History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Délion fut pris dix-sept jours après la bataille. Le héraut athénien, sans rien savoir de ce qui s’était passé, revint peu de temps après pour demander les morts. Cette fois les Béotiens

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ne firent plus difficulté pour les rendre. Leur perte dans le combat fut d’un peu moins de cinq cents hommes; celle des Athéniens de mille, parmi lesquels Hippocratès leur général, sans compter bon nombre de valets et de soldate armés à la légère.

Quelque temps après, Démosthène, qui avait échoué dans son entreprise sur Siphæ où l’on avait pratiqué des intelligences, fit une descente en Sicyonie avec des Acarnaniens, des Agréens, et quatre cents hoplites d’Athènes. Mais, avant que touslesbâti-ments eussent touché terre, les Sicyoniens accoururent et mirent en fuite les soldats débarqués. Ils les poursuivirent jusqu’à la rade, en tuèrent plusieurs et en prirent d’autres vivants. Sur quoi ils dressèrent un trophée et rendirent les morts par composition.

Pendant le siège de Délion, Sitalcès roi des Odryses trouva la mort dans une expédition contre les Triballiens, où son armée fut défaite. Son neveu Seuthès, fils de Spardacos, devint alors roi des Odryses et de tous les pays de Thrace sur lesquels s’étendait la domination de son oncle.

Le même hiver, Brasidas, avec les alliés du littoral de la Thrace, marcha contre Amphipolis, colonie athénienne, située sur le fleuve Strymon. Arist agoras de Milet, fuyant le roiDarius, avait fait un premier essai de colonisation sur l’emplacement de cette ville ; mais il avait été chassé par les Édoniens [*](Comparez Hérodote, liv. V, ch. n etcxxiv. ). Trente-deux ans plus tard, Athènes y envoya dix mille colons, composés d’Athéniens et des étrangers qui voulurent s’y joindre. Ils furent taillés en pièces à Drabescos par les Thraces[*](Voyez liv. I, ch. c. On rapporte généralement la mort d’Aristagoras à l’an 497 av. J. C., l’envoi de dix mille colons athéniens à l’an 465, enfin l’établissement d’Hagnon à l’an 437 av. J. C. ). Au bout de vingt-neuf ans, les Athéniens revinrent sous la conduite d’Hag-non,fils de Nicias. Ils chassèrent les Édoniens, et bâtirent une ville dans le lieu appelé précédemment les Neuf-Voies. Leur point de départ fut Éïon, comptoir maritime qu’ils possédaient à l’embouchure du fleuve, à vingt-cinq stades de la ville actuelle. Hagnon la nomma Amphipolis parce que, voulant achever d’enceindre la place baignée de deux côtés par le Strymon, il ferma d’un long mur l’ouverture du demi cercle décrit par le fleuve, et construisit la ville de manière à ce qu’elle fût aperçue de la meret du continent[*](Le Strymon, après sa sortie du lac Cercinitis, forme un coude ouvert du côté de 1Έ. L’espace circonscrit de la sorte est occupé par une colline, sur les deux penchants de laquelle fut bâtie Amphipolis. Le mur construit par Hagnon formait la corde de l’arc décrit par le fleuve. De cette situation dérive le nom d’Amphipolis (la ville double), parce qu’elle était à cheval sur la colline, partie sur la pente septentrionale et partie^sur la pente méridionale. ).

