History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
CVIII. La prise d’Amphipolis jeta l’effroi parmi les
CIX. Le même hiver[*](423 av. notre ère.), les Mégariens reprirent leurs longs murs, occupés par les Athéniens, et les rasèrent jusqu’aux fondements[*](Les Athéniens étant maîtres de Nisée, ces murailles pouvaient leur faciliter une attaque sur Mégare.). Brasidas, après la prise d’Amphipolis, fit, avec ses alliés, une expédition contre la contrée appelée Acté. Elle commence au canal du Roi[*](Canal de Xerxès. Voyez Hérod., vii, 21 et 122.), s’étend vers l’intérieur[*](Vers l’intérieur de la presqu’île.), et comprend l’Athos, haute montagne qui se termine à la mer Égée. On y compte plusieurs villes ; Sané, colonie d’Andros, sur le canal même, du côté de la mer qui regarde l’Eubée ; Thyssos, Cléoné, Acrothoos, Olophyxos, Dium, habitées par un mélange de peuples barbares qui parlent les deux langues[*](Grecque et barbare.). On y trouve un petit nombre de Chalcidiens ; la grande majorité appartient, soit à cette race pélasgique qui, autrefois, sous le nom de Thyrréniens,
CX. N’ayant pu obtenir leur soumission, il marcha aussitôt contre Torone, ville de la Chalcidique, occupée parles Athéniens. Il y était appelé par une faction peu nombreuse, prête à lui livrer la place. Il arriva de nuit, un peu avant l’aube, et fit camper son armée près du temple des Dioscures, à trois stades de la ville. Les habitants de Torone étrangers au complot et la garnison athénienne ne surent rien de son approche ; mais ceux qui étaient avec lui d’intelligence, instruits de sa marche, envoyèrent secrètement en avant quelques-uns d’entre eux guetter son arrivée. Dès qu’ils eurent reconnu sa présence, ils introduisirent avec eux sept hommes pris dans les troupes légères, et armés de poignards. Sur vingt qui avaient été désignés d’abord, ce furent les seuls qui ne craignirent pas de pénétrer dans la plàce. Lysistrate d’Olynthe les commandait. Ils se glissèrent furtivement et sans être aperçus, par la muraille du côté de la mer ; montèrent au poste situé dans la partie la plus élevée de la ville, qui est en pente ; tuèrent les gardes et brisèrent la petite porte qui mène à Canostréum.
CXI. Brasidas, après s’être un peu avancé, fit halte avec le reste de son armée. Il envoya en avant cent peltastes qui devaient se précipiter les premiers dans la place, lorsqu’on ouvrirait quelque porte et qu’on élèverait le signal convenu. Déjà le moment était passé, et, tout en s’étonnant de ce retard, ils s’étaient
CXII. Brasidas, à la vue du signal, s’empresse d’accourir et de faire avancer son armée. Tous ensemble poussent des cris qui glacent de terreur les habitants : les uns se jettent dans la ville par les portes, les autres se précipitent vers un pan de mur écroulé que l’on re- bâtissait, et l’escaladent à l’aide des poutres carrées[*](Probablement un plan incliné.) disposées pour élever les pierres. Brasidas, avec le gros de l’armée, se dirigea aussitôt vers le point culminant de la ville, voulant, par l’occupation des hauts quartiers, s’assurer de la place. Le reste des troupes se répandit indistinctement de tous les côtés.
