History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

« Tels sont les titres que nous avons à faire valoir auprès de vous, titres suffisants d’après les lois de la Grèce. De plus, nous pouvons faire appel à votre reconnaissance, et nous autoriser d’un ancien service, dont nous demandons aujourd’hui la réciprocité. N’étant pas vos ennemis, il n’est pas à craindre que nous nous .fassions une arme contre vous de cette reconnaissance, et nous ne sommes pas assez vos amis pour en abuser. Lorsque jadis, antérieurement aux guerres Médiques, vous manquiez de vaisseaux longs pour lutter contre Ëgine, vous en reçûtes vingt des Corinthiens [*](Ce fait est rapporté par Hérodote (VI, lxxxix). Cette guerre d’Egine et d’Athènes se place quatre cent quatre-vingt-onze ans av. J. C., l’année qui précéda la bataille de Marathon. ). Ce service, joint à celui que nous vous rendîmes en empêchant les Péloponésiens de secourir Samos, vous permit de triompher des Éginètes et de punir les Samiens. Or cela se passait dans une de ces circonstances, où les hommes, tout entiers à la poursuite de leurs ennemis, oublient tout pour ne songer qu'à la victoire; ils regardent alors comme ami quiconque les sert, fût-il auparavant leur ennemi, et comme adversaire quiconque les contrarie, fût-ce même un ami ; car ils sacrifient jusqu’à leurs intérêts domestiques pour satisfaire leur passion du moment.

« Réfléchissez à ces faits, et que les plus jeunes d’entre vous, après les avoir vérifiés auprès de leurs aînés, se disposent ï nous payer d'un juste retour. Et qu’on ne s’imagine pas que, si notre cause est légitime, votre intérêt, en cas de guerre, serait différent du nôtre. L’intérêt bien entendu consiste à faire le moins de fautes possible. D’ailleurs, cette perspective de guerre, dont les Corcyréens vous font peur afin de vous décider à une injustice, est encore incertaine ; et il serait peu sage d’encourir pour ce motif, de la part des Corinthiens, une inimitié certaine et immédiate. Mieux vaudrait dissiper les défiances soulevées au sujet de Mégare[*](Il ne s’agit pas ici du décret contre Mégare, qui ne fut rendu que l’année suivante, mais de la défection des Mégariens , qui, à la suite d’une guerre avec Corinthe, avaient quitté l’alliance de Lacédémone pour celle d’Athènes. Les Corinthiens en avaient été fort irrités contre les Athéniens. Voyez üv. I, ch. cm. ) ; un dernier service rendu à propos, quelque léger qu’il soit, suffit pour effacer une offense grave.

« Ne soyez pas séduits par l’offre qu’ils vous font d’une marine puissante. On assure bien mieux sa position en respectant ses égaux qu’en se laissant entraîner, par un apparent avantage, à poursuivre un périlleux avenir.

a Mais puisque nous avons rappelé ce que nous avons dit autrefois à Lacédémone, que chacun a le droit de châtier ses alliés, nous attendons de vous une décision semblable. Obligés par notre suffrage, vous ne voudrez pas nous nuire par le vôtre. Payez-nous plutôt de retour. Songez que c’est ici le moment où celui qui nous sert devient notre ami et celui qui nous

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contrarie notre ennemi. Ne recevez pas malgré nous ces Corcy-réens dans votre alliance et ne les soutenez pas dans leurs injustices. Par là vous ferez ce qu’exigent de vous votre devoir et vos plus chers intérêts. »