C’est contre cette place que Brasidas, parti d’Arné en Chalcidique, s’avança avec son armée. Il arriva dans la soirée à Aulon et à Bromiscos, près de l’endroit où le lac Bolbé se déverse dans la mer. Après le repas du soir, il continua sa route pendant la nuit. Le temps était mauvais et neigeux, raison de plus pour accélérer sa marche ; car il voulait dérober son approche

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à ceux des habitants qui Tignoraient. La population d’Amphipolis renfermait un certain nombre d’Argiliens originaires d’Andros, ainsi que d’autres gens qui étaient entrés dans le complot à l’instigation de Perdiccas ou des Chalcidéens; mais les plus chauds partisans de l’entreprise étaient les Argiliens. Habitants du voisinage, ils étaient en mauvais termes avec les Athéniens. Il y avait longtemps qu’en vue de s’emparer d’Am-phipolis, ils avaient noué des intelligences avec leurs concitoyens domiciliés dans cette ville. L’arrivée de Brasidas leur parut le moment d’agir. Ils accueillirent donc ce général dans leurs murs, se déclarèrent en révolte contre les Athéniens, et cette nuit même ils conduisirent l’armée jusqu’au pont jeté sur le fleuve [*](Le pont d’Amphipolis était le seul qui existât sur. le Strymon. Les campagnes des Amphipolitains ôtaient pour la plupart situées au delà du fleuve. Depuis cette époque la ville s’agrandit et atteignit la rive gauche du Strymon. ). La ville d’Amphipolis en est peu éloignée, et à cette époque les murs n’y aboutissaient pas comme aujourd’hui. On n’y tenait qu’un faible poste, que Brasidas n’eut pas de peine à enlever. Secondé à la fois par la trahison, par le mauvais temps et par le mystère de son approche, ü franchit le pont, et se trouva aussitôt maître de tout ce que les habitants possédaient hors des murs.

La surprise causée par cette occupation, l’affluence des gens du dehors qui fuyaient, la nouvelle que plusieurs d’entre eux étaient prisonniers, tout se réunit pour causer dans Amphipolis une alarme d’autant plus vive qu’on n’y était pas sans défiances mutuelles. Aussi assure-t-on que si Brasidas, au lieu de laisser son armée se livrer à la maraude, eût marché sur la ville sans perte de temps, il eût eu chance de la prendre. Mais il s’amusa à camper, à courir la campagne; et, ne voyant rien venir de ce qu’il attendait de l’intérieur, il resta dans l’inaction. Le parti opposé aux traîtres était le plus nombreux. Il empêcha d’ouvrir à l’instant les portes; et, d’accord avec le général athénien Euclès qui avait le commandement d’Amphipolis, il fit demander du secours à l'autre général de l’armée de Thrace. C’était Thucydide, fils d’Oloros, l’auteur de cette histoire. Celui-ci se trouvait alors dans l’île de Thasos, colonie de Paros, à une demi-journée de navigation d’Amphipolis. Sur cet avis, il s’empressa de mettre en mer avec sept vaisseaux qu’il avait sous la main. Il voulait, s’il était possible, prévenir la reddition d’Amphipolis, ou tout au moins s’assurer d’Éïon.

Brasidas redoutait l’arrivée de cette flottille venant de Thasos. Informé que Thucydide possédait dans cette partie de la Thrace une exploitation de mines d’or qui lui donnait la plus grande influence sur toute la contrée[*](Sur les mines situées vis-à-vis de Thasos, voyez liv. I, ch. c. Ces mines appartenaient alors aux Athéniens, qui les affermaient comme les autres branches du revenu public. Thucydide avait peut-être soumissionné l’exploitation, et y employait un grand nombre d’ouvriers. ), il s’empressa de le devancer

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en brusquant l’occupation d’Amphipolis. Il craignait qu’une fois ce général dans leurs murs, les Amphipolitains ne voulussent plus rien entendre, dans l’espoir d’être secourus du côté de la mer par leurs alliés et du côté de la terre par les troupes que Thucydide rassemblerait en Thrace. Brasidas offrit ckmc des conditions modérées. Il fit publier par un héraut que les Amphipolitains et les Athéniens qui se trouvaient dans la ville seraient libres d’y rester, en conservant leurs biens et la jouissance de l égalité civile ; que ceux à qui ces conditions ne convenaient pas auraient cinq jours pour sortir en emportant leurs effets.

