History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

CI. L’armée étant réunie à Delphes, Euryloque envoya un héraut aux Locriens Ozoles dont il fallait traverser le pays pour aller à Naapacte, et qu’il voulait d’ailleurs détacher des Athéniens. Parmi les Locriens, ceux d’Amphissa[*](Aujourd’hui Salona.) le secondèrent activement, à cause des inquiétudes que leur inspirait la haine des Pho- céens. Ils furent les premiers à donner des otages, et, secondés par la crainte qu’inspirait l’approche de l’armée, ils déteiminèrent les autres à en fournir également  ; ils gagnèrent d’abord les Myoniens[*](Sur la route d’Amphisssa à Naupacte, à trente stades env’ron de la première.), leurs voisins (car c’est de ce côté que l’accès de la Locride est le plus difficile)  ; ensuite les Olpéens, les Messapiens, les

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Tritées, les Chaléens, les Tolophoniens, les Hessiens et les OEanthées. Tous ces peuples prirent part à l’expédition. Les Olpéens fournirent des otages, mais ne suivirent pas l’armée  ; les Hyéens ne donnèrent d’otages qu’après la prise de leur bourgade, nommée Polis.

CII. Lorsque tout fut prêt, Euryloque déposa les otages à Cytinium[*](An pied du mont oeta, sur les frontières de la Doride et de la Thessalie.) le Dorique, et s’avança avec son armée contre Naupacte, à travers le pays des Locriens. Chemin faisant, il prit sur ces derniers oenéon et Eupalium qui avaient, refusé de se joindre à lui. Arrivé à Naupacte avec les Étoliens qui déjà l’avaient rejoint, il ravagea le pays et s’empara du faubourg, qui n’était pas fortifié. Ils marchèrent ensuite contre Molycrium, colonie de Corinthe, soumise alors à la domination athénienne, et s’en emparèrent. Mais l’Athénien Démosthènes, qui n’avait pas quitté les environs de Naupacte depuis son désastre d’Étolie, avait pressenti cette expédition. Il craignit pour la ville et alla chez les Acarnanes pour les décider à secourir Naupacte : ceux-ci ne cédèrent qu’avec peine  ; car ils n’avaient pas oublié sa retraite de Leucade  ; cependant ils embarquèrent mille hoplites qui pénétrèrent dans la place. Ce fut ce qui la sauva  ; car l’enceinte étant fort étendue, et la garnison peu nombreuse, il était à craindre qu’elle ne pût résister. Quand Euryloque et les siens surent que ce renfort était entré dans la ville et qu’il n’y avait plus moyen de la forcer, ils se retirèrent  ; mais au lieu de rentrer dans le Péloponnèse, ils s’établirent dans l’ancienne Éolie, nommée aujourd’hui Calydon, à

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Pleuron et aux alentours, ainsi qu’à Proschium en Étolie. lis y avaient été déterminés par une ambassade des Ambraciotes qui leur demandaient de se joindre à eux pour attaquer Argos-Amphilochique, le reste de l’Amphilochie et l’Acarnanie. Ils assuraient que, ces con- trées soumises, l’Épire tout entière entrerait dans l’alliance des Lacédémoniens. Euryloque céda à leurs conseils, il congédia les Étoliens et resta tranquillement dans le pays avec son armée, attendant que les Ambraciotes fissent leur expédition, pour leur prêter main-forte dans l’attaque d’Argos. L’été finit.

CIII. L’hiver suivant, les Athéniens qui étaient en Sicile, réunis à leurs alliés grecs et à ceux des Sicules qui, pour se soustraire à l’oppression des Syracusains, avaient abandonné leur alliance et embrassé celle d’Athènes, attaquèrent Inessa, petite place de la Sicile, dont la citadelle était au pouvoir des Syracusains. Mais ils ne purent s’en emparer et se retirèrent. Pendant qu’ils battaient en retraite, les Syracusains sortirent des remparts, dressèrent une embuscade, et tombèrent sur les alliés des Athéniens placés à l’arrière-garde  ; ils mirent en déroute une partie de l’armée et tuèrent beaucoup de monde. Après cet échec. Lachès et les Athéniens firent quelques descentes en Locride. Ils défirent sur les bords du Cécinus un corps de trois cents Locriens, qui était venu les attaquer, sous la conduite de Proxénus, fils de Capaton  ; puis ils se retirè- rent avec les armes prises sur l’ennemi.

