History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

LXI. « Quand on a le choix, et qu’on est heureux d’ailleurs, c’est une grande folie d’opter pour la guerre ; mais quand on est dans la nécessité ou de subir sur-lechamp le joug étranger, si l’on cède, ou d’affronter le péril pour son salut, le blâme alors est pour celui qui fuit le péril, non pour celui qui le brave. Pour moi, je suis resté le même ; je ne change pas. Vous, au contraire,

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vous avez changé. Après avoir suivi mes avis dans la prospérité, vous vous repentez dans la souffrance ; parce que chacun de vous a le sentiment de ce qu’il souffre actuellement, et que l’utilité de mes avis ne se montre pas encore évidemment à tous, vous vous abandonnez au découragement et vous croyez qne je vous ai mal conseillés. Un grand changement est survenu, il nous a accablés inopinément, et votre âme abattue ne sait plus persister dans ses résolutions. En effet, un mal soudain, inattendu, que rien ne faisait prévoir, enchaîne toutes les forces de l’intelligence. Tel a été précisément pour vous l’effet de vos malheurs, de la peste en particulier. Cependant, citoyens d’une patrie grande et illustre, élevés dans des sentiments dignes d’elle, vous devez savoir supporter avec courage les calamités les plus terribles, et ne pas manquer à votre propre dignité ; car on ne croit pas avoir moins raison d’accuser celui qui, par lâcheté, manque à sa propre gloire, que de haïr celui qui aspire impudemment à se parer de la gloire d’autrui. Bannissez donc le sentiment de vos douleurs privées, pour prendre en main le salut public.

LXII. « Vous craignez peut-être d’avoir beaucoup à souffrir de la guerre, sans être plus avancés pour cela : qu’il vous suffise, à cet égard, de vous rappeler ce que j'ai dit bien des fois en d’autres circonstances, pour prouver que vos craintes ne sont pas fondées. Je vous signalerai un autre point auquel vous ne me paraissez pas avoir jamais songé, et que j’ai moi-même négligé dans mes précédents discours, c’est la grandeur de votre domination. Aujourd’hui même, j’aurais laissé de côté ces considérations qui peuvent paraître

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ambitieuses, si je ne vous voyais abattus outre mesure. Vous croyez ne commander qu’à vos alliés, et moi je déclare que des deux éléments départis à l'homme, la terre et la mer, aussi loin qu’elles s’étendent, il en est un soumis entièrement à votre domination absolue, tant aux lieux où s’exerce actuellement votre puissance, qu’à ceux où vous voudriez la porter encore. Avec les ressources de votre marine actuelle, il n’est personne, ni roi, ni peuple, qui puisse arrêter l’essor de vos flottes. Voilà ce qui fait votre véritable puissance, et non la jouissance de ces maisons et de ces terres dont la perte vous paraît si regrettable. Au lieu de vous affliger outre mesure de cette perte, songez plutôt que ce que vous regrettez n’est, en regard de votre puissance, que la parure et l’ornement de la richesse-, songez aussi que la liberté, si nous la sauvons par nos efforts, nous fera aisément recouvrer ces biens, tandis qu’en se soumettant à un joug étranger, on compromet d’ordinaire même ce qu’on possède. Nos pères n’avaient pas reçu de leurs ancêtres, ils avaient péniblement acquis leur puissance ; ils ont su en outre la garder et nous la transmettre. Sous ce double rapport, ne nous montrons pas inférieurs à eux ; car il est plus honteux encore de se laisser arracher des biens qu’on possède, que d’échouer en cherchant à les acquérir. Marchons donc contre nos ennemis, non-seulement avec con- fiance, mais avec dédain ; l’ignorance heureuse peut produire la confiance, même chez le lâche ; le dédain est le propre de celui qui a l’intime conviction de sa supériorité sur l’ennemi, et c’est là ce qui nous distingue. A fortune égale, l’habileté sûre d’elle-même puise dans ce mépris de l’ennemi une audace plus
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confiante ; elle s’en remet bien moins à l’espérance, ressource extrême dans les situations critiques, qu’à la conscience de ses propres forces, qui est la base la plus sûre d’une saine prévision.

LXIII. « Ce respect qu’inspire notre ville, grâce à l'empire qu’elle exerce, et dont vous êtes tous si fiers, vous devez le lui garantir par vos efforts ; vous devez ou vous soumettre aux fatigues, ou renoncer aux honneurs. Ne croyez pas d’ailleurs qu’une seule chose soit en cause, l’esclavage ou la liberté. Il s’agit de la perte de l'empire et de tous les dangers qu’entraînent les haines contractées dans l’exercice du commandement. Vous en dessaisir n’est plus désormais en votre pouvoir : si quelqu'un, préoccupé pour le moment de ces haines, espère que vous vous ferez un mérite de votre renoncement aux affaires, il se trompe ; car il en est aujourd'hui de votre domination comme de la tyrannie· ; s’en emparer semble injuste ; mais s'en dessaisir est périlleux. Ceux qui donnent de semblables conseils auraient bientôt perdu et l’État qui consentirait à les écouter, et eux-mêmes, à supposer qu’ils vécussent quelque part libres et indépendants. Car pour conserver le repos il faut y associer l’énergie. L’inaction ne convient point à une ville qui commande ; un État soumis à des maîtres trouve seul dans cet te inaction la garantie d’un paisible esclavage.

