The six books of a common-weale

Jean Bodin

Bodin, Jean. Les six livres de la republique. Paris: Chez Iacques du Puys, Libraire iuré, à la Samaritaine, 1577.

Apres auoir parlé de la famille, & de ses parties, de la souueraineté, & des Magistrats, il faut dire des corps & Colleges. Disons donc premierement de la cause des corps & Colleges, & puis de leur puissance & priuileges en general : & la maniere de les punir s’ils offensent :en dernier lieu si la Republique s’en peut passer.[*](Difference de famille, College & Republique.)  La difference de la famille aux corps & Colleges, & de ceux-cy à la Republique, est telle que du tout à ses parties : car la communauté de plusieurs chefs de famille, ou d’vn village, ou d’vne ville, ou d’vne contreee, peut estre sans Republique, aussi bien que la famille sans College : & tout ainsi que plusieurs familles alliees par amitié, sont membres d’vn corps & communauté : aussi plusieurs corps & communautez alliez par puissance souueraine, font vne Republique. la famille est vne communauté naturelle :le College est vne communauté ciuile : la Republique a cela d’auantage, que c’est vne communauté gouuernee par puissance souueraine, & qui peut estre si estroite, qu’elle n’aura ny corps ny Colleges, ains seulement plusieurs familles. Et par ainsi le mot de Communauté est commun à la famille, au College & à la Republique : proprement le corps s’entend, ou de plusieurs familles, ou de plusieurs Colleges, ou de plusieurs familles & Colleges.[*](Origine des colelges)  Et l’origine des corps & Colleges est venue de la famille, comme du tige principal, duquel estant sorty plusieurs branches, il fut necessaire de bastir maisons, puis hameaux & villages, & voisiner en sorte, qu’il semblast que ce ne fust qu’vne famille :iusq’à ce que la multitude ne se pouuant plus loger, ny viure en mesme lieu, fut contrainte de s’escarter plus loing : & peu à peu les villages estans faits

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bourgs, & separez de biens & de voisinage, sans loix, sans Magistrats, sans Principauté souueraine, entroient aisément en querelles & debats, qui pour vne fontaine, qui pour vn puys : comme nous lisons mesmes és[*](Genes.26.)  sainctes escritures, où les plus forts l’emportoient, & chassoient les plus foibles de leurs maisons & villages :qui fut cause d’enuironner les bourgs de fossez, & puis de murailles telles qu’on pouuoit : & s’allier ensemble par societez, les vns pour defendre leurs maisons, biens & familles de l’inausion des plus forts : les qutres pour assaillir, & chasser ceux qui s’estoient accommodez, piller, voler & brigander. car le plus grand poinct d’honneur & de vertu qui fust entre les premiers hommes, dit[*](en la vie de Thesee.) Plutarque, estoit de massacrer, tuer, ruiner les hommes, ou les rendre esclaues. Aussi nous lisons en Thucydide, qu’il se faisoit mesmes en toute la Grece vn peu au parauant son aage : auquel temps le brigandage n’estoit point mesprisé : & quand on rencontroit quelques voyagers allans par mer ou par terre, la premiere chose qu’on faisoit, dit le mesme autheur, deuant qu’approcher, c’estoit demander les vns aux autres, Estes vous brigans, messieurs? Et mesmes Platon & Aristote ont mis entre les especes de chasse le brigandage : comme aussi les Hebrieux, qui[*](l.vlt.de collegiis illicitis.)  appellent les grands voleurs, puissans veneurs, tel que fut Nimroth : à quoy il semble que la loy de Solon, qui a fait des corps & Colleges, a eu egard, quand il permer generalement toutes sortes de Colleges & communautez, mesmes à deux qui prædantur, GREEK TEXT : pourueu que ce ne fust point enuers les sugets. & au premier traité fait entre les Romains & Carthaginois, il fut dit que les Romains ne passeroient point le beau promontoire, pour trafiquer, ny pour brigander, vltra promontorium pulchris, præde aut mercaturæ gratia Romani ne nauiganto : comme dit Polybe liure III. & Cesar de son temps mesmes parlant des Alemans dit, Latrocinia nullam habent infamiam, quæ extra fines cuiusque ciuitatis fiunt, atque ea iuuentutis exercendæ, ac desidiæ minuendæ caussa fieri prædicant. Ceste licence & impunité de voler, contraignit les hommes qui n’auoient encores Princes ny Magistrats, de se ioindre par amitié, pour la defense les vns des autres, & faire communautez, & confrairies, que les Grecs appellent GREEK TEXT & GREEK TEXT ou fratres, ceux qui puisoient en mesme puys, qu’ils appellent Frear : comme pagnos, qui sont villageois vsans de mesme fontaine, que les[*](Festus in verbo pagi.)  