History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XXXVII. Les Béotiens et les Corinthiens se retirèrent chargés de ces communications pour leurs gouvernements respectifs par Xenarès, Cléobule et tous ceux des Lacédémoniens qui partageaient leurs vues. Deux Argiens, des principaux en dignité, les guettaient sur la route, à leur retour : les ayant rencontrés, ils se mirent en rapport avec eux, dans le but de rattacher les Béotiens à leur alliance, comme ils l’avaient fait pour les Corinthiens, les Éléens et les Mantinéens. Ils

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étaient persuadés, disaient-ils, que, si ce projet aboutissait, il leur serait dès lors facile, en se concertant, de faire à leur gré la guerre et la paix, même avec les Lacédémoniens, et avec tout autre peuple, s’il le fallait. Les ambassadeurs des Béotiens accueillirent avec empressement ces ouvertures; car ce qu’on leur demandait se trouvait précisément d’accord avec les propositions dont les avaient chargés leurs amis de Lacédémone. Les Argiens, voyant leurs avances accueillies, dirent qu’ils enverraient des ambassadeurs en Béotie, et se retirèrent. Les Béotiens, à leur arrivée, communiquèrent aux Béotarques les ouvertures qui leur avaient été faités à Lacédémone, et celles des Argiens qu’ils avaient rencontrés : les Béotarques reçurent avec joie ces nouvelles; toute indécision cessa lorsqu’ils virent que, par une heureuse coïncidence, leurs amis de Lacédémone leur demandaient précisément ce qui était l’objet des avances empressées d’Argos. Peu après arrivèrent les ambassadeurs argiens chargés de les inviter à suivre le plan convenu. Les Béotarques agréèrent leurs propositions et les congédièrent avec la promesse d’envoyer à Argos’ des députés pour traiter de l’alliance.

XXXVIII. Cependant les Béotarques, les Corinthiens, les Mégariens et les députés de la Thrace jugèrent à propos de s’engager d’abord par des serments mutuels à s’entr’aider dans l’occurrence, et à ne faire ni la guerre ni la paix avec qui que ce fût que d’un commun accord. Ces réserves stipulées, les Béotiens et les Mégariens, qui faisaient cause commune, devaient ensuite traiter avec les Argiens. Avant de prêter le serment, les Béotarques firent part de ce projet aux quatre conseils

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de la Béotie, en qui résident tous les pouvoirs, et demandèrent qu’on se liât par serment avec toutes les villes qui voudraient prendre le même engagement avec eux pour la défense commune. Mais les conseils des Béotiens repoussèrent ces propositions, dans la crainte de se mettre en opposition avec les Lacédémoniens, en s’unissant aux Corinthiens qui avaient rompu avec eux[*](En s’alliant avec les Argiens.). Car les Béotarques ne leur avaient pas communiqué ce qui s’était passé à Lacédémone, à savoir l’invitation faite par les éphores Xenarès et Cléobule, ainsi que par leurs amis, de s’allier d’abord avec les Argiens et les Corinthiens, pour entrer ensuite dans l’alliance de Lacédémone : ils avaient pensé que, même sans cette déclaration, les conseils voteraient, sur leur proposition, tout ce qu’ils auraient arrêté d’avance. L’affaire ayant pris un tour différent, les Corinthiens et les députés de la Thrace s’en allèrent sans avoir rien fait. Les Béotarques, qui précédemment étaient résolus, s’ils avaient réussi sur ce point, à travailler à une alliance avec les Argiens, ne firent dès lors aucune proposition aux conseils relativement à Argos, et n’envoyèrent pasdans cette ville les députés qu’ils avaient promis : tout languit et fut ajourné.

XXXIX. Le même hiver, les Olynthiens emportèrent d’emblée Mécyberna, défendue par une garnison athénienne.

Les conférences continuaient entre les Athéniens et les Lacédémoniens, au sujet des places qu’ils retenaient réciproquement. Les Lacédémoniens, espérant recouvrer Pylos, si les Béotiens rendaient Panacton aux [*](1 En s’alliant avec les Argiens.)

