The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

TOVTE Republique, tout corps & college, & tout mesnage se gouverne par commandement, & obeissance: quand la liberté naturelle, qu’un chacun a de vivre à son plaisir, est rangee soubs la puissance d’autruy: & toute puissance de commander à autruy, est publique ou particuliere. la puissance publique gist au souverain, qui donne la loy, ou en la personne des magistrats, qui ploient soubs la loy, & commandent aux autres magiftrats, & aux particuliers. le commandement particulier est aux chefs de mesnages, & aux corps & colleges en general, sur chacun d’eux en particulier, & à la moindre partie de tout le corps en nom collectif. Le commandement des mesnages se prend en quatre sortes, du mari envers la femme, du pere envers les enfans, du seigneur envers les esclaves, du maistre envers les serviteurs. Et d’autant que le droit gouvernement detoute Republique, corps & colleges, societez & mesnages depend de sçauoir bien commander & obeir: nous dirons par ordre de la puissance de commander, suivant la division que nous avons posee. Nous appelions liberté naturelle de n’estre suget, apres Dieu, à homme[*](l. libertas. de statu hom.) viuant, & ne souffrir autre commandement que de soymesme: c’est à dire, de la raison, quiest tousjours conforme à la volonté de Dieu. Voila le premier & le plus ancien commandement qui soit, c’est à sçauoir, de la raison sus l’appetit bestial: & auparauant qu’on puisse bien commander aux autres, il faut apprendre à commander à soymesme, rendant à la raison la puissance de commander, & aux appetits l’obeissance: & en ceste sorte chacun aura ce qui luy appartient, qui est la premiere & la plus belle justice qui soit: & ce que les Hebrieux disoient en commun proverbe, commencer charité par soymesme, qui n’est autre chose, que rendre les ap¬petits ployables à la raison. c’est le premier commandement que Dieu a establi par edit[*](Genes.cap.I.) expres, parlant à celuy qui premier tua son frere. Car le commandement, qu’il avoit donné auparauant au mari par dessus la femme, porte double sens, & double commandement : l’un, qui est literal de la puissance maritale: & l’autre moral, qui est de l'ame sus le corps, de la raison sus la cupidité, que l'escriture saincte appelle quasi tousiours femme, & principalement Salomon, qui semble à beaucoup de personnes,

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estre ennemi juré des femmes, ausquelles il pensoit le moins quand il en escrivoit, comme tresbien a monstré le sage Rabin[*](lib. I. nemore anneuoquim.) Maymon. Or nous laisserons aux Philosophes & Theologiens le discours moral, & prendrons ce qui est politique, pour le regard de la puissance du mari sus la femme, qui est la source & origine de toute societé humaine. Quand je dy la femme, j'entens celle qui est legitime & propre au mari, non pas la concubine, qui n’est point en la puissance du concubin: encores que la loy des[*](l.in liberæ, de concubinis.) Romains appelle mariage, & non pas concubinage, si la concubine est franche & libre: ce que tous les peuples ont regetté à bon droit, comme chose deshonneste, & de mauvais exemple. aussi nous n’entendons pas que la fiancee soit[*](l. 4. de condit. & dem. l. ea quæ ad munici.) sugete au fiancé, ny tenue de le suyvre: & ne peut le fiancé[*](cap. de illis & ibi Hostieu. & Panor. de sponsa.) mettre la main sus elle, ce qui est permis[*](Bal. & Cune. in l. raptores. De Episcopis. Cinus in l.I. q. 2. de raptor. vir. C. Alexan. in l. miles.§.qui iudicati. de re iudic.l. vlt. de libero homine. C.) au mari de droit civil &[*](ca. duo.33.q.2. cano sicut. 