Doriens appellent Paga. & commessatio s’appelloit de GREEK TEXT, c’est à dire village, par ce qu’ils mangeoint ordinairement, ensemble, comme dit Feste Pompee. Ainsi la societé & communauté entretenoit l’amitié, comme la flamme sacree, qui monstra sa premiere ardeur entre le mary & la femme : puis des peres & meres aux enfans, & des freres entr’eux, de ceux-cy aux proches parens, & des parens aux alliez, & peu à peu se fust refroidie, & du tout esteinte, si elle n’eust esté rallumee, nourrie & entretenue par alliances, communautez, corps & Colleges :l’vnion desquels a maintenu plusieurs peuples sans forme de Republique, ny puissance souueraine : comme 349 on voit au liure des[*](Iudicium. cap. 16 & in fine. 21.) Iuges, ou il est escrit que le peuple Hebrieu fut longuement sans Princes ny Magistrats, viuant chacun à son plaisir en toute liberté: mais ils estoyent entretenus par communautez de familles & lignees : & lors qu’ils estoyent poursuy uis des ennemis, les estats des lignees & communautez s’assembloyent, & faisoyent vn chef, auquel ils donnoient puissance[*](cap.3.6.9.10.20.21.Iudicum.) souueraine, à sçauoir celuy que Dieu auoit inspiré : ainsi de plusieurs lignees, & familles vnies ensemble, se faisoit vne Republique, par le moyen de la puissance souueraine. C’est pourquoy les premiers Princes, & Legislateurs, qui n’auoyent pas encores descouuert les difficultez qu’il y a de maintenir les sugets par iustice, encretenoyent les confrairies, colleges, & communautez, afin que les parties, & membres d’vn mesme corps de Republique estans d’'accord, il fust plus aisé de reigler toute la Republique: comme nous voyons que fist Numa Roy, & Legislateur des Romains, qui establit confrairies, & colleges de tous mestiers, & à chacune confrairie ordonna patrons, & sacrifices particuliers, apres auoir aboly le nom des Sabins, qui se diuisoyent aucunement des Romains. Et depuis on fist aussi vne confrairie des marchans, & leur fut baillé Mercure pour patron: à l’exemple de Solon, qui fist par sa[*](Plutar in Solo. & l.vlt.de colleg.) loy, que toutes confrairies, & communautez seroyent permises, auec pouuoir de faire statuts tels qu’ils voudroient, pourueu qu’il ne fust rien fait contre les loix publiques. Lycurgue aussi non seulement permist, ains encores estroittement commanda, d’entretenir telles communautez, tant generales, que particulieres, & que tous les sugets prinssent leur refection en colleges de quinze à quinze, qu’ils appelloient[*](vel GREEK à parsimon. Plutar. in Lycurg.) GREEK, pour l’amitié iuree qu’ils auoient les vns aux autres: comme aussi en toutes les villes de la Grece, il y auoit de semblables confrairies, .qu’ils appelloient GREEK, comme en Italie les mesmes colleges estoyent appellez Sodalitia, pour l’vnion, frequentation, & amitié qu’ils auoient entre eux, beuuans & mangeans ensemble la pluspart du temps: & n’auoient autres iuges que eux mesmes, s’il y auoit quelque differend entre les compaignons associez : cognoissant que l’amitié est le seul fondement de toute societé beaucoup plus requise entre les hommes que la iustice: car la iustiçe, qui iamais n'est ployable, retenant sa droicture, fait bien souuent les amis ennemis: & l’amitié cedant de son droict, establist la vraye iustice naturelle: attendu que le seul but de toutes les loix diuines, & humaines, est de entretenir l’amour entre les hommes, & des homes enuers Dieu : ce qui ne se peut mieux faire , que par frequentation & vnion ordinaire. les[*](Arist. in polit.) Candiots anciennement