History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXIX. Au moment où l’on allait s’aborder, les généraux firent, chacun de leur côté, les exhortations suivantes à leurs soldats : aux Mantinéens ils dirent qu’ils allaient combattre pour la patrie, que l’indépendance et la servitude étaient en cause; qu’il s’agissait pour eux de ne pas être dépouillés de l’une après en avoir eux joui, et de ne pas retomber dans l’autre; aux Argiens, ils rappelaient leur antique suprématie, l'égalité de pouvoir[*](La suprématie se rapporte au temps des Pélopides; l’égalité de pouvoir à l’époque de la guerre persique.) dont ils avaient joui autrefois dans le Péloponnèse et dont ils ne devaient pas se laisser dépouiller à jamais, les nombreux griefs qu’ils avaient [*](1 Comme chaque énomotie, composée de trente-deux hommes, avait quatre hommes à la première ligne, il fallait, pour que la profondeur pût varier au gré des lochages, que les rangs autres que le premier fussent plus ou moins serrés.) [*](8 La suprématie se rapporte au temps des Pélopides; l’égalité de pouvoir à l’époque de la guerre persique.)

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à venger sur un peuple tout à la fois leur voisin et leur ennemi; aux Athéniens, qu’il était beau, en combattant avec des alliés nombreux et braves, de ne le céder à personne; que, vainqueurs des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, ils affermiraient et agrandiraient leur empire, et qu’ils n’auraient plus à craindre désormais qu’aucun autre ennemi n’envahît leur territoire. Telles furent les exhortations adressées aux Argiens et à leurs alliés.

Les Lacédémoniens s’encourageaient entre eux; chacun, au bruit des chants guerriers, s’excitait lui-même en rappelant ses souvenirs et la conscience de sa propre valeur[*](Thucydide fait évidemment allusion ici aux chants de Tyrtée, dont il semble donner en quelques mots l’analyse.); car ils savaient que l’expérience, fruit de longs efforts, fait plus pour le succès qu’une exhortation brillante, mais fugitive.

LXX. Ensuite on s’ébranla de part et d’autre : les Argiens s’avancèrent avec impétuosité et colère, tandis que les Lacédémoniens marchaient lentement, aux modulations d’un corps nombreux de joueurs de flûtes institué, non dans un but religieux, mais pour imprimer à la marche une cadence régulière et empêcher les rangs de se rompre, comme il arrive ordinairement dans les grandes armées au moment de l’attaque.

LXXI. — Avant qu’on se fût encore abordé, voici ce qu’imagina Agis. Il arrive, en général, dans toute armée, qu’au moment de l’attaque, on s’appuie sur l’aile droite et que de part et d’autre on déborde la gauche de l’ennemi. Cela tient à ce que chacun, par [*](1 Thucydide fait évidemment allusion ici aux chants de Tyrtée, dont il semble donner en quelques mots l’analyse.)

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crainte, s’efforce d’effacer autant que possible la partie découverte de son corps derrière le bouclier de son voisin de droite[*](On portait le bouclier de la main gauche; la droite maniait la lance; le corps se trouvait donc à découvert de ce côté.); on se figure d’ailleurs qu’en se pressant ainsi, sans laisser aucun vide, on est mieux à couvert. Le chef de file de l’aile droite devient la cause première de ce désordre, en manoeuvrant incessamment de manière à dérober à l’ennemi la partie découverte de son corps[*](N’ayant aucun voisin sous le bouclier duquel il pût s’abriter, il tendait toujours à dépasser la ligne ennemie.); la même préoccupation fait que les autres le suivent. Dans cette journée, les Mantinéens débordèrent de beaucoup les scirites; mais les Lacédomoniens et les Tégéates débordèrent hien plus encore les Athéniens, leur armée étant plus nombreuse. Agis, craignant que sa gauche ne fût enveloppée, et trouvant que les Mantinéens la débordaient par trop, ordonna aux scirites et aux soldats de Brasidas de se séparer du corps de bataille et de se porter à gauche de manière à faire face aux Mantinéens sur toute la ligne. Pour remplir l’espace laissé vide, il ordonna aux polémarques Hipponoïdas et Aristoclès de se détacher de la droite avec deux lochos et de venir occuper l’intervalle; il pensait que de cette manière sa droite serait encore suffisamment garnie, et que l’aile opposée aux Mantinéens tiendrait avec plus d’avantage.