CIV. Le même hiver, les Athéniens purifièrent Délos[*](Il n’était permis ni d’accoucher, ni d’ensevelir les morts à Délos. La fréquente violation de cette règle donna lieu aux diverses purifications qu’y accomplirent les Athéniens.), pour obéir, disait-on, à un oràcle. Elle l’avait déjà

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été précédemment par le tyran Pisistrate, non pas en entier, mais seulement dans la partie qu’on peut apercevoir du temple[*](Dans la première purification on avait enlevé les morts de tous les points qui pouvaient être aperçus du temple, pour les porter dans une autre partie de l’ile ( Hêrod. i, 64 ).). Cette fois, l’île fut purifiée tout entière de la manière suivante : on enleva tous les tombeaux de ceux qui y étaient morts, et il fut ordonné qu’à l’avenir on ne pût rester dans l’île, ni pour mourir ni pour accoucher[*](L’un et l’autre étaient considérés comme imprimant une souillure aux temples et aux lieux sacrés. Il est question, à chaque instant, dans les historiens, des temples profanés par la présence des morts  ; Thucydide, en particulier, nous en offre de nombreux exemples.)  ; on devait se transporter à Rhénie. Cette dernière île est si peu éloignée de Délos[*](Environ quatre stades.), que Polycrate, tyran de Samos, qui eut quelque temps une puissante marine et domina sur plusieurs des autres îles, consacra à Apollon Délien l’île de Rhénie dont il s’était emparé et la réunit à Délos par une chaîne.

Ce fut après cette purification que les Athéniens célébrèrent pour la première fois les jeux Déliens, qui reviennent tous les cinq ans. Autrefois déjà et à une époque reculée, il y avait eu à Délos un grand concours d’Ioniens et d’habitants des îles voisines. Ils y venaient en pèlerinage avec leurs femmes et leurs enfants, comme aujourd’hui les Ioniens vont à Éphèse  ; on donnait des combats gymniques et des concours de musique pour lesquels les villes fournissaient des choeurs[*](C’étaient les citoyens riches, et quelquefois les villes qui faisaient la dépense des choeurs pour les fêtes.).

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C’est ce qui résulte surtout de ces vers d’Homère dans l’hymne à Apollon :

Tantôt c’est Délos que tu aimes habiter, ô Phébus  ! C’est là que les Ioniens aux robes traînantes se réunissent en ton honneur, avec leurs enfants et leurs respectables épouses  ; C’est là que, par le pugilat, les danses et les chants, ils te charment, lorsqu’ils célèbrent leurs jeux.

Que dans ces fêtes il y eût des concours de musique et qu’on y vînt disputer les prix, c’est ce qu’Homère témoigne aussi par ces vers tirés du même hymne. Après avoir célébré le choeur des femmes de Délos, il termine son chant par ce morceau, où il fait aussi mention de lui-même :

« Maintenant, salut  ! Qu’Apollon vous soit propice ainsi que Diane  ! Et vous toutes, adieu  ! gardez-moi aussi quelque souvenir dans l’avenir, et lorsque quelque autre malheureux mortel arrivant ici vous dira : « Jeunes filles, quel est, de tous les chantres qui fréquentent ces lieux, celui qui vous est le plus agréable et sait le mieux vous charmer  ? — Répondez toutes avec une bienveillante faveur : C’est un aveugle qui habite les âpres rochers de Chio. »

Tel est le témoignage d’Homère  ; il prouve qu’il y eut autrefois un grand concours et une fête à Délos. Les habitants des îles et les Athéniens continuèrent, par la suite, à envoyer des choeurs et des offrandes sacrées  ; quant aux jeux et à la plupart des autres solennités, il est probable qu’ils furent interrompus par les malheurs des temps, jusqu’à l’époque où les Athéniens établirent, comme nous l’avons dit, la fête de Délos et des courses de chevaux, qui n’avaient pas lieu auparavant.

