History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Le jour suivant, les Athéniens, à partir du retranchement circulaire, entreprirent de fortifier la rampe qui domine le marais, et qui, sur ce flanç des Ëpipoles, fait face au grand port. En suivant la ligne la plus courte, la circonvallation devait descendre cette rampe, pour rejoindre le port à travers le marais et la plaine. Pendant ce temps, les Syracusains sortirent et élevèrent de leur côté, en partant de la ville et en se dirigeant par le milieu du marais, une seconde palissade protégée par un fossé, afin d’empêcher les Athéniens de pousser l’investissement jusqu’à la mer.

Ceux-ci n’eurent pas plus tôt terminé la partie située sur la rampe, qu’ils formèrent le projet d’enlever à son tour cette palissade et son fossé. Ordre fut donné à la flotte de passer de Thapsos dans le grand port de Syracuse. Eux-mêmes, un peu avant le lever du soleil, descendirent des Ëpipoles dans la plaine, traversèrent le marais à l’endroit où il était fangeux et le plus solide, en s’aidant de planches et de claies qu’ils jetaient devant eux. Au point du jour, ils étaient maîtres du fossé et de la palissade, excepté une parcelle qu’ils prirent bientôt après.

Une action s’engagea, dans laquelle les Athéniens furent encore vainqueurs. L'aile droite des Syracusains s’enfuit vers la ville, la gauche vers le fleuve. A l’instant, les trois cents Athéniens d’élite coururent au pont, afin de couper le passage. Les Syracusains eurent un moment de frayeur ; mais, soutenus par le gros de leur cavalerie, ils marchent aux trois cents, les culbutent et les rejettent sur l’aile droite des Athéniens. Ce mouvement répand l’alarme dans l’extrémité de cette aile. Lamachos s’en aperçoit; et, prenant avec lui quelques archers et les Argiens, il se porte de l’aile gauche au secours de la droite ; mais, au moment où il venait de franchir un fossé et se trouvait presque seul avec quelques hommes de son entourage, il est tué, lui et cinq ou six des siens. Les Syracusains réussirent à enlever rapidement leurs cadavres et à les transporter au delà du fleuve en lieu de sûreté ; puis, à l’approche du gros de Tannée athénienne, ils se retirèrent.

A cet aspect, ceux d’entre eux qui d’abord avaient fui vers la ville, reprirent courage et revinrent à la charge contre les Athéniens. En même temps, ils détachèrent quelques-uns

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des leurs pour aller attaquer le retranchement circulaire des Ëpipoles, qu’ils croyaient abandonné. Ils enlevèrent effectivement l'avant-mur, long de dix plèthres [*](Le plèthre, mesure de distance, longue de cent pieds. ) ; mais, quant au retranchement lui-même, Nicias, qu’une indisposition y avait retenu, les empêcha de s’en emparer. Quand il vit que, faute de défenseurs, il ne restait pas d’autre parti à prendre, il ordonna aux valets de mettre le feu aux machines et aux pièces de bois déposées devant le mur. L’expédient réussit ; l’incendie arrêta les Syracusains, qui ne tardèrent pas à battre en retraite; car les Athéniens en force remontaient de la plaine vers le retranchement pour les en déloger. Au même instant, la flotte partie de Thapsos, selon l’ordre qu’ellè avait reçu, faisait son entrée dans le grand port. A cette vue, les Syracusains qui étaient sur la hauteur se replièrent à la hâte, et toute leur armée rentra dans la ville, ne jugeant plus possible, avec les forces actuelles, d’empêcher l’investissement d’être conduit jusqu’à la mer.