LXXII. Mais il arriva que, cet ordre étant donné à l’improviste et pendant la charge, Aristoclès et Hipponoïdas refusèrent d’avancer. — Ils furent plus tard, pour ce fait, exilés de Sparte, comme coupables de lâcheté. — Il s’ensuivit que les ennemis attaquèrent [*](1 On portait le bouclier de la main gauche; la droite maniait la lance; le corps se trouvait donc à découvert de ce côté.) [*](a N’ayant aucun voisin sous le bouclier duquel il pût s’abriter, il tendait toujours à dépasser la ligne ennemie.)

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avant le mouvement terminé; et quoique Agis, en l’absence des lochos qui devaient soutenir les scirites, eût donné ordre à ces derniers de se replier sur la droite, il ne leur fut plus possible de rejoindre et de fermer la ligne. Mais si, dans cette occasion, les Lacédémoniens furent vaincus en habileté à tous égards, ils se montrèrent d’autant supérieurs par le courage. L’action engagée, les scirites et les soldats de Brasidas furent enfoncés par l’aile droite des Mantinéens. Ceux-ci se jetèrent, avec leurs alliés et les mille Argiens d’élite, dans l’intervalle resté vide; ils écrasèrent les Lacédémoniens[*](C’est à dire la cavalerie lacédéraonienne placée à cette aile, les scirites et les soldats de Brasidas.), les cernèrent, les mirent en fuite, les poursuivirent jusqu’à leurs chariots[*](Jusqu’au camp.) et tuèrent quelquesuns des vieillards préposés à la garde des bagages. De ce côté les Lacédémoniens eurent le dessous. Mais le reste de l’armée, et surtout le centre où se trouvait Agis avec les cavaliers nommés les trois cents, se précipita sur les vieilles troupes d’Argos, surnommées les cinq lochos, sur les Cléoniens, les Ornéates et les Athéniens rangés près d’eux, et mirent tout en fuite. La plupart n’attendirent même pas le choc de l’ennemi, et cédèrent aussitôt qu’ils virent approcher les Lacédémoniens, au point que quelques-uns furent foulés aux pieds par les leurs, tant était grand l’empressement à s’échapper.

LXXIII. Les Argiens et leurs alliés ayant cédé sur ce point, l’armée se trouva coupée[*](Παρερρήγνυντο άμα καί έφ’ έκάτερα. Ils furent rompus et portés dans des directions différentes, l’aile droite avançant pendant que lu gauche commençait à céder.). En même temps [*](1 C’est à dire la cavalerie lacédéraonienne placée à cette aile, les scirites et les soldats de Brasidas.) [*](* Jusqu’au camp.) [*](8 Παρερρήγνυντο άμα καί έφ’ έκάτερα. Ils furent rompus et portés dans des directions différentes, l’aile droite avançant pendant que lu gauche commençait à céder.)

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la droite des Lacédémoniens et des Tégéates déborda les Athéniens et les enveloppa. Ils couraient alors un double péril : cernés d’un côté et déjà rompus de l’autre, ils auraient souffert plus que tout le reste de l’armée, si la cavalerie qui était avec eux ne les eût soutenus. D’ailleurs Agis, voyant fléchir sa gauche opposée aux Mantinéens et aux mille Argiens, donna ordre à toute l’armée de se porter sur l’aile en souffrance; grâce à cette manoeuvre, les Athéniens purent se sauver à loisir pendant que l’armée défilait et s’éloignait; les Argiens, déjà vaincus, s’échappèrent avec eux. Les Mantinéens, leurs alliés et les soldats d’élite d’Argos ne songèrent plus dès lors à poursuivre l’ennemi : voyant les leurs en déroute et les Lacédémoniens en marche contre eux, ils se mirent à fuir. Les Mantinéens surtout perdirent beaucoup de monde : les Argiens au contraire se sauvèrent pour la plupart. Du reste, la fuite et la retraite ne furent ni précipitées ni longues; car les Lacédémoniens, tant qu’ils n’ont pas mis l’ennemi en déroute, combattent longtemps de pied ferme; mais, la fuite décidée, ils ne poursuivent ni loin ni longtemps.