Tel fut le discours des Corinthiens. Les Athéniens écoutèrent les deux partis et tinrent à ce sujet deux assemblées. Dans la première ils inclinèrent en faveur des Corinthiens ; dans la seconde ils se ravisèrent. Ils ne voulurent pas conclure avec les Corcyréens une ligue offensive et défensive, parce que, si Corcyre venait à réclamer leur coopération contre Corinthe, le traité avec le Péioponèse se serait trouvé rompu ; mais ils formèrent avec eux une alliance défensive, s’engageant à se secourir mutuellement en cas d’attaque dirigée contre Corcyre, contre Athènes ou contre leurs alliés. On sentait bien que de toute manière on aurait la guerre avec le Péioponèse : aussi voulait-on ne pas abandonner aux Corinthiens une ville qui possédait une si forte marine ; on préférait mettre ces peuples aux prises entre eux, afin d’avoir meilleur marché de Corinthe et des autres puissances navales quand viendrait le moment de les combattre. Enfin Corcyre paraissait favorablement située sur la route de l’Italie et de la Sicile [*](Le trajet de Grèce en Sicile s’opérait en longeant la côte occidentale de la Grèce jusqu’au promontoire Acrocéraunien (cap Linguettà) en Epire. De là on traversait vers la pointe (Tlapygie en Italie (canal d’Otrante), sans perdre de vue la terre. Il était donc naturel que, dans ce trajet, on relâchât à Corcyre. ).

Tels furent les motifs qui déterminèrent les Athéniens à recevoir Corcyre dans leur alliance. A peine les Corinthiens furent-ils partis, qu’on envoya au secours des Corcyréens dix vaisseaux commandés par Lacédémonios, fils de Cimon, par Diotimos, fils de Strombichos, et par Protéas, fils d’Épiclès. Ils eurent ordre de ne pas combattre les Corinthiens, à moins que ceux-ci ne vinssent attaquer Corcyre et ne menaçassent d’une descente cette lie ou quelque place de sa dépendance ; dans ce cas ils devaient s’y opposer de tout leur pouvoir. On voulait, par ce moyen terme, éviter la rupture du traité. Ces dix vaisseaux arrivèrent à Corcyre.

Les Corinthiens, aussitôt leurs préparatifs terminés, firent voile contre Corcyre avec cent cinquante vaisseaux, savoir, dix d’Élis, douze de Mégare, dix de Leucade, vingt-sept d’Ambracie, un d’Anactorion, et quatre-vingt-dix de Corinthe. Chacun de ces contingents avait son général particulier; les Corinthiens en avaient cinq, et entre autres Xénoclès fils d’Eu-thyclès. Partis de Leucade, ils gagnèrent le continent qui fait face à Corcyre, et allèrent mouiller à Chimérion en Thespro-tide. C’est un port au-dessus duquel se trouve, à quelque distance de la mer, une ville nommée Éphyra, appartenant à

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l’Éléatide, district de Thesprotide. Non loin de cette place, le lac Achérusien se décharge dans la mer. Le fleuve Achéron, après avoir traversé la Thesprotide, va se perdre dans ce lac et lui donne son nom. Un autre fleuve, le Thyamis, arrose aussi cette contrée et sépare la Thesprotide de la Cestrine. Dans l’espace compris entre ces deux fleuves, s’avance le cap Chi-mérion [*](D’après ce qui vient d’être dit, il paraît que, près de ce promontoire, était un port du même nom. Strabon (VII, p. 224) mentionne le port Glykys, comme étant situé à l’embouchure de l’Achéron. ). Ce fut sur ce point du continent que les Corinthiens’ abordèrent et qu’ils établirent un camp.

A la nouvelle de leur approche, les Corcyréens équipèrent cent dix vaisseaux commandés par Miciadès, Êsimédèset Euryhatos, et allèrent camper dans une des îles nommées Sybota[*](Il y avait deux endroits distincts, désignés par oe même nom: 1° de petites îles, adjacentes à la côte d’Epire, vis-à-vis de la pointe méridionale de Corcyre; 2° un port sur le continent, dans le voisinage de ces mêmes îles. ). Les dix vaisseaux d’Athènes étaient présents. L’armée de terre, renforcée par mille hoplites de Zacynthe, prit position sur le promontoire de Leucimme. De leur côté, les Corinthiens avaient sur le continent un grand nombre de Barbares auxiliaires; car les habitants de ces. contrées ont de tout temps été leurs amis.