beuuoient & mangeoient tous ensemble, ieunes & vieux, hommes & femmes, pour entretenir l’amitié que i’ay dit: mais depuis pour euiter à confusion, les aages, & sexes furent separez. Et mesmes nous voyons en la loy de Dieu, les festins de Pasques auoir esté commandez en compaignies de dix à dix personnes: outre les festins des pauillons, & banquets ordinaires des sacrifices, que Dieu commande e- 350 stre solennisez en toute ioye & liesse : ce qui fut bien entretenu en la primitiue Eglise des Chrestiens, qui faisoient souuent tells festins, qu’ils appelloient GREEK, pour les baisers de pieté, & embrassemens charitables, que les vns donnoient aux autres : outre la fraction, & communication ordinaire : cela est encores à present mieux gardé en Suisse qu’en lieu du monde : car en toutes les villes les confrairies, & mestiers ont leurs maisons communes, où ils font leurs banquets & festins fort souuent: & n’y a si petit village qui n’ayt sa maison commune pour ce faire & ordinairement les procés & querelles sont vuidez amiablement & la sentence escripte auec de la craye blanche sus la table où ils ont banqueté. Et tout ainsi que les artisans, marchans, prestres, pontifes, & toutes sortes d’hommes auoient leurs confrairies, & colleges, aussi auoient les Philosophes entre eux : &[*](Iamblichus in libello de vita Pythagoreorum) principalement les Pythagoriens, qui s’assembloient ordinairement, & viuoient la pluspart du temps en commun. Voy la quant à la cause, origine, & progrez des corps, & communautez qui depuis par [*](Diuisions de to corps & colleges.) succession de temps ont esté reiglez par loix, statuts, & coustumes en toutes Republiques. Et pour entendre plus facilement ceste matiere, on peut dire que tous corps & colleges sont instituez pour la religion, ou pour la police. quant à la police, les colleges sont establish pour distribuer la iustice, ou departir les charges : ou donner ordre aux prouisions & marchandises qu’il faut apporter, ou enleuer: ou pour les mestiers necessaires à la Republique: ou pour l’institution & discipline. Et ce peut faire que le college sera particulier d’vn mestier, ou d’vne science, ou d’vne marchandise, ou d’vne iurisdiction: & .ce peut faire aussi qu’il y aura plusieurs colleges vnis en vn corps, comme tous les mestiers, ou tous les marchans, ou tous les maistres des sciences : ou tous les Magistrats. Et se peut faire encores, que tous les colleges particuliers, auront droict de communauté generale, ou bien vniuersité. Et que non seulement tous les colleges, & communautez, ains aussi tous les habitans, ioints auec les corps & colleges d’vne ville, ou d’vne contree, ou d’vne prouince ayent droict de communauté, pour tenir les estats. D’auantage le droit de college peut estre permis à chacun mestier en particulier, & defendu en general. Et chacun peut auoir diuers reiglemens, statuts, & priuileges particuliers. Par ainsi nous pouuons dire, que tout corps, ou college est vn droict de communauté legitime sous la puissance souueraine. le mot de legitime, emporte l’auctorité du souuerain, sans la permission duquel, il n’y a point de college. il emporte aussi la qualité des colleges, le lieu, le temps, la forme de s’assembler, & ce qu’on doit traiter en l’assemblee. & le mot de communauté signifie qu'il n’y a point de college, s’il n’y a rien commun. aussi n’est-il pas necessaire que tout soit commun: il sufist que l’assemblee soit commune à tous les collegues, qu’il y ait vn syndic commun, & quelque bourse commune. car il n’est pas necessaire que la vie, & conuersation soit ordinaire : comme[*](Bart.in titul. de colleg Accurs. in l 1. in quod cuisque vniuersit.) quelques vns ont 351 appelle college, quand trois personnes demeurent ensemble, ayans leur bien en commun. enquoy ils s’abusent doublement,car; il se peut faire que trois ou plusieurs personnes auront leur bien en commun, &'viuront ensemble: & ne sera point college, ains vne societé contractee de tous biens. & au contraire les collegues demeureront separez de