Là-dessus les Athéniens érigèrent un trophée, rendirent par composition les morts des Syracusains, et reçurent les cadavres de Lamachos et de ses compagnons. Leurs forces de terre et de mer étant au complet, ils commencèrent à investir Syracuse d’un double mur depuis les Ëpipoles et les pentes escarpées jusqu’à la mer. L’armée recevait des vivres en abondance de tous les points de l’Italie. Il arriva aussi aux Athéniens des renforts de chez les Sicules, qui avaient attendu jusqu’alors pour se prononcer; enfin trois pentécontores tyr-rhéniennes. Tout marchait à souhait. Les Syracusains, ne voyant venir du Péloponèse ni d’ailleurs aucun secours, commençaient à ne plus compter sur le succès de leurs armes. Bs parlaient entre eux d’accommodement, et faisaient des ouvertures à Nicias, qui, depuis la mort de Lamachos, avait seul le commandement de l’armée. Rien ne se concluait; mais, ainsi qu’on peut l’attendre d’un peuple à bout de ressources et toujours plus étroitement cerné, on mettait en avant une foule de propositions, soit auprès de Nicias, soit surtout dans la ville; car le malheur avait semé la défiance entre les citoyens. On retira le commandement aux généraux sous lesquels avaient eu lieu ces revers, imputés à leur trahison ou à leur mauvaise fortune; on élut à leur place Héraclidès, Euclès et Tellias.

Cependant· le Lacédémonien Gylippe et les vaisseaux partis avec lui de Corinthe étaient déjà dans les eaux de Leucade, et faisaient diligence pour gagner la Sicile. Les nouvelles

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qu’ils recevaient étaient alarmantes, quoique toutes égalemént controuvées; elles s’accordaient à représenter Syracuse comme investie en son entier. N’ayant donc plus d’espoir pour la Sicile, mais voulant au moins préserver l’Italie, Gylippe et le Corinthien Pythen, avec deux vaisseaux lacédémoniens et deux de Corinthe, traversèrent en grande hâte le golfe Ionien, le cap sur Tarente. Indépendamment de ces vaisseaux, les Corinthiens en avaient armé dix des leurs, deux de Leucade et trois d’Ambracie, qui devaient suivre plus tard. De Tarente, Gylippe se rendit d’abord, en qualité d’ambassadeur, chez les Thuriens, en s’autorisant de l’ancienne bourgeoisie de son père [*](Cléandridas, père de Gylippe, avait été adjoint au jeune roi Plistoanax pour commander une expédition en Attique (liv. I, ch. cxiv). Accusé à son retour de s'être laissé corrompre par Périclès, il avait été exilé de Sparte et s’était retiré à Thurii, où il avait reçu le droit de cité. Voyez Plutarque, Péricl., xxu, et Diodore, XIII, cvi. ) ; mais, n’ayant pu les persuader, il se rembarqua et côtoya ritalie. Par le travers du golfe Térinéen [*](Le golfe Térinéen (aujourd'hui de Sainte-Euphémie) est situé sur la côte occidentale du midi de l’Italie, dans la mer Tyrrhénienne. Il doit y avoir ici une erreur dans le texte. ), il fut assailli par un vent du nord, qui souffle avec impétuosité dans ces parages, et qui l’emporta en pleine mer. Après avoir longtemps lutté contre la tempête, il regagna Tarente, où il tira ses vaisseaux à sec et répara ses avaries. Instruit de son approche, Nicias méprisa le petit nombre de ses bâtiments, comme avaient fait les Thuriens ; et, le croyant simplement armé en course, il ne prit contre lui aucune précaution.

Vers la même époque, les Lacédémoniens et leurs alliés firent une invasion dans ΓArgolide, dont ils ravagèrent la plus grande partie. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens avec trente vaisseaux. Ce fut la violation la plus flagrante du traité de paix avec Lacédémone. Jusque-là tout s’était borné à des incursions dont Pylos était le point de départ. Si l’alliance avec Argos et Mantinée avait conduit les Athéniens à opérer quelques descentes, c’était moins en Laconie que dans le reste du Péloponèse. Bien qu’à plusieurs reprises les Argiens les eussent pressés de faire une simple apparition en armes sur un seul point de la Laconie, pour repartir aussitôt après y avoir commis avec eux quelques dévastations, ils s’y étaient constamment refusés. Cette fois, sous le commandement de Py-thodoros, de Lespodias et de Démaratos, ils débarquèrent à Ëpidaure-Liméra, à Prasies et sur d’autres points du littoral, où ils exercèrent des ravages. Par là ils fournirent aux Lacédémoniens un excellent prétexte de représailles. Après la retraite des vaisseaux athéniens et l’évacuation de l’Argolide par les Lacédémoniens, les Argiens envahirent le territoire de Phlionte, dévastèrent la campagne et tuèrent quelques habitants: après quoi ils regagnèrent leurs foyers.