History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Les Scionéens s’exaltèrent à ce langage et ne songèrent plus qu’à supporter bravement la guerre. L'enthousiasme se communiqua même à ceux qui, dans le principe, avaient désapprouvé le mouvement. On fit à Brasidas la réception la plus brillante. La ville lui décerna une couronne d’or comme au libérateur de la Grèce. Les simples particuliers

255
ni ceignaient le front de bandelettes et lui offraient des pré-aie es comme à un athlète vainqueur. Pour le moment, il ne eur laissa qu’une faible garnison et repartit ; mais bientôt il eur fît passer des forces plus considérables; car il avait l'intention de faire avec eux une tentative sur Mende et sttr Poti-lée. Il pensait bien que les Athéniens ne laisseraient pas à 'abandon un pays qu’ils regardaient comme une île, et il vouait prendre les devants, en profitant des intelligences qu’il ivait nouées dans ces villes.

Pendant qu’il préparait ces entreprises, les députés îhargés de promulguer l'armistice arrivèrent sur une trirèee iaprès de lui. C’étaient Aristonymos pour les Athéniens et Atbénéos pour les Lacédémoniens. L'armée était repassée à Torone. Les députés notifièrent la trêve à Brasidas ; tous les alliés des Lacédémoniens sur le littoral de la Thrace donnèrent leur adhésion. Aristonymos approuva en général ce qui s'était fait ; mais quant aux Scionéens, il reconnut, en supputant les jours, que leur défection était postérieure au traité, et refusa de les y comprendre. Brasidas, au contraire, soutint qu’elle avait précédé et s’obstina à garder cette ville. Dès qu’Aristo-nymos en eut référé aux Athéniens, ceux-ci se montrèrent disposés à sévir contre Scione. Les Lacédémoniens leur représentèrent par ambassade que c’était enfreindre le traité ; ils se fondaient sur la déclaration de Brasidas pour détenir la ville, tout en offrant néanmoins de soumettre l’affaire à un jugement arbitral. Mais les Athéniens n’en voulaient pas courir la chance; ils aimaient mieux faire appel aux armes, irrités que des peuples maritimes osassent se révolter contre eux, en se confiant dans la puissance continentale de Lacédémone, frêle appui pour des insulaires. Au reéte, la vérité sur la défection de Scione était plutôt conforme aux prétentions des Athéniens ; car cette vüle s’était insurgée deux jours après la conclusion du traité. A l’instant, sur la proposition de Cléon, ils arrêtèrent de détruire Scione, d’ên mettre à mort tous les habitants, et ne songèrent plus qu’à exécuter ce décret.

Sur ces entrefaites, Mende, colonie des Ërétriens dans la Pallène, se souleva contre les Athéniens. Quoiqu’elle se donnât à lui ouvertement pendant la trêve, Brasidas crut qu’il pouvait la recevoir sans injustice , parce qu’il avait lui-même quelques infractions à reprocher aux Athéniens. La bonne volonté dé Brasidas et l’exemple de Scione qu’il n’abandonnait pas accrurent l’audace des Mendéens. D’ailleurs, lès

256
auteurs du complot, étant peu nombreux, ne voulaient pas renoncer à une entreprise si avancée ; car une fois découverts, ils n’étaient plus en sûreté. Ils poussèrent donc bon gré mal gré le peuple à la révolte. A cette nouvelle, les Athéniens toujours plus exaspérés s’apprêtèrent à châtier ces deux villes. Brasidas. qui s’attendait à leur approche, fit transporter à Olynthe en Chalcidique les femmes et les enfants des Scionéens et des Mendéens; puis il leur envoya cinq cents hoplites du Pélopo-nèse et trois cents peltastes chalcidéens, les uns et les autres sous la conduite de Polydamidas. Les Athéniens ne pouYant tarder à paraître, les villes insurgées concertèrent leurs moyens de défense.