maison, & neantmoins auront droit de college: comme les confrairies des mestiers, que la loy[*](l.1. sed religionis de collegiis.l.1.de sacrosan. C 1.vlt. de iurisd.C.l. collegium. de haeredib. institu.) appelle Collegia. Quant au nombre des collegues, il ne peut chaloir quel il foit, pourueu qu’il n’y en ait pas moins de[*](l. Neratius. de verb. signif.) trois. Quand ie dy collegues, i’entends qu’ils soyent esgaux en puissance, pour le regard de la communauté, ayans chacun voix deliberatiue. combien qu’il se peut faire que le college, ou le Prince elise l’vn des collegues pour commander, corriger, & chastier chacun des collegues en partieulier: comme il se fait des Euesques, & Abbez, qui ont pouuoir de chastier les Chanoines, & Religieux. mais si le chef a ceste puissance sur tous en corps, & en nom collectif, ce n’est pas droictement college, mais plustoft famille: comme les colleges instituez pour la ieunesse, où il n’y a point de boursiers collegues qui ayent voix deliberatiue : car s’il y a boursiers ayans droict de college, & voix deliberatiue en l’assemblee, c’est college : ores que le surplus de la ieunesse, soit sous la puissance , & correction du principal. [*](Si le chef du college est collegue.) c’est pourquoy on a doubté si l’Euesque, ou l’Abbé sont collegues, ayant la mesme qualité, & prerogatiue de collegue, & faisant partie du college, hors la qualité d’Euesque, ou Abbé. & la chose estant disputee de part & d’autre, est demeuree indecise. mais laissant la dispute à part, il semble que celuy qui est esleu du college, ou du Prince, pour commander à tous les collegues en particulier, a double qualité, l’vne pour le regard de chacun : l’autre pour le regard du college. il s’appelle principal, Euesque, Abbé, Prieur, President, ayant pouuoir, & puissance de commander à chacun: mais en corps & college, il n’est rien que le collegue, ores qu’il ayt lieu de preseance. c’est pourquoy on met ces qualitez diuisees, Euesque, chanoines, & chapitre: Abbé, religieux, & conuent: Principal, boursiers , & college. En quoy s’est abusé l’vn des premiers[*](Bart. in l.aut facta de poenis.) Iurisconfultes, qui a dit que les Philosophes appellent college, les personnes d’vn college : il n’y a point de Philosophe qui l’ayt dit: attendu que le college est vn nom de droit, qui peut resider en vne[*](Innocent in c.2. de operis noui Alexand. consil. 74. lin.4. contra cap. dilecta de excessib. praelat.) personne, estans tous les autres collegues morts. & combien que tous les collegues fussent morts, si est-ce que le droit de college[*](l. 96. §. 1. l. 114.§. quae ab intestate. de legat 1 l. 50. de manumiss. testa. l. 6.§. est fisco. ad Trebel.l.6.§. certe si quis omissa cansa testa.l.1.§.1.l.vlt de success. edicto 1. 3. §. diuus l. 41. de iure fisci l. 18. de vsu cap. 1. 19. de diuresis & tempor. l. 10. de inoff. testa. C.l.22. de appel. & cap. cum dilecti de rescript. l. vlt. de collegiis.) demeure, & les biens du college ne peuuent estre occupez du fisque,ny des particuliers, si le college n’est suprimé par auctorité du souuerain. Car l’vn des principaux priuileges des corps & colleges est, qu’on leur[*](l. cum senatus. de rebus dubiis l. omnibus ad Trebel.) puisse laisser par testament : autrement si le college est suprimé, ou reprouué, ce n’est plus college, ains assemblee illicite, & n’est permis de rien laisser par testament à telles assemblees : iaçoit qu’on puisse faire laiz à chacun des[*](d. l. cum Senatus.) collegues. & affin que les colleges, & assemblees illicites ne soient entretenuës par laiz testamentaires & 352 successions, il est besoin inter dire & defendre de rien leur laisser. Combien que le college peut estre permis, auec defenses d’y rien laisser par testament : comme l'Empereur Antonin, qui le premier permist de laisser aux corps, & colleges, ne voulut pas que le college, ou sinaguogue des Iuifs, peust demander les laiz testamentaires[*](l.1. de Iudaeis C.) qui luy seroyent faits : & neantmoins ils auoyent permission de s’assembler en leurs synaguogues, [*](toto