History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

XCVIII. Sitalcès, roi d’une aussi vaste contrée,

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organisa son armée, et, les préparatifs terminés, se mit en marche pour la Macédoine. Il traversa d’abord ses États, ensuite le Cercine, montagne déserte qui sépare les Sintes des Péoniens ; il le franchit par une route qu'il avait précédemment ouverte lui-même, en coupant les forêts, dans son expédition contre les Péoniens. Dans cette traversée de la montagne, au sortir du pays des Odryses, il avait à droite la Péonie, à gauche les Sintes et les Mèdes. Lorsqu’il l’eut franchie, il arriva à Dobères de Péonie[*](Sur l’un des affluents de l’Axius. En s’avançant ainsi au nord, au lieu de pénétrer tout d’abord dans la basse Macédoine, Sitalcès avait sans doute pour but de rallier à son armée tous les montagnards indépendants. Cette tactique lui réussit.). A part quelques hommes emportés par les maladies, son armée, loin de faire aucune perte dans cette marche, s’accrut au contraire ; car un grand nombre de Thraces indépendants se joignirent spontanément à lui, dans l’espoir du pillage. Aussi dit-on que l’ensemble de cette armée ne s'élevait pas à moins de cent cinquante mille hommes, fantassins pour la plupart, la cavalerie y entrant au plus pour un tiers. C’étaient les Odryses eux-mêmes, et après eux les Gètes, qui avaient fourni la majeure partie de la cavalerie ; parmi les fantassins, les plus belliqueux étaient les montagnards indépendants descendus du Rhodope et armés de coutelas ; venait ensuite une multitude mêlée, redoutable surtout par le nombre.

XCIX. Les troupes réunies à Dobères se disposèrent à descendre des hauteurs dans la basse Macédoine, où régnait Perdiccas. Car on comprend aussi dans la

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Macédoine[*](Pour compléter le sens, il eût fallu dire : Cette distinction de basse Macédoine tient à ce que le haut pays fait aussi partie de la Macédoine.) les Lyncestes, les Élimiotes et autres peuples du haut pays, sujets et alliés des Macédoniens propres, mais gouvernés par des rois à eux. La Macédoine maritime d’aujourd’hui fut conquise, à l’origine, par Alexandre[*](Alexandre, fils d’Amyntas, septième roi de Macédoine, était contemporain de Xerxès, avec qui il fit alliance. Cependant il resta toujours secrètement attaché aux Grecs, qui lui donnèrent le surnom de Philhellène.), père de Perdiccas, et par ses ancêtres les Téménides[*](Hérodote (viii, 137) dit aussi que les rois de Macédoine descendaient de Téménus qui régna à Argos lors du retour des Héraclides.), originaires d'Argos. Ils y établirent leur domination par la défaite des Pières[*](La Piérie, dont il est ici question, confinait à la Thessalie ; les Pières furent rejetés jusqu’aux frontières de la Thrace, près d’Abdère. Phagrès était située en face de Thasos.), qu’ils chassèrent de la Piérie. Ceux-ci s’établirent plus tard à Phagrès et dans d’autres villes, au pied du Pangée, de l’autre côté du Strymon. Aujourd'hui même on appelle encore golfe Piérique la contrée qui s’étend au pied du Pangée, sur les bords de la mer.

Ces princes chassèrent également du pays appelé Bottiée les Bottiéens, qui confinent maintenant aux Chalcidiens ; en Pannonie ils conquirent, sur les bords du fleuve Axius, une bande étroite s’étendant des montagnes jusqu’à Pella et à la mer. L’expulsion des Édoniens leur soumit la contrée nommée Mygdonie, au delà de l’Axius, jusqu’au Strymon. De la région connue maintenant sous le nom d’Éordie, ils chassèrent les Éordiens. Cette nation fut détruite en grande

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Partie ; le peu qui échappa s’établit aux environs de Physca[*](Au pied du mont Bertiscos, vers les sources de l’Échidore.). Ils expulsèrent aussi de l’Amolpie les Amolpes. Enfin ces Macédoniens établirent leur domination sur d’autres contrées qui leur obéissent encore aujourd’hui, l’Anthémoüs, la Grestonie, la Bisaltie[*](Ces trois provinces étaient comprises entre le Strymon et l’Axius, au nord de la Chalcidique.), et même la plus grande partie de la Macédoine proprement dite. L’ensemble de cet empire est appelé Macédoine ; Perdiccas, fils d’Alexandre, y régnait lorsque Silalcès l’attaqua.

C. Les Macédoniens, incapables de résister à l'invasion de cette formidable armée, se retirèrent dans les lieux fortifiés par la nature et dans toutes les places fortes du pays : elles étaient alors en petit nombre ; ce n’est que plus tard qu’Archélaüs, fils de Perdiccas, par- venu à la royauté, bâtit celles qui existent maintenant. Il traça des routes directes, porta l’ordre dans les autres services, se préoccupa de l'organisation militaire, des chevaux, des armes, et fit plus à lui seul pour les autres branches de l'administration que les huit rois ses prédécesseurs ensemble[*](Ces huit rois sont, d’après Hérodote (viii, 139) : Perdiccas, Argée, Philippe, Æropus, Alcétas, Amyntas, Alexandre, Perdiccas.).

De Dobères, l'armée des Thraces pénétra d’abord dans la contrée qui formait primitivement le royaume de Philippe. Elle prit de vive force Idomène, et par capitulation Gortynia, Atalante[*](Sitalcès, après avoir suivi l’Axius jusqu’à Idomène, s’était ensuite porté sur la droite, vers le nord de la Thessalie, et avait pris, en passant, Gortinie et Atalante. On ne peut donc pas supposer que la ville d’Europos, qu’il assiégea ensuite sans succès, soit Europos sur l’Axius, au-dessus d’Idomène ; il s’agit ici d’Europos sur la frontière de Thessalie.) et quelques autres

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places qui se soumirent par affection pour Amyntas, fils de Philippe, présent à l’armée. Après avoir assiégé sans succès Europos, elle pénétra dans le reste de la Macédoine, à gauche de Pella et de Cyrrhos[*](A gauche de Pella, pour une armée qui descend de la haute Macédoine en suivant l’Axius.) ; et, laissant de côté les contrées en deçà de ces places[*](En deçà, pour les Grecs, c’est-à-dire au sud.), la Bottiée et la Piérie, elle alla ravager la Mygdonie, la Grestonie et l’Anthémoüs. Les Macédoniens ne songèrent même pas à opposer leur infanterie ; ils tirèrent de la cavalerie de chez leurs alliés de l'intérieur, et, malgré leur infériorité numérique, attaquèrent les Thraces partout où ils trouvèrent l’occasion favorable. Habiles cavaliers, couverts de cuirasses, là où ils donnaient leur choc était irrésistible ; mais, cernés par un ennemi supérieur, engagés au milieu de masses sans nombre, ils se trouvaient souvent compromis ; aussi finirent-ils par renoncer à agir, se croyant hors d’état de rien entreprendre contre des forces trop disproportionnées.