Quand leurs dispositions furent terminées[*](Les apprêts d’un combat naval consistaient principalement à débarrasser les vaisseaux de tout le matériel superflu. On déposait à terre les grandes voiles; car on ne manœuvrait qu’à la rame pendant le combat. ), les Corinthiens prirent des vivfres pour trois jours et quittèrent Chi-mérion pendant la nuit, déterminés à livrer bataille. Ils étaient en mer au lever de l’aurore, lorsqu’ils découvrirent au large la flotte corcyréenne qui s'avançait contre eux. Dès qu’on se fut aperçu, chacune des deux armées se mit en ordre de combat. A l’aile droite des Corcyréens étaient placés les vaisseaux d’Athènes; le reste de la ligne était formé par les Corcyréens eux-mêmes, partagés en trois divisions, dont chacune était commandée par un des trois généraux. Les Corinthiens avaient à leur aile droite les vaisseaux de Mégère et d’Ambracie, au centre le reste de leurs alliés, chacun à son rang ; les Corinthiens eux-mêmes occupaient la gauche avec les bâtiments les plus lestes. Ils se trouvaient ainsi en face des Athéniens et de l’aile droite de la flotte corcyréenne.

Les signaux arborés de part et d’autre[*](Au commencement d’une action navale, l’usage était d’arborer pour signal un drapeau sur la rive voisine, où il restait déployé tant que durait le combat. La même chose avait lieu sur fbrre, quand l’action se passait sous les murs d’une ville. Voyez liv. I, ch. Lxm. ), on se joignit et l’action s’engagea. Des deiix côtés les tillacs étaient couverts d’hoplites, d’archers et de gens de trait, mais rangés suivant l'ancienne tactique et d’une manière défectueuse. On se battait avec acharnement, mais sans art; on eût dit que l’action se passait sur terre. Une fois aux prises, le nombre et l’entassement des vaisseaux ne permettaient pas de se dégager aisément. Toute l’espérance de la victoire résidait dans les hoplites qui garnissaient les ponts, d’où ils combattaient de pied ferme, tandis que les bâtiments restaient immobiles. On ne cherchait

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point à forcer la ligne ennemie[*](Manœuvre favorite des Athéniens. Elle consistait à percer la ligne de bataille, en endommageant les flancs des vaisseaux ennemis, puis à virer de bord pour les attaquer par derrière, en semant le désordre parmi eux. ); mais on apportait au combat plus de courage et de vigueur que d’habileté ; en un mot, ce n'était partout que tumulte et confusion.

Dans ce désordre, les vaisseaux d’Athènes voyaient-ils les Corcyréens pressés, ils accouraient pour intimider les ennemis; mais leurs généraux évitaient de prendre l'offensive, n’osant pas enfreindre leurs instructions. L’aile droite des Corinthiens fut très-maltraitée. Les Corcyréens, avec vingt-trois vaisseaux, la mirent en fuite, la dispersèrent et la poussèrent à la côte; puis, s’avançant jusqu’au camp, ils débarquèrent, brûlèrent les tentes désertes et pillèrent la caisse. Sur ce point, les Corinthiens et leurs alliés étaient donc vaincus et les Corcyréens vainqueurs; mais il en était tout autrement à la gauche, qu'occupaient les Corinthiens eux-mêmes, et où ils avaient un avantage décidé; car les Corcyréens, déjà inférieurs en nombre, étaient encore affaiblis par l’éloignement de leurs vingt vaisseaux détachés à la poursuite des ennemis. Les Athéniens, voyant leurs alliés ébranlés, les secoururent avec moins d’hésitation. Jusque-là ils s’étaient tenus sur la réserve; mais, quand la déroute fut décidée et que les Corinthiens s’acharnèrent sur leurs ennemis, chacun prit part à l’action; tout fut confondu; alors Corinthiens et Athéniens se virent forcés d’en venir aux mains ensemble.

