History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Après ces paroles, Brasidas prépara sa sorfcie et plaça le surplus de ses troupes, sous Cléaridas, aux portes dites de Thrace, avec ordre de marcher quand il en serait temps. Cependant on avait vu Brasidas descendre des hauteurs de Cerdjlion et rentrer dans la ville, qui est toute à découvert. On le voyait distinctement faire un sacrifice devant le temple de Minerve [*](Les autels destinés aux sacrifices n’étaient pas dans les temples, mais dans les pourpris extérieurs. ) et achever ses dispositions. Gléon était allé en reconnaissance, lorsqu’on lui annonce qu’on discerne dans la ville toute l'armée ennemie, et que par-dessous les portes on voit les pieds des chevaux prêts à sortir. Sur cet avis, il s’approche ; et, après avoir vérifié le fait, ne voulant pas risquer le combat avant l’arrivée de ses auxiliaires, persuadé d’ailleurs qu’il avait le temps d'opérer sa retraite, il commande le départ. La seule manœuvre praticable était de se replier par la gauche sur Ëïon. Cléon en donne l’ordre ; mais, trouvant dans ce mouvement trop de lenteur, il fait tourner l’aile droite et emmène l’armée en présentant à l’ennemi le flanc découvert[*](Le côté droit, non protégé par le bouclier. L’armée athénienne était déployée sur les hauteurs qui s’étendent à lΈ. d’Amphipolis, ayant sa droite du côté du lac Cercinitis, sa gauche du côté qui regarde la mer et la ville d’Êion. En présence de l’ennemi, elle ne pouvait se retirer que par la manœuvre d’abord indiquée. L’aile gauche devait se replier la première et prendre position, pour permettre à la droite d’opérer à son tour son mouvement rétrograde. Celle-ci devait jusque-là faire face aux ennemis, afin de masquer la retraite. La précipitation de Cléon fit changer cette prudente manœuvre et amena la déroute des Athéniens. ). Alors Brasidas, qui voit l’instant propice et un certain flottement dans l’armée athénienne, dit à ceux qui l’entouraient : « Ces gens ne nous attendent pas ; on le voit assez à l’agitation de leurs lances et au mouvement de leurs têtes; d’ordinaire, ceux qui font cette contenance n’attendent pas l’ennemi. Qu’on m’ouvre les portes que j’ai dites, et marchons à l’instant sans crainte. »

Là-dessus il sort par la porte voisine de la palissade et par la première de la longue muraille qui existait alors[*](La muraille mentionnée au liv. IV, ch. en. Amphipolis avait une double enceinte du côté qui n’était pas couvert par le Strymon. ).Il s’élance à la course, en ligne directe, vers l’endroit le plus escarpé, où se trouve actuellement un trophée. Il se jette sur le centre des Athéniens, effrayés de leur désordre, confondus de son audace, et les met en déroute. En même temps Cléaridas; d’après le plan concerté, sort par les portes de Thrace et débouche avec le gros de l’armée, Son attaque brusque et imprévue achève de semer le trouble parmi les Athéniens. Leur aile gauche, déjà bien avancée vers Ëïon, se rompt à l’instant. Brasidas la laisse fuir et se rabat sur l’aile droite ; mais là il est blessé et tombe sans que les Athéniens s’en aperçoivent. Ceux qui l’çntouraient le relèvent et le rapportent dans la ville. L’aile droite des Athéniens tînt plus longtemps. Pour Cléon, qui n’avait pas songé un seul instant à rester , il s’enfuit au plus vite ; mais il fut atteint et tué par un peltaste myrcinien. Les hoplites se concentrèrent sur la colline, soutinrent deux ou trois charges

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de Cléaridas, et ne plièrent que lorsque la cavalerie myrci-nienne et chalcidéenne, jointe aux peltastes, les eut enveloppés, criblés de traits, et finalement mis en déroute.

C’est ainsi que toute l’armée athénienne se sauva, non sans peine, et se dispersa en tous sens à travers les montagnes. Ceux qui «e périrent pas sur-le-champ dams la mêlée, ou plus tard sous les coups de la cavalerie chalcidéenne et des peltastes trouvèrent un refuge à Ëïon.