titulo de iudaeis. C.) comme on peut voir en la harangue de l’Ambassadeur Philon à l’Empereur Caligula. Et mesmes Auguste decerna ses lettres patentes addressant aux gouuerneurs des prouinces, de laisser, & soufrir ioüir les Iuifs de leurs colleges. & Norbanus Proconsul d’Asie, fist defenses aux Magistrats d’Ephese, de les empescher aucunement. Qui plus est Auguste fonda vn sacrifice perpetuel en Hierusalen d’vn veau, d’vn bouc, & d’vn mouton, par chacun iour, & voulut qu’on fist vne aumosne, & distribution ordinaire aux Iuifs à ses propres[*](in oration Philonis de legatione ad Caium: licet Sueton. in August. dissentire videatur) cousts & despens. Il y a aussi des corps & colleges, de luges, & Magistrats: & neantmoins ils ne seroient pas receuables à demander vn laiz testamentaire, s’ils n’auoient permission exjpresse, par l’erection qui en seroit faite: comme il fut iugé contre le Senat Romain auquel Russius Cepio l’vn des Senateurs, auoit fait vn laiz testamentaire de certaine somme qu’il vouloit estre distribuee à ceux qui viendroyent au conseil. On fist instance de ce laiz: L’heritier s’y opposa : l’Empereur Domitian donna son arrest au profit de [*](Sueton. in Domitiano.) l’heritier, & en debouta le Senat: ores que ce fust le plus ancien, & le plus necessaire corps de toute la Repub. [*](La puissance des colleges) L’origine , & definition des colleges & communautez esclarcie, il faut parler de leur puissance en general, & de ce qui n’est point determiné par la fondation, statuts, & priuileges particuliers, qui sont diuers pour la diuersité des communautez, & presque infinis, les premiers corps, & colleges, & qui plus ont de puissance en la Republique, sont les colleges des luges & Magistrats : car non seulement ils ont puissance sus la moindre partie du college en nom collectif, & sus chacun de tous les collegues en particulier: ains aussi sus les autres sugets à leur iurisdiction, hors leur college. & la difference de ceux-cy, aux autres colleges, est notable en ce que les autres sont establis chacun pour le gouuernement, de ce qui leur est commun : & les colleges des luges, & Magistrats sont principalement erigez pour les autres sugets : & mesmes pour reigler les autres colleges, & les corriger s’ils mesprennent contre les loix, & statuts. mais tout ainsi qu’il faut que l’homme de bien, establisse premierement Iustice en soymesme, deuant que la distribuer aux autres: comme disent les Hebrieux en leurs prouerbes, que la charité doit commencer à soymefme, s’elle est bien reiglee: aussi faut-il que les colleges des luges establissent la premiere Iustice: entr’eux mesmes, affin de la mieux departir aux autres sugets. Mais on peut douter, s’il est plus expedient, que les colleges de Magistrats soient Iuges des collegues, ou bien qu’ils soyent iugez des autres, pour les raisons particulieres que ie deduiray cy apres en son lieu. & pour le 353 trancher court, on peut faire vne distinction : si le college est: composé pour la pluspart d’hommes vicieux: il ne faut pas leur laisser le iugement de leurs forfaits. mais s’ils sont gens de bien, il n’y a doute qu’il ne soit plus vtile, & au college, & à la Republique , que les collegues soyent iugez par les colleges, que par autres Iuges: par ce qu’il y a ie ne sçay quoy de particulier en chacun college, qui ne peut estre si bien entendu, ny iugé que par les collegues du mesme corps: ioint aussi que par ce moyen l’vnion des collegues est mieux entretenuë. Et pour ceste cause l’Empereur Adrian voulut que les Senateurs Romains fussent iugez parle Senat seulement.[*](Dio in Adriano.) Et pour mesme raison la iurisdiction ciuile entre marchans, &, pour le fait de marchandife, a esté sagement en toute l’Italie, puis en France attribuee à certains Magistrats, & Consuls du corps, & college des marchans: pour decider sommairement les differends qui suruiennent à çause des conuentions, qui ont ie ne sçay quoy de particulier, & qui n’est point commun aux autres. Quant aux autres corps, & colleges, ores qu’ils ne soyent point fondez en iurisdiction, ny puissance de commander, si est-ce neantmoins qu’ils ont tousiours quelque coërtion limitee par leurs statuts, & priuileges: & quelquefois sans limitation, est laissee à la discretion, & prudence du corps, & college, ou du chef: auec telle moderation , que le pere doit auoir sur ses enfans : qui ne doit pas estre cruellement exercee auec rigueur. car si la loy[*](l.5.