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Athéniens, envoyèrent des ambassadeurs aux Béotiens, avec prière de leur remettre Panacton et les prisonniers athéniens, pour les échanger contre Pylos. Mais les Béotiens déclarèrent qu’ils ne les rendraient pas que Lacédémone ne fit avec eux une alliance particulière, comme elle avait fait avec les Athéniens. Les Lacédémoniens sentaient bien qu’ils allaient blesser les Athéniens, puisqu’il était stipulé entre eux qu’ils ne feraient ni paix ni guerre avec personne que d’un commun accord : mais ils voulaient se faire livrer Panacton comme moyen d’échange contre Pylos. D’un autre côté, ceux qui chez eux travaillaient à la rupture de la trêve avaient fort à coeur ces négociations avec les Béotiens; l’alliance fut donc conclue, sur la fin de l’hiver, aux approches du printemps. On commença aussitôt à démanteler Panacton[*](Les Béotiens démolirent les fortifications, afin de n’avoir rien à craindre lorsqu’ils la rendraient aux Athéniens.)

Ici finit la onzième année de la guerre.

XL. L’été suivant, dès le commencement du printemps, les Argiens, ne voyant pas arriver les députés que les Béotiens avaient promis de leur envoyer, informés d’ailleurs de la destruction de Panacton et de l’alliance particulière intervenue entre les Béotiens et les Lacédémoniens, craignirent de se trouver isolés, si tous les alliés venaient à se tourner du côté de Lacédémone; ils supposaient que c’était Lacédémone qui avait engagé les Béotiens à raser Panacton et à entrer dans l’alliance d’Athènes; que les Athéniens en étaient instruits; que dès lors il ne leur était plus possible, à eux-mêmes, de s’allier avec Athènes. Car ils avaient compté jusque-là que, si leur traité avec les Lacédémoniens ne pouvait [*](1 Les Béotiens démolirent les fortifications, afin de n’avoir rien à craindre lorsqu’ils la rendraient aux Athéniens.)

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pas tenir, par suite de leurs différends, ils pourraient du moins contracter alliance avec les Athéniens. Ainsi pris au dépourvu, les Argiens craignaient d’avoir à lutter en même temps contre les Lacédémoniens, les Tégéates, les Béotiens et les Athéniens. Eux qui précédemment avaient refusé d’accéder au traité des Lacédémoniens, qui avaient porté leurs prétentions jusqu'au commandement du Péloponnèse, ils envoyèrent en toute hâte à Lacédémone les ambassadeurs qu’ils croyaient y devoir être le mieux accueillis, Eustrophos et Eson. Ils pensaient qu’en faisant alliance avec les Lacédémoniens, aux meilleures conditions possibles dans les circonstances actuelles, ils auraient la tranquillité, quoi qu’il arrivât.

XLI. Les députés, à leur arrivée, entrèrent en conférences avec les Lacédémoniens sur les bases du traité : tout d’abord ils demandèrent qu’on remît à l’arbitrage soit d’une ville, soit d’un particulier, leur éternel différend au sujet de la Cynurie, pays limitrophe entre eux (elle renferme les villes de Thyréa et d'Anthéné, et est au pouvoir des Lacédémoniens). Les Lacédémoniens ne voulurent même pas qu’il fût fait mention de cette contrée; mais ils se déclarèrent prêts à traiter sur les anciennes bases, si les Argiens le voulaient. Cependant les ambassadeurs les amenèrent aux conditions suivantes; il y aurait pour le présent une trêve de cinquante ans; mais chacune des deux parties pourrait, après déclaration préalable, et sauf le cas de peste ou de guerre, soit à Lacédémone, soit à Argos, prendre les armes pour la possession de cette contrée, comme cela avait eu lieu autrefois lorsque de part et d’autre on s’était attribué la victoire; la poursuite ne pourrait

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avoir lieu au delà des frontières d’Argos et de Lacédémone. Ces propositions parurent d’abord insensées aux Lacédémoniens; mais ensuite le désir de se concilier à tout prix l’amitié des Argiens leur fit donner les mains à ce qu’on demandait, et le traité fut rédigé; toutefois les Lacédémoniens exigèrent, avant qu’il devînt définitif, que les députés retournassent à Argos le présenter au peuple; s’il était approuvé, ils devaient revenir aux fêtes d’Hyacinthe pour l’échange des serments. Les ambassadeurs se retirèrent.