LXIV. « Ne vous laissez donc pas séduire par de tels conseils ; ne vous irritez pas contre moi, après vous être déclarés avec moi pour la guerre : nos ennemis, dans leur invasion, n’ont fait que ce à quoi on devait naturellement s’attendre, puisqu’on refusait d’obéir à leurs injonctions ; le seul mal qui ait dépassé notre

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attente, c’est le fléau qui est survenu ; et en effet, il a laissé bien loin en arrière toutes les prévisions humaines. Je sais qu’il est en grande partie la cause de ce redoublement de haine contre moi ; et cela n’est pas juste, à moins que vous ne vouliez aussi m’attribuer le bien qui dépasse vos prévisions. Il faut supporter avec résignation les maux que les dieux nous envoient, avec courage ceux que nous font les ennemis. Ces vertus étaient autrefois familières à votre ville ; elle ne doit point dégénérer en vous. Songez que si elle a obtenu partout la plus haute renommée parmi les hommes, c’est en ne se laissant point abattre par le malheur, en prodiguant à la guerre et les soldats et les fatigues. C’est par là que, jusqu’à ce jour, elle a conquis cette immense puissance, dont le souvenir vivra à jamais dans la postérité, même s’il nous arrive jamais de déchoir (car il est dans la nature de toutes choses de décroître). On saura que nous avons possédé la plus vaste domination que jamais peuple grec ait fondée parmi les Grecs ; que nous avons soutenu contre eux, isolés ou réunis, des guerres formidables, et qu’aucune ville n’a égalé en opulence et en grandeur celle où nous avons vécu.

« L’homme indolent pourra critiquer ces avantages ; mais ils exciteront l’émulation de l’homme actif ; et quiconque ne les possède pas en sera jaloux. Quant à être haïs et impatiemment supportés dans le présent, c’est le partage de quiconque a voulu commander aux autres. Encourir la haine en vue des plus glorieux résultats, est d'un esprit sage et judicieux ; car la haine dure peu ; on répand dans le présent un vif éclat ; et on légue à l’avenir une gloire immortelle. Ayez donc en

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vue tout à la fois et votre gloire dans l’avenir et la nécessité d’éviter la honte dans le présent ; votre zèle et votre fermeté en ce moment vous assureront l’un et l’autre. N’envoyez pas de héraut aux Lacédémoniens ; ne vous montrez pas accablés par vos maux actuels ; car, pour les villes comme pour les particuliers, le sublime de la vertu est d’opposer à l’abattement du malheur la pensée la plus ferme et la résistance la plus énergique. »

LXV. Tels étaient les discours par lesquels Périclès s’efforçait de calmer l'irritation des Athéniens contre lui et de donner un autre cours à leurs pensées, tout entières aux douleurs du moment : dans les rapports publics, ils se laissaient ramener par ses paroles, n’en- voyaient plus d’ambassades aux Lacédémoniens et montraient plus d’ardeur pour la guerre. Mais, en particulier, ils s’affligeaient de leurs maux ; le peuple, parce qu’il se voyait privé même du peu qu'il possédait ; les riches, parce qu’ils avaient perdu leurs magnifiques propriétés de campagne, leurs coûteuses constructions et leurs somptueux ameublements. Tous s’irritaient surtout de la guerre, et voulaient la paix. L’irritation générale contre Périclès ne céda que lorsqu’on l’eut condamné à l’amende[*](Cette amende fut de quatre-vingts talents, suivant Diodore, xii, 45. — C’étaitCléon qui l’avait accusé.). Mais, bientôt après, par un caprice familier à la multitude, on le réélut général[*](Il résulte du récit de Diodore (xii, 45) et de Plutarque (Périclès) que c’était un commandement extraordinaire, une sorte de dictature.), et on remit entre ses mains tous les intérêts de l’État ; car déjà les douleurs privées de chacun étaient

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émoussées, et personne ne paraissait autant que lui à la hauteur des besoins de la république. Tout le temps, en effet, qu’il avait été à la tête des affaires pendant la paix, il avait gouverné avec modération et assuré la sécurité générale. La république était par- venue sous son administration à un haut degré de puissance ; une fois la guerre engagée, on vit qu’il avait prévu tout ce qui pouvait en assurer le succès. Il ne survécut que deux ans et six mois[*](Il mourut de la peste ; mais, suivant Plutarque, le mal prit chez lui un caractère particulier ; il languit longtemps et succomba à une sorte d’épuisement général.) au commencement des hostilités ; et, lorsqu’il fut mort, on reconnut mieux encore la justesse de ses prévisions au sujet de la guerre : il avait dit aux Athéniens que s’ils restaient en repos et se contentaient de soigner leur marine, sans chercher dans la guerre un moyen d’étendre leur domination, sans exposer la république à aucun péril, ils auraient le dessus ; sur tous ces points ils firent précisément le contraire ; ils poursuivirent, à leur propre détriment et à celui des alliés, d’autres entreprises[*](L’expédition de Crête, celle de Sicile, etc.) qui paraissaient étrangères à la guerre, et où ils n’eurent d’autre règle que l’ambition de quelques individus et des intérêts privés. La réussite ne procurait guère honneur et profit qu’à des particuliers, tandis que les revers affaiblissaient les ressources de l’État pour la guerre.