LXXIV. Tel fut, sans insister sur quelques détails analogues, l’ensemble de ce combat le plus important qui eût été livré depuis bien des années entre les Grecs, et auquel concoururent les États les plus considérables. Les Lacédémoniens exposèrent les armes des ennemis morts, élevèrent aussitôt un trophée et dépouillèrent les cadavres[*](Élien dit, vi, 6, qu’il n’était pas permis aux Lacédémoniens de dépouiller les ennemis.). Ils recueillirent leurs morts, pour les transporter à Tégée, où ils les enter- [*](1 Élien dit, vi, 6, qu’il n’était pas permis aux Lacédémoniens de dépouiller les ennemis.)

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rèrent, et rendirent par convention ceux des ennemis. Il périt sept cents Argiens, Ornéates et Cléoniens, deux cents Mantinéens, deux cents Athéniens ou Éginètes, et les deux généraux d’Athènes[*](Lâchés et Nicostratos, suivant le scolinste d’Aristophane.). Les alliés des Lacédémoniens ne firent pas de pertes qui méritent d’être mentionnées; quant aux Lacédémoniens eux-mêmes, il n’est pas facile de savoir la vérité; cependant on portait la perte de leur côté à trois cents hommes.

LXXV. Au moment où il fut question de livrer bataille, le second roi de Lacédémone, Plistoanax, prit avec lui les vieillards et les jeunes gens pour rejoindre l’armée[*](Il y avait cependant une loi qui défendait aux deux rois de se mettre en campagne en même temps.); mais, arrivé à Tégée, il apprit la victoire et s’en retourna. Les Lacédémoniens envoyèrent contremandcr les Corinthiens et les alliés de l’autre côté de l’isthme; comme on était alors au mois carnéen, ils se retirèrent eux-mêmes, congédièrent leurs alliés et célébrèrent les fêtes[*](Ou célébrait dans ce mois des fêtes miliiaires.). Par ce seul fait d’armes, ils se lavèrent en même temps et de l’accusation de lâcheté que leur adressaient les Grecs pour leur désastre de Sphactérie, et des reproches d’indécision et de lenteur. On vit que la fortune avait pu les trahir, mais qu’ils étaient restés les mêmes par le coeur.

La veille de cet engagement, les Épidauriens avaient envahi en masse le territoire d’Argos, qu’ils savaient abandonné, et avaient tué un grand nombre des soldats laissés à la garde du pays, pendant que le reste de l’armée, était au dehors; mais les Mantinéens ayant été renforcés, après le combat, par trois mille hoplites [*](1 Lâchés et Nicostratos, suivant le scolinste d’Aristophane.) [*](* Il y avait cependant une loi qui défendait aux deux rois de se mettre en campagne en même temps.) [*](3 Ou célébrait dans ce mois des fêtes miliiaires.)

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d’Élée et par un second corps de mille Athéniens, toutes ces troupes confédérées se portèrent aussitôt contre Épidaure, pendant que les Lacédémoniens célébraient les fêtes Carnéennes. Ils résolurent d’élever une enceinte de circonvallation et. se partagèrent les travaux; mais tous se fatiguèrent bientôt, à l’exception des Athéniens qui persévérèrent à remplir leur tâche et fortifièrent l’éminence où est le temple de Junon. On y mit une garnison fournie par tous les alliés, et chacun se relira de son côté. L’été finit.

LXXVI. Dès le commencement de l’hiver suivant, les Lacédémoniens, après la célébration des fêtes Carnéennes, se mirent en campagne. Arrivés à Tégée, ils envoyèrent des propositions de paix à Argos, où ils avaient précédemment formé des intelligences : leurs partisans, décidés à renverser le gouvernement démocratique à Argos, avaient bien plus de chances, depuis le combat, d’amener le peuple à un accord; leur intention était de conclure avec les Lacédémoniens d’abord une trêve, ensuite une alliance, et de s’attaquer alors au gouvernement populaire. Lichas, fils d’Arcésilas, proxène des Argiens, arriva à Argos, apportant, au nom des Lacédémoniens, une double proposition, de guerre ou de paix, à lèur volonté. Après de nombreuses contestations, — car Alcibiade se trouvait alors à Argos, — les partisans des Lacédémoniens, ne craignant plus d’agir ouvertement, déterminèrent les Argiens à accepter les propositions de paix. En voici la teneur :

LXXVII. « L’assemblée des Lacédémoniens a décidé qu’un accord serait fait avec les Argiens aux condi-·

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tions suivantes : Les Argiens rendront[*](C’est-à-dire feront rendre; car ces otages étaient entre les mains des Mantinéens. Voyez v, Cl.) aux Orchoméniens leurs enfants, aux Ménaliens les hommes qu’ils leur ont pris, aux Lacédémoniens les prisonniers de Mantinée[*](Les otages arcadiens déposés par les Lacédémoniens à Orchomène, et transportés à Mantinée après la prise d’Orchomène par les Argiens.); ils sortiront d’Épidaure et en raseront les fortifications.