XLII. Pendant ces négociations des Àrgiens, les ambassadeurs lacédémoniens Andromèdes, Phédimos et Antiménidas, chargés de recevoir Panacton et les prisonniers des mains des Béotiens pour les remettre aux Athéniens, trouvèrent Panacton rasée par les Béotiens. Ceux-ci prétextaient qu’à la suite de différends au sujet de cette même place, il avait autrefois été convenu, sous la foi du serment, entre les Athéniens et les Béotiens, que ni les uns ni les autres ne la posséderaient exclusivement et qu’ils en jouiraient en commun. Quant aux prisonniers athéniens au pouvoir des Béotiens, remise en fut faite à Andromèdes et à ses collègues, qui les conduisirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aux Athéniens que Panacton était rasée, et prétendirent que cela équivalait à la remise de la place, puisqu’il n’y logerait plus aucun ennemi d’Athènes. A ces paroles, les Athéniens firent éclater leur indignation : ils faisaient un crime aux Lacédémoniens de la destruction de Panacton, qui devait leur être remise en bon état; ils avaient appris en outre leur alliance particulière avec les Béotiens, contrairement à l’engagement qu’ils avaient pris anté-

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rieurement de contraindre de concert ceux qui n’accepteraient pas le traité; enfin ils se remémoraient toutes les stipulations dont l’exécution se faisait encore attendre, et se croyaient joués. Aussi répondirentils durement aux ambassadeurs, et ils les congédièrent.

XLIII. Au milieu de ces contestations entre les Lacédémoniens et les Athéniens, ceux qui, à Athènes, voulaient aussi la rupture du traité, se mirent aussitôt à l’oeuvre avec ardeur; c’était, entre autres, Alcibiade, fils de Clinias, qui, à cette époque, n’eût encore été qu’un jeune homme dans toute autre ville[*](11 avait environ trente ans. Dans la plupart des États delà Grèce, en particulier chez les Achéens et les Lacédétnoniens, on n’avait droit de suffrage qu’à trente ans.), mais à qui l’illustration de ses ancêtres[*](Son aïeul Alcibiade avait contribué avec Clisthènes à l’expulsion des Pisistratides; son père Clinias avait obtenu le prix de la aleur à Artémisium et était mort à Goronée.) avait valu une grande considération. Il pensait, sans doute, que le mieux était de s’unir aux Argiens; mais, en dehors même de ce motif, les révoltes de l'orgueil blessé l’avaient rendu hostile aux Lacédémoniens : ceux-ci, en effet, avaient conclu la trêve à la considération de Nicias et de Lâchés, sans tenir aucun compte de lui, à cause de sa jeunesse; ils ne lui avaient pas témoigné les égards que commandait le titre de proxène des Lacédémoniens, depuis longtemps dans sa famille. Son aïeul, il est vrai, y avait renoncé; mais Alcibiade avait espéré le faire revivre par ses attentions pour les prisonniers de l’île. Croyant qu'on lui avait manqué à tous égards, il avait dès l’origine manifesté son opposition, en disant que les Lacédémoniens n’étaient pas sûrs, qu’ils ne trai- [*](1 11 avait environ trente ans. Dans la plupart des États delà Grèce, en particulier chez les Achéens et les Lacédétnoniens, on n’avait droit de suffrage qu’à trente ans.) [*](* Son aïeul Alcibiade avait contribué avec Clisthènes à l’expulsion des Pisistratides; son père Clinias avait obtenu le prix de la aleur à Artémisium et était mort à Goronée.)

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taient que pour, écraser les Argiens, à la faveur de cette alliance, et pour attaquer ensuite les Athéniens isolés. Puis, une fois ce démêlé engagé, il s’empressa d’envoyer, en son propre nom, des émissaires aux Argiens, pour les engager à venir en toute hâte, avec les Mantinéens et les Éléens, réclamer l’alliance. Le moment était opportun, disait-il, et il leur apporterait un énergique concours.