CXIII. Pendant l’occupation de la ville, la plupart des Toronéens, n’étant instruits de rien, étaient dans la stupeur ; les auteurs du complot, au contraire, et ceux qui approuvaient, accouraient se joindre aux nouveaux venus. Quand les Athéniens, couchés sur la place au nombre de cinquante hoplites environ, s’aperçurent de la surprise, quelques-uns se défendirent et furent tués ;
CXIV. Dès qu’il fit jour et que Brasidas se fut solidement établi dans la place, il fît déclarer à ceux des habitants qui s’étaient enfuis avec les Athéniens qu’ils pouvaient rentrer dans leurs propriétés, et qu’on ne les inquiéterait pas dans la jouissance de leurs droits. Il envoya également un héraut ordonner aux Athéniens de sortir de Lécythos par capitulation et avec leurs bagages, attendu que cette place appartenait aux Chalcidiens. Ils répondirent qu’ils ne la quitteraient pas, et demandèrent un armistice d’un jour pour enlever leurs morts. Il leur en accorda deux : pendant ce temps il fortifia les maisons voisines de Lécythos ; les Athéniens en firent autant de leur côté. Brasidas con- voqua ensuite les Toronéens et leur tint à peu près le même langage qu’à ceux d’Acanthe : « Qu’il ne serait pas juste de regarder comme traîtres et mauvais citoyens ceux qui avaient traité avec lui de l’occupation de la ville ; qu’ils l’avaient fait non pour l’asservir et dans un intérêt vénal, mais pour le bien et la liberté de leur patrie ; que ceux qui n’avaient point pris part à la négociation ne devaient pas craindre pour cela d’être traités différemment ; qu’il n’était venu pour nuire ni à la ville ni à aucun des particuliers ; qu’il avait à ce sujet fait déclarer à ceux qui s’étaient réfugiés auprès des Athéniens qu’ils n’avaient pas démérité à ses yeux pour leur attachement à ce peuple ; qu’il était persuadé que, lorsqu’ils auraient connu à
CXV. Après les avoir rassurés par ces paroles, il attaqua Lécythos à l’expiration de l’armistice. Les Athéniens n’avaient pour se défendre qu’un mauvais rempart et des maisons crénelées ; cependant le premier jour ils repoussèrent l’attaque. Le lendemain les ennemis se disposaient à faire avancer contre eux une machine qui devait lancer des flammes contre les fortifications de bois ; déjà même l’armée se mettait en mouvement. Les Athéniens, prévoyant sur quel point serait dirigée la machine, parce que c’était le plus faible, élevèrent sur un bâtiment une tour de bois, et y transportèrent une grande quantité d’amphores, des tonneaux pleins d’eau et des pierres. Des hommes y montèrent également en grand nombre ; mais le bâtiment, ayant reçu une charge trop forte, s’écroula tout à coup avec fracas. Ceux des Athéniens qui étaient assez près pour voir l’accident en conçurent plus de chagrin que de crainte ; mais plus loin, surtout à une grande distance, ils s’imaginèrent que déjà la place était prise de ce côté, et se précipitèrent en fuyant vers la mer et leurs vaisseaux.
CXVI. Brasidas, informé qu’ils abandonnent les
CXVII. Les Athéniens et les Péloponnésiens conclurent, dès le commencement du printemps de l’été suivant, une trêve d’une année. Les Athéniens pensaient que Brasidas serait mis par là dans l’impos- sibilité de détacher d’eux de nouveaux alliés, avant qu’ils eussent fait à loisir leurs préparatifs ; que d’ailleurs, s’ils y trouvaient avantage, ils pourraient proroger la trêve. Les Lacédémoniens soupçonnaient parfaitement quelles étaient les appréhensions des Athéniens ; ils espéraient donc qu’en les laissant un peu respirer de leurs maux et de leurs souffrances, la jouissance du repos leur ferait désirer encore plus ardemment un accord ; qu’ils leur rendraient alors les
CXVIII. « Nous sommes d’accord[*](Il suffit de lire ce traité pour se convaincre que les clauses en furent d’abord réglées à Lacédémone, et ensuite portées à Athènes pour la ratification. Toute la première partie, jusqu’aux mots « adopté par le peuple, » contient les propositions des Lacédémoniens ; vient ensuite la ratification à Athènes, et enfin l’approbation donnée par les députés lacédémoniens au traité, tel qu’il avait été ratifié.) que chacun puisse, à son gré, user du temple et de l’oracle d’Apollon Pythien, sans dol et sans crainte, suivant les anciens usages. Les Lacédémoniens et leurs alliés présents admettent ce point ; ils s’engagent à envoyer un message aux Béotiens et aux Phocéens, et à obtenir, autant que possible, leur adhésion. Quant aux trésors du dieu, nous ferons nos efforts pour en découvrir les déprédateurs, conformément au droit, à la justice et aux anciens usages, vous, nous, et quiconque le voudra ; le tout conformément aux usages antiques.
« Les Lacédémoniens et leurs alliés admettent que, si les Athéniens veulent traiter, nous conserverons de part et d’autre ce que nous avons maintenant. Ceux qui sont à Coryphasium[*](Les Athéniens.) resteront en deçà de Buphras
« A Trézène, les choses resteront dans l’état actuel, sur le pied des conventions faites avec les Athéniens.
« Chacun aura l’usage des mers qui baignent ses côtes et celles de ses alliés. A l’exccption des vaisseaux longs[*](Vaisseaux de guerre.), les Lacédémoniens et leurs alliés pourront naviguer avec tout autre bâtiment à rames, jusqu’au port de cinq cents talents. Les hérauts, les ambassadeurs et leur suite, envoyés, en quelque nombre qu’il conviendra, pour terminer la guerre et les différends, soit dans le Péloponnèse, soit en Attique, voyageront sous la foi publique pour l’aller et le retour, par terre et par mer.