Cependant ceux qui avaient relevé Brasidas le rapportèrent, encore vivant, du champ de bataille à Amphipolis. B eut le temps d'apprendre sa victoire, avant de rendre le dernier soupir. Le'reste de l’armée, revenu de la poursuite avec Cléaridas, dépouilla les morts et dressa un trophée.

Après cela, tous les alliés assistèrent en armes aux funérailles de Brasidas, Il fut enterré aux frais du public dans la ville, à l'entrée de la place actuelle [*](La loi chez les Grecs ne permettait pas d’enterrer dans l’intérieur des villes. On ne dérogeait à cet usage que pour les fondateurs de la cité ou pour des bienfaiteurs signalés. Dans ce cas, le tombeau était considéré comme un sanctuaire. C’est ainsi que Ti-moléon fut enterré sur la place publique de Syracuse, et Thémistocle sur celle de Magnésie. ). Les Amphrpohtams entourèrent son tombeau d’une balustrade ; ils lui offrent des victimes comme à un héros, et ont institué en son honneur des jeux et des sacrifices annuels. Enfin , ils lui ont dédié la colonie comme à son fondateur, après avoir renversé les monuments d’Hagnon[*](L’ancien conducteur de la colonie athénienne (liv. IV, ch. eu), et qui, en cette qualité, conservait à Amphipolis les honneurs rendus par les colonies à leurs fondateurs. ), et fait disparaître toutes les traces de son établissement. Ils regardaient Brasidas comme leur sauveur. C’était d’ailleurs, sur le moment, un hommage rendu à Lacédémone, dont ils se ménageaient alors l’alliance et l’appui, tandis qu’ennemis d'Athènes, ils n’avaient plus le même intérêt ni le même plaisir à honorer Hagnon. Ils rendirent leurs morts aux Athéniens. La perte de ces derniers dans cette journée avait été de six cents hommes, celle des ennemis seulement de sept; en effet, ce ne fut point un combat régulier, mais une simple rencontre précédée d’une panique. Après l’enlèvement des morts, les Athéniens mirent à la voile pour Athènes. Cléaridas réorganisa l’administration d’Amphipolis.

Sur la fin du même été , les Lacédémoniens Ramphias, Autocharidas et Epicÿdidas partirent, avec un renfort de neuf cents hoplites, pour le littoral de la Thrace. Arrivés à Héraclée en Trachinie, ils opérèrent dans cette ville les réformes qui leur parurent indispensables. Ils y étaient encore à l’époque de la bataille d’Amphipolis. Là-dessus l’été finit.

Dès l’entrée de l’hiver suivant, Ramphias et ses collègues s’avancèrent jusqu’à Piérion en Thessalie ; mais l’opposition des Thessaliens et la mort de Brasidas, auquel ce renfort était destiné, les décidèrent à rebrousser chemin. Ils estimaient

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leur mission superflue depuis la défaite et la retraite des Athéniens., et iis ne se senlaieift pas capables de poursuivre à eux seuls tes projets de Brasidas. Ce qui acheva de les déterminer, ce iut qu’à leur départ les Lacédémoniens leur avaient paru animés d’intentions pacifiques.

Aussitôt après la bataille d’Amphipolis et . la retraite de Raraphias de Thessalie, les deux partis se montrèrent également las de la guerre et désireux de la paix. Les Athéniens, qui venaient d’essuyeT coup sur coup deux défaites, à Délion et à Amphipolis, n’avaient plus dans leurs forces cette confiance .absolue qui naguère leur avait fait Tepousser les ouvertures de conciliation et les avait persuadés de la stabilité de leur fortune actuelle. Ils craignaient que leurs alliés, enhardis paT ces revers, ne fussent toùjours plus enclins à la défection, et ils regrettaient de n’avoir pas profité des événements de Pylas pour traiter avec avantage. De leur côté , les Lacédémoniens voyaient la guerre prendre une tournure tout autre qu’ils n’avaient espéTé. Ils avaient cru n’avoir qu’à ravager l’Attique pour abattre en peu d’années la puissance des Athéniens. Au lien de cela, ils avaient éprouvé à Sphactérie un désastre sans exemple dans les annales de Sparte ; leurs campagnes étaient pillées par les garnisons de Pylos et de Cythère ; leurs Hilotes désertaient, et il était à craindre queceux de l’intérieur, donnant la main à ceux du dehors, ne saisissent la première occasion pour renouveler leur révolte. De plus, la trêve de trente ans conclue avecles Argiens était sur le point d'expirer, et ceux-ci refusaient de la proroger à moins qu’on ne leur Tendît la Cynu-rie[*](District de Thyréa, situé entre la Laconie et l’Ar-golide. Il avait anciennement appartenu aux Argiens, qui n’avaient jamais cessé de le revendiquer. Voyez Hérodote, liv. I, ch. lxxxit. ). Or, il paraissait impossible de soutenir à la fois la guerre contre Athènes et contre Argos. Enfin ils soupçonnaient avec raison certaines villes du Péloponèse d’incliner vers les Argiens.