7. q. I.) canon. & si le fiancé avoit usé de main mise, & ravi fa fiancee, il doit estre puni capitalement en termes de[*](l.I. de raptor. vir. C.) droit. Et ores que le consentement des parties y soit, voire contract passe par parole de present, ce que la loy appelle[*](l. nuptias de regul.) mariage: si est-ce toutesois que la droite puissance maritale n'est point acquise, si la femme n'a suivy le mari: veu que la pluspart des canonistes[*](cap. debitum.de bigam. Lombardus in. 4. sentential. distinc. 30. & 27 q. 2. Barbatias. consil. 2. col. 7. lib. 4. glo. in cap.ex public. ext.de conuer. coniugali. Corne. consil. 248. lib. 2. Felin. in cap. tertio. loco de præsump.) & theologiens, quis'en sont croire en ceste matiere, ont tenu qu’il n'y a point de mariage entre l’homme & la femme, s’il ne est consommé dé fait, ce que noz coustumes ont disertement articulé, quand il est question des profits du mariage & de la communauté. Mais depuis que le mariage est consommé, la femme est soubs la puissance du mari, si le mari n'est: esclave ou enfant de famille : auquel cas ny l’esclave, ny l'enfant de famille, n’ont aucun[*]( toto tit.quib.mod. patr. pot.) commandement sus leurs femmes, & moins encores sus leurs enfans, qui demeurent tousjours soubs la puissance de l'ayeul, encores qu’il ait emancipé son fils marié. Et la raison est, par ce que lemesnage ne[*](l. pronuntiatio. de verb. sig.) soufre qu'un chef, qu’un maistre, qu’un seigneur: autrement s’il y avoit plusieurs chefs, les commandemens seroient contraires, & la famille en trouble perpetuel. Et par ainsi la femme de condition libre, se mariant à l’enfant de famille, est soubs la puissance du beau pere: aussi bien que l’homme libre se mariant à la fille de famille, est en la puissance d’autruy, s’il va demeurer en la maison du beau pere: bien que en toute autre chose il joüisse de ses droits & libertez. Mais il y a peu d'apparence que les loix[*](l.I.§.I. de liberis ag.I.l.I.§. vlt.l. eum qui. §. si nupta. de iniuriis. l.I. sine & sequent. de liberis exhibend.l.2.§. quod si in patris. l. quoties. solute. l. 3. l.nec inter. l. si vt propones. de dona. inter virum. C. l. filium. l. licet de collation. C. l. si vxor & ibi Accurs. Cin. Bartol. Bald. Salic. Alberic. de condit. insertis.C.) Romaines veulent que la fille mariee, & menee en la maison du mari, si elle n'est emancipee du pere, ne soit point sugette au mari, ains au pere. qui est contre la loy de nature, qui veut que chacun soit maistre en sa maison, code dit Homere, affin qu’il puisse donner loy à sa famille. aussï est-ce contre la loy de Dieu, qui[*](Genes. cap. I.) veut, que la femme laisse pere & mere pour suyvre le mari: & donne puissance au[*](Numer. cap.30. Augustini q.59. cap. 4. Num. ca. voluit.33.q.5.) mari des vœuz de la femme. aussi les loix Romaines n’ont aucun lieu pour ce regard, & moins en ce Royaume qu’en lieu du monde : car la coustume[*](Faber. in. §. I. institute. de S. C. Tertul.& §.2. quod cum eo qui in alie. Masuer. titul de iniuriis. §. item filia. & in tit. de doce. §. item de consuetudine.) generale exempte la femme mariee de la puissance du pere: qui estoit semblable en Lacedemone, comme dit Plutarque aux Laconiques, où la femme
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mariee parle ainsi. Quand j’estois fille, je faisois les commandemens de mon pere: mais puisque je suis mariee, c’est au mari, a qui je dois l'obeissance. autrement la femme souleroit aux pieds les commandemens du mari, & le quitteroit quand bon luy sembleroit, prenant le pere à garend. les[*](excipiunt concubitum & operas. Accurs in d.l. si vxorem. & in d.