CV. Le même hiver, les Ambraciotes, pour accomplir

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la promesse sur la foi de laquelle Euryloque était resté avec son armée, marchèrent contre Argos-Amphilochique avec trois mille hoplites. Ils entrèrent dans l’Argie, et prirent Olpes, place forte sur une colline, près de la mer. Elle avait été fortifiée autrefois par les Acarnanes, qui en avaient fait le siège de leur tribunal central. Vingt-cinq stades la séparent d’Argos, qui est une ville maritime. Les Acarnanes se partagèrent : une partie se porta au secours d’Argos  ; les autres allèrent camper dans un endroit de l’Amphilochie nommé les Fontaines, afin d’observer les Péloponnésiens commandés par Euryloque, de peur qu’à leur insu ils ne se réunissent aux Ambraciotes. Ils envoyèrent aussi prier Démosthènes, celui-là même.qui avait commandé les Athéniens en Étolie, de se mettre à leur tête, et mandèrent les vingt vaisseaux athéniens qui se trouvaient autour du Péloponnèse sous les ordres d’Aristote, fils de Timocrate, et d’Hiérophon, fils d’Antimnestus.

Les Ambraciotes qui étaient à Olpes envoyèrent de leur côté à Ambracie demander qu’on vînt en masse à leur secours  ; ils craignaient, si les troupes d’Euryloque ne parvenaient pas à traverser les lignes des Acar- nanes, de se trouver ou réduits à combattre seuls, ou compromis s’ils voulaient effectuer leur retraite.

CVI. Cependant Euryloque, informé de l’arrivée des Ambraciotes à Olpes, partit de Proschium avec les troupes péloponnésiennes, et marcha en toute hâte à leur secours. Il passa l’Achéloüs, et s’avança à travers l’Acarnanie, alors abandonnée par les troupes qui s’étaient portées au secours d’Argos. Il avait à droite Strates et sa garnison  ; à gauche, le reste de

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l’Acarnanie. Après avoir traversé le territoire des Stratiens, il passa par Phytia, par l’extrémité du pays de Médéon, et ensuite par Limnée. En sortant de l’Acarnanie, il entra chez les Agréens, alliés des Acarnanes. Il prit par le Thyamus, montagne agreste, le franchit, et descendit dans l’Argie. Il était nuit à ce moment. Les Péloponnésiens passèrent inaperçus entre la ville d’Argos et le corps d’observation des Acarnanes campé aux Fontaines, et firent leur jonction avec les Ambraciotes réunis à Olpes.

CVII. La jonction opérée, ils se portèrent, quand le jour fut venu, au lieu nommé Métropolis, et y campèrent.

Les Athéniens arrivèrent peu après, avec leurs vingt vaisseaux, au golfe d’Ambracie pour secourir les Argiens. Démosthènes arriva de son côté avec deux cents hoplites messéniens et soixante archers athéniens. La flotte mit à l’ancre devant la colline où s’élève Olpes. Les Acarnanes et quelques Amphiloquiens (car la plus grande partie était interceptée par les Ambraciotes) étaient déjà réunis à Argos, et se préparaient à combattre l’ennemi. Toutes les troupes confédérées choisirent, indépendamment de leurs propres généraux, Démosthènes pour les commander en chef. Il les conduisit près d’Olpes, et y établit son camp : un ravin profond séparait les deux armées.

Pendant cinq jours on resta en repos, et le sixième on se mit de part et d’autre en ordre de combat. Comme l’armée péloponnésienne était plus nombreuse et débordait la ligne de bataille, Démosthènes, craignant d’être enveloppé, mit en embuscade dans un chemin creux masqué par des buissons, des hoplites

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et des troupes légères, au nombre de quatre cents hommes en tout. Ils avaient ordre de se lever, l’ac- tion une fois engagée, et de prendre à dos les ennemis du côté où ils auraient l’avantage du nombre. Les préparatifs terminés de part et d’autre, on en vint aux mains. Démosthènes occupait l’aile droite avec les Messéniens et quelques Athéniens. Les Acarnanes, rangés en corps séparés, formaient le reste de la ligne, avec ceux des Amphiloquiens armés de javelots qui assistaient au combat. Les Péloponnésiens et les Ambraciotes étaient mêlés ensemble, à l’exception des Mantinéens, qui formaient un corps séparé et s’étendaient surtout vers la gauche, sans occuper cependant l’extrémité de l’aile  ; Euryloque s’y était placé avec ses troupes, pour faire face aux Messéniens et à Démosthènes.