Pendant ce temps, Brasidas et Perdiccas réunirent leurs forces pour faire une nouvelle expédition contre Arrhi-béos, roi des Lyncestes. Perdiccas menait avec lui les troupes de ses Etats de Macédoine, ainsi que des hoplites tirés des villes grecques de ce pays. Brasidas, indépendamment du reste de l’armée péloponésienne[*](Sur les dix-sept délits hommes quril avait amenés du Péloponèse (ch. Lxxvra), Brasidas en avait mis cinq cents en garnison à Scione (ch. cxxhi) et avait fourni probablement encore d’autres détachements. ), avait encore des Chalcidéens, des Acanthiens, et les renforts que les autres villes lui avaient fournis. Les hoplites greps formaient un corps d’environ trois mille hommes ; les cavaliers macédoniens et chalcidéens réunis étaient un peu moins de mille, sans compter une foule de Barbares. Parvenus sur les terres d’Arrhibéos, ils trouvèrent les Lyncestes campés pour les attendre ; eux-mêmes s’établirent en face de l’ennemi. De part et d’autre, l’infanterie occupait une colline; une plaine s’étendait au milieu. Les cavaliers des deux armées y descendirent et entamèrent l’action. Ensuite i les hoplites des Lyncestes s’avancèrent les premiers de la colline; et, réunis à leur cavalerie, ils s’apprêtèrent au combat. Brasidas et Perdiccas marchèrent à leur rencontre, et l’engagement devint général. Les Lyncestes furent mis en déroute, un grand nombre taillés en pièces ; le reste se réfugia sur les hauteurs et s’y tint en repos. Après cette action, les vainqueurs dressèrent un trophée et attendirent deux ou trois jours l’arrivée des Illyriens mercenaires qui devaient venir renforcer Perdiccas. Celui-ci voulait qu’on marchât sur les villages d’Arriii-béos, au lieu de rester dans l’inaction ; mais Brasidas, craignit que Mende ne fût trop exposée si les Athéniens y abordaient avant son retour, et ne voyant point venir les Illyriens, se souciait peu de rester davantage et songeait plutôt à la retraite.

Au milieu de ce dissentiment, on apprend tout à coup que les Illyriens ont trahi Perdiccas pour se joindre à Arrhibéos.

257

Dès lors il n’y eut plus qu’une opinion sur l’opportunité de la retraite ; car on craignait ces peuples belliqueux. Mais la mésintelligence fut cause qu’on ne fixa point l’heure du départ. La nuit étant survenue, les Macédoniens et la foule des Barbares furent, on ne sait pourquoi, saisis d’une de ces terreurs paniques auxquelles les grands corps d’armée sont quelquefois sujets. S’exagérant follement le nombre des ennemis et persuadés qu’ils allaient paraître, ils se mirent soudain en fuite du coté de leur pays. D’abord Perdiccas ne s’en aperçut point; ensuite il fut entraîné avant d’avoir vu Brasidas, car leurs camps étaient fort éloignés l’un de l’autre. Au point du jour, Brasidas apprit à la fois le départ des Macédoniens et l’approche des Illyriens unis à Arrhibéos. Il rassembla promptement ses hoplites, les forma en carré, mit au centre les troupes légères et se disposa à la retraite. Il désigna les plus jeunes soldats pour sortir des rangs et courir sur tous les points menacés; lui-même avec trois cents hommes d’élite se plaça à l’arrière-garde pour faire face aux premiers assaillants. Avant que l’ennemi fût à portée, il adressa rapidement à sa troupe l'exhortation suivante :

«r Soldats péloponésiens, si je ne vous croyais intimidés par la pensée de votre isolement et de la foule des Barbares qui s’approchent, je me bornerais à vous encourager sans autre explication; mais le départ de nos alliés et la multitude de nos ennemis me font un devoir de vous adresser en peu de mots les exhortations et les conseils les plus indispensables.

« Votre fermeté dans les batailles ne tient pas à la présence constante de vos alliés, mais à votre bravoure personnelle et à votre habitude de ne pas compter vos ennemis. Les États d’où vous venez ne sont pas de ceux où la multitude commande au petit nombre ; elle est soumise au contraire à la minorité, qui ne doit ses privilèges qu’à sa valeur guerrière.

« Ces Barbares que vous appréhendez faute de les connaître, l’expérience que vous avez faite de ceux de Macédoine, mes propres conjectures et mes informations, tout me prouve qu’ils sont peu redoutables. Lorsqu’un ennemi, faible en réalité, se présente avec une apparence de force, il suffit de savoir ce qu’il vaut effectivement pour se défendre avec plus de confiance; tandis qu’en .face d’adversaires d’un mérite réel, l’ignorance inspire une témérité déplacée.