§.I.institut.de S.C. Tertul.ex l. sicut deoperis libert. Bart. Imol. Castrens.in l. rei iudicatio. cum seq.soluto matr.) interpretes excusans les loix Romaines, y ont adiousté plusieurs exceptions, pour les inconveniens qui resulteroient, si la femme n’estoit sugette au mari, encores qu’elle ne fust emancipee du pere. Mais hors la puissance paternelle, toutes les loix divines & humaines sont d’accordence poinct là, que la femme doit obeissance aux commandemens du mari, s'ils ne sont illicites. Il n'y a qu'un docteur[*](Andr. ad Specul. tit. qui filij. sint legit.) Italien, qui a tenu, que la femme n’est point en la puissance du mari: mais tout ainsi qu’il n’a ny auctorité, ny raison de son dire, aussi n’y qui l’ayt suivi. Car il est tout certain, que par la loy de[*](Dionys. Halicar. lib.2.) Romule, non seulement le mari avoit tout commandement sus la femme, ains aussi, pouvoir de la faire mourir, sans forme, ny figure de proces en quatre cas; c’est à sçauoir, pour adulter, pour avoir supposé un ensant, pour avoir de [*](Tacit. lib.2.) faulses clefs, & beu du vin. Peu a peu la rigueur des loix & coustumes fut moderee, & la peine de l’adultere permis à la discretion des parens de la femme: ce qui fut renouvelle, & pratiqué au temps de Tibere l’Empereur: parce que le mari repudiant sa femme pour adultere, ou se voyant attaint de mesme crime, le cas demeuroit impuni, au grand deshonneur des parens, qui bien souvent faisoient mourir[*](Flor. cap.49.) [*](titul.xi.& 9. Institut.)ou bannissoient la femme. Et combien que la puissance des maris se diminua bien fort: si est-ce neantmoins par la harangue, que Marc[*](Livi. lib.35.) Caton le Censeur fist au peuple pour la defense de la loy Oppia, qui retranchoit aux femmes les habits de couleur, & defendoit de porter plus d’une once d’or, il apert, que les femmes estoient toute leur vie en la tutelle de leurs peres, freres, maris, & parens, de sorte qu’elles ne pouvoient contracter, ny faire aucun acte legitime, sans l’auctorité, & volonté d’iceux. Caton vivoit environ l’an D.L. apres la loy de Romulus. & deux cens ans apres Ulpian Jurisconsulte dit, qu’on don¬ne tuteurs aux femmes, & aux pupilles: & quand elles estoient mariees, qu’elles estoient in manu viri, c’eft à dire, en la puissance du mari. Et si on dit qu’il a divisé le tiltre des personnes, quae sunt in potestate, d’avec celles quae sunt in manu, cela ne conclud pas, que la femme ne feust en la puissance du mari : car cela sest fait pour monstrer la difference du pouvoir que le mari a sus la femme, & le pere sus les enfans, & le seigneur sus les esclaves. & qui doubte que ce mot, manus, ne signifie pouvoir, auctorité, puissance? les[*](Genes.24.Exod.) Hebrieux, [*](Numeri. XI.) Grecs & Latins en ont tousjours ainsi usé,quand ils disent la main du Roy, & in manus hostium venire, & mesmes Feste [*]( in verbo Emancipatum.)Pompe parlant du mari qui prend femme, dit mancipare, qui est un mot propre aux esclaves. duquel mot usent plusieurs coustumes de ce Royaume, où il est question d’emanciper les femmes. Et pour monstrer, que la puissance des maris sus les femmes, a esté generale
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à tous les peuples, je n’en mettray que deux ou trois exemples. Olore Roy de Thrace contraignit[*](Iustin lib.32.) les Daces, pour avoir esté vaincus des en¬nemis, de servir à leurs femmes, en signe de servitude extreme. & de la plusgrande contumelie dont il se peut adviser. Aussi lisons nous, que par les loix des[*](In legib. Rotaris ac Luitprandi, & in legib. Longobard.cap.I.