CVIII. Déjà l’action était engagée et les Péloponnésiens, débordant l’aile droite de l’ennemi, commençaient à l’envelopper, lorsque les Acarnanes sortirent de leur embuscade, tombèrent sur eux, et les mirent en déroute. Leur trouble fut tel, qu’ils ne résistèrent pas au premier choc, et entraînèrent dans leur panique le reste des troupes avec eux  ; car, quand on vit en déroute le corps d’Euryloque, le plus solide de l’armée, la terreur n’en fut que plus grande. Ce furent les Messéniens, placés à cette aile sous les ordres de Démosthènes, qui contribuèrent surtout au succès de l’action.

Cependant les Ambraciotes et les troupes de l’aile droite eurent l’avantage de leur côté, et poursuivirent l’ennemi vers Argos  ; car ce sont les hommes les plus belliqueux de ces contrées. Mais quand, à leur

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retour, ils virent la défaite de la plus grande partie de l’armée, vivement pressés eux-mêmes par les autres Acarnanes, ils se rabattirent sur Olpes, et n’échappèrent qu’avec peine. Beaucoup périrent en se précipitant confusément et sans aucun ordre vers cette place  ; pourtant les Mantinéens opérèrent leur retraite en meilleur ordre que fout le reste de l’armée. Le combat finit vers le soir.

CIX. Le lendemain, Ménédée remplaça dans le commandement Euryloque et Macarius, qui avaient été tués. Embarrassé après un aussi grand désastre, il ne voyait aucun moyen ni de soutenir un siège en gardant ses positions, puisqu’il était coupé par terre et bloqué sur mer par la flotte athénienne, ni de s’échapper par une retraite  ; il fit donc des ouvertures à Démosthènes et aux généraux des Acarnanes pour obtenir un accommodement, avec la permission de se retirer et d’enlever ses morts, ils lui accordèrent cette dernière demande, dressèrent eux-mêmes un trophée, et enlevèrent leurs propres morts au nombre de trois cents. Quant à la retraite, ils firent ouvertement à tous les ennemis un refus formel  ; mais, en secret, Démosthènes, de l’aveu des généraux acarnanes ses collègues, permit auxMantinéens, à Ménédée et aux autres chefs dea Péloponnésiens, ainsi qu’aux plus marquants de la nation, de se retirer au plus vite. Son but était d’ïsoler les Ambraciotes et la foule des mercenaires étrangers  ; mais, par-dessus tout, il visait à rendre suspects aux Grecs de cette contrée les Lacédémoniens et les Péloponnésiens, comme des traîtres qui n’avaient songé qu’à leur propre intérêt. Ils enlevèrent leurs morts, qu’ils ensevelirent à la hâte et au hasard. Ceux

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qui avaient obtenu l’autorisation de se retirer prirent secrètement leurs mesures.

CX. Cependant on vint annoncer à Démothènes et aux Acarnanes que les Ambraciotes de la ville, sur le premier message qui leur avait été envoyé d’Olpes, venaient en masse au secours des leurs, et qu’ils s’avançaient par le pays des Amphiloques, sans rien savoir de ce qui s’était passé, afin d’opérer leur jonction à Olpes. Il envoya sur-le-champ une partie de son armée préparer des èmbuscades sur la route et occuper à l’avance les positions les plus fortes. Lui-même se tint prêt à marcher avec le reste.

CXI. Pendant ce temps, les Mantinéens et tous ceux qui étaient compris dans la convention sortirent du camp sans bruit, et par petites troupes, sous prétexte d’aller ramasser des légumes et des broussailles. Ils affectaient même d’en recueillir en effet  ; mais, une fois éloignés d’Olpes, ils se retirèrent précipitamment Dès que les Ambraciotes et les autres troupes qui se trouvaient acculées sur ce point s’aperçurent de leur départ, ils s’élancèrent à leur tour, et se mirent à courir pour les rejoindre. Au premier moment, les Acarnanes crurent que tous se sauvaient au même titre et sans convention. Ils se mirent à la poursuite des Péloponnésiens, et comme quelques-uns de leurs généraux vou- laient les arrêter en leur disant que la retraite avait lieu par suite d’un accord, il y en eut qui les frappèrent euxmêmes à coups de javelots, persuadés qu’ils trahissaient. Cependant on laissa ensuite passer les Mantinéens et les Péloponnésiens, mais les Ambraciotes étaient massacrés. De nombreuses contestations s’élevaient, et l’embarras était grand pour savoir qui était

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d’Ambracie ou du Péloponnèse. On en tua environ deux cents  ; les autres se réfugièrent dans l’Agraïde, pays limitrophe[*](Séparé de l’Amphilochie par l’Achéloüs.), et furent bien reçus par Salynthius, roi des Agréens, qui était leur ami.