Cela se conçoit : Périclès, aussi éminent par son intelligence que par la considération dont il était entouré, supérieur évidemment aux séductions de la vénalité, contenait le peuple par son noble ascendant et se

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laissait bien moins conduire par lui qu’il ne le dirigeait lui-même. Cela tenait à ce que, n’ayant pas acquis sa puissance par des moyens illicites, il ne flattait pas le peuple dans ses discours et savait au besoin lui résister avec autorité et colère. Quand il voyait les Athéniens s’abandonner hors de propos à une insolente confiance, il les ébranlait, les modérait par sa parole ; s’il s’apercevait qu’ils fussent abattus sans raison, il relevait leur courage. Le gouvernement était démocratique de nom ; en réalité le pouvoir était aux mains du premier citoyen[*](Plutarque a relevé ce jugement de Thucydide, dans la vie de Périclès, chap. ix.).

Mais ceux qui lui succédèrent, n’ayant entre eux aucune supériorité bien marquée, et aspirant chacun de leur côté au premier rang, se mirent à flatter le peuple et soumirent l’administration à ses caprices. Il en résulta, comme cela est inévitable dans un grand État, placé à la tête d’une vaste domination, des fautes nombreuses, entre autres l’expédition de Sicile. Le plus grand tort, toutefois, n’était pas de s’être engagé dans cette guerre ; la faute fut à ceux qui, les troupes une fois expédiées, ne s’inquiétèrent plus, après le départ, de ce qui leur était nécessaire ; tout entiers à leurs intrigues privées, aspirant à l’envi à gouverner le peuple, ils laissèrent, faute de secours, les opérations languir, et excitèrent les premières dissensions intestines à Athènes. Cependant , même après le désastre de l’expédition de Sicile et la perte de la plus grande partie de la flotte, alors que déjà la sédition était dans la ville, les Athéniens résistèrent trois ans[*](Le texte τρία ετn doit être fautif ; car le désastre de Sicile eut lieu au mois de septembre 413 ; et Athènes se soumit à Lysandre au mois d’avril 404, ce qui forme presque un intervalle de dix ans.)

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à leurs anciens ennemis, auxquels s’étaient joints les Siciliens et les alliés révoltés, et plus tard Cyrus lui-même, fils du roi, qui fournissait de l’argent aux Lacédémoniens pour leur flotte. S’ils finirent par succomber, ce ne fut que sous leurs propres coups, au milieu des ruines amoncelées par leurs dissensions intestines : tant était supérieure la sagacité de Périclès, qui avait prévu dès lors par quels moyens Athènes pourrait, dans cette guerre, s’assurer une victoire aisée sur les Péloponnésiens.

LXVI. Le même été, les Lacédémoniens et leurs alliés se portèrent, avec cent, vaisseaux, contre l’ile de Zacynthe, située en face de l’Élide. Les habitants sont une colonie achéenne sortie du Péloponnèse, et étaient alors alliés des Athéniens. Mille hoplites lacédémoniens montaient la flotte, commandée par le Spartiate Cnémus. Ils firent une descente et ravagèrent une grande partie de l’île ; mais ils ne purent obtenir sa soumission et se retirèrent.

LXVII. Vers la fin du même été[*](Le même récit se trouve dans Hérodote, vii, 137.), Aristée de Corinthe, Anéristus, Nicolaüs et Stradotémus, ambassadeurs de Lacédémone, et Timagoras de Tégée, partirent pour l’Asie. L’Argien Pollis les accompagnait pour son propre compte[*](Les Argiens étaient alliés des Athéniens et ne pouvaient par conséquent envoyer ostensiblement une mission en Perse.). Ils se rendaient auprès du roi pour solliciter des secours en argent et son alliance. D’abord ils allèrent en Thrace, chez Sitalcès, fils de Terès, afin de le décider, s’il était possible, à abandonner

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l’alliance des Athéniens et à secourir Potidée, assiégée par l’armée athénienne. Ils réclamaient aussi son assistance pour continuer leur voyage et traverser l’Hellespont, afin de se rendre auprès de Pharnace, fils de Pharnabaze, qui devait les faire arriver jusqu’au roi. Il se trouvait alors auprès de Sitalcès des députés athéniens , Léarque fils de Callimaque, et Aminiadès fils de Philémon. Ils engagèrent le fils de Sitalcès, Sadocus, Athénien d’adoption, à leur livrer ces ambassadeurs, sous prétexte que s’ils arrivaient jusqu’au roi, ils nuiraient, autant qu’il serait en eux, à sa patrie adoptive. Sadocus se laissa persuader, et, tandis que les ambassadeurs traversaient la Thrace pour gagner l’embarcation sur laquelle ils devaient passer l’Hellespont, il envoya avec Léarque et Aminiadès des soldats chargés de les arrêter et de les leur livrer. Saisis avant d’avoir pu s’embarquer[*](Hérodote dit aussi qu’ils furent arrêtés au moment de s’embarquer, sur les bords du Pont-Euxin.), ils furent remis aux députés athéniens et conduits à Athènes. Les Athéniens craignant qu’Aristée, s’il venait à s’échapper, ne leur fit encore plus de mal qu'auparavant (car il passait pour l’auteur du soulèvement de Potidée et de l’Épithrace), les mirent tous à mort le jour même de leur arrivée et les précipitèrent dans des fondrières, sans les juger, sans même vouloir les entendre. C’était, à leurs yeux, une représaille des procédés dont les Lacédémoniens avaient pris l’initiative, en tuant et en jetant dans des précipices ceux des Athéniens ou de leurs alliés qu'ils trouvaient naviguant pour leur commerce autour du Péloponnèse ; car au
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commencement de la guerre les Lacédémoniens traitaient en ennemis et massacraient tous ceux qu’ils arrêtaient sur mer, soit alliés des Athéniens, soit neutres.

