History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

I. Ici commence la guerre entre les Athéniens et les Péloponnésiens, assistés de leurs alliés respectifs[*](Il les énumère au chap. ix. — L’an 432 av. notre ère ; 1re année de la 87e olympiade.). Pendant sa durée, les communications n’eurent plus lieu sans l’intermédiaire d’un héraut ; et les hostilités, une fois commencées, se poursuivirent sans interruption. J’ai suivi pas à pas, dans ce récit, l’ordre des événements, par été et par hiver.

II. La trêve de trente ans, conclue après la prise de l’Eubée[*](Elle fut conquise par Périclès ; voir liv. I, ch. 114.), subsista quatorzeans. La quinzième année,— Chrysis exerçait alors le sacerdoce à Argos depuis qua- rante-huit ans[*](Le temple de Junon, dont Chrysis était prêtresse, n’était pas à Argos, mais sur la route d’Argos à Corinthe, à quarante stades de ta première ville. Neuf ans plus tard, Chrysis s’endormit dans . le temple, en laissant sa lampe auprès de bandelettes qui prirent feu ; le temple fut entièrement consumé, et Chrysis s’enfuit à Tégée.), Enésius était éphore à Sparte, et Pythodore avait encore l'archontat pour deux mois[*](Les archontes entraient en charge au mois hécatombéon. La tentative sur Platée tombe donc la 1re année de la 87e olympiade, à la fin du dixième mois, nommé munychion.) à Athènes, — le sixième mois après la bataille de Potidée,

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au commencement du printemps, des Thébains, au nombre d’un peu plus de trois cents, sous les ordres des béotarques[*](Les béotarques, ou chefs de la confédération béotienne, étaient au nombre de onze ; ils formaient ce qu’on appellerait aujourd’hui le pouvoir exécutif, sous le contrôle d’un sénat.) Pythangelus, fils de Philidès, et Diem- porus, fils d’Onétoridès, entrèrent en armes à Platée[*](Sur l’Asopus, à l’ouest de Thèbes, dont elle était distante de soixante-dix stades (environ treize mille mètres).), ville de Béotie, alliée des Athéniens. C’était au moment du premier sommeil. Ce furent des habitants de Platée, Nauclide et ses complices, qui les appelèrent etleur ouvrirent les portes. Ils voulaient, dans des vues d’ambition personnelle, tuer ceux des citoyens qui leur étaient opposés, et soumettre la ville aux Thébains. Cette intrigue avait été concertée avec Eurymaque, fils de Léontiadès, homme très puissant à Thèbes. Les Thébains, en effet, avaient toujours été en différend avec Platée, et, prévoyant la guerre, ils voulaient l’occuper d’avance, pendant que les hostilités n’étaient pas ouvertement déclarées. Aussi leur fut-il d’autant plus facile d’y pénétrer sans être découverts, aucune garde n’étant encore établie. Ils rangèrent leurs armes sur la place, et là, au lieu de suivre le conseil que leur donnaient ceux qui les avaient appelés de se mettre à l’oeuvre sur-le-champ et d’envahir les maisons du parti ennemi, ils curent la pensée de recourir à des proclamations conciliantes, afin d’amener la ville à un accord amiable. Ils firent donc publier par le héraut que ceux qui voudraient entrer dans leur ligue, sur le pied des conventions anciennement faites entre tous les Béotiens, eussent à venir en armes se joindre à eux. Ils
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pensaient que par ce moyen la ville se soumettrait sans difficulté.

III. Quand les Platéens s’aperçurent que les Thébains étaient dans leurs murs, et que la ville avait été surprise, ils furent d’abord saisis de terreur ; car ils croyaient les ennemis beaucoup plus nombreux, la nuit empêchant de distinguer. Ils consentirent donc â traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait et restèrent en repos, avec d’autant moins de difficulté que les Thébains ne faisaient contre personne aucune entreprise hostile. Mais, au milieu de ces pourparlers, ils s’aperçurent que les Thébains étaient en petit nombre et qu’en les attaquant ils pourraient en venir à bout aisément ; car la grande majorité du peuple plaléen ne voulait pas se détacher des Athéniens. L’attaque fut donc résolue : ils se réunirent en perçant les murs mitoyens, afin de n’être pas découverts dans le parcours des rues, mirent en travers des rues des chars dételés, en guise de murailles, et firent, autant que possible, toutes les dispositions qui leur parurent appropriées à la circonstance. Les préparatifs terminés, ils profitèrent du reste de la nuit, et, à l’approche de l’aurore, sortirent de leurs maisons pour l’attaque ; ils avaient calculé qu’au lieu d’avoir à combattre un ennemi enhardi par la clarté du jour et placé dans des conditions égales, ils auraient affaire à une troupe ef- frayée par l’obscurité, et inférieure à eux-mêmes pour la connaissance des lieux. Ils s’élancèrent donc et en vinrent aux mains sans délai.