« Pour qui ne les connaît pas, l’approche de ces Barbares

258
est effrayante. L’aspect de leur multitude épouvante ; leurs cris assourdissent ; la vaine agitation de leurs armes produit me impression de terreur. Mais, une fois aux prises arveo un ennemi qui ne s’effraye pas de ces démonstrations, ce ne sont plus'les mêmes hommes. N’ayant point d’ordne de bataille, ils ne rougissent pas d’abandonner leur poste dès qu’ils sont pressés. Pour eux, la fuite ou l’attaque, aussi honorables l’une que l’autre, ne prouvent ni lâcheté ni valeur. Chacun, n’obéissant qu’à son impulsion personnelle, trouve dans son indépendance un prétexte plausible pour se sauver. Au lieu de joindre l’ennemi corps à corps, ils jugent plus prudent de Γintimider de loin; autrement ils auraient déjà fondu sur nous. Vous vuyez donc que tout cet épouvantail, peu dangereux au fond, ntet saisissant que pour les yeux et les oreilles.

« Soutenez leur abord; et, le moment venu, repliez-vues avec ordre et bonne contenance. Bientôt vous arriverez en Heu sûr; et vous saurez désormais que ces bordes tumultueuses, quand on reçoit leur premier choc, se contentent d’étaler de loin leur valeur par des bravades impuissantes; mais que, si on leur cède, elles font briller sans danger leur courage.per l'agilité de leurs pieds. »

Après cette exhortation, Brasidas mit son armée en retraite. A cet aspect, les Barbares se jetèrent sur lui avec grands cris et grand tumulte, persuadés qu’il fuyait et otfîl suffisait de l’atteindre pour l'anéantir. Mais quand, sur tous les points, ils rencontrèrent les coureurs; quand ils virent qoe Brasidas leur tenait tête avec sa troupe d’élite; que l’armée, après avoir contre leur attente essuyé leur premier choc, résistait s’ils devenaient plus pressants et se repliait s’ils ralentissaient leurs attaques; alors ils renoncèrent pour la plupart à assaillir en rase campagne les Grecs de Brasidas. Ils laissèrent seulement une partie des leurs pour inquiéter sa marche ; les autres coururent à la poursuite des Macédoniens et tuèrent tons ceux qu’ils purent atteindre. Ils réussirent aussi à occuper k défilé situé entre deux monticules à l’entrée du pays d’Arrhibéos. Ils savaient que Brasidas n’avait pas d’autre issue ; et, tandis qu’il s’engageait dans ce dangereux passage, ils se répandirent alentour, afin de l’envelopper.

Brasidas, devinant leur projet, ordonne à ses trois cents de courir tout d’un trait, sans garder leurs rangs, vers celui des deux monticules qui lui paraît le plus facile à enlever, et d’en déloger les Barbares, avant qu’on fût entièrement

259
enveloppé. Les soldats s’élancent, balayent le mamelon et en facilitent l’accès au gros de l’armée. Depuis ce moment, les Baxbaies cessèrent la poursuite. L’enlèvement du mamelon les avait consternes; d’ailleurs ils ne croyaient plus possible d’atteindre les Grecs arrivés à la frontière. Une fois maître des hauteurs, Bnasidas continua sa marche sans obstacle; et le même jour, il parvint à Antissa, première ville de la domination de Perdiccas. Les soldats, irrités du brusque départ des Macédoniens, dételaient et tuaient les bœufs qu’ils trouvaient sur la route et faisaient main basse sur les bagages que les Macédoniens, dans la précipitation de leur retraite nocturne, avaient abandonnés. Dès ce jour Perdiccas regarda Brasidas comme son ennemi, et, tournant contre les Péloponésiens la haine qu’il avait jusque-là nourrie contre les Athéniens, il travailla, en dépit de ses intérêts naturels, à s’assurer au plus tôt l’alliance des uns et l'éloignement des autres[*](Le roi de Macédoine avait intérêt à éloigner les Athéniens, qui, parleur alliance avec les villes grecques du littoral de son empire, exerçaient une sorte dé souveraineté dans ses États. Il devait au contraire voir avec plaisir les Lacédémoniens pousser ces villes à la révolte, bien convaincu qu’avec le temps ils les abandonneraient et qu’elles finiraient ainsi par tomber entre ses mains. C’était également la politique de Tissapherne et de Pharnabaze à l’égard des villes grecques de l’Asie Mineure. ).

A son retour de Macédoine à Torone, Brasidas trouva les Athéniens déjà maîtres de Mende. Jugeant désormais impossible de pénétrer dans la Pallène pour y porter secours, il se tint en repos A Torone et mit cette ville en état de défense.