Tout cela faisait sentir aux uns comme aux autres la nécessité d’un rapprochement. Les Lacédémoniens surtout le désiraient à cause de leurs prisonniers de l’île, dont plusieurs étaient des Spartiates du premier rang et alliés aux meilleures familles. Aussi des négociations avaient-elles été entamées dès l’origine de leur captivité ; mais les Athéniens, enorgueillis de leurs succès, s’étaient montrés intraitables. Depuis la malheureuse affaire de Délion, les Lacédémoniens, les voyant mieux disposés, s'étaient empressés de conclure avec eux la trêve d’un an, pendant laquelle on devait ouvrir des conférences pour une paix définitive.

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Après la défaite des Athéniens à Amphipolis , après la mort de Gléon et deBrasidas, les deux plus fougueux partisans de la guerre, — l’un, parce qu’il lui devait ses triomphes et sa gloire, l’autre, parce qu’il sentait qu’en temps calme, ses prévarications seraient plus flagrantes et ses calomnies moins écoutées,—les hommes qui, dans les deux villes, aspiraient à jouer le premier rôle, savoir Plistoanax, fils de Pausanias, roi des Lacédémoniens, et Nicias, fils de Nicératos, le plus heureux des généraux de cette époque, élevèrent la voix en faveur de la paix. Nicias voulait, pendant que sa renommée était encore intacte, mettre son bonheur à couvert, procurer quelque repos à sa patrie et à lui-même, enfin, s’assurer la réputation de n’avoir entraîné l’État dans aucun malheur. Pour cet effet, il avait besoin d'écarter les dangers et de s'exposer le moius possible; la paix lui était donc indispensable. Quant à Plistoanax, il était en butte aux attaques de ses ennemis, qui ne cessaient d’attribuer à l’illégalité de son retour tous les revers de Lacédémone. Ils l’accusaient d’avoir, conjointement avec son frère Aristoclès, suborné la Pythie, pour qu’elle répondît aux Lacédémoniens chargés de consulter l’oracle de Delphes, qu’ils eussent à rappeler delà terre étrangère dans sa patrie la race du demi-dieu, fils de Jupiter[*](Hercule, ancêtre des rois de Lacédémone. ), sous peine de labourer avec un soc d’argent[*](Leur donnant à entendre que leur sol serait frappé de stérilité, et qu’ils ne se procureraient des vivres qu’à un prix exorbitant. ). Ce Plistoanax avait été exilé dan£ le temps comme suspect d’avoir reçu des présents pour évacuer l’Âtti· que. Il s’était réfugié sur le mont Lycée, où, par crainte des Lacédémoniens, il habitait une maison à moitié attenante an temple de Jupiter[*](Afin d’y être à l’abri comme dans un asile, sans toutefois se priver de l’usage d’une habitation profane. Il y avait sur le mont Lycée, en Arcadie, un célèbre temple de Jupiter Lycéen (Pausanias, liv. VIII, ch. xxxviii). ). Au bout de dix-neuf ans, conformément à l’oracle, il fut enfin rappelé par les Lacédémoniens, qui fêtèrent son retour par les mêmes chœurs et les mêmes sacrifices que lors de la fondation de Lacédémone et de l’installation de leurs premiers rois. Fatigué de ces clameurs, et persuadé que le rétablissement de la paix et la délivrance des prisonniers ôteraient à ses ennemis toute prise contre lui, au lieu qu’en temps de guerre la mauvaise fortune est invariablement imputée aux chefs, Plistoanax travaillait de tout son pouvoir à une solution pacifiqqe.