Après la défaite, les Corinthiens ne s’arrêtèrent pas à remorquer les coques des bâtiments coulés; ils ne s’occupèrent que des hommes, et ce fut pour les massacrer bien plus que pour les faire prisonniers. Ignorant la défaite de leur aile droite, ils allaient tuant indistinctement amis et ennemis; comme les deux flottes étaient très-nombreuses et qu’elles couvraient une vaste étendue de mer, il n’était pas facile dans la mêlée de discerner les vainqueurs et les vaincus. Ce fut, pour le nombre des vaisseaux, le combat naval le plus considérable que les Grecs se fussent encore livré entre eux.

Les Corinthiens, après avoir poursuivi les Corcyréens jusqu’à terre, se mirent à rassembler les débris des navires et leurs propres morts. Ils en recueillirent la majeure partie et les amenèrent aux Sybota, port désert de la Thesprotide, où étaient postés les Barbares auxiliaires [*](On peut s’étonner que ce corps auxiliaire n’eût pas été placé par les Corinthiens à la garde de leur camp, pour l’empêcher d’être pillé. Dans l’attente d’une bataille navale, on cherchait à s’assurer de la côte la plus proche, afin de protéger les vaisseaux échoués ou de recueillir les hommes échftppés au naufrage. Comme la flotte corinthienne avait un long trajet à faire pour rejoindre celle des Cor-cyréens, les Barbares avaient dû suivre parallèlement le rivage et se trouvaient par conséquent assez éloignés du campement de la nuit. ). Cela fait, ils se rallièrent et cinglèrent de nouveau contre les Corcyréens. Ceux-ci, craignant une descente sur leur territoire, réunirent ce qui leur restait de bâtiments en état de service, y joignirent ceux qui n’avaient pas combattu, et, accompagnés des vaisseaux athéni

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ens, ils se portèrent à la rencontre de la flotte ennemie. Il était déjà tard et Ton avait chanté le péan [*](U s’agit ici du péan de guerre, hymne martial que les armées grecques chantaient avant le combat et après la victoire. Cette espèce de Marseillaise grecque était l'œuvre de Tynnichos de Chalcis, lequel, ainsi que Rougé Delisle, n’avait fait aucun autre poëme. Ce péan ne s’est pas conservé. Il y en avait un autre qu’on chantait pour invoquer Apollon dans les épidémies. Homère (Π., I, 473) parle de cette dernière espèce de péan, mais jamais de l’autre. Le péan attribué à Aristote et cité par Athénée est de la seconde espèce. ) comme signal d’attaque, lorsque soudain les Corinthiens se mirent à reculer, en voyant s’approcher vingt vaisseaux d’Athènes. C’était un renfort que les Athéniens avaient envoyé après le départ de leur première escadre; ils avaient craint, non sans raison, que les Cor-cyréens ne fussent vaincus, et que leurs dix vaisseaux ne fussent pas suffisants pour les défendre.

Les Corinthièns furent les premiers à découvrir ces vaisseaux; ils soupçonnèrent qu’ils venaient d’Athènes, et, les croyant plus nombreux qu’ils n’étaient, ils reculèrent. Les Corcyréens, moins bien placés pour les apercevoir, s’étonnaient de ce mouvement rétrograde; mais enfin quelques-uns les discernèrent et dirent que c’étaient des vaisseaux qui s’approchaient. Alors eux aussi se replièrent, car le jour commençait à baisser, et les Corinthiens par leur retraite avaient mis fin au combat. Ce fut ainsi qu’ils se séparèrent, et l’engagement se términa à la nuit. Les Corcyréens avaient regagné leur campement sur la pointe de Leucimme, lorsque les vingt vaisseaux athéniens, commandés par Glauoon, fils de Léagros, et par Andocidès, fils de Léogoras, arrivèrent à travers les morts et les débris, peu après avoir été signalés. Comme il était nuit close, les Corcyréens eurent peur que ce ne fût l’ennemi; mais ensuite on les reconnut et ils entrèrent en rade.