CXII. Les Ambraciotes de la ville arrivèrent à Idomène  ; on appelle ainsi deux collines élevées. La plus considérable des deux avait été occupée de nuit par les soldats que Démosthènes avait envoyés en avant : ceux-ci avaient prévenu l’ennemi et s’y étaient installés à son insu. Les Ambraciotes, de leur côté, étaient montés les premiers sur la plus petite, et y bivaquèrent. Démosthènes se mit en marche dès le soir, aussitôt après le repas, avec le reste de son armée. Il en prit avec lui la moitié pour occuper les passages  ; l’autre moitié s’avança vers les montagnes de l’Amphiloquie. Au point du jour, il fondit sur les Ambraciotes encore couchés, et tellement éloignés de pressentir l’événement, qu’ils crurent au contraire à l’arrivée des leurs. En effet, Démosthènes avait, à dessein, placé aux premiers rangs les Messéniens, et leur avait ordonné d’adresser la parole à l’ennemi en se servant de l’idiome dorique, afin d’entretenir la sécurité des gardes avancées. D’ailleurs, il faisait encore nuit, et l’on ne pouvait se reconnaître à la vue  ; aussi, à peine fut-il tombé sur leur armée qu’il la mit en fuite. Un grand nombre fut tué sur place  ; le reste s’enfuit précipitamment à travers les montagnes. Mais les chemins étaient interceptés  ; les Amphiloquiens d’ailleurs connaissaient le pays, qui était le leur, et ils avaient contre les hoplites l’avantage d’être

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légèrement armés  ; les Ambraciotes, au contraire, faute de connaître les lieux, ne savaient où se tourner : ils tombaient dans les ravins, donnaient dans les embuscades dressées à l’avance, et y trouvaient la mort. La déroute était partout  ; quelques-uns même, à bout de moyens, se dirigent vers la mer, qui n’est pas fort éloignée  ; ils aperçoivent la flotte athénienne, qui, par hasard, rasait la côte au moment même de l’action, et se précipitent à la nage pour la rejoindre, aimant mieux, sous l’impression de la terreur, mourir, s’il le faut, de la main de ceux qui sont dans les vaisseaux, que sous les coups des barbares Amphiloquiens, leurs plus cruels ennemis. Tel fut le désastre des Ambraciotes  ; ils étaient venus en grand nombre, et bien peu rentrèrent sains et saufs dans leur ville. Les Acarnanes, après avoir dépouillé les morts et dressé des trophées, retournèrent àArgos.

CXIII. Le lendemain, arriva près d’eux un héraut, de la part de ceux des Ambraciotes qui, d’Olpes, s’étaient réfugiés chez les Agréens. Il venait réclamer les corps de ceux qui avaient été tués après le premier combat, lorsque, sans être compris dans la convention, ils étaient sortis avec les Mantinéens et ceux que couvrait le traité. Le héraut, à l’aspect des armes prises sur les Ambraciotes de la ville, s’étonna d’en voir un si grand nombre  ; car il ignorait le dernier désastre et pensait que c’étaient celles de ses compagnons. Quelqu’un lui demanda ce qui l’étonnait et combien ils avaient perdu de monde  ; celui qui fai- sait cette question croyait, de son côté, que le héraut venait de la part de ceux d’Idomène. — Deux cents en tout, répondit celui-ci. — Mais, reprit celui qui

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l’interrogeait, ce ne sont pas là, ce semble, les armes de deux cents hommes, mais de plus de mille. — Alors, dit à son tour le héraut, ce ne sont pas les armes de ceux qui ont combattu avec nous. — Ce sont elles, reprit l’autre, si c’est vous qui avez combattu hier à Idomène. — Hier nous n’avons combattu contre personne, mais bien avant-hier dans notre retraite. — Et nous, c’est hier que nous avons combattu contre ceux-ci, qui étaient venus de la ville d’Ambracie au secours des leurs. A ces mots, le héraut comprit que le secours venu de la ville avait été défait  ; il éclata en gémisse- ments, et, atterré par l’immensité de ce désastre, il se retira aussitôt sans remplir sa mission ni réclamer les morts. Ce fut, en effet, dans tout le cours de cette guerre, la plus grande catastrophe qu’une ville grecque ait éprouvée en aussi peu de jours. Je n’ai pas relaté le nombre des morts, parce que ce qu’on en rapporte n’est pas croyable, eu égard à l’importance de la ville. Ce que je sais, c’est que si les Acarnanes et les Amphiloquiens eussent voulu s’emparer de la ville, conformément à l’avis des Athéniens et de Démosthènes, ils pouvaient la prendre d’emblée  ; mais ils craignaient alors que les Athéniens, maîtres de cette ville, ne devinssent pour eux des voisins trop incommodes.