Cett j proclamation produisit un effet d’autant plus sensible, qu’il y avait peu d’Athéniens dans la ville ; le surplus se composait d’une population mélangée; les prisonniers du dehors avaient beaucoup de parents dans l'intérieur; enfin les conditions offertes paraissaient équitables dans ce moment d’alarme. Les Athéniens ne demandaient pas mieux que de sortir, parce qu’ils se croyaient plus exposés que les autres et comptaient peu sur un prompt secours ; le reste du peuple se voyait, contre son attente, maintenu dans ses droits et délivré du danger. Déjà les affidés de Brasidas, témoins du changement de la multitude qui avait cessé d’obéir au général athénien alors présent, ne se gênaient plus pour dire qu’il fallait accepter ces offres. La capitulation fut donc conclue, et Brasidas reçu aux termes de sa proclamation. C’est ainsi qu’Amphipolis fut livrée. Ce jour même, vers le soir, Thucydide aborda à Ëïon avec ses vaisseaux. Brasidas venait d’occuper Amphipolis. Il ne s'en fallut que d’une nuit qu’il s’emparât également d’Éïon; car, si la flotte ne s’y était portée avec célérité, au point du jour cette ville était prise.

Après cela Thucydide pourvut à la sûreté d’Éïon/soit pour le moment en la mettant à l’abri d'un coup de main de Brasidas, soit pour la suite en y établissant les habitants de la ville haute qui voulurent y transporter leur domicile en vertu de la capitulation. Pour Brasidas, il se dirigea immédiatement contre Éïon, en descendant le fleuve avec un grand nombre de bateaux. Son dessein était d’occuper la langue de terre qui s’avance en dehors des murs, ce qui l’eût rendu maître de l’entrée du fleuve. En même temps, il fit une tentative par terre; mais, repoussé sur les deux points, il se contenta de mettre Amphipolis en bon état de défense. Myreine, ville d’Édonie, se soumit à lui après-la mort de Pittacos, roi des Édoniens, qui fut

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tué par les fils de Goaxis et par Brauro, sa propre femme. Ga-lepsos et OEsymé, colonies de Thasos, ne tardèrent pas à se soumettre aussi. Perdiccas, qui était venu joindre Brasidas immédiatement après la reddition d’Amphipolis, lui fut d’un grand secours dans ces diverses entreprises.

La perte d’Amphipolis plongea les Athéniens dans une profonde consternation. Cette place était pour eux d’une importance majeure, à cause des bois de construction et des revenus qu’ils en tiraient. Auparavant les Lacédémoniens avaient bien pu, en traversant la Thessalie, pénétrer jusqu’au Strymon pour attaquer les alliés; mais, tant qu’ils n’étaient pas maîtres du pont, ils ne pouvaient franchir ce fleuve, qui forme un vaste lac au-dessus de la ville, et dont l’embouchure, près d’É'ïon, était gardée par des vaisseaux. Désormais il n’y avait plus d’obstacle, et l’on appréhendait la défection des alliés. Brasidas tenait la conduite la plus mesurée ; il allait répétant partout qu’il avait été envoyé pour affranchir les Grecs. Aussi les villes sujettes d’Athènes, informées de la prise d’Amphipolis, des promesses de Brasidas et de sa modération, se montraient-elles disposées à se révolter. On l’appelait en lui envoyant de secrets messages ; c’était à qui s’insurgerait le premier.On croyait n’avoir rien à craindre, et l’on ne se figurait pas la puissance d’Athènes aussi grande qu’elle parut dans la suite ; on la jugeait d’après une passion aveugle et non d’après une saine appréciation. Tels sont les hommes : ils croient volontiers ce qu’ils désirent et ne font usage de leur raisonnement que pour repousser ce qui leur déplaît. Ajoutez à cela l’échec récent des Athéniens en Béotie et les paroles plus séduisantes (pie véridiques de Brasidas, qui prétendait que les Athéniens devant Niséa avaient refusé de se mesurer avec sa seule armée. Aussi les alliés s’enhardissaient, dans la persuasion que nul ne viendrait les attaquer. Le charme de la nouveauté, la pensée quils allaient mettre à l’épreuve le premier élan des Lacédémoniens, les engageaient à tout risquer.