Le lendemain, les trente vaisseaux d’Athènes et tous ceux de Corcyre qui étaient encore à flot, cinglèrent versi le port des Sybota, où était mouillée la flotte corinthienne, et lui offrirent le combat. Les Corinthiens levèrent l’ancre et se rangèrent en ligne en avant du rivage ; mais ils se tinrent immobiles, décidés qu'ils étaient à ne pas accepter la bataille, à moins d’absolue nécessité. Ils craignaient le renfort de vaisseaux intacts survenu d’Athènes, sans parler des difficultés qu’ils éprouvaient pour garder à bord leurs prisonniers et pour réparer leurs vaisseaux sur une plage déserte. Ils songeaient donc à effectuer leur retraite, et appréhendaient que les Athéniens, regardant le traité comme rompu à cause de l’engagement de la veille, ne leur fermassent le retour.

Ils résolurent en conséquence de faire monter des gens dans une nacelle et de les envoyer sans caducée [*](Le caducée (baguette de Mercure) était le signe distinctif des hérauts d’armes ou parlementaires. Si les Corinthiens eussent envoyé un de ces derniers, sa personne eût été respectée, conformément au droit des gens, et le but que les Corinthiens se proposaient n’eût pas été atteint. Son retour au camp n’eût pas été la preuve de la non-hostilité des Athéniens. ) auprès des Athéniens, afin de sonder leurs dispositions; ils les chargèrent d’un message conçu en ces termes :

« Athéniens, vous avez tort de commencer la guerre et de

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rompre le traité. Vous mettez obstacle à notre juste vengeance en tournant vos armes contre nous. Si votre intention est de vous opposer à ce que nous fassions voile contre Gorcyre ou ailleurs, à notre volonté, si vous violez ainsi la foi jurée, pre-nez-nous d'abord et nous traitez en ennemis. »

A ces mots, les Corcyréens qui étaient à portée de la voix, s écrièrent qu’il fallait les prendre et les tuer, mais les Athéniens répondirent :

« Péloponésiens, nous ne commençons point la guerre; nous ne rompons point le traité; mais nous sommes venus au secours des Corcyréens nos alliés. Si donc vous voulez aller quelque autre part, nous n’y mettons aucun obstacle; mais si vous menacez Corcyre ou quelqu'une de ses possessions, nous nous y opposerons de toutes nos forces. »

Sur cette réponse, les Corinthiens se disposèrent à retourner chez eux et dressèrent un trophée aux Sybota du continent. Les Corcyréens recueillirent les débris et les morts que la vague et un vent survenu pendant la nuit avaient dispersés et jetés sur leurs rivages. Ils dressèrent à leur tour un trophée aux Sybota de l’île, comme vainqueurs. Ainsi chacun des deux partis s’attribua la victoire: les Corinthiens, parce qu’ils avaient eu l’avantage dans le combat naval jusqu’à la nuit, à telles enseignes qu’ils avaient recueilli la majeure partie des débris et des morts, fait plus de mille prisonniers et coulé près de soixante-dix navires ; les Corcyréens, parce qu’ils en avaient détruit une trentaine, et qu’après l’arrivée des Athéniens, ils avaient recueilli les débris et les morts jetés sur leurs côtes ; parce qu'enfin, la veille, les Corinthiens avaient reculé devant eux à la vue de l’escadre athénienne, et n’avaient pas accepté le combat qui leur était offert. Telles furent les raisons pour lesquelles les. deux 'partis se prétendirent vainqueurs et dressèrent des trophées.