Pendant tout l’hiver et jusqu’à l’approche du printemps, les pourparlers continuèrent. En même temps, les Lacédémoniens, afin de rendre les Athéniens plus traitables, agitèrent l’épouvantait de préparatifs guerriers, et firent savoir à toutes les villes qu’ils allaient construire des forts en Àttique. Enfin, après maintes conférences, maintes prétentions élevées

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de part et d’autre , on tomba d’accord de faire la paix à condition que chacun restituerait ce qu'il avait acquis par les armes. Niséa seule resta aux Athéniens, et voici pourquoi. Lorsqu’il fut question de rendre Platée, les Thébaiüs soutinrent qu’elle s’était soumise de gré et non de force, en vertu d’une convention libre et non par trahison. Les Athéniens en dirent autant de Niséa.

Les Lacédémoniens convoquèrent leurs alliés. Tous votèrent pour la paix, excepté les Béotiens, les Corinthiens, les Éléens et les Mégariens, qui en désapprouvaient les conditions. Le traité fut conclu et ratifié par l’échange des libations et des serments, entre lés Athéniens et les Lacédémoniens. En voici la teneur :

« Les Athéniens et les Lacédémoniens, ainsi que leurs alliés, ont fait la paix aux conditions ci-après indiquées et dont chaque ville a juré l’observation.

« En ce qui concerne les temples communs [*](C’est-à-dire qui n’appartenaiedt pas en particulier à une ville, mais qui étaient la propriété de tous les Grecs; par exemple le temple de Delphes, appartenant aux villes Amphictyoni-ques, et celui de Délos aux Ioniens. ), chacun pourra s’y rendre, sacrifier, consulter les oracles, assister aux fêtes, conformément aux usages de nos pères, soit par terre, soit par mer, sans crainte de danger.

« En ce qui concerne l’enceinte et le temple d’Apollon à Delphes , ainsi que les habitants de Delphes, ils seront indépendants, affranchis de tout tribut et de toute juridiction étrangère, eux et leur territoire, conformément aux usages de nos pères. a La paix durera cinquante ans, entre les Athéniens et leurs alliés d’une part, les Lacédémoniens et leurs alliés d’autre part, sans dol ni fraude, soit sur terre, soit sur mer.

« Tout acte d’hostilité est interdit aux Lacédémoniens et à leurs alliés envers les Athéniens et leurs alliés , ainsi qu’aux Athéniens et à leurs alliés envers les Lacédémoniens et leurs alliés.

« S’il s’élève entre eux quelque différend, ils auront recours aux voies légales et aux serments, et se conformeront aux tran-# sactions qui seront intervenues.

« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens Amphipolis.

« Dans toutes les villes restituées par les Lacédémoniens aux Athéniens, les habitants seront libres de se retirer où bon leur semblera, e$ emportant ce qui leur appartient. Ces villes se gouverneront d’après leurs propres lois, en payant le tribut tel qu’il a été fixé du temps d’Aristide [*](Lors de la conclusion de l’alliance primitive avec les Athéniens après les guerres Médiques. ). La paix conclue, les

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Athéniens et leurs alliés s’abstiendront de toute hostilité contre ces villes, A la condition qu’elles payent, ledit tribut. Cès villes sont Argilos, Stagire, Acanthe, Scolos[*](La défection de Scolos n’est pas mentionnée par Thucydide. ), Olynthe, Spartolos. Elles ne seront alliées ni de Lacédémone, ni d’Athènes. Toutefois, si les Athéniens les persuadent d’entrer dans leur alliance, elles le pourront de leur plein gré.

« Les Mécyberniens , les Sanéens, les Singiens resteront en possession de leurs villes, ainsi que les Olynthiens elles Acan-thiens.

« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens Panacton. Les Athéniens rendront aux-Lacédémoniens Cory-phasion, Cythère, Méthone, Ptéléos et Atalante. Ils rendront également tous les Lacédémoniens qui sont détenus à Athènes ou dans tout autre lieu de la domination athénienne. Ils lasseront libres les Péloponésiens assiégés dans-Scione, tous les alliés des Lacédémoniens qui se trouvent dans cette place, tous ceux que Brasidas y a fait passer, enfin tous les alliés des Lacédémoniens qui se trouvent détenus à Athènes ou dans tout autre endroit de la. domination athénienne.

« Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront pareillement tous ceux des Athéniens ou dè leurs alliés qui sont entre leurs mains.

« Quant aux villes de Scione, de Torone, de Sermylé et antres au pouvoir des Athéniens,, ceux-ci seront libres d’en disposer à leur gré. a Les Athéniens s’obligeront par serment envers les Lacédémoniens et chacun de leurs alliés. De part et d'autre, on prêtera le serment réputé le plus soLennel dans chaque ville. La formule sera conçue en ces termes : « Je serai fidèle aux con-« ventions et stipulations du présent traité en toute justice et « sans aucune fraude. ».

« Les Lacédémoniens et leurs alliés s’obligeront par serment de la même manière envers les Athéniens.

« Ce serment sera renouvelé chaque année par les parties contractantes. Il sera gravé sur des colonnes placées à Olym- % pie, à Delphes, à l’Isthme, à Athènes dans l’acropole, à Lacédémone dans FAmycléon[*](Le temple d’Apollon Amycléen, particulièrement vénéré par les Lacédémoniens, et situé, suivant Polybe (liv. V, ch. xix), à vingt stades de Sparte. Lacédémone est ici le nom du pays. ).

« Si quelque omission a été faite par l’une ou par l’autre des parties contractantes, il sera loisible aux Athéniens et aux Lacédémoniens de modifier sur ce point les conventions après qu’ils seront mis d’accord.

« Le traité date de l’épborat de Plistolas, le quatrième

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mr de la dernière décade du mois Àrthémisien[*](Calendrier lacédémonien. Sur le mois athénien Élaphébolion, voyez liv. IV, ch. cxvm. ) ; à Athènes, e l'archontat d’Alcéos, le sixième jour de la dernière décade u mois Élaphéboüon.

« Ont juré et fait les libations, pour les Lacédémoniens : Plistolas, Damagétos, Chionis, Métagénès, Acanthos, Daïthos, scbagoras, Philocharidas, Zeuxidas, Antippos, Tellis, Alcini-las, Empédias, Ménas, Laphilos; pour les Athéniens : Lampon, Isthmionicos, Nicias, Lâchés, Euthydémos, Proclès, Pythcrdoros, Hagnon, Myrtilos, Thrasyclès, Théagénès, Aristo-iratès, lolcios, Timocratès, Léon, Lamachos, Démosthène.

Cette paix fut conclue sur la fin de l’hiver ou plutôt dans es premiers jours du printemps, immédiatement après les fêtes de Bacchus de la ville. Dix ans et quelques jours s’étalent écoulés depuis la première invasion de l’Attique et l’ouverture des hostilités. Pour s’en convaincre, il suffît de consulter l’ordre chronologique, au lieu d’établir la série des événements d’après les magistratures de chaque ville ou d’après telle ou telle dignité. Cette dernière méthode est fort inexacte; car elle n’indique pas si un fait s’est passé au commencement, au milieu ou à la fin desdites fonctions. Si au contraire on compte, comme je Fai fait, par été et par hiver, les deux saisons réunies formant l’année, on trouvera que cette première guerre a duré dix étés et autant d’hivers.

Les Lacédémoniens, que le sort avait désignés pour commencer les restitutions, relâchèrent immédiatement les prisonniers qui étaient entre leurs mains. Ils envoyèrent sur le littoral de Ia Thrace, Ischagoras, Ménas et Philocharidas, en qualité d’ambassadeurs, pour porter à Cléaridas Fordre de re-r mettre Amphipolis aux Athéniens et l’invitation aux alliés d’accepter le traité chacun en ce qui le concernait ; mais ceux-ci n’y voulurent pas consentir, le trouvant trop défavorable. Cléaridas, par déférence pour les Chalcidéens, refusa de rendre la ville, sous prétexte qu’il ne pouvait le faire malgré eux. Lui-méme revint en toute hâte à Lacédémone avec des députés cfralcidéens, afin de se disculper dans le cas où Ischagoras et ses collègues se plaindraient de sa désobéissance. D’aiileurs il tenait à savoir si la convention pouvait encore se modifier. Il la trouva ratifiée et repartit sur-le-champ, avec l’injonction formelle de remettre la ville, ou au moins d’en ramener tous les Péloponésiens qu’elle renfermait.

