History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

CXXII. Mais à ce moment arrivèrent sur une trirème les délégués chargés de répandre la nouvelle de l’armistice, Aristonymus pour les Athéniens et Athénéus pour les Lacédémoniens. L’armée alors repassa à Torone. Les envoyés firent part à Brasidas de la trêve, et tous les alliés des Lacédémoniens dans la Thrace acceptèrent ce qui avait été fait. Aristonymus donna son assentiment à tout le reste  ; mais, quant aux Scioniens, ayant reconnu par la supputation des jours que leur défection était postérieure à la trêve, il déclara qu’ils n’y étaient pas compris. Brasidas insista longuement pour prouver que la défection était antérieure et refusa de se dessaisir de la ville.

Dès qu’Aristonymus eut rendu compte de l’affaire à Athènes, les Athéniens se montrèrent disposés à aller attaquer Scione. Les Lacédémoniens envoyèrent une ambassade pour leur déclarer que c’était rompre la trêve  ; ils faisaient valoir leurs droits sur la place, d’après les déclarations de Brasidas, et offraient d’ailleurs de s’en remettre sur ce point aux décisions de la justice. Mais les Athéniens, au lieu de courir les chances d’un arbitrage, voulaient sur le champ recourir aux armes, indignés de ce que même des peuples insulaires de fait songeassent à se détacher d’Athènes et comptassent sur la puissance des Lacédémoniens, puissance continentale et dès lors inutile pour eux. Du reste, la vérité sur la défection était plutôt conforme aux prétentions des Athéniens. Ils décrétèrent donc, sur l’avis de Cléon, que Scione serait prise et les habitants mis à mort  ; puis, toute affaire cessante, ils se préparèrent à exécuter le décret.

CXXIII. Sur ces entrefaites, Meude, colonie

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d’Érétrie, dans la presqu’île de Pallène, se détacha des Athéniens. Brasidas la reçut, sans croire manquer à la justice, quoique évidemment elle se fût donnée à lui pendant la trêve  ; car, de son côte, il reprochait aux Athéniens certaines infractions au traité. Les bonnes dispositions qu’on voyait chez Brasidas, et l’exemple de Scione qu’il n’avait pas trahie, accrurent l’audace des Mendéens  ; d’ailleurs, le petit nombre des meneurs ne voulut pas abandonner un projet qui était alors sur le point de s’exécuter : ils craignirent pour eux-mêmes, s’il venait à s’ébruiter, et entraînèrent le peuple contre son gré. A cette nouvelle, les Athéniens, bien plus irrités encore, firent leurs dispositions contre les deux villes. Brasidas, s’attendant à l’arrivée de leur expédition, transporta à Olynthe, dans la Chalcidique, les enfants et les femmes des Scioniens et des Mendéens  ; il leur envoya cinq cents hoplites péloponnésiens et trois cents peltastes chalcidiens, le tout sous le commandement de Polydamidas. Comme les Athéniens ne pouvaient tarder à paraître, les villes, de leur côté, firent en commun leurs dispositions.

CXXIV. Brasidas et Perdicas firent alors de concert une seconde expédition à Lyncos contre Arrhibée. Perdiccas conduisait avec lui les forces de la Macédoine soumise à sa domination, et des hoplites fournis par les Grecs établis dans ses États  ; Perdiccas avait, indé- pendamment des troupes péloponnésiennes disponibles, des Chalcidiens, des Acanthiens et les contingents dés autres villes, suivant leur importance. Il y avait en tout trois mille hoplites grecs. Venait ensuite toute la cavalerie macédonienne, unie à celle des Chalcidiens, et formant un peu moins de mille hommes  ; sans

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compter une multitude de Barbares. Une fois entrés dans les États d’Arrhibée, ils trouvèrent les Lyncestes campés pour les attendre, et campèrent eux-mêmes en face de l’ennemi. De part et d’autre, l’infanterie occu- pait une colline  ; une plaine les séparait : les cavaliers y descendirent des deux côtés, et ce fut entre eux que s’engagea d’abord le combat. Mais bientôt on vit les hoplites des Lyncestes descendre les premiers de la colline au secours de leur cavalerie et s’apprêter à combattre  ; Brasidas et Perdiccas se portèrent alors à leur rencontre, en vinrent aux mains et les mirent en fuite. Beaucoup furent tués  ; le reste se réfugia sur les hauteurs et s’y tint en repos. Après l’action, les vainqueurs dressèrent un trophée et restèrent deux ou trois jours à attendre les Illyriens à la solde de Perdiccas, qui devaient venir le rejoindre. Perdiccas voulait marcher contre les bourgades d’Arrhibée, au lieu de rester dans l’inaction. Mais Brasidas, inquiet pour Mende, et redoutant pour elle quelque malheur, si les Athéniens abordaient avant son retour, goûtait peu ce projet, surtout les Illyriens ne paraissant pas  ; il songeait plutôt à la retraite.