LXVIII. Vers la même époque, à la fin de l’été, les Ambraciotes, unis à un grand nombre de barbares soulevés par eux, attaquèrent Argos Amphilochique[*](Ambracie et Argos Amphilochique étaient situées à cent quatrevingts stades l’une de l'autre, la première au nord, la seconde à l’est du golfe d’Ambracie, toutes deux à quelque distance dans les terres. On n’est pas d’accord sur leur position exacte.) et le reste de l'Amphilochie. Voici quelle avait été l’origine première de leur haine contre les Argiens : Amphilochus, fils d’Amphiaraüs, avait fondé Argos Amphilochique et colonisé le reste du pays appelé Amphilochie ; ce fut à son retour de Troie que, mécontent de ce qui s’était passé à Argos, il alla s’établir sur le golfe d’Ambracie et donna à la colonie nouvelle le nom de sa patrie. Argos était la ville la plus grande de l’Amphilochie et elle avait de très riches habitants. Mais plus tard, après nombre de générations, de grands désastres accablèrent les Argiens et les forcè- rent à appeler dans leur ville une colonie d’Ambraciotes, voisins de l’Amphilochie. C’est à cette époque qu’ils commencèrent à apprendre des Ambraciotes, admis à partager leur ville, la langue grecque qu’ils parlent aujourd’hui : le reste de l’Amphilochie est barbare. Avec le temps, les Ambraciotes chassèrent les Argiens et restèrent en possession de la ville. Après cet événement, les Amphilochiens se donnèrent aux Acarnanes, et les deux peuples réunis invoquèrent l'appui d’Athènes, qui leur envoya trente vaisseaux, sous le commandement de Phormion. A l’arrivée de

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Phormion, Argos fut emportée de vive force, et les Ambraciotes réduits en esclavage ; Amphilochiens et Acarnanes habitèrent la ville en commun, et de cette époque date l’alliance entre les Athéniens et les Acarnanes. Les Ambraciotes, réduits en servitude, conçurent tout d’abord une violente haine contre les Argiens, et plus tard ils firent, avec les Chaoniens[*](Les Chaoniens occupaient le nord-ouest de l’Epire et passaient pour les plus belliqueux des barbares de ces contrées, répu- tation qu’ils justifièrent assez mal dans leurs rapports avec les Grecs.) et d’autres barbares du voisinage l’expédition dont j’ai parlé. Arrivés près d’Argos, ils se rendirent maîtres du pays et attaquèrent la ville ; mais ils ne purent la prendre et se séparèrent pour rentrer chacun dans leur pays. Tels sont les événements de cet été.

LXIX. L’hiver suivant, les Athéniens envoyèrent autour du Péloponèse vingt vaisseaux, sous la conduite de Phormion. De Naupacte, où il stationnait, il croisait devant Corinthe et le golfe de Crisa, afin d'empêcher que personne ne pût y entrer, ni en sortir. Six autres vaisseaux furent expédiés vers les côtes de Carie et de Lycie, sous le commandement de Mélésandre. Ils devaient lever les contributions et empêcher les pirates péloponnésiens de s’abriter dans ces parages et d’inquiéter la navigation des vaisseaux marchands venant de Phasélis[*](En Lycie.), de la Phénicie, et de toute cette partie du continent. Mélésandre fit une descente en Lycie avec les troupes athéniennes et les alliés qu’il avait embarqués ; mais il fut vaincu, perdit une partie de son armée et périt lui-même dans le combat.

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LXX. Le même hiver, les Potidéates assiégés se trouvèrent hors d’état de tenir plus longtemps. Les incursions des Péloponnésiens dans l’Attique n’avaient pu éloigner les Athéniens de leur ville· ; déjà ils manquaient de vivres ; la faim et la disette les avaient poussés aux plus tristes extrémités, et quelques-uns même s’étaient jetés sur les cadavres. Ils résolurent donc de se rendre et firent proposer une capitulation aux généraux athéniens qui dirigeaient le siége, Xénophon, fils d’Euripide, Estiodore, fils d’Aristoclide, Phanomachus, fils de Callimaque. Ceux-ci acceptèrent les propositions ; ils y furent déterminés par les souffrances de leur armée sur une plage glacée, et par cette considération qu’Athènes avait déjà dépensé au siége deux mille talents[*]( Thucydide fait connaître (iii, 17) l’emploi de ces deux mille talents.). La capitulation portait que les Potidéates, leurs enfants, leurs femmes et leurs alliés sortiraient de la ville, les hommes avec un seul vêtement[*](Cette clause se retrouve dans presque toutes les capitulations ; mais il était très rare qu’on laissât, comme ici, de l’argent pour le voyage.), les femmes avec deux, et qu’ils n’emporteraient pour le voyage qu’une somme déterminée. Ils quittèrent la ville sous la garantie de ce traité, et se réfugièrent dans la Chal- cidique et partout où ils purent s’établir. Les Athéniens firent un crime à leurs généraux d’avoir traité sans leur aveu ; car ils avaient espéré se rendre maîtres de la ville à discrétion. Plus tard ils envoyèrent à Potidée une colonie athénienne qui s’y établit[*](Suivant Diodore, ils y envoyèrent mille colons, qui se partagèrent au sort la ville et son territoire.).