Les alliés étaient alors assemblés à Lacédémone. Ceux d’entre eux qui n’avaient pas adhéré au traité furent invîtes

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par les Lacédémoniens aie faire sans retard; mais ils persistèrent dans leur refus, en se fondant sur ce que les conventions n'étaient pas équitables. Les Lacédémoniens, désespérant de les convaincre, les congédièrent et ouvrirent pour leur propre compte des négociations d’alliance avec les Athéniens. Us y furent poussés par deux motifs : d’abord il ne fallait plus songer au renouvellement de la trêve avec les Argiens ; car ils avaient rejeté les propositions d’Âmpélidas et de Lichas, apparemment dans la pensée que les Lacédémoniens sans les Athéniens étaient peu redoutables ; en second lieu, l’alliance avec Athènes était le meilleur moyen de prévenir l’agitation dans le reste du Péloponèse qui, s’il l’avait pu, n’aurait pas manqué de se jeter dans les bras des Argiens[*](Je lis Ἀργείους au lieu de Ἀθηναίους, quoiqu’il n’y ait point de variante, parce que je ne comprends pas cette inclination générale des Péloponésiens pour Athènes. Comparez la fin du oh. xiv. ). Il y avait alors des députés athéniens à Lacédémone ; des conférences furent entamées avec eux ; on se mit d’accord, et l’alliance suivante fut conclue sous la foi du serment.

« Les Lacédémoniens seront alliés[*](11 manque des Athéniens, parce que le texte du traité a été transcrit de la colonne d’Athènes, où l’addition était superflue. ) pour cinquante ans, aux conditions énoncées ci-après :

« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres des Lacédémoniens, les Athéniens iront à leur secours avec toutes leurs forces et par tous les moyens possibles.

« S’il se retire après avoir dévasté la campagne, les Lacédémoniens et les Athéniens le tiendront pour ennemi; les deux États lui feront la guerre et, ne la termineront que d’un commun accord ; le tout conformément à la justice , avec zèle et sans fraude.

« Si quelque agresseur entre à main armée sur les terres de Athéniens, les Lacédémoniens iront à leur secours avec toutes leurs forces et par tous les moyens possibles.

« S’il se retire après avoir dévasté la campagne, les Lacédémoniens et les Athéniens le tiendront pour ennemi ; les deux États lui feront la guerre et ne la termineront que d’un commun accord; le tout conformément à la justice, avec xèle et sans fraude.

« Si les esclaves se soulèvent, les Athéniens secourront les Lacédémoniens avec toutes leurs forces et par tous les moyens possibles.

« Les présentes conventions seront jurées de part et d’autre par les mêmes personnes qui ont juré le précédent traité. Ce serment sera renouvelé chaque année; pour cet effet, les Lacédémoniens se rendront à Athènes à l’époque des Dionysies, et les Athéniens à Lacédémone à l’époque des Hyacinthies [*](Sur les Dionysies ou fêtes de Bacchus à Athènes., voyez liv. Jff, ch. xv, note 6. Les Hyacinthies étaient une des plus grandes fêtes de Sparte, instituée en mémoire de la mort prématurée du héros national Hyacinthe, filsd’Œbalos. On la célébrait en grande pompe, durant trois jours, à Amyclæ en Laconie, à la fin du moisHécatom-héon (juin-juillet). ).

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« Deux colonnes seront érigées, l’une à Lacédémone près du temple d’Apollon dans l’Amycléon, l'autre à Athènes dans l'acropole près du temple de Minerve.

« Si les Lacédémoniens et les Athéniens jugent à propos de faire quelque addition ou quelque retranchement au présent traité d’alliance, ils le pourront, pourvu que ce soit d’un commun accord.