Pendant qu’il faisait son expédition dans le Lyncos, les Athéniens avaient donné suite à leur projet d’envoyer une flotte contre Mende et Scione. Cette flotte, forte de cinquante vaisseaux, parmi lesquels dix de Chios, portait mille hoplites athéniens, six cents archers, mille mercenaires thraces et d’autres péltastes levés chez les alliés du pays. Les généraux étaient Nicias, fils de Nicératos, et Nicostratos, fils de Diitréphès. Partis de Potidée, ils prirent terre près du temple de Neptune et marchèrent contre les Mendéens. Ceux-ci, renforcés par trois cents Scioaéens et par les Péloponésiens auxiliaires, en tout sept cents hoplites sous les ordres de Polydamidas, étaient campés hors de la ville sur une colline escarpée. Nicias, à la tête de cent vingt Méthonéens armés à la légèie, de soixante hoplites athéniens d’élite et de tous les archers, essaya de gravir la colline par un sentier; mais il reçut une blessure et ne put se faire jour. Nicostratos réitéra l’attaque avec toute l’armée par un chemin plus long; mais, en abordant cette position difficile, il fut mis dans le plus grand désordre, et peu s'en fallut que le reste de l’armée ne fût défait. Les Athéniens, étonnés de cette résistance opiniâtre, se retirèrent et établirent un camp. La nuit venue, les Mendéens rentrèrent dans leur ville.

Le lendemain, les Athéniens tournèrent la côte et

260
allèrent aborder du côté qui regarde Scione[*](En doublant le cap Posidoni on, sur les deux pentes duquel était bâtie ‘la ville de Mende. ). Ils s’emparèrent du faubourg et ravagèrent la campagne durant toute la journée, sans que personne s’y opposât ; c’est qu’il y avait de l'agitation dans la ville. Pendant la nuit, les trois cents Scionéens s’en retournèrent chez eux. Le jour suivant, Nicias, avec la moitié de l’armée, se porta sur les limites de Scione et ravagea le pays,, pendant que Nicostratos, avec le reste des troupes, bloquait la porte d’en haut, qui conduit à Potidée. Les Mendéens et leurs auxiliaires se trouvaient postés dans cet endroit en dedans des murs. Polydamidas les range en bataille et les exhorte à faire une sortie. Mais un homme de la faction du peuple déclare qu’il ne sortira pas et qu’il n’à que faire de combattre. Polydamidas le saisit par le bras et le tire à lui ; l’autre résiste. Aussitôt le peuple furieux prend les armes, court sur les Pélo-ponésiens et sur leurs partisans et les met en déroute. Effrayés de cette brusque attaque et voyant les portes s’ouvrir aux ennemis, les Péloponésiens se crurent victimes d’un complot organisé. Ceux qui ne périrent pas dans la mêlée se réfugièrent dans la citadelle restée en leur pouvoir. L’armée athénienne tout entière—Nicias était revenu de son excursion—se jeta dans la ville ; et, comme celle-ci n’avait pas été ouverte par capitulation, elle fut livrée au pillage, ni plus ni moins que si elle eût été prise d’assaut. Ce ne fut pas sans peine que les généraui empêchèrent le massacre des habitants. Après cela ils invitèrent les Mendéens à rétablir l’ancien prdre de choses et à juger eux-mêmes les citoyens qu’ils regardaient comme les auteurs de la rébellion; enfin ils bloquèrent la citadelle en tirant un mur d’une mer à l’autre, et ils y laissèrent des troupes de siège.

Maîtres de Mende, ils marchèrent contre Scione. Les habitants réunis aux Péloponésiêns sortirent à leur rencontre et prirent position en avant de la ville sur une éminence escarpée, dont les ennemis étaient obligés de s’emparer avant de commencer l’investissement. Les Athéniens assaillirent cette éminence et en délogèrent ceux qui l'occupaient. Ils y campèrent eux-mêmes, érigèrent un trophée et procédèrent à la circonvallation. Ils étaient depuis peu à l’ouvrage, lorsque les y auxiliaires assiégés dans la citadelle de Mende forcèrent le poste du bord de la mer et arrivèrent à Scione pendant la nuit. Ils se dérobèrent pour la plupart aux Athéniens campés sous les murs et s’introduisirent dans la place.