XLIV. Sur cet avis, les Argiens, informés d'ailleurs que l’alliance avec les Béotiens avait eu lieu sans la participation des Athéniens, que, tout au contraire, de graves contestations s’étaient élevées entre eux et les Lacédémoniens, ne s’inquiétèrent plus des ambassadeurs qu’ils avaient envoyés négocier un accommodement à Lacédémone. Ils aimaient mieux tourner leurs pensées du côté des Athéniens, par cette considération que, s’ils avaient à faire la guerre, ils seraient soutenus par une ville avec laquelle ils avaient d’anciennes relations d’amitié, constituée comme eux en démocratie et disposant d’une grande puissance maritime. Ils envoyèrent donc sur-le-champ des députés à Athènes pour négocier une alliance; les Éléens et les Mantinéens se joignirent à cette ambassade. Les Lacédémoniens s’empressèrent également d’envoyer aux Athéniens des ambassadeurs qu’ils croyaient devoir leur être agréables, Philocaridas, Léon et Endios; car ils craignaient que les Athéniens irrités ne contractassent alliance avec les Argiens. Ils voulaient aussi réclamer la restitution de Pylos, en échange de Panacton, et démontrer que leur alliance avec les Béotiens ne couvrait aucun mauvais dessein contre Athènes.

XLV. Quand ils eurent exposé ces divers objets de

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leur mission dans le sénat, et déclaré qu’ils venaient munis de pleins pouvoirs pour régler toutes les difficultés, Alcibiade craignit qu’en renouvelant les mêmes déclarations devant le peuple, ils n’entraînassent la multitude et ne fissent rejeter l’alliance d’Argos. Voici le piège qu’il leur tendit : il leur persuade, en leur donnant des assurances positives, que, s’ils ne déclarent pas devant le peuple qu’ils sont munis de pleins pouvoirs, il leur fera rendre Pylos; qu’il y décidera les Athéniens, tout aussi bien qu’il les en détourne maintenant, et qu’il arrangera tout le reste. Il voulait, par là, les détacher de Nicias; en même temps il espérait, en les décriant auprès du peuple, comme n’ayant que fausseté dans l'esprit, que duplicité dans le langage, obtenir par ce moyen l’alliance d’Athènes pour les Argiens, les Éléens et les Mantinéens; ce fut ce qui arriva. Lorsque les ambassadeurs parurent devant le peuple, et qu’aux questions qu’on leur fit ils ne répondirent plus, comme au sénat, qu’ils avaient de pleins pouvoirs, les Athéniens ne se continrent plus. Alcibiade alors attaqua les Lacédémoniens avec bien plus de force encore qu’auparavant, et se fit écouter avec faveur; déjà on se disposait à introduire immédiatement les Argiens et les autres ambassadeurs, pour contracter alliance, lorsqu’un tremblement de terre, survenu avant qu’il y eût rien d’arrêté[*](Si le tremblement de terre survenait au milieu d’une action déjà commencée, c’était au contraire un signe favorable.), fit ajourner l’assemblée.

XLVI. A l’assemblée suivante, Nicias, — tout abusé qu’il était par la déclaration des Lacédémoniens, qui s’étaient laissé abuser eux-mêmes jusqu’à nier leurs [*](* Si le tremblement de terre survenait au milieu d’une action déjà commencée, c’était au contraire un signe favorable.)

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pleins pouvoirs,—n’en prétendit pas moins que l’amitié des Lacédémoniens devait être préférée; qu’il fallait suspendre les négociations avec Argos, et députer de nouveau à Lacédémone, pour savoir ce qu’on y pensait. Il disait qu’Athènes étant dans une situation glorieuse, et Lacédémone humiliée, il convenait de différer la guerre; que le mieux pour les Athéniens, dans l’état prospère où se trouvaient leurs affaires, était de conserver leur bonheur le plus longtemps possible; tandis que, pour les Lacédémoniens qui étaient malheureux, c’était une bonne fortune que de courir au plus tôt les hasards. Il obtint qu’on enverrait une députation, dont il fit partie, pour enjoindre aux Lacédémoniens, si leurs intentions étaient droites, de rendre Panacton en bon état, ainsi qu’Amphipolis, et de renoncer à l’alliance des Béotiens,— à moins que ceux-ci n’accédassent au traité, — conformément à la clause qui ne permettait pas de contracter les uns sans les autres. Les ambassadeurs avaient ordre d’ajouter que les Athéniens auraient pu déjà, eux aussi, s’ils avaient voulu manquer à leur parole, admettre à leur alliance les Argiens; car ceux-ci étaient à Athènes dans ce but. Enfin on donna à Nicias et à ses collègues des instructions sur tous les autres griefs, et on les fit partir.