CXXV. Au milieu de ce dissentiment, on annonce que les Illyriens, trahissant Perdiccas, se sont joints à Arrhibée. Tous deux alors se prononcent également pour la retraite, dans la crainte de ce peuple belliqueux  ; mais, par suite de leur désaccord, rien n’est arrêté sur le moment du départ. La nuit étant survenue, les Macédoniens et la foule des Barbares sont pris d’une terreur subite, comme il arrive souvent, sans cause apparente, dans les armées nombreuses  ; ils s’exagèrent le nombre des ennemis qui s’avancent, se figurent

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qu’ils vont paraître à l’instant, et soudain ils se mettent à fuir du côté de leur pays. D’abord Perdiccas ne s’était douté de rien  ; à peine instruit de ce qui se passait, il fut forcé par eux à les suivre, sans même avoir vu Brasidas  ; car il y avait entre leurs camps une grande distance. Brasidas apprit au point du jour le départ précipité des Macédoniens et l’approche des Illyriens unis à Arrhibée : il rassembla ses hoplites, les forma en carré, plaça les troupes légères au milieu, et songea lui-même à la retraite. Pour éviter toute surprise, il disposa en éclaireurs[*](Ἐκδρόμους, des coureurs.) les plus jeunes de ses soldats  ; lui-même, avec trois cents hommes d’élite, ferma la marche, afin de faire face aux premiers ennemis qui viendraient inquiéter la retraite. Avant que l’ennemi fût à portée, il adressa à la hâte cette exhortation à ses soldats.

CXXVI. « Péloponnésiens, si je ne vous supposais inquiets de votre isolement, de l’approche des Barbares et de leur nombre, je me serais contenté de vous exhorter, sans entrer dans aucun autre détail[*](C’est-à-dire, je n’aurais pas songé à vous démontrer que vos ennemis sont peu redoutables.)  ; mais, en présence de l’abandon où nous laissent nos alliés et de la multitude de nos ennemis, je veux joindre à mes exhortations quelques rapides enseignements[*](Sur la situation véritable où ils se trouvent, sur leurs forces et celles des ennemis.), pour vous inspirer les plus héroïques résolutions. La bravoure dont il convient que vous fassiez preuve au combat doit reposer, non sur la présence de tels ou tels alliés, mais sur votre valeur propre  ; et

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jamais ennemi, quelque nombreux qu’il soit, ne doit vous inspirer de crainte. Votre patrie, en effet, n’est pas de celles où la multitude commande au petit nombre  ; c’est le petit nombre, au contraire, qui y gouverne la multitude, et il ne doit sa puissance qu’à sa supériorité dans les combats.

« Quant aux Barbares, que vous redoutez en ce moment, faute de les connaître, votre propre expérience contre les Barbares de la Macédonie, mes conjectures, et des renseignements certains, tout vous montre qu’ils n’ont rien de redoutable. Toutes les fois qu’un ennemi faible en réalité se présente avec une apparence de force, la connaissance exacte de qu’il vaut inspire plus de confiance pour le combattre  ; tandis qu’avec des adversaires d’une valeur réelle on peut, faute de connaître, se laisser emporter trop témérairement. Ces Barbares, quand on ne les connaît pas, sont effrayants à l’approche du combat  ; leur multitude trouble le regard  ; leurs horribles clameurs jettent l’épouvante  ; ce vain brandissement des armes a quelque chose de menaçant  ; mais dans l’action, contre un ennemi qui tient ferme, tout cela s’évanouit. Comme ils ne gardent pas de rangs, ils ne rougissent pas de céder dans un moment pressant  ; avancer et fuir étant choses également méritoires pour eux, le courage même ne saurait être constaté. Dans un combat où chacun ne suit que son caprice, on trouve aisément un prétexte spécieux pour se sauver. Ils trouvent plus sûr de nous épouvanter sans danger pour eux, que d’en venir aux mains  ; car, autrement, c’est par là qu’ils auraient commencé. Vous voyez clairement que ce qui, au premier abord, vous paraît si terrible chez