« Si les Athéniens n’évacuent pas Épidaure, ils seront ennemis des Argiens et des Lacédémoniens, des alliés des Lacédémoniens et de ceux des Argiens.

« Les Lacédémoniens rendront à toutes les villes les enfants qu’ils peuvent avoir.

« Pour ce qui est du sacrifice au dieu[*](3 Objet premier du litige entre les Épidauriens et les Argiens.), le serment sera déféré aux Épidauriens, et les Argiens les admettront à le prononcer.

« Les villes du Péloponnèse, grandes et petites, seront toutes libres, conformément à ce qui est anciennement établi.

« Si quelque peuple étranger au Péloponnèse y pénètre avec des intentions hostiles, on se concertera pour le repousser, faisant en tout ce qui paraîtra le plus juste aux Péloponnésiens.

« Tous les alliés des Lacédémoniens hors du Péloponnèse seront dans la même situation que les alliés des Lacédémoniens et des Argiens dans le Péloponnèse; la jouissance de leurs droits leur est garantie.

On communiquera ce traité aux alliés pour qu’ils y adhèrent s’il leur agrée; si les alliés ont quelques [*](i C’est-à-dire feront rendre; car ces otages étaient entre les mains des Mantinéens. Voyez v, Cl.) [*](* Les otages arcadiens déposés par les Lacédémoniens à Orchomène, et transportés à Mantinée après la prise d’Orchomène par les Argiens.) [*](* 3 Objet premier du litige entre les Épidauriens et les Argiens.)

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observations à présenter, ils les transmettront à Lacédémone. »

LXXVIII. Les Argiens commencèrent par accepter ces propositions : l’armée lacédémonienne quitta Tégée et opéra sa retraite. Les communications furent dès lors rétablies entre eux; et bientôt après les mêmes agents, poursuivant leur oeuvre, amenèrent les Argiens à renoncer à l’alliance des Mantinéens, des Éléens et des Athéniens, pour conclure avec Lacédémone un traité de paix et d’alliance dont voici la teneur:

LXXIX. « Il a été convenu entre les Lacédémoniens et les Argiens qu’il y aura paix et alliance entre eux pendant cinquante ans aux conditions suivantes :

« La justice sera égale et réciproque, conformément aux anciens usages.

« Cette paix et cette alliance seront communes aux autres villes du Péloponnèse : elles resteront autonomes et indépendantes, conserveront la jouissance de leur territoire et auront la justice égale et réciproque, conformément aux anciens usages.

« Tous les alliés des Lacédémoniens en dehors du Péloponnèse seront sur le même pied que les Lacédémoniens; les alliés des Argiens seront sur le même pied que les Argiens et conserveront leurs possessions.

« S’il est nécessaire de faire quelque expédition en commun, les Lacédémoniens et les Argiens se concerteront pour prendre dans l’intérêt des alliés les mesures les plus équitables.

« S’il s’élève un différend entre quelques-unes des villes du Péloponnèse ou du dehors, soit pour les frontières, soit pour quelque autre objet, il y aura arbitrage. Si, parmi les villes alliées, il en est qui ne peu-

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vent s’entendre, la contestation sera portée devant une troisième ville neutre et choisie comme telle d’un commun accord.

« Les différends entre particuliers seront jugés suivant les anciens usages. »