Instruits de ces dispositions, les Athéniens envoyèrent des garnisons dans toutes les villes, autant du moins que le permettaient la brièveté du temps et la rigueur de la saison. Brasidas de son côté sollicita de Lacédémone l’envoi de nouvelles troupes, et se mit en devoir de construire des trirèmes sur le Strymon. Mais les Lacédémoniens ne le secondèrent pas. soit jalousie de la part des principaux citoyens, soit désir de recouvrer leurs prisonniers de l’île et de mettre fin à la guerre.

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Le même hiver, les Mégariens reprirent sur les Athéniens leurs longs murs et les rasèrent. Brasidas, après la prise d' Amphipolis, fît avec ses alliés une expédition contre le pays qu’on appelle Acté [*](Le pays de la côte, presqu’île du mont Athos, entre le golfe Strymonique à 1Έ. et le golfe Singitique à l'O. C'est ce dernier qui est indiqué ici comme regardant l’Eubée. ). C’est une presqu’île qui s’avance dans la mer Égée à partir du canal du Roi [*](c’est le célèbre canal creusé par ordre de Xerxès. Voyez Hérodote, liv. VII., ch. xxii et cxxii. ), et qui se termine par l'Athos, montagne fort élevée. On y compte plusieurs villes : Sané, colonie d’Andros, sur le canal même et tournée vers la mer qui regarde TEubée; Thyssos, Cléones, Acrothoos, Olophyxos, Dion, habitées par un mélange de nations barbares parlant deux langues[*](Peuples bilingues, parlant le grec outre leur langue maternelle. ). On y trouve des Chalcidéens, mais la majeure partie de la population se compose de ces Pélasges-Tyrséniens[*](Les Pélasges tyrséniens ou tyrrhéniens sont les mêmes qui construisirent pour les Athéniens les murailles de l’acropole, et qui, après avoir été expulsés de l’Attique, passèrent à Lemnos, à Imhros, à Scyros et finalement en Thrace. Voyez Hérodote, liv. I. ch. lvii. ) qui jadis habitèrent Lemnos et Athènes, de Bisaltiens, de Cres-toniens et d’Edoniens. Ces peuples sont disséminés dans de petites bourgades, dont la plupart se soumirent à Brasidas. Sané et Dion résistèrent; aussi ravagea-t-il leur territoire en y séjournant avec son armée.

N’ayant pu les réduire, il marcha aussitôt contre Torone en Chalcidique, place occupée par des Athéniens. Il était appelé par quelques citoyens de cette ville, disposés à la lui livrer. Il arriva de nuit, un peu avant l’aube, et prit position près du temple des Dioscures, à trois stades de la ville. La population de Torone et la garnison athénienne ne s’aperçurent pas de son approche; mais ceux qui l’attendaient sortirent furtivement en petit nombre pour épier son arrivée. Dès qu’ils s’en furent assurés, ils introduisirent dans leurs murs sept soldats armés à la légère et munis seulement (Je poignards. Sur vingt qui avaient été désignés à cet effet, ce furent les seuls qui eurent le courage de pénétrer dans la place. Lysistratos d’Olynthe les commandait. Torone est bâtie sur le penchant d’une colline. Ils se glissèrent sans bruit par la muraille voisine de la mer, gravirent jusqu’au poste le plus élevé, massacrèrent les gardes, et enfoncèrent la petite porte qui mène à Can astre on.

