintenant, lorsque est arrivé le Lacédémonien Gylippos, [*](1 Je lis έχουσίων κινδύνων [ά] πεμελεΐτο. Il suffit du changement d’une seule lettre pour donner un sens raisonnable à la phrase, que tous les commentateurs ont été obligés d’expliquer contrairement au texte reçu έπεμελεΐτο.)
XII. « Ils viennent d’envoyer dans le Péloponnèse des ambassadeurs demander une nouvelle armée, tandis que Gylippos parcourt les villes de Sicile, pour engager dans la guerre celles qui se sont tenues en repos jusqu’à présent, et tirer des autres, s’il le peut, de nouveaux armements de terre et de mer : car ils songent, à ce que j’apprends, à tenter sur nos retranchements une attaque combinée par terre et par mer. N’allez pas vous récrier àce mot, par mer : car notre flotte, si brillante au commencement, quand les vaisseaux étaient secs et les équipages intacts, n’oflre plus maintenant— nos ennemis eux-mêmes le savent — que des vaisseaux pénétrés d’eau par suite de leur long séjour à la mer, et des équipages délabrés. Il nous est impossible de les tirer à terre pour les sécher, parce que la flotte ennemie étant égale et même supérieure en nombre, nous
XIII. « Nous, au contraire, c’est à peine si nous aurions cet avantage[*](De pouvoir sécher nos bâtiments.), même avec une flotte de beaucoup supérieure et sans la nécessité où nous sommes maintenant de la consacrer tout entière à nous garder. Car pour peu que nous distrayions de bâtiments de nos croisières, nous manquerons de vivres; puisque, même maintenant, nous avons peine à les convoyer dans le voisinage de leur ville. Quant à nos équipages, voici ce qui les a ruinés et les ruine encore aujourd’hui : une partie de nos matelots, lorsqu’ils s’écartent pour ramasser du bois, marauder ou faire de l’eau, sont tués parla cavalerie; les valets désertent, depuis que les forces sont égales. Parmi les étrangers, ceux qui ont été embarqués de force saisissent la première occasion de se réfugier dans les villes[*](Dans les villes de Sicile.); ceux qui ont été séduits d’abord par l’élévation de la solde, et qui croyaient aller plutôt au butin qu’au combat, voyant maintenant, contre leur attente, l’ennemi en présence avec une flotte et des forces de tout genre, s’en vont sous quelque prétexte afin de déserter, ou s’ingénient de toute manière; car la Sicile est vaste[*](Ce qui leur permet de nous échapper plus facilement.); il en est même qui achètent sur les lieux des esclaves d’Hyccara et les embarquent à leur place avec l’autorisation des triérarques, ce qui désorganise les équipages.
[*](1 De pouvoir sécher nos bâtiments.)[*](• Dans les villes de Sicile.)[*](3 Ce qui leur permet de nous échapper plus facilement.)XIV. « Vous savez, même sans que je vous l’écrive, que de bons équipages sont rares, et qu’il est peu de matelots qui sachent et appareiHer et manier la rame en cadence. Le plus embarrassant, c’est que, tout général que je suis, je n’ai pas le pouvoir d’empêcher ces désordres (car votre naturel est difficile à gouverner), et que nous ne trouvons d’aucun côté à nous refaire. L’ennemi au contraire trouve de toutes parts des facilités; tandis que nous, tout ce que nous avons encore, tout ce que nous dépensons en hommes, est nécessairement pris sur ce que nous avions en arrivant. Caries villes que nous avons maintenant pour alliées, Naxos et Catane, ne peuvent rien pour nous. Qu’à tous ces avantages nos ennemis en joignent un autre, que les villes d’ltalie qui nous font vivre, voyant où nous en sommes, l’abandon où vous nous laissez, se rangent de leur côté, la guerre se terminera sans combat; car nous serons forcés à nous rendre. J’aurais pu vous mander des choses plus agréables, mais je n’en vois pas de plus utiles, puisqu’il faut que vous sachiez exactement quelle est ici la situation, pour en délibérer. Je connais d’ailleurs votre caractère; vous aimez à entendre les nouvelles les plus flatteuses; mais comme vous rejetez ensuite la responsabilité sur qui vous les donne, si l’événement n’y répond pas, j’ai cru plus sûr de vous faire connaître la vérité.