Tels sont les événements accomplis cet hiver. Ici

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finit la seconde année de cette guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

LXXI. L’été suivant[*]( Troisième année de la 87e olympiade (429 ans avant JésusChrist).), les Péloponnésiens et leurs alliés, au lieu d’envahir l’Attique, firent une expédition contre Platée. Archidamus, fils de Zeuxidamus, roi des Lacédémoniens, les commandait. Après avoir assis son camp, il se disposait à ravager le pays, quand les Platéens lui envoyèrent en toute hâte des députés qui lui parlèrent ainsi :

« Archidamus, et vous, Lacédémoniens, l’attaque que vous dirigez contre les Platéens n’est ni juste, ni digne de vous et de vos ancêtres. Car lorsque Pausanias le Lacédémonien, fils de Cléombrote, eut délivré la Grèce de l’invasion des Mèdes, avec le secours des Grecs qui voulurent partager les périls du combat livré près de notre ville, il offrit sur la place publique de Platée un sacrifice à Jupiter libérateur ; là, en présence de tous les alliés réunis, il donna aux Platéens la libre jouissance de leur ville et de leur territoire ; il déclara en même temps que, si jamais personne dirigeait contre eux une agression injuste et tentait de les asservir, tous les alliés présents devraient prendre leur défense, chacun suivant ses forces. Voilà ce que nous ont accordé vos pères, en récompense de notre courage et de notre dévouement au milieu de ces dangers. Et vous, vous faites le contraire : vous venez avec les Thébains, nos ennemis mortels, pour nous asservir. Nous pre- nons à témoin les dieux qui présidèrent alors à nos serments, les dieux de vos pères et ceux de notre pays ;

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nous vous enjoignons de respecter le territoire de Platée, de ne pas violer la foi jurée, et de nous laisser jouir chez nous de l’indépendance que nous a justement octroyée Pausanias. »

LXXII. Ainsi parlèrent les Platéens ; Archidamus leur répondit : « Ce que vous dites est juste, ô Platéens ; mais que vos actions répondent à vos discours. Puisque Pausanias a proclamé votre indépendance, soyez libres et indépendants ; mais aussi contribuez à l’affranchissement des autres, de ceux qui ont alors partagé avec vous les dangers, qui se sont engagés par les mêmes serments, et qui sont aujourd’hui sous le joug des Athéniens. Ces immenses préparatifs et la guerre actuelle n’ont pour objet que leur délivrance et celle des autres Grecs. Le mieux serait de contribuer vous-mêmes à cet affranchissement général, conformément à vos serments ; sinon, demeurez du moins en repos, comme nous vous y avons invités déjà ; occupez-vous de vos propres affaires, et restez neutres ; admettez les deux partis sur le pied de l’amitié, et ne prêtez ni à l’un ni à l’autre aucun appui dans la guerre. Nous n’en demandons pas davantage. »

Telle fut la réponse d’Archidamus. Les députés, après l’avoir reçue, rentrèrent dans la ville et la communiquèrent au peuple. Les Platéens répondirent à leur tour qu’il leur était impossible de faire, sans l’aveu des Athéniens, ce que demandait Archidamus ; que leurs enfants et leurs femmes étaient à Athènes ; que d’ailleurs ils n’étaient pas sans crainte pour leur ville ; car les Athéniens pourraient venir, après le départ des Lacédémoniens, et s’opposer à l'exécution de la convention ; les Thébains, d'un autre côté, se trouvant

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compris dans le traité qui obligeait Platée à recevoir les deux partis, tenteraient peut-être une seconde fois de s’emparer de la ville.

Archidamus s’efforça de les rassurer et ajouta : « Confiez aux Lacédémoniens votre ville et vos maisons , montrez-nous les bornes de votre territoire, faites le compte de vos arbres et de tout ce qui est susceptible de dénombrement, et retirez-vous où vous voudrez tant que durera la guerre. Quand elle sera terminée, nous vous rendrons tout ce que vous nous aurez confié ; jusque-là nous le garderons en dépôt, nous cultiverons vos terres et vous payerons un subside pro- portionné à vos besoins. »

LXXIII. Les députés rentrèrent en ville avec ces propositions, et, après avoir pris l’avis du peuple, ils revinrent déclarer que les Platéens voulaient en conférer avec les Athéniens ; que, s'ils pouvaient leur faire agréer cet arrangement, ils y adhéraient pour leur compte. En attendant ils demandaient une trêve et la promesse de ne pas dévaster leur territoire. Archidamus accorda un armistice pour le temps présumé de la négociation, et n’exerça aucun ravage dans le pays. Les députés se rendirent auprès des Athéniens, conférèrent avec eux, et rapportèrent à leurs concitoyens la réponse suivante : « Platéens, les Athéniens disent que jamais, jusqu’à présent, depuis que nous sommes leurs alliés, ils ne nous ont abandonnés quand on nous a attaqués ; ils ne nous abandonneront pas davantage aujourd'hui, et nous secourront au contraire de tout leur pouvoir. Ils vous demandent, au nom de la foi jurée par vos pères, de ne rien faire qui soit contraire aux traités qui nous unissent. »

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LXXIV. Sur ce rapport des députés, les Platéens décidèrent qu’ils resteraient fidèles aux Athéniens et souffriraient, s’il le fallait, que leur territoire fût ravagé sous leurs yeux. Résignés à tout événement, ils résolurent de ne plus laisser personne sortir de la ville, et répondirent, du haut des murs, qu’il leur était impossible de faire ce que demandaient les Lacédémoniens. Sur cette réponse, le roi Archidamus commença par prendre à témoin les dieux et les héros indigènes, et prononça l’invocation suivante : « Dieux protecteurs de cette contrée, et vous, héros, soyez témoins que nous n’avons pas pris l’initiative d’une injuste agression ; c’est parce que les Platéens ont les premiers renoncé à l’alliance jurée en commun, que nous enva- hissons cette terre où nos pères ont, avec votre appui, triomphé des Mèdes, et que vous avez rendue propice aux combats des Grecs. Et maintenant, quoi qu’il arrive, la justice est avec nous ; car nous avons fait à plusieurs reprises des propositions convenables, et elles ont été repoussées. Permettez que les premiers auteurs de l’injustice soient punis, et que ceux qui exercent de légitimes représailles obtiennent satisfaction. »