LXXX. Tel fut ce traité de paix et d’alliance : les conquêtes furent restituées de part et d’autre et tous les différends terminés. Il y eut dès lors entre eux communauté d’action : ils décrétèrent de ne recevoir des Athéniens ni héraut ni ambassadeurs, que ceux-ci n’eûssent quitté le Péloponnèse et évacué les forteresses; et de ne faire ni paix ni guerre que d’un commun accord. De part et d’autre on témoignait une égale ardeur. Des ambassadeurs furent envoyés de Sparte et d’Argos aux villes de Thrace et à Perdiccas. Perdiccas, sollicité par eux d’entrer dans leur alliance, ne rompit pas sur-le-champ avec les Athéniens; mais déjà il y songeait en voyant la défection des Argiens; car il était lui-même originaire d’Argos. Quant aux Chalcidiens les anciens serments furent renouvelés avec eux[*](Les Chalcidiens s’étaient séparés des Athéniens dès le commencement de la guerre (Thücydid?, i, 58). C’est probablement à cette époque qu’ils firent alliance avec les Lacédémoniens.) et on en prêta de nouveaux. Les Argiens envoyèrent aussi des ambassadeurs aux Athéniens pour leur enjoindre d’évacuer la forteresse élevée près d’Épidaure. Ceux-ci, ne se sentant pas en forces, — car ils ne formaient qu’une faible partie de la garnison,— envoyèrent Démosthènes pour ramener leur contingent; mais, une fois arrivé, Démosthènes attira hors de la place les autres troupes de la garnison, sous prétexte d’un combat gymnique qu’il donna hors des [*](1 Les Chalcidiens s’étaient séparés des Athéniens dès le commencement de la guerre (Thücydid?, i, 58). C’est probablement à cette époque qu’ils firent alliance avec les Lacédémoniens.)

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murs, et ferma ensuite les portes. Plus tard, les Athéniens renouvelèrent leur traité avec les Épidauriens et leur rendirent ce fort.

LXXXI. Les Argiens une fois détachés de l'alliance[*](De l’alliance athénienne.), les Mantinéens, après avoir tenté d’abord de résister, sentirent qu’ils ne pouvaient rien sans Argos; ils traitèrent donc à leur tour avec les Lacédémoniens, et renoncèrent à’ la suprématie des villes[*](Ils firent avec les Lacédémonicns une trêve de, trente ans (Xénophon, Helléniques, v, 2). Les villes dont il est ici question sont les petites villes d’Arcadie, objet de la guerre.).

Les Lacédémoniens et les Argiens mirent chacun de leur côté mille hommes sur pied pour une expédition commune : d’abord les Lacédémoniens allèrent seuls à Sicyone, où ils établirent un gouvernement plus oligarchique; réunis ensuite aux Argiens, ils abolirent de concert la démocratie à Argos, et y établirent l’oligarchie, plus favorable aux intérêts deLacédémone. Ces événements eurent lieu aux approches du printemps, vers la fin de l’hiver. Ici se termine la quatorzième année de la guerre.

LXXXII. L’été suivant, les Diens du mont Athos rompirent avec Athènes pour passer aux ChaJcidiens. Les Lacédémoniens établirent dans l’Achaïe un ordre plus favorable à leurs vues.

Le parti populaire à Argos se ligua peu à peu, reprit courage et attaqua les partisans de l’oligarchie. Il attendit pour cela le moment où les gymnopédies[*](Fêtes de la jeunesse, dans lesquelles des enfants formaient des choeurs en l’honneur d’Apollon; on y chantait aussi des hymnes à la gloire des guerriers morts dans les combats. Elles se tenaient au milieu de l’été.) se [*](1 De l’alliance athénienne.) [*](8 Ils firent avec les Lacédémonicns une trêve de, trente ans (Xénophon, Helléniques, v, 2). Les villes dont il est ici question sont les petites villes d’Arcadie, objet de la guerre.) [*](8 Fêtes de la jeunesse, dans lesquelles des enfants formaient des choeurs en l’honneur d’Apollon; on y chantait aussi des hymnes à la gloire des guerriers morts dans les combats. Elles se tenaient au milieu de l’été.)

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célèbrent à Lacédémone; un combat s’étant engagé dans la ville, le peuple fut vainqueur, tua une partie de ses adversaires et exila les autres. Les Lacédémoniens, tant qu’ils avaient vu leurs amis aux affaires, ne s’étaient pas empressés de répondre à l’appel qui leur était fait depuis longtemps; mais alors[*](Lorsqu’on apprit que la lutte était engagée.) ils ajournèrent les gymnopédies et marchèrent à leur secours. Arrivés à Tégée, ils apprirent la défaite de l’oligarchie, et refusèrent d’aller plus loin, malgré les prières des bannis[*](Les bannis d’Argos.). Ils retournèrent chez eux, et reprirent la célébration des fêtes; il leur vint ensuite des députés envoyés par les Argiens de la ville et par ceux du dehors pour exposer leurs griefs réciproques[*](Je rends ainsi le mot αγγέλων, qu’on a généralement omis de traduire, faute d’en comprendre la valeur.). Les alliés étaient présents : après de nombreux débats de part et d’autre, les Lacédémoniens donnèrent tort à ceux de la ville, et résolurent de marcher contre Argos; mais il y eut encore bien des retards et des temporisations. Pendant ce temps, le peuple d’Argos, dans la crainte des Lacédémoniens et en vue de l’alliance athénienne qu’il travaillait à renouer, et dont il se promettait de grands avantages, construisit de longs murs jusqu’à la mer; il voulait par là, s’il était bloqué du côté de terre, se ménager, avec le concours des Athéniens, la ressource des arrivages par mer. Cetle construction des murs se faisait de connivence avec quelques villes du Péloponnèse : les Argiens y travaillèrent en masse, eux, leurs femmes et leurs serviteurs; Athènes leur envoya des maçons et des tailleurs de pierre. L’été finit.