A leur arrivée, ils firent connaître les divers objets de leur mission, et finirent par déclarer que, si les Lacédémoniens ne renonçaient pas à l’alliance des Béotiens, dans le cas où ceux-ci. n’accéderaient pas au traité, Athènes, de son côté, ferait alliance avec les Argiens et leurs amis. Les Lacédémoniens répondirent qu’ils ne renonceraient pas à l’alliance des Béotiens : cette décision fut emportée par l’influence de l’éphore

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Xénarès et de ceux qui partageaient son opinion. Cependant on renouvela les serments, à la demande de Nicias. Il craignait de partir sans avoir absolument rien fait, et d’être en butte aux récriminations, ce qui arriva en effet, d’autant plus qu’il passait pour l’auteur du traité. A son retour, les Athéniens, apprenant qu’il n’avait rien obtenu à Lacédémone, s'irritèrent; et tout aussitôt, se croyant lésés, ils conclurent avec les Argiens et leurs alliés, qui se trouvaient présents et qu’Alcibiade introduisit, un traité de pâix et d’alliance dont voici la teneur :

XLVII. « Un traité de paix de cent années est conclu entre les Athéniens, les Argiens, les Mantinéens et les Éléens, tant pour eux que pour les alliés auxquels ils commandent respectivement, sans dol ni dommage, sur terre et sur mer.

« Il est interdit de porter les armes en vue de nuire : aux Argiens, aux Éléens, aux Mantinéens et à leurs alliés, contre les Athéniens et les alliés soumis à la domination athénienne; aux Athéniens et à leurs alliés, contre les Argiens, les Éléens, les Mantinéens et leurs alliés, de quelque façon et sous quelque prétexte que ce soit.

« A cette condition, les Athéniens, les Argiens, les Éléens et les Mantinéens seront alliés pendant cent ans. Si quelque ennemi envahit le territoire des Athéniens, les Argiens, les Éléens et les Mantinéens viendront au secours d’Athènes, sur l’invitation des Athéniens, autant que faire se pourra et par les moyens les plus efficaces en leur pouvoir. S’il se retire après avoir ravagé le pays, il sera considéré comme ennemi d’Argos, de Mantinée, d’Élée et d’Athènes; toutes ces villes lui

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feront la guerre, et aucune d’elles ne pourra se retirer de la lutte sans le consentement unanime de toutes.

« Si quelque ennemi envahit le territoire des Éléens, des Manlinéens ou des Argiens, les Athéniens viendront au secours d’Argos, de Mantinée et d’Élée, sur la réclamation de ces villes, autant que faire se pourra et par les moyens les plus efficaces en leur pouvoir. S’il se retire après avoir ravagé le pays, il sera considéré comme ennemi des Athéniens, des Argiens, des Mantinéens et des Éléens; tous ensemble lui feront la guerre, et aucun d’eux ne pourra se retirer de la lutte sans le consentement unanime de tous.

« Ils s’engagent à interdire à toutes troupes armées en guerre le passage sur leur territoire et sur celui des alliés soumis à leur domination, ainsi que la traversée par mer, — à moins que l’autorisation n’ait été accordée de concert par toutes les villes, par Athènes, Argos, Mantinée et Élée.

« La ville qui enverra des troupes auxiliaires leur fournira trente jours de vivres, à dater de leur arrivée dans la ville qui les aura réclamées, et pourvoira de même au retour. Si la ville qui a mandé ces troupes veut en disposer plus longtemps, elle payera, pour subsistances, trois oboles d’Égine par jour à chaque hoplite, soldat léger ou archer, et aux cavaliers une drachme d’Égine[*](Trois oboles d’Égine valaient cinq oboles, et la drachme d’Égine dix oboles attiques, c’est-à-dire environ un franc cinquante centimes de notre monnaie.).