LXXV. Après cette solennelle invocation, il disposa son armée pour l’attaque : d’abord il fit couper les arbres et entourer la place de palissades, afin que personne n’en sortît[*]( Cette circonvallation ne pouvait être que provisoire, et n’eût pas offert un obstacle sérieux aux assiégés, s’ils avaient été en nombre suffisant. Ordinairement la circonvallation était une véritable enceinte fortifiée, avec tours, fossés, chemin couvert, etc. ; mais nous avons déjà vu que les Lacédémoniens étaient peu vcrsés dans l’art des siéges ; l’attaque de Platée en est une nouvelle preuve.). On éleva ensuite contre la ville une

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plate-forme, dans l'espoir qu’avec une armée aussi nombreuse occupée à ce travail la place serait bientôt emportée. Avec des bois coupés sur le Cithéron et entrelacés, ils disposèrent sur les deux côtés de la plateforme une sorte d’écharpe, en guise de murs[*]( Il est facile de se faire une idée de ce travail : c’était une sorte de muraille perpendiculaire au mur de la ville et dont les côtés étaient formés de palissades reliées entre elles pour soutenir les terres. Cette plate-forme s’élevait en pente douce jusqu’à la hau- teur du mur, dont elle se rapprochait chaque jour.), afin d'empêcher l’éboulement des matériaux accumulés. Dans leur empressement à terminer ce travail, ils entassèrent du bois, des pierres, de la terre et tout ce qui se trouva sous leur main. Soixante-dix jours et autant de nuits y furent consacrés sans interruption. On se relayait pour prendre du repos ; les uns dormaient ou prenaient leurs repas, tandis que les autres appor- taient les matériaux. Les Lacédémoniens placés à la tête du contingent de chaque ville partageaient la surveillance avec les chefs locaux et pressaient le travail.

Les Platéens, de leur côté, voyant la plate-forme s’élever, construisirent une muraille de bois, la dressèrent sur la partie de l’enceinte qui correspondait aux travaux de l'ennemi, et maçonnèrent l’intérieur avec des briques tirées de maisons voisines. Les pièces de bois leur servaient à relier la maçonnerie, afin que la hauteur de cet ouvrage ne nuisît pas à sa force. L’extérieur était recouvert de cuirs et de peaux brutes, pour protéger les travailleurs et la charpente contre les traits enflammés, et les garantir de toute atteinte. Cette muraille s’élevait à une grande hauteur ; mais

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comme la plate-forme avançait aussi et non moins vite, voici ce dont s'avisèrent les Platéens : ils percèrent leur muraille au point où aboutissait la plate-forme, et se mirent à tirer la terre à l’intérieur[*](Cette brèche devait être pratiquée à la partie inférieure (??) mur, afin d’être masquée par les terres qui déjà venaient s’y (??) puyer.).

LXXVI. Les Lacédémoniens, s’en étant aperçus, remplirent de terre humide des fascines de roseaux et les jetèrent dans la brèche[*](Dans la brèche du mur.), afin qu’on ne pût les enlever comme la terre friable. Les Platéens, arrêtés de ce côté, suspendirent ce travail ; mais ils creusèrent une galerie souterraine qu’ils dirigèrent par conjecture jusque sous la plate-forme, et ils recommencèrent à tirer à eux les matériaux entassés. Les assiégeants furent longtemps à s’en apercevoir. Ils avaient beau ajouter sans cesse à la partie supérieure, le travail n’avançait plus que lentement·, car la plate-forme, minée en dessous, s’affaissait constamment dans le vide. Cependant les Platéens, craignant de ne pouvoir, vu leur petit nombre, arrêter les progrès d’ennemis beaucoup plus nombreux, imaginèrent un nouvel expédient. Ils cessèrent de travailler à la grande construction en face de la plate-forme et élevèrent un nouveau mur en forme de croissant, la partie convexe tournée vers la ville, de manière à relier les deux extrémités du grand ouvrage aux points où la muraille d’enceinte cessait d’ètre exhaussée. Ils pensaient que, si le grand mur venait à être emporté, celui-ci offrirait une nouvelle barrière ; que les ennemis seraient obligés de construire une autre

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plate-forme ; qu’ils auraient alors double travail et bien moins de chances de succès.