« Pendant ce temps, ni vous, ni nous, ne recevrons les transfuges, libres ou esclaves. Chacun de nous rendra justice à l’autre, suivant le droit établi ; les contestations seront réglées à l’amiable, sans recourir aux armes.
« Telles sont les bases admises par les Lacédémoniens et leurs alliés ; si vous avez quelque chose de
« Le traité sera pour un an.
« — Adopté par le peuple[*](Ici commence la ratification par le peuple d’Athènes.), sous la prytanie de la tribu Acamantide ; Phénippus, greffier ; Niciadès, épistate. Lachès prononça : Pour le bonheur des Athéniens ! il y a trêve sur les bases admises par les Lacédémoniens et leurs alliés. Il a été décidé dans rassemblée du peuple qu’il y aurait trêve pour un an, à dater de ce jour quatorze du mois élaphébolion. Pendant ce temps, des ambassadeurs et des hérauts seront envoyés de part et d’autre afin de s’entendre sur les moyens de terminer la guerre. Les stratèges et les prytanes convoqueront une assemblée où les Athéniens délibéreront d’abord sur la paix, toutes les fois qu’il viendra quelque ambassade à ce sujet ; aussitôt après, les ambassadeurs présents s’engageront devant le peuple à maintenir la trêve pendant l’année.
CXIX. « Ces conditions ont été arrêtées et convenues entre les Lacédémoniens, les Athéniens et leurs alliés respectifs, le douze du mois gérastion, à Lacédémone. Ont ratifié et garanti pour les Lacédémoniens : Taurus, fils d’Échétimidas, Athénéus, fils de Péricli- das ; Philocharidas, fils d’Éryxidaïdas. Pour les Corinthiens : Énéas, fils d’Ocytès, et Euphamidas, fils d’Aristonyme. Pour les Sicyoniens ; Damotymus, fils
Ainsi fut conclue la trêve : pendant toute sa durée, il y eut des négociations en vue d’une paix définitive.
CXX. Dans le temps même où l’on négociait la trêve, Scione, ville de l’isthme de Pallène, se détacha des Athéniens pour se donner à Brasidas. Les Scioniens prétendent être des Pallènes originaires du Péloponnèse ; leurs ancêtres, au retour de Troie, auraient été jetés dans cette contrée par la tempête qu’essuyèrent les Grecs, et s’y seraient établis. Après leur défection, Brasidas cingla de huit vers Scione. Il s’était fait précéder par une trirème amie ; lui-même suivait à distance sur un bâtiment léger, afin que, s’il rencontrait quelque bâtiment plus grand que le sien, la trirème pût le défendre ; que si au contraire il survenait une autre trirème de même force, il comptait qu’elle se tournerait plutôt contre le vaisseau que contre le bâtiment le plus faible, et qu’il aurait alors la possibilité d’échapper. Il fit heureusement la traversée, convoqua les Scioniens à une assemblée, et leur parla comme à ceux d’Acanthe et de Torone. Il ajouta qu’ils méritaient les plus grands éloges ; car, quoique les Athéniens, maîtres de Potidée[*](L’occupation de Potidée, sur l’isthme même, isolait complètement les Palléniens du continent, et les mettait à la merci des Athéniens, maîtres de la mer.), sur l’isthme,
CXXI. Les Scioniens s’exaltèrent à ces discours ; tous prirent également confiance, même ceux qui d’abord n’approuvaient pas ce qui se passait, et ils résolurent de soutenir la guerre avec énergie. Non-seulement ils firent à Brasidas un honorable accueil, mais ils lui décernèrent, comme don public, une couronne d’or, en le proclamant le libérateur de la Grèce ; en particulier, ils le ceignaient de bandelettes et le trai- taient comme un athlète victorieux. Brasidas, en se retirant, ne leur laissa pour le moment que quelques troupes de garnison ; mais, bientôt après, il leur fit passer des forces plus considérables, dans le dessein de faire avec eux quelque tentative sur Mende et sur Potidée. Il pensait bien que les Athéniens, considérant ce pays comme une île[*](Les Athéniens se croyaient, et avec raison, tenus à ne pas laisser impunie la défection des îles. Leur honneur comme puissance maritime y était intéressé.), enverraient des secours ; et il voulait les devancer. En même temps il liait quelques intelligences dans ces villes, pour se les faire livrer par trahison ; déjà il se disposait à agir contre elles.