« La ville qui aura réclamé les secours aura le commandement tant que la guerre se fera sur son territoire. Si les villes confédérées jugent à propos de faire quel- [*](1 Trois oboles d’Égine valaient cinq oboles, et la drachme d’Égine dix oboles attiques, c’est-à-dire environ un franc cinquante centimes de notre monnaie.)

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que expédition en commun, le commandement sera partagé sur le pied de l’égalité.

« Les Athéniens jureront le traité pour eux et leurs alliés; du côté des Argiens, des Mantinéens, des Éléens et de leurs alliés, chaque ville s’obligera en particulier[*](Cette différence tient à ce que les Athéniens tenaient leurs alliés dans une complète dépendance, tandis que les peuples du Péloponnèse, dans la jouissance entière de leurs droits, n’étaient engagés que de leur propre consentement.); chacune prêtera le serment le plus sacré dans le pays, et immolera des victimes parfaites[*](C’est-à-dire des boeufs, des béliers, et non des animaux encore allaités, comme les veaux et les agneaux.). La formule est : « Je resterai fidèle à l’alliance et aux présentes stipulations, suivant la justice, sans dommage et sans dol; je n’y contreviendrai en quelque façon et sous quelque prétexte que ce soit. »

« A Athènes le serment sera prêté par le sénat et les magistrats urbains[*](Par opposition à ceux que leurs fonctions appelaient au dehors» comme les généraux, les commandants des colonies.), et reçu par les prytanes; à Argos par le sénat, les quatre-vingts èt les artynes[*](Les fonctions de ces magistrats ne sont pas bien connues; peut- être présidaient-ils le conseil des Quatre-vingts.), entre les mains des quatre-vingts; à Mantinée par les démiurges[*](C’était sans doute là une magistrature populaire analogue au tribunal.), le sénat et les autres magistrats, entre les mains des théores[*](Collège de prêtres chargés de consulter les oracles.) et des polémarques[*](Magistrats chargés de l’intendance militaire et de tout ce qui avait trait à la guerre.); à Élis, par les démiurges, les magistrats souverains et les six cents, entre les mains des démiurges et des thesmophylaces[*]("Gardiens des lois.).

[*](1 Cette différence tient à ce que les Athéniens tenaient leurs alliés dans une complète dépendance, tandis que les peuples du Péloponnèse, dans la jouissance entière de leurs droits, n’étaient engagés que de leur propre consentement.)[*](s C’est-à-dire des boeufs, des béliers, et non des animaux encore allaités, comme les veaux et les agneaux.)[*](8 Par opposition à ceux que leurs fonctions appelaient au dehors» comme les généraux, les commandants des colonies.)[*](4 Les fonctions de ces magistrats ne sont pas bien connues; peut- être présidaient-ils le conseil des Quatre-vingts.)[*](8 C’était sans doute là une magistrature populaire analogue au tribunal.)[*](6 Collège de prêtres chargés de consulter les oracles.)[*](7 Magistrats chargés de l’intendance militaire et de tout ce qui avait trait à la guerre.)[*](8 "Gardiens des lois.)
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« Les serments seront renouvelés, par les Athéniens, à Élis, à Mantinée et à Argos, trente jours avant les jeux Olympiques; par les Argiens, les Éléens, les Mantinéens, à Athènes, dix jours avant les grandes Panathénées[*](Les petites Panathénées se célébraient tons les ans; les grandes tous les quatre ans, la troisième année de chaque olympiade.)