XV. « Quant à l’objet premier de l’expédition, soldats et généraux ne vous ont donné aucun sujet de reproches, soyez-en bien persuadés : mais, maintenant que la Sicile se lève tout entière et qu’on y attend une nouvelle armée du Péloponnèse, prehez pour base de vos délibérations que les forces ici présentes ne sauraient
XVI. Tel était le contenu de la lettre de Nicias. Les Athéniens, après en avoir entendu lecture, ne le déchargèrent pas du commandement; mais, en attendant l’arrivée des collègues qu’ils lui choisirent, ils lui en adjoignirent deux qui se trouvaient sur les lieux, Ménandre et Euthydème, afin que, dans son état de maladie, il ne supportât pas seul toutes les fatigues. On décréta l’envoi d’une nouvelle armée de terre et de mer, composée d’Athéniens portés au rôle et d’alliés. Pour collègues, on lui donna Démosthènes, fils d’Alcisthènes, et Euryraédon, fils de Thouclès. Eurymédon fut envoyé sur-le-champ en Sicile, vers le solstice d’hiver, avec dix vaisseaux et une somme de [cent] vingt talents[*](Le texte primitif ne porte que vingt talents. Mais il est peu probable qu’on ait envoyé une aussi faible somme à Nicias, qui réclamait beaucoup d’argent. Diodore porte l’envoi à cent quarante; aussi la plupart des éditeurs ont-ils accepté la correction de Valla.). Il [*](1 Le texte primitif ne porte que vingt talents. Mais il est peu probable qu’on ait envoyé une aussi faible somme à Nicias, qui réclamait beaucoup d’argent. Diodore porte l’envoi à cent quarante; aussi la plupart des éditeurs ont-ils accepté la correction de Valla.)
XVII. Démosthènes resta pour préparer les armements et partir à l’entrée du printemps : il dénonça aux alliés une levée de troupes, et tira de chez eux de l’argent, des vaisseaux et des hoplites. Les Athéniens envoyèrent aussi vingt vaisseaux croiser autour du Péloponnèse, pour veiller à ce que personne ne passât de Corinthe et du Péloponnèse en Sicile. Car les Corinthiens, à l’arrivée'des députés qui leur annonçaient que les affaires s’amélioraient en Sicile, jugeant que leur premier envoi de vaisseaux n’avait pas été inutile, embrassèrent plus vivement encore cette affaire : aussi se préparèrent-ils à envoyer des hoplites en Sicile sur des bâtiments de charge, pendant que les Lacédémoniens se disposaient à en faire passer par le même moyen du reste du Péloponnèse. Les Corinthiens armèrent en outre vingt-cinq vaisseaux, dans le but de tenter un combat naval contre la flotte athénienne en station à Naupacte, et en même temps de neutraliser cette flotte, de sorte qu’elle fût moins en état d’empêcher le départ de leurs transports, une fois occupée à surveiller les galères qu’ils allaient lui opposer.
XVIII. Les Lacédémoniens préparaient aussi une invasion dans l’Attique. C’était chose précédemment résolue par eux, mais ils y étaient surtout poussés par les Syracusains et les Corinthiens : ceux-ci, informés qu’Athènes envoyait des renforts en Sicile, voulaient y mettre obstacle par cette invasion. Alcibiade, les pressant de son côté, les exhortait à fortifier Décélieet à ne pas laisser languir les opérations. Mais ce qui contribuait surtout à stimuler un peu les Lacédémoniens,
XIX. Dès le commencement du printemps suivant[*](Quatre-vingt-onzième olymp., troisième année; 413 avant notre ère.), les Lacédémoniens et leurs alliés firent, de très-bonne heure, une invasion dans l’Attique, sous le commandement d’Agis, fils d’Archidamos, roi des Lacédémoniens. Après avoir d’abord ravagé la plaine, ils se mirent à fortifier Décélie et attribuèrent aux troupes de chaque ville une portion du travail. Décélie n’est qu’à cent vingt stades d’Athènes, et à la même distance, ou un peu plus, de la Béotie. Les fortifications furent élevées dans une position qui commandait la plaine et la partie la plus riche du pays, afin de nuire à l’ennemi; on pouvait les apercevoir d’Athènes. Pendant que les Péloponnésiens qui étaient dans l’Altique fortifiaient Décélie, de concert avec leurs alliés, ceux qui étaient restés dans le Péloponnèse envoyèrent sur des transports des hoplites en Sicile : les Lacédémoniens choisirent l’élite des Hilotes et des Néodamodes et en formèrent un corps de six cents hoplites, sous le commandement du Spartiate Eccritos; les Béotiens fournirent trois cents hoplites commandés par Xénon et Nicon, l’un et l’autre de Thèbes, et par Hégésandros de Thespies. Ces troupes formèrent un premier convoi qui prit la mer à Ténare, en Laconie. Peu de temps après les Corinthiens expédièrent, sous la conduite d’Alexarchos de Corinthe, cinq cents hoplites, tant Corinthiens qu’Arcadiens mercenaires; les Sicyoniens leur adjoignirent deux cents hoplites sous les ordres de Sargée de Sicyone, Les vingt-cinq vaisseaux de Corinthe équipés pendant l'hiver croisaient en vue des vingt bâtiments athé- [*](1 Quatre-vingt-onzième olymp., troisième année; 413 avant notre ère.)