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eux, est peu de chose en réalité  ; tout cela ne frappe que la vue et les oreilles. Tenez ferme contre cette première impression  ; puis, quand il en sera temps, opérez votre retraite avec ordre et discipline, et vous ne tarderez pas à être en sûreté. Vous saurez désormais ce que vaut une pareille tourbe, lorsqu’on soutient leur premier choc : ils ne savent que faire parade de courage, à distance, avant l’action, et par de vaines menaces  ; mais si on cède devant eux, leur valeur éclate alors, quand il n’y a plus rien à craindre, par l’agilité de leurs pieds et la rapidité de la poursuite. »

CXXVII. Après cette exhortation, Brasidas commença la retraite. Les Barbares, à cette vue, se précipitèrent à grands cris et en tumulte, persuadés qu’il fuyait et qu’il suffisait de l’atteindre pour l’anéantir. Mais quand les éclaireurs firent face partout où ils se présentaient  ; quand ils virent que Brasidas, avec sa troupe d’élite, résistait à leurs attaques  ; que l’armée, après avoir, contre leur attente, reçu leur premier choc, continuait à tenir tête quand ils avançaient et à opérer sa retraite lorsqu’ils cessaient de l’inquiéter, alors ils renoncèrent pour la plupart à attaquer en plaine les Grecs de Brasidas  ; ils laissèrent seulement une partie de leur monde pour les suivre et les harceler  ; les autres coururent à la poursuite des Macédoniens fugitifs et tuèrent tout ce qu’ils rencontrèrent. Ils allèrent occuper à l’avance une gorge étroite entre deux collines, sur la route qui mène aux États d’Arrhibée, sachant qu’il n’y avait pas d’autre issue pour Brasidas. A son approche, ils prirent position tout autour du défilé, dans sa partie la plus difficile, afin de l’envelopper.

CXXVIII. Brasidas, voyant cela, ordonne aussitôt à

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ses trois cents soldats de courir sans ordre, le plus vite possible, à celle des collines qu’il lui semble le plus facile d’enlever, et de tâcher d’en déloger les Barbares qui déjà l’occupent, avant qu’ils l’aient investie en plus grand nombre. Les soldats, s’élançant, chassèrent l’ennemi de la colline. Le reste de l’armée des Grecs y parvint sans peine  ; car les Barbares furent frappés d’épouvante, lorsqu’ils virent que l’ennemi les avait délogés des hauteurs  ; ils renoncèrent à poursuivre les Grecs, qu’ils croyaient arrivés aux frontières et hors de toute atteinte. Brasidas, une fois maître des hauteurs, continua sa retraite avec plus de sécurité et arriva le même jour à Arnissa[*]( Sur le fleuve Erigone, l’un des affluents de l’Axius.)  ; c’était la première ville de la domination de Perdiccas. Les soldats étaient profondément irrités de la retraite précipitée des Macédoniens : lorsqu’ils rencontraient sur la route des attelages de boeufs, ou quelques effets perdus (comme cela était inévitable dans une retraite opérée de nuit au milieu d’une panique), ils dételaient d’eux-mêmes les boeufs, les sabraient, et s’appropriaient les effets. Perdiccas regarda dès lors Brasidas comme son ennemi  ; et par la suite, sans avoir au fond contre les Péloponnésiens une haine durable,—car il redoutait les Athéniens — il chercha tous les moyens, contrairement à ses intérêts les plus positifs[*](Les Lacédémoniens étaient bien moins redoutables, à cause de l’éloignement, qu’une puissance maritime.) pour se réconcilier au plus vite avec Athènes et se débarrasser des Péloponnésiens.

CXXIX. Brasidas, à son retour de Macédonie à

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Torone, trouva les Athéniens déjà maîtres de Mende. Il se tint en repos à Torone et se borna à garder cette place, ne se croyant pas en état de passer à Pallène pour attaquer.