« Les clauses relatives à la paix, aux serments et à l’alliance, seront inscrites sur une colonne de marbre, à Athènes, dans l’Acropole; à Argos, dans l’Agora, au temple d’Apollon; à Mantinée, dans le temple de Jupiter, sur l’Agora. On placera aussi en commun une colonne d’airain à Olympie, pendant les jeux actuels. Si les États contractants trouvent quelque chose de mieux, ils pourront l’ajouter à ces articles, et ce qui aura été arrêté de concert dans une délibération commqne sortira son entier effet. »

XLVIII. Ainsi fut conclu ce traité de paix et d’alliance. Ni les Lacédémoniens ni les Athéniens ne renoncèrent pour cela à celui qu’ils avaient entre eux. Les Corinthiens, quoique alliés des Argiens, ne voulurent ni adhérer à ce nouveau traité, ni même jurer l’alliance conclue précédemment entre les Éléens, les Argiens et les Mantinéens, sous la condition de ne faire la guerre et la paix que d’un commun accord. Ils déclarèrent se contenter de la première alliance défensive, en vertu de laquelle ils devaient se prêter un mutuel secours, sans attaquer personne de concert. Par là les Corinthiens se séparaient de leurs alliés, et tournaient de nouveau leurs vues vers les Lacédémoniens.

XLIX. Cet été furent célébrés les jeux Olympiques, où Androsthènes d’Arcadie remporta pour la première [*](1 Les petites Panathénées se célébraient tons les ans; les grandes tous les quatre ans, la troisième année de chaque olympiade.)

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fois le prix du pancrace[*](Vers le milieu de juillet.). Les Lacédémoniens se virent interdire par les Éléens l’entrée du temple; ils ne purent, dès lors, ni sacrifier, ni participer aux jeux, comme n’ayant pas payé l’amende à laquelle les Éléens les avaient condamnés, suivant la loi olympique, sous prétexte qu’ils avaient, pendant la trêve olympique[*](Les Éléens, chargés de l’administration du temple et des jeux, faisaient publier cette trêve, afin que tons les Grecs pussent assister aux fêtes; les hostilités devaient être partout suspendues pendant ce temps.), porté les armes contre la place des Phrycos et envoyé des hoplites à Lépréon. L’amende était de deux mille raines, à deux mines par hoplite[*](C’était le prix de rachat d’un soldat péloponnésien, dans les guerres des Péloponnésiens entre eux. Tous les soldats qui avaient porté les armes pendant la trêve olympique étaient considérés comme captifs de Jupiter.), suivant la loi. Les Lacédémoniens envoyèrent des députés et soutinrent qu’ils avaient été condamnés à tort, la trêve n’ayant pas encore été proclamée à Lacédémone[*](Elle était proclamée par des hérauts appelés spoudophores.) quand ils envoyèrent leurs hoplites. Les Éléens alléguaient que pour eux la suspension d’armes existait déjà, — car ils ont coutume de la proclamer chez eux d’abord,— et que, tandis qu’ils étaient tranquilles, sans inquiétude, comme en temps de trêve, les Lacédémoniens en avaient profité pour commettre inopinément cette injuste violence. Les Lacédémoniens répondaient que les Éléens n’auraient pas dû faire proclamer la trêve à Sparte, si déjà à cette époque ils se croyaient lésés par les Lacédémoniens; qu’ils l’avaient fait cependant, preuve qu’ils étaient loin de cette pensée; que de ce moment les Lacédémoniens n’avaient plus porté les [*](1 Vers le milieu de juillet.) [*](8 Les Éléens, chargés de l’administration du temple et des jeux, faisaient publier cette trêve, afin que tons les Grecs pussent assister aux fêtes; les hostilités devaient être partout suspendues pendant ce temps.) [*](3 C’était le prix de rachat d’un soldat péloponnésien, dans les guerres des Péloponnésiens entre eux. Tous les soldats qui avaient porté les armes pendant la trêve olympique étaient considérés comme captifs de Jupiter.) [*](* Elle était proclamée par des hérauts appelés spoudophores.)
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armes contre eux. Néanmoins les Éléens persistèrent dans leur dire, soutenant qu’on ne leur persuaderait pas que les Lacédémoniens fussent irréprochables; que si cependant ceux-ci voulaient leur rendre Lépréon, ils offraient de leur côté de faire remise de ce qui leur revenait sur l’amende, et de payer pour les Lacédémoniens la part afférente au dieu.