& vlt. & penult tit.qualiter mulier. liber. alien. petiniss.) Lombars la femme estoit en mesme sugetion que les anciennes Romaines: & les maris avoient toute puissance de la vie & de la mort, de laquelle ils usoient encore au temps de[*](Accurs. & Bald. in l. velles de reuocan. donat C.) Balde, il n’ya. pas c c LX. ans. Quand à nos ancestres Gaulois, y eut-il jamais en lieu du monde plus grande puissance sus les femmes, qu’ils ont eu? Cæsar[*](lib.6. belli Gallici.) le monstre bien en ses memoires, ou il dit, queles Gaulois avoient toute puissance de la vie & de la mort sus leurs femmes & enfans, tout ainsi que sus leurs esclaues. & sil y avoit tant soit peu de soupçon que le mari fust mort, par le fait de la femme, les parens la prenoient, & luy bailloient la question, & si elle estoit convaincue, ils la faisoient mourir cruellement, sans l’auctorité du magistrat. mais la cause estoit bien plus apparente, que pour avoir beu du vin, qui suffisoit au mari par la loy des Romains, pour faire mourir sa femme: & en cela tous les anciens[*](Dionys. Halicar. lib. 2. Plin. lib. 14. cap. 13. Valer. de institute. antiq. Cicero de natu. deor. lib. 3 Plutar. in problemat. Rom. cap., 6. Arnob. lib. 2. aduersus gentes. Tertul.in apologet. cap 6. Gellius lib. 10. c. 23. & Alcimus Siculus apud Athenæum.) s'accordent. Qui n’estoit pas seulement la coustume des Romains, ains aussi Theophraste escript, que les anciens habitans de Marseille en Prouence, & les Milesiens usoient de mesme loy contre les femmes, qui avoient beu du vin: jugeans que les appetits immoderez de la femme sugette au vin, la feroient aussi tost yvrongne, & puis adultere. Aussi trouvons nous,que la puissance donnee au mari, par la loy de Romulus, de faire mourir sa femme pour cause d'adultere sans auctorité du magistrat, estoit commune àtoute la[*](Polyb. lib. 2. Lysias de Eratosthenis cæde.) Grece aussi bien comme aux Romains. car la loy[*](l. I. ad l. Iul. de adult.) Julia, qui permet seulement au pere[*](l. matito. l. patri. eod.) de tuer sa fille avec l’adultere trouvez sus le fait, & non autrement, a esté faite par Auguste sept cens ans apres la loy de Romulus. & neantmoins la loy Julia a permis aussi au[*](d l. marito.)mari d’en user comme le pere envers certaines personnes exceptees: punissant le mari bien legerement, [*](l. si adulterium. §. Imperatores eod. l. I. ad l. Cornel. de sicar.l. Gracchus. eod. C.l.3.§. si maritus ad Silanian.) qui avroit passé outre l’exception de là loy. Mais la peine publique ne deroge point à la puissance du mari en autre sorte de corrections, que le mari avoit sus la femme, outre la peine de mort, qui pour ce regard luy estoit interdite. Depuis Theodora Imperatrice, [*](auth. hoc iure. de adult.C.)ayant toute puissance sus l’Empereur Iustinian, homme hebeté de son sens, fist toutes les loix qu'elle peut à l’avantage des femmes, & entre autres mua la peine de mort en une peine d’infamie, comme firent aussi anciennement les Atheniens, [*](Demosthe. contra Neæram.) [*](Faber. in. l. 2. quæ sit longa consuet. C. Benedic. in cap. Raynutius, in verbo cuidam. Nu. 63.)excommunians les adulteres, avec note d’infamie, ainsi que nous lisons aux plaidoyez de Demosthene: qui semble chose ridicule, attendu que l’infamiene peut oster l’honneur à celle qui l'aperdu, & qui est du tout dehontee, rellement quelle demeure quasi sans peine, mesmement en ce Royaume, d’un crime que la loy de Dieu[*](Levit. 20. Daniel. 13. Deutero.24.) punist de la plus rigoureuse mort qui fust lors, c’eft à sçauoir, [*](Rabi Maymo li 3. nemore aneuoquim ait crudelissimum omnium mortis genus esse.) de lapidation: & que du moins les Ægyptiens[*](Diodor.lib.I.) punissoient, en coupant le nez à la femme, & les parties honteuses à