Brasidas, après s’être un peu avancé, avait fait halte avec le gros de sa troupe et détaché cent peltastes, qui devaient se jeter dans la ville sitôt que les portes seraient ouvertes et qu’on aurait élevé le signal convenu; mais ce signal se faisait attendre. Etonnés de ce retard, les peltastes s’étaient insensiblement approchés de la ville. Pendant ce temps, les Toronéens entrés avec les sept soldats avaient enfoncé la petite porte et ouvert à coups de hache celle qui conduit à la place publique. Par la première ils introduisirent d’abord quelques soldats, afin

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d’effrayer des deux côtés par leur apparition soudaine les habitants étrangers au complot ; ensuite ils élevèrent, comme on était convenu, le signal de feu, et firent entrer le reste des pel-tastes par la porte de la place publique.

A l’aspect de ce signal, Brasidas s’élance à la course. Son armée se lève en poussant un cri terrible, qui remplit Il ville de stupeur. Les uns pénètrent à l’instant par les portes; les autres escaladent à l'aide de poutres d’équarrissage, qui étaient inclinées contre le mur dégradé et qui servaient à élever des pierres destinées à les réparer. Brasidas avec le gros de l’armée se dirigea incontinent vers le haut de la ville, afin de s’assurer des points culminants. Le reste de ses troupes se répandit en tout sens.

Pendant qu’on prenait la ville, les habitants, dont la plupart ignoraient le complot, étaient en grand émoi. Les traîtres au contraire et ceux qui les approuvaient se joignirent sur-le-champ au corps d’occupation. Une cinquantaine d’hoplites athéniens se trouvaient couchés sur la place publique. A la première alerte, les uns se mirent en défense et périrent les armes à la main ; les autres se sauvèrent ou par terre ou sur deux vaisseaux qui étaient en station. Ils se réfugièrent dans le fort de Lécythos que les Athéniens possédaient, et qui occupe une langue de terre séparée du reste de la ville par un isthme étroit. Ceux des Toronéens qui leur étaient dévoués cherchèrent unasile auprès d’eux.

Le jour commençait à luire et la prise delà ville était un fait accompli, lorsque Brasidas adressa une proclamation aux Toronéens fugitifs, pour les engager à rentrer chez en sans crainte d'être inquiétés. Il fit également sommer les Athéniens d'évacuer Lécythos avec armes et bagages, attendu que cette place appartenait aux Chalcidéens. Les Athéniens répondirent par un refus; mais ils demandèrent un jour de trêve pour enlever leurs morts. Brasidas en accorda deux. Il profita de cet intervalle pour fortifier les maisons voisines; les Athéniens en firent autant de leur côté.

Brasidas convoqua ensuite les Toronéens et leur répéta à pea près ce qu’il avait dit à ceux d’Acanthe : qu'il ne serait pis juste de regarder comme traîtres ou mauvais citoyens ceux qui avaient négocié avec lui ; car ils n’avaient pas agi par intérêt ni dans le but d’asservir leur patrie, mais au contraire, pour assurer son bonheur et sa liberté ; que ceux qui étaient demeurés étrangers à l’entreprise ne devaient pas s’attendre à

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être moins favorisés que les autres ; qu’il n’était venu pour la ruine d’aucune ville ni d’aucun particulier; qu’il avait dans cet esprit adressé une proclamation à ceux qui s’étaient réfugiés auprès des Athéniens et qui, pour leur être attachés, n’avaient point perdu son estime ; qu'il ne doutait pas qu’après avoir fait l’épreuve des Lacédémoniens , ils n’eussent pour eux autant d’affection, si ce n’est plus, en raison de leur droiture ; que leurs craintes actuelles venaiênt de ce qu’ils ne les connaissaient pas. Il les exhorta tous ensemble à être des alliés fidèles. « Désormais, ajouta-t-il, vous répondrez des fautes que vous aurez commises. Pour le passé, nous ne nous plaignons pas ; c’est vous plutôt qui avez droit de vous plaindre de Fop-pression étrangère qui pesait sur vous et qui explique votre résistance précédente. »