Pendant les événements de Lyncos, les Athéniens, une fois leurs préparatifs terminés, avaient fait voile contre Mende et Scione. L’expédition comptait cinquante vaisseaux, dont dix de Chio, mille hoplites athéniens, six cents archers, mille Thraces soudoyés et des peltastes levés chez leurs alliés du pays. Nicias, fils de Nicératus, et Nicostratus, fils de Diitréphès, la commandaient. Ils s’embarquèrent à Potidée, abordèrent à Posidonium[*]( Sans doute un temple de Neptune, sur le rivage.) et marchèrent contre Mende. Les habitants, avec trois cents Scioniens venus à leur secours et les auxiliaires péloponnésiens, sortirent sous la conduite de Polydamidas, et s’établirent sur une colline, hors de la ville, dans une forte position. Nicias, à la tête de cent vingt Méthoniens légèrement armés, de soixante hommes d’élite pris parmi les hoplites athéniens et de tous les archers, tenta l’escalade, en suivant un sentier de la colline  ; mais il fut accablé de traits et ne put forcer le passage. Nicostratus tenta également de gravir la colline avec tout le reste de l’arméè par un chemin plus éloigné et fort escarpé  ; mais il fut mis dans le plus grand désordre, et peu s’en fallut que toute l’armée athénienne ne fût vaincue. Les Mendéens et leurs alliés ayant tenu ferme pendant cette journée, les Athéniens opérèrent leur retraite et campèrent. La nuit venue, les Mendéens rentrèrent dans la ville.

CXXX. Le jour suivant, les Athéniens, tournant la

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côte, abordèrent à la plage qui regarde Scione, prirent le faubourg, et tout le jour ravagèrent le pays, sans que personne sortît contre eux  ; car il y avait quelque sédition dans la ville. Les trois cents Scioniens rentrèrent chez eux la nuit suivante. Le lendemain, Nicias avec la moitié de l’armée s’avança vers la frontière des Scioniens et ravagea le pays. En même temps, Nicostratus, avec le reste des troupes, s’établit devant Mende, du côté de la porte supérieure qui mène à Potidée. Les Mendéens et leurs auxiliaires étaient postés du même côté, en dedans du mur. Polydamidas venait de les ranger en bataille et les exhortait à faire une sortie, lorsqu’un homme de la faction populaire le contredit, dans une intention séditieuse, déclarant qu’il ne sortirait pas et qu’il ne fallait pas combattre. Polydamidas, irrité de cette opposition, porta vivement la main sur lui, le tira et le secoua avec violence : aussitôt le peuple exaspéré prit les armes, courut sur les Péloponnésiens et sur ceux qui s’étaient ligués avec eux contre lui, se précipita sur eux et les mit en fuite. Les Péloponné- siens, surpris de cette soudaine attaque, voyant d’ailleurs les portes s’ouvrir aux Athéniens, furent saisis d’épouvante  ; car ils crurent que ce coup de main avait été prémédité avec les ennemis. Ceux qui ne furent pas tués sur place se réfugièrent à la citadelle qui était en leur pouvoir. L’armée athénienne tout entière se précipita sur Mende (car Nicias, de retour de son excursion, était aussi sous les murs)  ; et comme les portes n’en avaient pas été ouvertes par capitulation, elle fut mise au pillage, comme une ville prise d’assaut. Les généraux curent même grand’peine à empêcher le massacre des habitants. Ils ordonnèrent ensuite aux Mendéens
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de se gouverner suivant leurs lois, et de juger euxmêmes ceux qu’ils regarderaient comme les auteurs de la défection. Ils investirent des deux côtés ceux qui étaient dans la citadelle au moyen d’une muraille prolongée jusqu’à la mer, et y mirent des gardes. Mende soumise, ils marchèrent contre Scione.

CXXXI. Les habitants et les Péloponnésiens sortirent à leur rencontre et s’établirent, en avant de la ville, sur une colline naturellement fortifiée, qu’il fallait nécessairement prendre pour investir la place. Les Athéniens l’attaquèrent de vive force et refoulèrent ceux qui la défendaient  ; ils campèrent, alors, élevèrent un trophée et se disposèrent à entourer la place d’une muraille. Peu après, les travaux étant déjà commencés, les auxiliaires assiégés dans la citadelle de Mende forcèrent la garde du côté de la mer et arrivèrent de nuit. Ils échappèrent pour la plupart aux Athéniens campés devant Scione et entrèrent dans la place.