Cependant les Péloponnésiens, tout en travaillant à la plate-forme, dirigèrent contre la ville des machines de guerre : l’une d’elles, dressée sur la plate-forme même et dirigée contre le grand ouvrage, en ébranla une portion considérable et inquiéta vivement les assiégés. D’autres machines battaient d’autres points de la muraille. Mais les Platéens, au moyen de câbles armés de lacets[*](L’art des siéges parait avoir avancé bien lentement chez les anciens ; car on trouve dans César (Guerre des Gaules, vii, 22) une description presque identique des procédés d’attaque et de défense : au siége d’Avaricum, les Romains construisent également une plate-forme, battent les murs avec des béliers, etc ; les assiégés, au moyen, de souterrains attirent à eux la terre de la plate-forme ; ils détournent les béliers et les faux avec des lacets.), engageaient la tête des machines et les brisaient en attirant à eux ; ou bien ils attachaient par les deux extrémités d’énormes madriers à de longues chaînes de fer, suspendues elles-mêmes à deux antennes inclinées l’une sur l’autre et s’élevant au-dessus de la muraille ; la poutre étant ainsi placée transversalement, lorsqu’une machine était dirigée contre quelque point, ils la lâchaient en laissant les chaînes libres ; ainsi abandonnée à elle-même, elle tombait de tout son poids et brisait la tête de la machine.

LXXVII. Après cet essai, les Péloponnésiens, voyant que les machines ne leur étaient d’aucune utilité et qu’en face de leur plate-forme s’élevait le mur de renfort, jugèrent, par leur insuccès jusque-là, qu’ils ne pourraient prendre la place de vive force ; ils se dispo- sèrent donc à l’investir d’une enceinte fortifiée. Mais,

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comme la ville était petite, ils voulurent tenter aupa- ravant si, par un vent favorable, il ne leur serait pas possible de l’incendier ; car ils imaginaient toute sorte d’expédients pour s’en emparer à peu de frais et sans un siége régulier. Ils apportèrent des fascines, les jetèrent du haut de la plate-forme, et comblèrent d’abord l’intervalle qui séparait celle-ci de l’enceinte. Cet espace s’étant bientôt trouvé rempli, grace au grand nombre des travailleurs, ils en lancèrent jusque dans la ville, aussi loin qu’ils purent atteindre de la hauteur où ils se trouvaient. Puis ils y jetèrent du soufre et de la poix, et y mirent le feu. Il s’éleva alors un incendie tel qu’on n’en avait jamais vu, du moins allumé par la main des hommes (car on a vu quelquefois, sur les montagnes, des forêts battues par les vents s’enflammer spontanément par le frottement, et brûler tout entières). L’embrasement était immense, et peu s’en fallut que les Platéens, après avoir échappé aux autres périls ne périssent dans les flammes. Jusqu’à une grande distance dans l’intérieur de la ville, il était impossible d’approcher. Si le vent se fût élevé et eût soufflé de ce côté, comme l’avaient espéré les ennemis, c’en était fait des Platéens. On prétend aussi qu’un orage étant survenu à ce moment, une pluie abondante éteignit l’incendie et mit fin au danger.

LXXVIII. Les Péloponnésiens, après l’insuccès de cette nouvelle tentative, congédièrent une partie de leur armée. Ce qui restait fut employé à la construction du mur de siege ; une étendue déterminée fut assignée au contingent de chaque ville. En dedans et en dehors du mur on creusa un fossé, et la terre qu'on en tirait servit à faire des briques. Lorsque le tout fut

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terminé, vers le lever d’Arcturus[*]( Étoile de la constellation du bouvier. — Les anciens avaient coutume de désigner les diverses époques de l’année par le lever ou le coucher de certaines étoiles remarquables, c’est-à-dire par l’époque où elles apparaissent sur notre horizon et par celle où elles cessent d'être visibles. Ils citent fréquemment le lever et le coucher des Pléiades, d’Orion, d’Arcturus. Le lever d’Arcturus cor- respond à peu près à l’équinoxe d’automne, vers le 20 septembre.), des soldats furent laissés à la garde de la moitié du mur (l’autre moitié était gardée par les Béotiens) ; l’armée se retira , et chacun rentra dans son pays.

Les Platéens avaient, tout d’abord, fait passer à Athènes les femmes, les enfants, les vieillards et tous les hommes inutiles ; il ne restait en tout, pour soutenir le siége, que quatre cents soldats, avec quatre- vingt-dix Athéniens, et cent dix femmes pour faire le pain[*](Chez les Romains les femmes étaient aussi chargées de ce soin. Nous savons par Pline que, jusqu’à l’an 630 de la fondation de Rome, il n’y eut pas de boulangers à Rome, que les habitants faisaient eux-mêmes leur pain, et que c’était une des occupations des femmes. Cet usage s’est perpétué chez nous dans les campagnes.). Tel était exactement le nombre des défenseurs de Platée lorque commença le siége ; il n’y avait personne de plus dans l’intérieur, ni hommes libres, ni esclaves.

Telles furent les dispositions prises pour le siége de Platée.

LXXIX. Le même été, pendant l’expédition contre Platée, les Athéniens, avec deux mille hoplites indigènes et deux cents cavaliers, portèrent la guerre chez les Chalcidiens de l’Épithrace et les Bottiéens ; c’était au moment de la maturité des blés ; Xénophon, fils d’Euripide, commandait avec deux autres généraux. Arrivés