Pendant qu’on travaillait à l'investissement de

261
Scione, Perdiccas conclut, par le ministère d'on héraut, un accord avec les généraux athéniens. Il avait entamé cette négociation, en haine de Brasidas, immédiatement après sa retraite du Lyncos. Le Lacédémoniea Ischagoras était sur le point d’amener par terre des renforts à Brasidas. Dés que l'accord avec Perdiccas fut conclu, Nicias pressa ce prince de donner aux Athéniens un gage de fidélité ; et, comme Perdiccas ne demandait pas mieux que de fermer aux Péloponésiens l’accès de ses Ëtats, il agit auprès de ses hôtes de Thessalie, qui étaient toujours les hommes les plus marquants. Par leur moyen, il arrêta la marche de l'armée et les préparatifs, si bien que les Péloponésiens n'essayèrent pas même de traverser la Thessalie. Cependant Ischagoras, Aminias et Aristéus se rendirent de leurs personnes auprès de Brasidas. Ils avaient mission des Lacédémoniens d'examiner l’état des affaires, et amenaient avec eux de jeunes Spartiates, auxquels, contrairement à l'usage, on devait confier le gouvernement des villes, afin qu’il ne fût plus entre les mains d'hommes sans aveu. Cléaridas, fils de Cléony-mos, fut établi gouverneur à Amphipolis, et Ëpitélidas[*](Le même est appelé Pasitélidas au liv. V, ch. in, où ce nom est répété trois fois. ), fils d'Hégésandros, à Torone.

Le même été , les Thébains démantelèrent la ville de Thespies, sous prétexte qu’elle inclinait vers le parti d’Athènes. De tout temps ils avaient eu ce dessein. L’occasion leur parut favorable, parce que la fleur de la jeunesse thes-pienne avait péri dans le combat livré aux Athéniens[*](La bataille de Délion, où les Thespiens avaient été particulièrement maltraités. Voyez ch. xcvi. ).

Ce fut aussi dans le même été que le temple de Junon à Argos fut incendié par l’imprudence de la prêtresse Chrysis, qui s’endormit après avoir placé près des guirlandes une lampe allumée. Le feu prit sans qu’on s’en aperçût, et le temple tout entier devint la proie des flammes. Chrysis, redoutant la colère des Argiens, se sauva cette nuit même à Phlionte. Les Ar-giens, conformément à la loi, établirent une autre prêtresse, nommée Phaïnis. Lorsque Chrysis prit la fuite, il y avait huit ans et demi que la guerre était commencée[*](On a vu liv. II, ch. n, que les Argiens comptaient les années civiles d’après la série des prêtresses de Junon, et que Chrysis, au commencement de la guerre, était en charge depuis quarante-huit ans. ).

Sur la fin de l’été, l’investissement de Scione fut achevé. Les Athéniens y laissèrent des troupes de siège, et le reste de leur armée se retira.

L’hiver suivant, les Athéniens et les Lacédémoniens se tinrent en repos par respect pour la trêve; mais les Mantinéens et les Tégéates, assistés de leurs alliés, se livrèrent un combat àLaodicion dans l'Oresthide [*](Territoire de la ville d’Oresthéion, fondée par Oresthéus, fils de Lycon. Elle était dans le district de Ménale en Arcadie. Voyez liv. V, ch. lxiv. ). La victoire fut indécise : des deux côtés, l'une des ailes eut l’avantage. Les deux partis dressèrent

262
un trophée et envoyèrent des dépouilles à Delphes. Il est vrai que le nombre des morts fut grand de part et d’autre, que le succès fut balancé et que la nuit seule sépara les combattants ; néanmoins, les Tégéates bivaquèrent sur le champ de bataille et dressèrent un trophée dans le premier moment,tandis que les Mantinéens se retirèrent à Boucolion, et n’érigèrent le leur que plus tard.

L’hiver tirait à sa fin et Ton touchait au printemps, lorsque Brasidas fit une tentative sur Potidée. Il s’en approcha de nuit et parvint à appliquer une échelle sans être aperçu. Il avait profité du moment où la sentinelle allait remettre la clochette à son plus proche voisin, et n’avait pas encore regagné son poste[*](A certaines heures de la nuit, les sentinelles des remparts faisaient la ronde, en se transmettant de main en main une clochette qu’elles agitaient, afin de s’assurer qu’aucune d’elles n’était endormie. ). Mais il fut découvert, et se retira promptement sans tenter l’escalade ni même attendre qu’il fît jour.

Là-dessus l’hiver finit, et avec lui la neuvième année de la guerre que Thucydide a racontée.