IV. Les Thébains, dès qu’ils se virent trompes, se concentrèrent, firent face de tous côtés aux attaques, et les repoussèrent deux ou trois fois ; mais quand

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ensuite les Platéens se précipitèrent sur eux à grand bruit ; quand femmes et serviteurs, avec des cris et des hurlements, lancèrent du haut des maisons des tuiles et des pierres ; quand survint en même temps, au milieu des ténèbres, une pluie abondante, la terreur les saisit et ils se mirent à fuir par la ville. Mais, ignorant pour la plupart les passages par où ils pouvaient s’échapper, fuyant dans la boue et dans l’obscurité (on était alors à la fin de la lune), poursuivis d’ailleurs par un ennemi qui leur coupait la retraite grâce à sa connaissance des lieux, beaucoup d’entre eux périrent. Un Platéen ferma la porte par laquelle ils étaient entrés, la seule qui fût ouverte ; il se servit, au lieu de verron, d’un fer de lance au moyen duquel il fixa la barre[*](Les portes se fermaient au moyen d’une barre transversale, qui tournait sur un axe et venait s’emboîter dans les deux montants de la porte. Cette barre était arrêtée par un verrou, un clou ou un crochet, qui la fixait à l’un des battants.). Ainsi, même de ce côté, il n’y avait plus d’issue. Poursuivis par la ville, quelques-uns gravirent le mur et se précipitèrent en dehors ; presque tous périrent. Quelques-uns arrivèrent , sans être aperçus, à une porte non gardée, en brisèrent la serrure avec une hache qu’une femme leur donna, et s’échappèrent ; mais ce fut le petit nombre ; car on ne tarda pas à s’en apercevoir. D’autres périrent dispersés çà et là dans la ville. Le gros des fugitifs, tout ce qui était resté en corps, donna dans un grand bâtiment dépendant de la muraille, et dont l’entrée, placée à leur portée, se trouvait ouverte. Ils prirent cette entrée pour une des portes de la ville et crurent avoir devant eux une issue vers le dehors. Les Platéens, les voyant enfermés,
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délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas dans cette situa- tion, en mettant le feu au bâtiment, ou s’ils prendraient à leur égard quelque autre parti. Enfin ces malheureux capitulèrent et se rendirent à discrétion, eux et leurs armes. Tous ceux qui restaient errants dans la ville en firent autant. Tel fut le sort de ceux qui étaient entrés à Platée.

V. D’autres Thébains étaient en marche, et tout un corps d’armée devait arriver avant la fin de la nuit, pour appuyer ceux qui étaient entrés, s’ils rencontraient quelque difficulté. Ils reçurent en chemin la nouvelle de ce qui s’était passé, et continuèrent à avancer au secours des leurs. Platée est à quatre-vingt-dix stades de Thèbes ; la pluie qui survint la nuit retarda leur marche ; le fleuve Asopus se gonfla et devint difficile à traverser. Ils cheminèrent sous la pluie, ne passèrent le fleuve qu'avec peine, et arrivèrent trop tard ; déjà les leurs étaient ou tués, ou prisonniers. A cette nouvelle, les Thébains songèrent à un coup de main contre ceux des Platéens qui étaient hors de la ville ; car naturellement beaucoup d’habitants, ne pouvant prévoir cette surprise en pleine paix, étaient à la campagne avec leurs effets. Les Thébains voulaient faire quelques prisonniers qui leur répondissent de leurs compatriotes enfermés dans la ville, s’il y en avait à qui on eût laissé la vie. Tel était leur dessein : ils délibéraient encore quand les Platéens, soupçonnant leurs projets et inquiets pour ceux qui étaient au dehors, envoyèrent un héraut leur déclarer que leur tentative sur Platée, en pleine paix, était une violation des lois les plus sacrées ; qu’ils eussent à ne faire aucun mal à ceux du dehors, s’ils ne voulaient que les Platéens missent à mort les

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prisonniers qu’ils avaient entre les mains ; que si, au contraire, ils sortaient du territoire, on s’engageait à les leur rendre. Tel est du moins le récit des Thébains, et ils ajoutent que cette convention fut jurée. Les Platéens prétendent, au contraire, qu’ils ne s’étaient pas engagés tout d’abord à rendre les prisonniers, mais seulement après pourparlers et en cas d’accommodement ; ils nient s’être liés par serment. Les Thébains sortirent donc du pays, sans faire aucun mal. Les Platéens, après avoir rentré en toute hâte ce qui était au dehors, massacrèrent aussitôt leurs prisonniers. Parmi eux se trouvait Eurymaque, avec qui les traîtres s’étaient concertés.

VI. Cela fait, ils envoyèrent un messager à Athènes, rendirent aux Thébains leurs morts par convention, et firent dans la ville toutes les dispositions que parurent exiger les circonstances. Les Athéniens apprirent bientôt ce qui avait eu lieu à Platée, et sur-le-champ ils arrêtèrent tous les Béotiens qui étaient dans l’Attique. En même temps ils envoyèrent un héraut ordonner aux Platéens do ne prendre aucune décision à l’égard des Thébains prisonniers, avant que les Athéniens eussent aussi délibéré sur leur sort ; car leur mort n’avait pas encore été annoncée à Athènes. Le premier courrier étant parti au moment même de l’entrée de Thébains, et le second peu de temps après qu’ils avaient été vaincus et arrêtés, on n’y connaissait rien de ce qui s’était passé ensuite, et c’était dans cette ignorance qu’on avait expédié le message. Quand le héraut arriva, il trouva les Thébains égorgés. Les Athéniens envoyèrent ensuite des troupes à Platée· ; ils y mirent garnison et emmenèrent les hommes inutiles à la défense, ainsi que les femmes et les enfants.

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