Les Corinthiens, en se retirant, s’emparèrent par surprise d’Anactorion, ville située à l'entrée du golfe d’Ambracie, et qu’ils avaient fondée conjointement avec les Corcyréens. Ils y laissèrent une colonie corinthienne et regagnèrent leurs foyers. Parmi les prisonniers corcyréens se trouvaient huit cents esclaves qu’ils vendirent; mais ils gardèrent prisonniers deux cent cinquante citoyens, et leur prodiguèrent toute espèce de soins, afin qu’à leur retour ils les aidassent à soumettre Corcyre, car la plupart d’entre eux appartenaient aux familles les plus puissantes de cette ville. Ainsi Corcyre échappa aux

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annes de Corinthe, et la flotte athénienne se retira. Ce fut pour les Corinthiens un premier sujet de guerre contre les Athéniens, qui, en pleine paix, s’étaient joints aux Corcyréens pour les combattre.

Bientôt après ces événements, on vit éclore de nouveaux germes de discorde entre les Athéniens et les Péloponésiens. Les Corinthiens aspiraient à se venger des Athéniens; ceux-ci, pressentant leurs intentions hostiles, ordonnèrent à Potidée, ville située sur l’isthme de Pallène et colonie de Corinthe, mais alliée et tributaire d’Athènes, d’abattre la muraille qui regardait la Pallène [*](Presqu’île sur l’isthme de laquelle était bâtie la ville de Potidée. En détruisant le mur de ce côté de la ville, les Athéniens se ménageaient la faculté d’y entrer quand bon leur semblerait, parce qu’ils étaient toujoprs les maîtres de descendre par mer dans la Pallène. ), de livrer des otages, enfin de chasser les épidé-miurges[*](C’étaient probablement des inspecteurs ou commissaires, comme les harmosles des Lacédémoniens, ou comme les magistrats que ceux-ci envoyaient chaque année à Cythère. Voyez liv. IV, ch. un. ) que Corinthe y envoyait chaque année, et de n’en plus recevoir à l’avenir. Ils craignaient que les Potidéates ne se révoltassent à l’instigation de Perdiccas et des Corinthiens, et que leur exemple ne fût suivi par les autres alliés du littoral de la Thraces[*](Désignation ordinaire de la péninsule Chalcidique et de toute la côte septentrionale de la mer Égée jusqu’à Amphipolis. C’est par suite d’un ancien usage que ces pays sont ainsi désignés; car ils étaient plutôt sur les côtes de la Macédoine, la Thrace proprement dite ne commençant à se rapprocher de la mer qu’à l’est du Strymon. Mais anciennement elle s’étendait davantage à ΓΟ. ).

Ces mesures contre Potidée furent prises par les Athéniens immédiatement après le combat naval. Les Corinthiens ne dissimulaient plus leur animosité contre Athènes, et d’un autre côté Perdiccas, fils d’Alexandre et roi de Macédoine, venait de se brouiller avec les Athéniens, après avoir été leur ami et leur allié. Ce qui l’avait indisposé contre eux, c’était Talliance qu’ils avaient conclue avec Philippe son frère, et avec Derdas [*](Neveu de Perdiccas et de Philippe.), qui s’étaient ligués contre lui. Aussi la crainte lui fit-elle envoyer des députés à Lacédémone, afin d’armer le Péloponèse contre Athènes. Il se ménageait aussi les Corinthiens, en vue de la défection de Potidée; enfin il fit faire des propositions de révolte aux Bottiéens et aux Chalcidéens du littoral de la Thrace. Il pensait que la guerre lui serait plus facile, quand il aurait pour alliés ces peuples voisins. Instruits de ces menées, les Athéniens voulurent prévenir les défections; et, comme en ce moment même ils expédiaient trente vaisseaux et mille hoplites contre Perdiccas, ils ordonnèrent à Ar-chestratos, fils de Lycomédès, et aux quatre [*](Le texte porte dix; mais ce chiffre est nécessairement fautif. Le nombre des généraux ordinaires, choisis chaque année par les Athéniens, était de dix, savoir un par tribu. Or, comme il y en aurait eu onze d’après le texte, et qu’au chap. lxi cinq nouveaux sont expédiés, il faudrait admettre la création de six généraux extraordinaires, ce qui serait sans exemple. M. Krüger a donc pensé avec assez de vraisemblance que le texte original portait Δ, c’est-à-dire quatre, chiffre qu’on aura confondu avec δέκα. De cette manière les dix généraux auraient été employés à cette expédition, vu son importance, de même qu’ils l’avaient été à celle de Samos. Voyez liv.I, ch. cxvi. ) autres commandants de cette flotte, de prendre des otages à Potidée, de raser la muraille, et de surveiller les villes voisines pour empêcher leur rébellion.