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l’homme. Es autres crimes qui touchent plus le mari que le public, & qui ne meritent point la mort, tous[*](ca. duo ista. 23. q. 4. Accurs. in l. et si. §.vlt.ad. l. aquil. & in authent. vt liceat matri. . quia vero. Bal. in l. filius. de patria potest. C. & in l. nec patronus. de operis libert. C. & consil. 176. Panor. in c. ex transmissa. de restitute. spoliat Bart. in l. iubemus de repud. C.) sont d’accord, que le maria puissance de chastier moderément sa femme. Et affin que les maris n’abusassent de la puissance que la loy leur donnoit sur les femmes, elles avoient contre les maris action en cas de mauvais traittement, [*](Quintil. lib. 7. c. 4. l. 5. de pactis doctal. l. viro & vxori. soluto.) ou de mauvaises meurs, que depuis Iustiniam[*](l. vlt. de repud. C. 4 Andr in addit. ad specul. rubric. de iniuriis ex l. 2. l erum amotar.l. no debet de dolo. l. si quis vxori. de furtis. Alexand. in l. diuortio. . si fundum. col. 4. solute. Ancaran. consil. 408.) osta: ordonnant quelques peines civiles & pecuniaires à prendre sus les droicts des conventions matrimoniales à celuy qui auroit donné cause de separation. qui sont principalement fondees sus l’adultere, & l'empoisonnement essayé, & n’ayant sorti effect. Mais nonobstant l’ordonnance de Iustinian, il est permis à la femme injuriee & traittee indignement par son mari, demander separation: toutefois on ne doit permettre l’action d’injures entre le mari & la femme (comme quelques [*](l. I. & 2. rerum amot. l. aduersus de crimi. expilatæ hæredit.C.) uns ont voulu)pour l’honneur & dignité du mariage, que la loy a tant estimé, qu’elle ne veut pas que le mari ny mesmes un tiers, puisse avoir action de larcin contre la femme, encores qu'elle eust expilé tous les meubles du mari. Mais d’autant qu’il n’ya point d’amour plus grand que celuy du mariage, comme dit Artemidore, aussi la hayne y est la plus capitale, si une sois elle prend racine. Et pour ceste cause la loy de Dieu, touchant les separations, qui depuis fut commune à tous les peuples, & est encores à present vite en Afrique, & en tout l'Orient, permettoit au mari de repudier sa femme, si elle ne luy plaisoit, à la charge qu'il ne pourroit jamais la reprendre, mais bien se remarier à une autre. qui estoit un moyen pourtenir en ceruelle les femmes superbes: & aux fascheux maris de ne trouver pasaysement femme, si on cognoissoit qu’ils eussent repudié la leur sans juste cause. Et si on dit, qu’il ny a point d’apparence de repudier sa femme sans cause: je me rapporteroy à l'usage commun: mais il n’y a rien plus pernicieux, que contraindre les parties de vivre ensemble, s’ils ne disent la cause de la separation qu’ils demandent, & qu’elle soit bien verifiee: car en ce faisiant, l’honneur des parties est au hazard qui seroit couvert, quand la separation ne porteroit point de cause: comme faisoient anciennement, & font encores à present les Hebrieux, ainsi qu’on peut voir en leurs pandectes, & mesmement du Jurisconsulte Moyse Cotsi, au chap. du retrenchement[*](cap. HEBEREW TEXT id est, abscissionis.) (ils appellent ainsi la repudiation) où il met l’acte de repudiation, que le Rabin Jeiel Parisien, lors que les Juifs demeuroient en Paris, enuoya a sa femme le mardi XXIX. Octobre, l’an de la creation du mode cinq mil[*](id est, anno Christi. 1240.) dix huict: où l’acte ne porte aucune cause de repudiation. l’en trouue une autre en l’epitome des pandectes Hebraiques, recueillie par le Jurisconsulte Moyse de Maymon, au titre des femmes[*](cap. HEBREW TEXT) chap.III. qui fut fait en Chaldee. où le juge des lieux, ayant veu la procuration speciale, & l'acte de celuy qui avoit repudié sa femme en presence de trois tesmoins, adjouste ces mots, qu'il l'a repudiee purement & simplement & sans y adiouster cause, luy permettant de se remarier à qui bon luy sembleroit, & le juge en decerne acte aux parties. En quoy