§. vlt. ad l. aquil.l. item quaeritur.§. item locate. l.1.de emendat. propin.C.) condamne à payer le prix de l’esclaue tué, par celuy qui auoit pris charge de l’enseigner, ores que ce fust en le corrigeant : à plus forte raison seroit condemnable celuy, lequel ayant la correction moderee sur les hommes de franche conditin, auroit vsé de telle rigueur, que mort s’en seroit ensuiuie : comme il aduenoit en Lacedemone, où les ieunes enfans estoyent flaitris si rigoureusement par le grand maistre de la ieunesse, qu’ils rendoyent[*](Plutar. in Lycurgo.) quelquesfois l’esprit sus l’autel de Diane, pendant qu’on les fessoit. car la plus part n’osoit crier, de crainte qu’ils auoyent qu’on les estimast de cueur lache. Et combien que l’Empereur[*](authent. habita. ne filius pro patre. C.) Frideric ii. donna aux Recteurs des vniuersitez iurisdiction, & q les principaux des colleges ayent tousiours eu la correction sus leurs disciples, cela toutefois ne s’entend que des choses legeres, quoy que plusieurs Iurisconsultes[*](contra Bald. halic. Castrensem Bartolum.) estendent ce pouuoir à la iurisdiction telle que les Magistrats ont par ottroy du souuerain. ce que l’Empereur, ny le Pape ne peuuent faire si non au pays qui releue d’eux. car combien que Gregoire xi. Pape, en vne bule ottroyee pour les priuileges de l’vniuersité de Paris, confirmatiue des bules des Papes Vrbain v. & Innocent vi. veut que si vn escholier commet crime digne de punition, que la cognoissance en soit seulement reseruee à l’Euesque, defendant que desormais on emprisonne pour debte quelconque : toutesfois les Roys de France, non plus que les Magistrats n’ont pas obligation à telles bules: Vray est que les colleges instituez pour la religion, ont ordinairement la correction d’autant plus grande, que leur reigle est plus estroite:
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C’est pourquoy ils sont exempts de la puissance[*](Accurs.in l.si ex causa §. Papinian.deminor.sequuntur Bart.BaldI. Alexan ad Bar.ibid Ludo.Bologn.in authent.ingressi de sacrosan.eccle C.Alberic.ibid nu.12.ait opinionem esse doctorum.& archidiaconus in c. non dicatis 12.q 1.& glo.quam sequuntur Panor. & Felin.quemadmod. pro seruo.Guido Pap. Singul.26.Bart.in auth.idem de bonis quæ liberis C.Bar.& Cune.in l.patre furioso de iis qui sunt sui Diuus in l. ergo de acquir.rerum.domin. Boeri.decis 121. Alexand.in l.sub conditione de liberis & posthum.) paternelle, & correction des peres. iaçoit que plusieurs tiennent[*](Bald.in l. final. §.1.de bonis quæ lib.C.Io.Andr.in cap.vlt.de iudic.lib.6.argu l.vlt. §.si autem. De bonis quæ liberis.C.Specul.in tit.de statu monachor.ver.12.Iacob.Butrig.in authent.si qua mulier. & ibi Bald.de sacrosan.C.angel. in l.sub condition.de lib.& posthu.) le contraire, mais leur opinion n’est pas suiuie: & neantmoins il est certain que la reuerence, & deuoir naturel des ensans enuers les peres, demeure tousiours en sa force, & vertu, quelque obligation, & veu qu’on face aux corps, & colleges: car les loix humaines, ny les statuts, & priuileges des Princes ne peuuent deroger à la loy de Dieu, & de nature, qui a disertement obligé les enfans à l’obeyssance des peres & meres, de laquelle ne se peuuent exempter les enfans, si ce n’est par emancipation expresse, ou taisible, ayant le consentement des peres pour faire veuz aux corps, & colleges: demeurant tousiours neantmoins l’honneur, & reuerence filiale:ores que les enfans soyent estimez tantost comme[*](Alexand.in l.sub condition.de lib.