CXIV. On assigna ensuite le tiers des dépouilles aux Athéniens  ; le reste fut partagé entre les villes alliées. Mais la part des Athéniens fut prise en mer  ; les trois cents armures complètes qu’on voit aujour- d’hui déposées dans les temples de l’Attique avaient été réservées à Démosthènes, qui les rapporta lui-même sur son navire. Cette dernière affaire réparait son désastre d’Étolie, et il put revenir avec plus de sécurité.

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Les Athéniens des vingt vaisseaux retournèrent de leur côté à Naupacte.

Après le départ des Athéniens et de Démosthènes, les Acarnanes et les Amphiloqniens firent, avec les Ambraciotes et les Péloponnésiens réfugiés chez Salyn thius et les Agréens, un accommodement qui les autorisait à sortir d’OEniades, où ils avaient passé en quittant Salynthius. Ils conclurent aussi pour l’avenir un traité d’alliance de cent années avec les Ambraciotes  ; les conditions étaient que les Ambraciotes ne porteraient pas les armes avec les Acarnanes contre les Péloponnésiens, ni les Acarnanes avec les Ambraciotes contre les Athéniens  ; qu’ils se prêteraient un mutuel appui pour la défense de leur territoire  ; que les Ambraciotes rendraient toutes les places et les otages amphiloquiens qu’ils avaient en leur possession  ; enfin qu’ils ne donneraient pas de secours à Anactorium, place ennemie des Acarnanes. Ce traité mit fin à la guerre. Les Corinthiens envoyèrent ensuite à Arnbracie une garnison de trois cents hoplites, sous le commandement de Xénoclidas, fils d’Euthyclès. Ils prirent leur route par l’Épire, et n’arrivèrent qu’avec peine à leur destination. Telle fut l’issue des affaires d’Ambracie.

CXV. Les Athéniens qui étaient en Sicile firent, le même hiver, une descente sur les côtes d’Himéra, de concert avec les Siciliens de l’intérieur, qui envahirent les frontières des Himériens du côté opposé. Ils attaquèrent aussi les îles Éoliennes. A leur retour, ils trou- vèrent à Rhégium Pythodore, fils d’Isolochus, général athénien, nommé, en remplacement de Lachès, au commandement de la flotte. Les alliés de Sicile

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s’étaient rendus auprès des Athéniens, et avaient obtenu un secours plus considérable en vaisseaux, car les Syracusains, étant maîtres du pays, s’indignaient de ce qu’un petit nombre de vaisseaux leur fermât la mer, et se préparaient, en rassemblant leur flotte, à mettre un terme à cet état de choses. Les Athéniens équi- pèrent donc quarante vaisseaux pour les envoyer en Sicile  ; ils voyaient là un moyen d’en finir plus vite avec cette guerre, et une occasion d’exercer leur marine. L’un des généraux, Pythodore, fut envoyé en avant avec un petit nombre de vaisseaux  ; les deux autres, Sophocle, fils de Sostratidès, et Eurymédon, fils de Thuclès, devaient le suivre avec le gros de la flotte, Pythodore, lorsqu’il eut pris le commandement des vaisseaux de Lachès, s’embarqua vers la fin de l’hiver pour attaquer la forteresse des Locriens, déjà prise auparavant par Lachès  ; mais il fut battu par les Locriens, et s’en retourna.

CXVI. Dans le même printemps, un torrent de feu coula de l’Etna, phénomène qui s’était déjà produit précédemment. Il ravagea une partie du territoire des Catanéens qui habitent au pied de l’Etna, la plus haute montagne de la Sicile. On dit que cette éruption eut lieu cinquante ans après la précédente, et qu’il y en eut trois en tout depuis que la Sicile est habitée par les Grecs. Tels sont les événements de cet hiver  ; avec lui finit la sixième année de cette guerre, dont Thucydide a écrit l’histoire.