Lorsqu’il les eut ainsi tranquillisés et que la trêve fut expirée, Brasidas attaqua Lécythos. Les Athéniens n avaient pour toute défense qu’un méchant rempart et des maisons crénelées ; cependant ils ne laissèrent pas de résister le premier jour. Le lendemain , l’ennemi s’approcha en poussant devant lui une machine destinée à mettre le feu aux retranchements de bois. Les Athéniens, qui s’attendaient à ce qu’elle serait appliquée au point le- plus faible, lui opposèrent une tour de bois, qu’ils élevèrent sur un édifice déjà existant. Ils y transportèrent de grosses pierres avec quantité d’amphores et de jarres pleines d’eau ; enfin beaucoup d’hommes y montèrent; mais tout à coup l’édifice surchargé s’tffondra à grand bruit. Ceux des Athéniens qui étaient proches en conçurent plus de chagrin que de crainte ; mais les autres et surtout les plus éloignés, s'imaginant la ville prise sur ce point, s’enfuirent du côté de la mer et des vaisseau!.

Brasidas, voyant les créneaux abandonnés, accourut avec ses troupes, s’empara aussitôt du rempart, et fit main basse sur tous ceux qu’il y trouva. Les Athéniens montèrent sur des barques et sur des vaisseaux, évacuèrent la place et se retirèrent dans la Pallène. Il y a dans Lécythos un temple de Minerve. Au moment de livrer l’assaut, Brasidas avait fait publier qu’il donnerait trente mines d’argent [*](Deux mille sept cents francs. La mine était une monnaie de compte valant cent drachmes, soit quatre-vingt-dix francs. ) au premier qui escaladerait le mur. Attribuant la prise du fort à une puissance surnaturelle, il déposa les trente mines dans le temple de la déesse ; après quoi il rasa complètement Lécythos et en consacra le territoire à la divinité. U employa le reste de la saison à organiser les villes qu’il avait prises et à former de nouveaux

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plans de conquête. Avec cet hiver se termina la huitième année de la guerre.

Dès le printemps de l’année suivante [*](Neuvième année de la guerre, 423 av. J.-C.), les Lacédémoniens et les Athéniens firent une trêve d’un an. Les Athéniens voulaient par là empêcher Brasidas d’exciter de nouveaux soulèvements dans les villes alliées, avant qu’eux-mêmes fussent en mesure de s'y opposer; ils pensaient qu’au besoin cette trêve pourrait être prolongée. Les Lacédémoniens pénétraient à merveille leurs appréhensions. Ils espéraient qu’après ce répit apporté aux souffrances de la guerre, les Athéniens seraient plus enclins à la terminer par une paix définitive et à leur rendre leurs prisonniers. Ils tenaient essentiellement à les recouvrer pendant que la fortune leur était encore favorable. Ils sentaient bien que, si Brasidas poussait plus loin ses avantages et rétablissait l'équilibre, leurs prisonniers seraient perdus et eux-mêmes contraints de courir les chances de la lutte. Ils conclurent donc, pour eux et pour leurs alliés, la trêve suivante[*](Cet instrument, qui est moins un traité qu'un protocole, est évidemment composé de parties hétérogènes, savoir: d’un avant-projet, comprenant les instructions données aux plénipotentiaires, et dont les différents articles sont insérés textuellement, à mesure qu’ils sont admis par les partis contractantes. Viennent ensuite quelques points additionnels, proposés par les Lacédémoniens d’accord avec leurs alliés; puis le décret d’acceptaiioniah ^.Athènes, puis enfin l’échange des ratifications. ).

« En ce qui concerne le temple et l’oracle d’Apollon Pythien, notre avis est que chacun puisse en user librement, sans dol ni crainte, conformément aux lois de nos pères. — C’est aussi l’avis des Lacédémoniens et de leurs alliés ici présents. Ils s’engagent à faire le.ur possible pour obtenir, par ministère de héraut, l’adhésion des Béotiens et des Phocéens.