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faisant, la femme n'est point deshonoree, & peut trouver autre parti sortable à sa qualité. Et de fait, anciennement les Romains ne mettoient aucune cause, comme on peut voir quand Paul[*](Plutar. in Æmilio.) Æmil repudia sa femme, qu’il confessoit estre fort sage & honneste, & de maison fort noble, & de laquelle il avoit plusieurs beaux enfans. & lors que les parés de la femme s’en plaignirent a luy, voulans sçavoir la cause, il leur monstra son soulier, qui estoit beau, & bien fait, mais qu’il n’y auoit que luy qui sentist l’endroit ou il blessoit. & si la cause ne semble suffisante au juge, ou qu'elle ne soit bien verifiee, il faut que les parties vivent ensemble, ayant a tout heure l’un & l’autre l'obiect de son mal devant ses yeux. Cela faict, que se voyans reduits en extreme servitude, crainte, & discord perpetuel, les adulteres, & bien souvent les meurtres, & empoisonnemens s’en ensuivent, & qui sont pour la pluspart incognus aux hommes : comme il fut decouvert en Romme, auparavant que la coustume fut pratiquee de repudier sa femme (car le premier fut Spurius Carnilius, environ cinq cens ans apres la fondation de Romme) une femme estant surprinse, & condamnee d’avoir empoisonné son mari, elle en accusa d’autres, qui par compagnie & communication entre elles en accuserent jusques à soixante & dix de mesme crime, qui furent toutes execurees. chose qui est encores plus à craindre, ou il n'y a aucun moyen de repudier l’un l'autre. Caries Empereurs Romains ayans voulu oster la facilité des repudiations, & corriger[*](l. consensus, de repud. C.l. vlt. eod. Bald. in l. I. . quod scimus de latina. libert. Panor. consil. 328. lib.4. Iaso & Alexand. in l. si ab hostib. solute matri.) l’ancienne coustume, n’ont ordonné autre peine que la perte des conventions matrimoniales, à celuy qui seroit cause du diuorce: encores Anastase[*](l. si constant, de repud) permit la separation du consentement des deux parties sans peine : ce que Justinian[*](l. authore quod hodie. eod.) a defendu. chacun peut juger en soymesme, si l’un est plus expedient que l’autre. Mais quelque changement & varieté de loix qui puisse estre, il n’ya jamais eu loy ny coustume, qui ayt exempté la femme de l'obeissance, & non seulement de l'obeissance, ains aussi de la reverence[*](l. I. quod autem de rei vxoriæ. C l. alia. § vbi. soluto.) qu’elle doit au mari, & telle que la loy[*](l. generaliter de in ius vocand Decius in l.vlt. eod. in fine. C.) ne permettoit pas à la femme d’appeller le mari en jugement sans permission du magistrat. Or tout ainsi qu’il n’y a rien plus grand en ce monde, comme dit Euripide, ny plus necessaire pour la conservation des Republiques,que l’obeissance de la femme au mari: aussi le mari ne doit pas sous ombre de la puissance maritale, faire une esclave de sa femme: combien que Marc Varron veut que les esclaves soient plustost corrigez de paroles que de batures, à plus forte raison la femme, que la loy[*](l. aduersus, de crimine expilatæ. C.) appelle compagne de la maison divine & humaine : comme nous monstre assez Homere[*](lib.I.Iliad.) introduisant Jupiter, qui reprend sa femme, & la voyant rebelle, use de menaces, & ne passe point outre. Et mesme Caton, qu’on disoit estre l'ennemy juré des femmes, ne frappa[*](in vita Catonis censorij.Plutar.) jamais la sienne, tenant cela pour sacrilege: mais bien scavoit il garder le rang & la dignité maritale, qui retient la femme en obeissance: ce que ne fera jamais celuy, qui de maistre s’est faict compagnon, puis serviteur, & de serviteur esclave:
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comme on reprochoit[*](Arist. lib.2. 10. lit. Plutar. in Laconic.) aux Lacedemoniens, qui appelloient leurs femmes maistresses & dames: ce que faisoient bien aussi les Romains, [*](Tranquil. in Claudio. s. vxorem de legat. 3. lititia. §. vxor. de auro & arg.) ayans ja perdu la dignité maritale, & la marque virile de commander aux femmes. Combien que celles, qui prennent si grand plaisir à commander aux maris effeminez, ressemblent à ceux, qui ayment mieux guider les aveugles, que de suivre les sages & clairvoyans. Or la loy de Dieu & la langue saincte, qui a nomme toutes choses selon sa vraye nature & proprieté, appelle le mari Bahal, c’est à dire, le seigneur & maistre, pour monstrer qu’à luy appartient de commander. Auffi les loix de tous les peuples, pour abaisser le cueur des femmes, & faire cognoistre aux hommes, qu’ils doivent passer les femmes en sagesse & vertu, ont ordonné, que l'honneur & splendeur de la femme dependroit du mari. de sorte que si le mari est noble, il annoblist la femme[*](l. fœminæ de senat l. cum te. l. vlt. de nupt. l. vlt. de incolis. C. Bartol. Fulgo. Castrens. Iaso in l vlt. de verb. signif Guido papa consi. 217 & decif.delph. 196 394.379.) roturiere: & si la damoiselle espouse un roturier, elle perd[*](Bart.in. l I. de dig. C. Castrens. in d. l. vlt de verb.sig Corne.consil 55.col.4.lib. I & consil.26. lib.4. ) sa noblesse. jaçoit qu’il y eust anciennement quelques peuples, qui tiroient leur noblesse & qualité des meres, & non pas des peres, comme[*]( l. I. ad municipal. Plutar. de claris mulierib. Plutar. de claris mulierib.) les Lyciens, Delphiens, Xantiques, Illienses, & quelques peuples d’Amasie, pour l’incertitude des peres : ou pour a¬voir perdu toute la noblesse en guerre, comme en Champagne, où les fem¬mes nobles annoblissent leurs maris roturiers, & leurs enfans pour la cause que j’ay dit. combien que tous les Jurisconsultes[*](Bart.Angel.Plat. in l. exemplo.de decurio.C.Barbat.consil.57. Benedic. I cap. Rayutius prin. nu. 15.Arctin & Felin in cap. super eo. de testib.) tiennent, qu’il ne se peut faire par coustume, obstant le droit de tous les peuples, comme dit Herodote: [*](lib.3 Bal in l.vlt.de servis fugit. ) qui veut que la femme tienne[*]( d l.fœminæ de senator.) la condition, & suive la qualité du mari, & le païs, [*](Accurs. Bartol. Angel. Plate. in l. cives de incolis. C. Baal. consil. 139. lib 5. ) & la famille, [*](l. cuicunque. de re military. C. Corne. consil. 41. col. vlt. lib.I.), & le domicile, [*](l cum quædam de iurisdic ff.l. exigere. de iudic. l. ea que. l. vlt ad municip.) & l’origine: & ores que le mari fust banni & vagabond, neantmoins la femme le doit[*](l.origine.& ibi glo. eod Bal. consil. 351. col 2. lib. I. & consil. 411. lib. I.) suivre, & en cela tous les Jurisconsultes & Canonistes s'accordent. [*](Odofred in l.I.de vxor.milit.C.Cune9 & Albericus in l. oberuare de offi. proconsul.Bal.Roma Angel. Alexand in l. si cum dotem.§. si marius. soluto. Innocent. Hostiens. Panor. Antoni. Cardinalis vterque in cap. de illis desponsa & in cap. I. de coniugiis lepros) Aussi toutes les loix & coustumes ont faict le mari maistre des actions de la femme, & de l’usufruict de tous les biens qui luy escheent, [*](l. in rebus de iure dot.C.l.si ego.§.dotis eod.ff 4.l iurisgentium. §. si plagij. de pactis. l generaliter de verb.obligat.) & ne permettent que la femme puisse ester en jugement, soit en demandant ou desendant sans l'auctorité du mari ou du juge à son refus : qui sont tous argumens indubitables, pour monstrer l’auctorité, puissance, & commandement, que le mari a sus la femme de droit divin, & humain : & la sugetion, reverence, & obeissance, que doit la femme au mari en tout honneur & chose licite. Je scay qu’il y a plusieurs clauses & conventions és traittez de mariages, où les femmes ont stipulé, quelles ne seroient en rien sugettes aux maris: mais telles pactions & stipulations ne peuvent empescher la puissance & auctorité du mari, attendu qu’elles sont contraires au droit divin & humain, & à l’honnesteté publique, & sont de nul effect & valeur, de sorte mesme, que les sermens n’y peuvent obliger les maris.