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sous Spartolos[*](A l’ouest d’Olynthe.), dans la Bottique, ils ravagèrent les blés. La ville même semblait devoir se soumettre, grâce à quelques partisans qu’ils avaient dans l’intérieur ; mais ceux qui étaient opposés à la reddition, ayant envoyé à l’avance demander des secours à Olynthe, en avaient reçu des hoplites et d’autres troupes pour la garde de la ville. La garnison fit une sortie, et le combat s’engagea sous les murs mêmes de la place. Les hoplites chalcidiens et quelques auxiliaires qui les accompagnaient, vaincus par les Athéniens, rentrèrent dans Spartolos. Mais la cavalerie chalcidienne et les troupes légères défirent la cavalerie et les troupes légères des Athéniens. Avec les Chalcidiens se trouvaient quelques peltastes, mais en petit nombre, du pays nommé Crusis[*](Au fond et à l’est du golfe Thermaïque (golfe de Saloniki).). Le combat était à peine terminé que d’autres peltastes vinrent d’Olynthe à leur secours. Dès que les troupes légères de Spartolos aperçurent ce renfort, leur audace s'en accrut, d’autant plus qu’elles n’avaient pas eu le dessous à la première affaire ; unies à la cavalerie chalcidienne et à ces nouveaux auxiliaires, elles revinrent à la charge contre les Athéniens, et les forcèrent à se replier sur les deux cohortes qu’ils avaient laissées à la garde des bagages. Quand les Athéniens avançaient, l’ennemi cédait le terrain ; s’ils se repliaient, il attaquait vivement et les accablait de traits. La cavalerie chalcidienne, accourant partout où besoin était, contribua surtout à les effrayer par ses charges réitérées, les mit en fuite et les poursuivit au loin[*](Plutarque cite cette défaite Nicias, chap. vii) : « Les Athéniens, sous la conduite de Calliadès et de Xénophon, furent vaincus en thrace par les Chalcidiens. »). Les Athéniens se
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réfugièrent à Polidée, enlevèrent plus tard leurs morts par convention, et retournèrent à Athènes avec le reste de leur armée. Ils avaient perdu dans cette affaire quatre cent trente hommes et tous leurs généraux. Les Chalcidiens et les Bottiéens dressèrent un trophée, enlevèrent leurs morts et se séparèrent pour rentrer chacun chez eux.

LXXX. Le même été, peu après ces événements, les Ambraciotes et les Chaoniens, dans le dessein de bouleverser toute l’Acarnanie et de la détacher d’Athènes, persuadèrent aux Lacédémoniens de faire équiper une flotte par leurs alliés et d’envoyer mille hoplites en Acarnanie. Ils firent valoir auprès d’eux qu’en attaquant de concert, par terre et par mer à la fois, on se rendrait aisément maîtres du pays, les Acarnanes de l’intérieur se trouvant dans l'impossibilité de porter secours à ceux des côtes ; que, maîtres de l’Acarnanie, on s'emparerait de Zacynthe et de Céphallénie, ce qui rendrait plus difficiles les courses des Athéniens autour du Péoloponnèse ; qu’enfin on pouvait espérer prendre aussi Naupacte. Les Lacédémoniens, séduits par cette perspective, expédièrent aussitôt les hoplites et quelques vaisseaux aux ordres de Cnémus, qui commandait encore la flotte[*](Ναύαρχον. Ces fonctions de navarque paraissent avoir eu une grande importance à Sparte ; car Aristote dit (Polit., ii, 7) : « A côté des rois, qui sont des chefs à vie, la navarchie constitue « une espèce de royauté. » On ne sait pas exactement quelle était la durée de ces fonctions.). Ils mandèrent aux alliés de diriger au plus vite sur Leucade les vaisseaux armés. Les Corinthiens surtout montraient beaucoup de zèle,

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Ambracie étant une de leurs colonies[*](C’était le fils de Cypsélus qui avait conduit à Ambracie une colonie de Corinthiens.). A Corinthe, à Sicyone, et dans tous les ports du voisinage, on appareillait. Les vaisseaux de Leucade, d’Anactorium, d’Ambracie, étaient déjà réunis et attendaient à Leucade. Cnémus fit traverser la mer à ses mille hoplites, en trompant la surveillance de Phormion, cantonné à Naupacte avec les vingt vaisseaux athéniens ; cela fait, il organisa aussitôt l’expédition de terre. Dans cette armée on comptait, parmi les Grecs, des Ambraciotes, des Leucadiens, des Anactoriens, et les mille Péloponnésiens que Cnémus avait amenés ; parmi les barbares, mille Chaoniens. Ces peuples n’ont pas de roi et obéissent à des magistrats nommés annuellement. Photys et Nicanor, tous deux de la caste à laquelle sont dévolues ces fonctions, commandaient alors. Avec les Chaoniens marchaient aussi les Thesprotiens, qui ne reconnaissent pas non plus de rois ; venaient ensuite les Molosses[*](Les Molosses habitaient le centre de l’Épire, non loin de Dodone ; les Atintanes confinaient aux barbares Taulantiens (frontières d’Illyrie) ; les Orestes occupaient le versant oriental du Pinde du côté de la Macédoine, et les Paravéens, le versant occidental.) et les Atintanes, sous la conduite de Sabylinthus, tuteur du roi Tarypus, encore enfant ; les Paravéens marchaient avec Orédus leur roi. Mille Orestes, avec l’autorisation de leur roi Antiochus, s’étaient joints aux Paravéens, sous la conduite d’Orédus. Perdicas avait aussi envoyé, à l’insu des Athéniens, mille Macédoniens ; mais ils arrivèrent trop tard.

Cnémus se mit en marche avec cette armée, sans attendre la flotte de Corinthe. En traversant le pays

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des Argiens[*](C’est-à-dire l’Amphilochie ; l’expédition partie du golfe d’Ambracie devait, pour arriver à Stratos, traverser le territoire d’Argos Amphilochique.), ils dévastèrent Limnée, bourg non fortifié. De là ils marchèrent sur Stratos, la plus grande ville de l’Acarnanie, pensant que, s’ils pouvaient d’abord s’en rendre maîtres, il leur serait aisé de soumettre le reste du pays.