« En ce qui concerne les trésors du dieu, nous ne négligerons rien pour en découvrir les spoliateurs, en toute droiture et justice, nous conformant aux lois de nos pères, vous et nous, de même que ceux qui le voudront, tous en conformité des lois de nos pères.

« Les Lacédémoniens et leurs alliés conviennent que, si les Athéniens concluent la trêve, les deux partis demeureront dans leurs limites respectives, les uns et les autres conservant ce qu’ils possèdent présentement. Ceux de Coryphasion[*](La garnison athénienne établie à. Pylos. Le but de cette clause et des suivantes est de faire cesser les courses et brigandages partant- de ces différents points. ) ne dépasseront pas une ligne de démarcation allant de Bouphras à Tomée[*](Localités inconnues, qui devaient être voisines de Pylos. ). Ceux de Cythère ne communiqueront pas avec nos alliés, ni réciproquement. Ceux de Niséa et de Minoa ne dépasseront pas la route qui va de la porte de Nisos[*](Porte de Mégère, située près du» tombeau ou sanctuaire de l’ancien roi Nisos. ) au temple de Neptune et du temple de Neptune directement au pont de Minoa, les Mégariens et leurs alliés ne dépassant pas non plus ladite route ; les Athéniens conservant l’île qu’ils ont prise[*](L’île de Minoa. Vbyerliv. ΙΠ, ch. li. ),

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sans qu’il y ait aucune communication entre eux de part ni d’autre, conservant aussi ce qu’ils possèdent présentement à Trézène[*](La presqu’île de Méthone. Voyez liv. IV, ch. xly. ), conformément à la convention intervenue avec les Athéniens.

« Chacun aura l’usage de la mer le long de son territoire et de celui de ses alliés, les Lacédémoniens et leurs alliés ne naviguant pas avec des vaisseaux longs, mais seulement avec des bâtiments à rames du port de cinq cents talents [*](Manière d’évaluer le tonnage des vaisseaux de charge. Le talent, poids attique, valant trois kil., et le. tonneau mille kil., les bâtiments indiqués ici ne seraient que de quinze tonneaéx, ce qui paraît bien faible. Peut-être s’agit-il d’une mesure maritime plus considérable, mais dont nous ne connaissons pas la valeur. ).

« Les hérauts, ambassadeurs et toutes personnes de leur suite , se rendant à Athènes ou dans le Péloponèse pour traiter de la paix ou pour régler des différends, iront et reviendront, par mer ou par terre, sous assurance de la foi publique.

« Il ne sera reçu pendant la durée de la trêve aucun transfuge, libre ou esclave, ni par vous ni par nous.

« On offrira et on acceptera, de notre part et de la vôtre, les sentences d’arbitres conformément aux lois de nos pères, les litiges étant vidés par voie légale et non par les armes.

« Tel est l’avis des Lacédémoniens etvde leurs alliés. Si vous en avez un meilleur ou plus équitable, venez à Lacédémone nous l’exposer. Aucune des propositions justes que vous pourrez faire ne sera écartée par les Lacédémoniens et leurs allies. Seulement, que ceux qui viendront viennent avec des pleins pouvoirs, comme vous voulez que nous fassions de notre côté.

« La trêve durera une année.