« Ont juré,,pour les Lacédémoniens : Plistoanax, Agis, Plistolas, Damagétos, Chionis, Métagénès, Acanthos, Daïthos, Ischagoras, Philocharidas, Zèuxidas, Antippos, Alcinadas [*](Au ch. xix, dans une énumération identique, on lit Alcinidas. ), Tel-lis, Empédias, Ménas, Laphilos; pour les Athéniens : Lampon, Isthmionicos, Lâchés, Nicias, Euthydémos, Proclès, Pythodo-ros, Hagnon, Myrtilos, Thrasyclès, Théagénès, Aristocratès, Iolci os, Timocratès, Léon, Lamachos, Démosthène. »

Cette alliance fut conclue peu de temps après le traité de paix. Les Athéniens rendirent aux Lacédémoniens les prisonniers de l’île. Là-dessus commença l'été de la onzième année[*](La onzième année de la guerre correspond à 421 av. J. C. ). Ici se termine le récit de la première guerre, qui avait duré dix ans consécutifs.

Après le traité de paix et d’alliance entre les Athéniens et les Lacédémoniens, traité qui mit fin à la guerre de dix ans et fut conclu sous l’éphorat de Plistolas à Lacédémone et sous Varchontat d’Alcéos à Athènes, la paix fut rétablie entre les États qui en avaient accepté les conditions. Mais les Corinthiens et quelques villes du Péloponèse cherchèrent à brouiller les affaires, et bientôt l’on vit s’élever des difficultés nouvelles entre les Lacédémoniens et leurs alliés. Avec le temps, les Lacédémoniens devinrent suspects aux Athéniens, parce qu’ils n’exécutaient pas certaines clauses du traité. Pendant six ans et dix mois[*](Les hostilités ne recommencèrent que dans Vété de Ja dix-huitième année (liv. VI, ch. cv; liv. VII, ch. xvm), c'est-à-dire plus de sept ans après la première paix. Aussi plusieurs commen-tateurs regai dent-ils la donnée du passage actuel comme inexacte, et proposent dans le texte divers changements. Il est superflu d’y avoir recours, si Ton admet que Thucydide a eu en vue ici la résolution prise par les Lacédémoniens d’envahir l’Attique (liv. VI, ch. xcm), résolution qui eut lieu dans l’hiver de la dix-septième année, six ans et dix mois après la paix. ), les deux peuples s’abstinrent, il est vrai, d’agressions directes; mais au dehors ils se firent tout le mal compatible avec une réconciliation mal assurée, jusqu’à ce qu’enfin ils furent amenés à rompre la paix conclue après les dix ans d’hostilités, et en vinrent de nouveau à une guerre ouverte.

Le même Thucydide, citoyen d’Athènes, a continué la relation des événements dans l’ordre où ils ont eu lieu, par étés et par hivers, jusqu’au moment où les Lacédémoniens et leurs alliés renversèrent définitivement la domination d’Athènes et s’emparèrent du Pirée et des longs murs [*](Ce passage prouve que Thucydide comptait pousser son histoire jusqu’à cette époque, en ajoutant à son ouvrage un neuvième livre, dont il avait sans doute rassemblé les matériaux. ). La durée totale de la guerre jusqu’à cette époque fut de vingt-sept ans. On aurait tort d'en retrancher l'intervalle de la trêve. Il suffit

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d'envisager la succession des faits pour reconnaître cju’on ne saurait avec raison donner le nom de paix à un état de choses dans lequel ne furent faites de part ni d’autre toutes les resti· tution» convenue»; dan» lequel les deux parties eurent, bien de» reproches à s'adresser, par exemple à l’occasioil· de la guerre deMantinée et d’Épidaure[*](Voyez ch. xxxm et liii. · ); dans lequel enfin lea alliés du littoral de la Thrace ne posèrent point les armes, et les Béotiens ne se lièrent que par des armistices de dix jours[*](C’est-à-dire renouvelés de dix en dix jours. ). Si donc à la première guerre· de dix ans on réunit la fausse paix qui la suivit et la guerre qui vint ensuite, on. trouvera le nombre d’années que j’ai indiqué et quelques jours en sus. De toutes les assertions qui reposaient sur des oracles, ce fut la seule que l’événement justifia; je me souviens que, dès l’origine de cette guerre, et pendant sa durée, plusieurs personnes annonçaient qu’elle devait se prolonger trois fois neuf ans.