L. N’ayant pu se faire écouter, ils leur proposèrent encore, non plus de rendre Lépréon, s’ils ne le voulaient pas, mais de monter à l’autel de Jupiter Olympien, puisqu’ils tenaient à jouir du temple, et là de s’engager par serment, en présence des Grecs, à payer plus tard l’amende. Les Lacédémoniens, ayant repoussé même cette proposition, furent exclus du temple, des sacrifices et des jeux, et durent sacrifier chez eux. Les autres Grecs prirent part à la solennité, à l’exception des Lépréates. Cependant les Éléens, craignant que les Lacédémoniens n’employassent la force pour sacrifier dans le temple, établirent une gaéde de jeunes gens armés : mille Argiens, autant de Mantinéens vinrent se joindre à eux, ainsi que des cavaliers athéniens, qui attendaient à Argos la célébration de la fête. La crainte était grande, au milieu des Grecs assemblés, que les Lacédémoniens ne. vinssent en armes, surtout depuis que Lichas, de Lacédémone, fils d’Arcésilas, avait été frappé dans la lice par les sergents d’armes[*](Mot à mot, les porte-verges, espèce de licteurs.) : son attelage était vainqueur; mais comme il ne lui était pas permis de concourir, le héraut proclama que la victoire était au char envoyé par le peuple béotien[*](Lichas, ne pouvant concourir comme Lacédémonien, avait fait inscrire son char sous le nom du peuple béotien.) Ί Li- [*](1 Mot à mot, les porte-verges, espèce de licteurs.) [*](2 Lichas, ne pouvant concourir comme Lacédémonien, avait fait inscrire son char sous le nom du peuple béotien.)

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chas alors s’avança dans la lice, et ceignit le cocher d’une bandelette, pour montrer que le char lui appartenait. Cela ne fit qu’augmenter la crainte générale, et on s’attendait à quelque événement. Cependant les Lacédémoniens se tinrent en repos, et la fête se passa sans accident.

Après les jeux Olympiques, les Argiens et leurs alliés se rendirent auprès des Corinthiens pour les engager à se joindre à eux. Des ambassadeurs de Lacédémone se trouvaient alors à Corinthe. De nombreuses conférences eurent lieu, mais sans résultat en définitive : un tremblement de terre étant survenu, on se sépara, et chacun retourna chez soi. L’été finit.

LI. L’hiver suivant[*](420 avant notre ère.), les Héracléotes de Trachine[*](Les Lacédémoniens avaient envoyé une colonie à Trachiuc et changé son nom en celui d’Héraclée.) en vinrent aux mains avec les Énianes, les Dolopes, les Méliens et quelques Thessaliens. Ces peuples, voisins d’Héraclée, lui étaient hostiles; car l’érection de cette place forte ne pouvait être dirigée que contre leur pays. Aussi, à peine fondée, ils l’attaquèrent et lui firent tout le mal possible. Dans cette circonstance, les Héracléotes furent vaincus; le Lacédémonien Xénarès, fils de Cnidis, qui les commandait, fut tué; plusieurs Héracléotes eurent le même sort. L’hiver finit, et, avec lui, la douzième année de la guerre.

LII. Dès le commencement de l’été suivant, les Béotiens, voyant Héraclée affaiblie et ruinée par cette défaite, l’occupèrent et en chassèrent le Lacédémonien Hégésippidas, sous prétexte d'incapacité : ils mirent la main sur cette ville, dans la crainte que les Athéniens [*](1 420 avant notre ère.) [*](* Les Lacédémoniens avaient envoyé une colonie à Trachiuc et changé son nom en celui d’Héraclée.)

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ne profitassent, pour s’en emparer, de l’occupation que donnaient aux Lacédémoniens les troubles du Péloponnèse. Les Lacédémoniens n’en furent pas moins irrités contre eux. Le même été, Alcibiade, fils de Clinias, général des Athéniens, secondé par les Argiens et leurs alliés, pénétra dans le Péloponnèse avec un petit nombre d’hoplites et d’archers athéniens. Il prit à sa suite quelques alliés du pays, régla avec eux tout ce qui intéressait les contrées alliées, traversa le Péloponnèse avec son armée et persuada aux habitants de Patras de pousser leurs murs jusqu’à la mer. Il songeait lui-même à élever d’autres fortifications à Rhiond’Achaïe; mais les Corinthiens, les Sicconiens et tous ceux que cet établissement eût incommodés, accoururent et s’y opposèrent.