« Le peuple athénien, sous la prytanie de la tribu Acaman-thide, Phénippos étant secrétaire, Niciadès épistate[*](Président de l’assemblée du peuple dans laquelle ce décret avait été rendu. On l’appelait aussi le prytane, parce qu’il était désigné chaque jour par le sort dans la fraction du conseil des Cinq-Cents qui exerçait la prytanie ou présidence. ), sur la proposition de Lâchés, au nom de l’heureuse fortune des Athéniens, a décrété : t De faire un armistice aux conditions énoncées par les Lacédémoniens et leurs alliés. Il a été convenu dans rassemblée que cette trêve sera d’un an à dater de ce jour, quatorzième du mois Élaphébolion[*](Neuvième mois athénien, correspondant à la fin de* mars et au commencement d’avriL ). Que, durant cet intervalle, des députés et des hérauts se rendront chez l’ùn et chez l’autre peuple pour conférer des moyens de terminer la guerre. Que les généraux et les prytanes convoqueront l’assemblée pour consulter avant toute chose les Athéniens sur la question de la paix, lorsqu’il se présentera une ambassade pour la cessation des hostilités. Que l’ambassade actuellement présente s’engagera séance tenante, et par serment, à maintenir la trêve pour le terme d’un an.

« Cette convention faite avec les Athéniens et leurs alliés a été conclue et jurée par les Lacédémoniens et leurs

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alliés le douze du mois Gérastien, style de Lacédémone [*](Ce mois lacédémonien paraît correspondre à la date indiquée en style attique au ahapitre précédent. Gn. voit pareil- lement (liv. V, ch. xix) une double date ajoutée au traité de paix. — Ce chapitre cm est ordinairement considéré comme historique. Cependant l’indication de la date d’après le calendrier lacédémonien et la rédaction générale prouvent qu’il n’est pas l’œuvre de Thucydide, mais que, sauf la dernière phrase, c’est un appendice du traité. ). Ont contracté et fait les libations, pour les Lacédémoniens : Tauros fils d’Ëchétimidas, Athénées fils de Périclidas, Philocha-ridas fils d'Éryxidaïdas ; pour les Corinthiens : Énéas fils d’O-cytos, Euphamidas, fils d’Aristonymos ; pour les Sicyoniens : Damotimos fils de Naucratès, Onasimos fils deMégaclès; pour les Mégariens : Nicasos fils de Cécalos, Ménécratès fils d’Am-phidoros; pour les Ëpidauriens : Amphias fils d’Eupaïdas; pour les Athéniens : les généraux Nicostratos fils de Diitré-phès, Nicias fils de Nicératos, Autoclès fils de Tolméos. »

Tels furent les termes de cette suspension d’armes, durant laquelle il y eut des pourparlers en vue d’une paix définitive.

Dans le temps même qu’avait lieu l’échange des ratifications , Scione, ville située dans lia Pallène, se détacha des Athéniens pour se donner à Brasidas. Les Scionéens se prétendent originaires de Pellène dans le Péîoponèse [*](Une des douze villes de la confédération achéenne. Voyez liv. II, ch. ix, note 1. ). A les entendre, leurs ancêtres, à leur retour de Troie , furent assaillis par la tempête qui dispersa les Grecs , et jetés sur la côte où ils s’établirent. Après leur défection, Brasidas passa de nuit dans leur ville. Il était précédé par une trirème amie, et lui-même suivait à distance dans un bngantin. C’était afin que, s’il rencontrait un bâtiment plus grand que le sien, la trirème prît sa défènse ; et que, s’il se présentait un navire de force égale, il s’attaquât de préférence à la trirème en permettant au brigantin de s’échapper. Arrivé heureusement à Scione, il convoqua les habitants et leur adressa les mêmes discours qu’aux Acanthiens et aux Toronéens. Il ajouta qu’ils méritaient les plus grands éloges, eux qui, enfermés dans la Pallène par les Athéniens qui occupaient Potidée, et réduits pour ainsi dire à l'état d’insulaires, n’avaient pas laissé dé courir au-devant de la liberté, sans attendre timidement que la nécessité les poussât vers leur avantage manifeste; que c’était l’indice du courage avec lequel ils sauraient soutenir les épreuves les plus fortes, une fois leurs affaires réglées selon leurs vœux ; qu’il les regarderait comme les plus fidèles amis de Lacédémone, et qu’il ne manquerait aucune occasion de les honorer.