[*](1 Lorsqu’on apprit que la lutte était engagée.)[*](* Les bannis d’Argos.)[*](3 Je rends ainsi le mot αγγέλων, qu’on a généralement omis de traduire, faute d’en comprendre la valeur.)
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LXXXIII. L’hiver suivant[*](Olympiade quatre-vingt-dixième, quatrième année, 417 avant l’ère vulgaire.), les Lacédémoniens, informés de la construction des murs, marchèrent contre Argos avec leurs alliés, les Corinthiens exceptés; alors encore ils avaient dans Argos même quelques intelligences. Agis, fils d’Archidamos, roi des Lacédémoniens, commandait l’expédition. Mais le succès qu’ils attendaient de leurs intelligences dans la ville leur fit encore défaut; ils s’emparèrent des murs en construction et les rasèrent; ils prirent aussi Hysies[*](Petite place au sud d’Argos, à trois ou quatre lieues de cette ville.), place del’Argie, où ils tuèrent tous les hommes libres qui leur tombèrent entre les mains; puis ils opérèrent leur retraite et se séparèrent.

Les Argiens, à leur tour, envahirent le territoire de Phlionte et ne se retirèrent qu’après l’avoir ravagé, parce qu’on y avait reçu leurs bannis; c’était là en effet que la plupart d’entre eux s’étaient établis. Le même hiver les Athéniens bloquèrent les côtes de Macédoine; ils reprochaient à Perdiccas d’être entré dans la ligue de Lacédémone et d’Argos, et d’avoir, — à l’époque où ils préparèrent une expédition contre les Chalcidiens de l’Épithrace et contre Amphipolis, sous la conduite de Nicias, fils de Nicostrate, — violé le contrat mutuel, et amené par son abstention la dissolution de leur armée. Ils le traitèrent donc en ennemi. L’hiver finit, et avec lui la quinzième année de la guerre.

LXXXIV. L’été suivant, Alcibiade fit voile pour Argos avec vingt vaisseaux, et enlèva trois cents des habitants [*](1 Olympiade quatre-vingt-dixième, quatrième année, 417 avant l’ère vulgaire.) [*](2 Petite place au sud d’Argos, à trois ou quatre lieues de cette ville.)

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qui passaient encore pour suspects et favorables aux Lacédémoniens. Les Athéniens les déposèrent dans les île s du voisinage qui leur étaient soumises. Ils firent aussi une expédition contre Mélos[*](L’une dea Cyclades.), avec trentè vaisseaux athéniens, six de Chio et deux de Lesbos. Ils -avaient douze cents hoplites athéniens, trois cents archers, et vingt archers à cheval, sans compter au moins quinze cents hoplites fournis par leurs alliés et les insulaires. Les Méliens, qui sont une colonie lacé- -démonienne, se refusaient à subir, comme les autres insulaires, la domination d’Athènes; au commencement ils gardèrent la neutralité, et se tinrent en repos; mais ensuite, forcés par les ravages que les Athéniens exerçaient sur leur pays, ils en vinrent à une guerre ouverte. Les généraux athéniens,. Cléomèdes, fils de Lycomèdes, et Tisias, fils de Tisimachos, campèrent avec cette armée sur le territoire de Mélos; mais avant d’y exercer aucun ravage, ils envoyèrent des députés pour conférer. Les Méliens, au lieu de les introduire devant le peuple, les invitèrent à exposer l’objet de leur mission devant les magistrats et les principaux citoyens. Les ambassadeurs athéniens parlèrent ainsi :