Quant à moi, j’ai assisté à toute sa durée, jouissant de la plénitude de mes facultés et donnant une attention soutenue au spectacle que j’avais sous les yeux. J’ai passé vingt années loin de ma patrie, à la suite de mon commandement d’Amphi-poiis[*](Voyez liv. IV, ch. civ. L’exil de Thucydide commença au mois de janvier 423 av. J. C. ). Mêlé aux affaires des deux partis , j’ai dû à mon exil de voir de plus près celles du Péloponèse, et à mes loisirs de mieux étudier les faits. Je vais donc rapporter les événements qui succédèrent à cette première guerre de dix hnnées, la rupture de la trêve et la reprise des hostilités.

La paix de cinquante ans et l’alliance qui la suivit une fois conclues, les députés du Péloponèse, venus à Lacédémone pour cet objet, quittèrent cette ville et regagnèrent leurs foyers. Les Corinthiens se rendirent d’abord à Argos, où ils s’abouchèrent avec quelques-uns des citoyens. Ils leur représentèrent qu’en faisant un traité de paix et d’alliance avec les Athéniens, naguère leurs ennemis jurés, les Lacédémoniens avaient en vue, non l’intérêt, mais l’asservissement du Péloponèse; que c’était aux Argiens de le sauver , en statuant que toute ville grecque et indépendante, qui offrirait de soumettre ses différends à un arbitrage, pourrait conclure avec Argos une alliance défensive ; qu’il fallait élire un petit nombre de citoyens et les munir de pleins pouvoirs, sans porter la question devant l’assemblée .du peuple, pour ne pas s’exposer à ses refus. A les entendre, beaucoup de villes ne demandaient pas mieux que d’entrer dans cette ligue par haine pour Lacédémone. Après cette communication, les Corinthiens s’en retournèrent cher eux.

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Les Argiens qui avaient reçu ces ouvertures les communiquèrent aux magistrats et au peuple fl’Argos. Il fut décidé qu’on élirait douze citoyens, autorisés à conclure une alliance avec tous ceux, des Grecs qui le voudraient, excepté toutefois les Athéniens et les Lacédémoniens, qui ne seraient admis que sut un arrêté du peuple. Ces mesures furent accueillies par les Argiens avec d’autant plus de faveur qu’ils se voyaient à la veille d’une guerre avec Lacédémone, leur traité avec cette ville touchant à sa fin. D’ailleurs , ils aspiraient à se placer à la tête du Péloponèse. Lacédémone à cette époque était complètement déconsidérée à cause de ses revers ; les Argiens au contraire jouissaient d’une prospérité parfaite , ayant su demeurer étrangers à la guerre contre Athènes et recueillir les fruits de cette neutralité. C’est ainsi que les Ar-giens ouvrirent leur alliance à tous les Grecs qui voulurent y entrer.

Les Alantinéens et leurs alliés furent les premiers à entrer dans la confédération, et cela par crainte de Lacédémone. Ayant profité de la guerre contre Athènes pour soumettre à leur domination une partie de l’Arcadie, ils pensaient bien que les Lacédémoniens, maintenant qu’ils n’avaient plus les mains liées, ne toléreraient pas une pareille usurpation. Ce lut donc avec joie qu’üs se jetèrent dans le parti d’Argos, qui leur offrait une ville puissante, ennemie constante de Lacédémone et gouvernée démocratiquement comme eux. La défection des Mantinéens mit en émoi le r^este du Péloponèse. Chacun résolut de suivre leur exemple. On se dit qu’après tout ils devaient avoir leurs raisons pour changer d’alliés. On en voulait d’ailleurs aux Lacédémoniens ; on ne pouvait leur pardonner la clause par laquelle les deux villes d’Athènes et de Lacédémone s’étaient réservé le droit d’ajouter au traité ou d’en retrancher ce qu’elles jugeraient à propos. Cet article inquiétait singulièrement le Péloponèse. On y voyait chez les Lacédémoniens l’intention de l’asservir avec l’aide des Athéniens ; autrement, disait-on, la justice eût exigé que tous les alliés eussent le même droit de modification. Aussi la plupart, sous l’empire de ces craintes, s’empressèrent de traiter avec les Argiéns.