Les Potidéates envoyèrent une ambassade à Athènes pour obtenir qu’on ne prît pas de mesures nouvelles à leur égard. Ils députèrent aussi à Lacédémone, concurremment avec les

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Corinthiens, afin de s’y ménager des secours à tout événement. Mais, lorsqu’ils eurent reconnu l’inutilité de leurs longues démarches à Athènes, qu’ils virent diriger aussi contre eux la flotte destinée pour la Macédoine, qu’enfin les autorités de Lacédémone leur eurent promis d’envahir l’Attique, si Potidée était attaquée par les Athéniens, alors croyant l’instant propice, ils s’empressèrent de former une ligue avec les Chalcidéens et les Bottiéens et de se mettre en révolte ouverte. Perdiccas persuada aux Chalcidéens d’abandonner leurs villes maritimes, de les détruire et d’aller s’établir loin de la mer, à Olynthe, dont ils feraient leur place d’armes. A ces émigrants il donna, pour toute la durée de la guerre avec les Athéniens, la jouissance de terres à lui appartenant, et situées en Mygdonie, aux environs du lac Bolbé [*](La Mygdonie était une province de la Macédoine, située au N. de la Chalcidique, et détendant depuis le fleuve Axios à l'E., jusqu’au golfe Strymonique à ΓΕ.. Le lac Bolbé (aujourd’hui Beschik) se trouve dans cette province, et communique avec le golfe Strymonique par un canal. ). Ces peuples donc détruisirent leurs villes, se retirèrent dans l’intérieur et se préparèrent à la guerre.

Cependant les trente vaisseaux d’Athènes arrivent sur les côtes de Thrace et trouvent Potidée, ainsi que les places voisines, en pleine insurrection. Les généraux, ne se croyant pas en mesure, avec les forces dont ils disposaient, de combattre à la fois Perdiccas et les villes révoltées, se tournèrent contre la Macédoine, premier but de leur expédition, et tendirent la main à Philippe et aux frères de Derdas, qui de l’intérieur avaient envahi la Macédoine.

Lorsque les Corinthiens apprirent la révolte de Potidée et la présence d’une flotte athénienne dans les eaux de la Macédoine, ils conçurent des craintes au sujet de leur colonie , et, se regardant comme également menacés, ils y firent passer seize cents hoplites et quatre cents peltastes [*](Les peltastes étaient des soldats armés à la légère et destinés à combattre de loin, par opposition aux hoplites, qui se rangeaient en phalange. Leur nom de peltastes venait du petit bouclier échancré (πέλτη) dont la plupart d’entre eux étaient armés. Ils sont fréquemment confondus avec les psiles ou gymnètes, archers, frondeurs, gens de trait et lanceurs de pierres, tous soldats faisant le service de voltigeurs. A Athènes les peltastes n’avaient pas d’armure régulière (IV, xciv); ils n’en reçurent une que du temps d’Iphicrate. ), composés de volontaires de Corinthe et de soldats recrutés à prix d’argent dans le reste du Péloponèse. A la tête de ces troupes était Aristéus, fils d’Adimantos, dévoué de tout temps aux Potidéates. Ce fut par affection pour ce chef que la plupart des volontaires de Corinthe le suivirent. Cette armée fut rendue sur les côtes de Thrace quaraute jours après la révolte de Potidée.