CXXXII. Pendant les travaux de circonvallation devant Scione, Perdiccas conclut, par l’intermédiaire d’un héraut, un accord avec les généraux athéniens. Il avait, sans tarder, entamé cette négociation en haine de Brasidas, à propos de la retraite de Lyncos. Le Lacédémonien Ischagoras était alors sur le point d’amener par terre une armée à Brasidas. Perdiccas, pressé par Nicias, après la conclusion de l’accord, de donner aux Athéniens quelque preuve évidente de sa fidélité, et désirant personnellement interdire aux Péloponnésiens l’entrée de son pays, s’adressa aux hommes les plus puissants de la Thessalie, avec lesquels il avait été de tout temps en bons rapports : par leur moyen il arrêta la marche de l’armée et les préparatifs :

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car les Lacédémoniens ne voulurent pas tenter d’avoir affaire aux Thessaliens. Cependant Ischagoras, Aminias et Aristée se rendirent personnellement au près de Brasidas : ils étaient envoyés parles Lacédémoniens pour observer l’état des choses, et amenaient de Sparte des jeunes gens auxquels on devait, contrairement à la loi[*](La loi ne permettait pas d’arriver aux charges avant trente ans.), donner le commandement des villes[*](Il s’agit ici des villes qui se détachaient d’Athènes pour se donner aux Lacédémoniens.), pour ne plus le confier à des hommes pris au hasard. Cléaridas, fils de Cléonymus, eut le gouvernement d’Amphipolis, et Épitélidas, fils d’Hégésander, celui de Torone.

CXXXIII. Le même été, les Thébains démolirent les murailles de Thespies, qu’ils accusaient d’être favorable aux Athéniens : ils avaient eu de tout temps ce dessein  ; mais l’exécution en était devenue plus facile depuis que Thespies avait perdu dans le combat contre les Athéniens[*](A Délium.) la fleur de sa jeunesse. Le temple de Junon, à Argos, fut incendié le même été : la prêtresse Chrysis, ayant placé près d’une guirlande une lampe allumée, se laissa surprendre par le sommeil  ; l’incendie gagna sans qu’on s’en aperçût, et tout fut consumé. Chrysis, craignant la colère des Argiens, s’enfuit la nuit même à Phlions. Ils établirent, suivant la loi, une autre prêtresse, du nom de Phaïnis. Il y avait huit ans et demi que la guerre était commencée, quand Chrysis prit la fuite. A la fin de l’été, la circonvallation de Scione fut entièrement terminée. Les Athéniens y laissèrent garnison et rentrèrent avec le reste de leur armée.

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CXXXIV. L’hiver suivant, les Athéniens et les Lacédémoniens se tinrent en repos, en observation de la trêve. Les Mantinéens et les Tégéates, avec leurs alliés respectifs, en vinrent aux mains, à Laodicéum, dans l’Orestide  ; la victoire resta indécise. Chacun des deux peuples enfonça l’aile qui lui était opposée  ; et tous deux dressèrent un trophée et envoyèrent des dépouilles à Delphes. Le nombre des morts fut considérable des deux côtés  ; le combat se soutenait sans désavantage de part et d’autre, quand la nuit y mit fin. Les Tégéates passèrent la nuit sur le champ de bataille et élevèrent aussitôt un trophée  ; les Mantinéens se retirèrent à Boucolion et ce ne fut qu’ensuite qu’ils en dressèrent un à leur tour.

CXXXV. L’hiver finissait et on touchait au printemps, lorsque Brasidas fit une tentative sur Potidée. Il s’en approcha de nuit et appliqua une échelle sans être aperçu  ; il avait profité du moment où la son- nette[*](Les gardes, à certaines heures de la nuit, se transmettaient de main en main une sonnette  ; c’était un moyen de s’assurer qu’ils veillaient.) passe  ; et, pendant que la sentinelle la transmettait à son voisin, il avait, avant son retour, appliqué l’échelle à l’endroit qu’elle laissait libre. Cependant, l’éveil ayant été donné avant l’escalade, il ramena promptement son armée sans attendre le jour. Avec l’hiver finit la neuvième année de cette guerre, dont Thucydide a écrit l’histoire.

fin du premier volume.