& posthu.) enfans de famille du college,[*](Bart.in authent.si qua mulier de sa cros.eccles.C.Bal.in l.cum adoptiuus de adop l.Angel.Bart.Paul.Alex.in d sub conditione & in l.apud hostes de suis & legit C.Castres.consil.29; lib.I Ancara.in c. de cetero de testib. Stepha.Bertrá.consil.66.lib.3.consil.116.eod. lib. Iaso. In l.qui se patris vnde liberi.C.) & le droit successif des enfans à eux laissé: & tantost comme[*](Bal.in l.I.nu.42.qui admit ti.C. Innoc.in cap.cum olim nu.4. de privileg.Iaso.in l.I.nu. 42. De vulgari & in l.cum fundus § 1.nu 17.si certum Ludo.Roma in l.is qui hæres §.neque.de acq hære.) esclaues. c’est puorquoy les Canonistes donnent aux Abbez iurisdiction sus leurs Religieux, priuatiuement[*](Felin.in cap.pastoralis de offi.ordin.& Panor.eod.contra l.vlt.de iurisd.C.&c. cum ecclesiatum.de offi.ordinar.)  aux Euesques, ce qui a esté confirmé par arrest[*](anno 1427 Februar.27.tex.in cap.ea quæ.cap.singulis.de statu regul.decis.capel.Tolosa.309.Guido.Pap.decis.delphi.559.)  du Parlement de Paris: de sorte qu’ils ne[*](cap.admonere.25.q.2.cap.scripturæ de voto & ibi Io.andr Bart.in authen.ingressi nu.34.Panor.in c.cum ecclesiarum col.I.de offi.ord.)  peuuent estre appellez en iustice, de ce qu’ils auroyent fait au parauant qu’entrer en monastere:ce qui doit estre entendu des ieunesses, & fautes legeres, autrement ce seroit faire ouuerture aux voleurs, & meurtriers de se retirer en tels colleges comme aux forests, pour euiter la peine: comme de fait il est aduenu fort souuent: à quoy les sages magistrats doiuent obuier, & suiuant la loy de Dieu, tirer les meurtriers de l’autel pour en faire iustice:comme la cour de parlement de Touloze fist, condemnant deux religieux de la daurade d’estre trainez sus vne claye au supplice, auec leurs habits, & mis en quartiers, pour auoir meurtri leur[*](anno 1560.en Iuin.)  superieur. Aussi l’Abbé peut estre appellé par ses religieux deuant le Iuge ordinaire, tant en matiere criminelle, que[*](argu.l.I.de precib.Imperatori.C.Innocent.in cap.insinuante.qui clerici vel vouentes cap.monachi.de statu monarch.)   ciuile: & se peuuent porter pour appellans de la sentence de leur Abbé au superieur: comme il a esté souuent iugé par les arrests du Parlement de Paris: & mesme Nicolas Abbé de Palerme a tenu, que l’adiournement se peut faire sans demander congé, comme il a esté iugé[*](anno 1544 Decembris 15.) a  par arrest du Parlement de Bourdeaux. Et pour mesme raison si le college veut chasser, ou priuer l’vn des collegues de ses droits, priuileges, & libertez, sans cause la cognoissance en appartient au iuge ordinaire du college. Combien qu’anciennement les corps, & colleges d’artisans, marchans, & autres semblables, auoyent ceste puissance, ainsi que nous lisons en Ciceron[*](consil.88.lib 1 3 ad Q. fratrem.)  des matchans Romains, Mercuriales, dit-il, & Capitolini M. Furium, hominem nequam, equitem Romanum, de collegio eiecerunt. & en Lacedemone, il estoit[*](Plutar.in Lycurg.)  permis chasser hors les assemblees, & colleges que i’ay dit cy dessus, celuy qui auoit decouuert les secrets de la compagnie. En cas semblable l’Abbé de Palerme tient que les chapitres ont bien pouuoir de chasser
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Du[*](in c.cum contingat.col.9.de foro competenti.& pragma de concub.§ quod si. In glo.in verb.pertinet not.in cap.quanto.de off.ordin.)  chapitre l’vn des collegues, ou le priuer, de ses distributions ordinaires, & non pas de le battre, ny vser de correction seuere ny mesmes de l’emprisonner, comme il a esté iugé par arrest du Parlement de[*](le 15.Octobre 1534.& pour la priuation de la distribution, iugé l’an 1391.)  Paris. Mais on peur douter si le college peut faire ordonnance, que nul des collegues se puoruoye par deuant autres iuges que le college: & si au preiudice des defenses, on se peut addresser au Magistrat, sans estre tenu de la peine ciuile apposee aux defenses.Sceuola[*](l.vlt.de decretis ab ordine faciend.) Iurisconsulte est d’aduis, que on ne se peut addresser aux Magistrats, obstant les defenses du college, sinon en payant la peine portee au statut du college.Mais ceste reigle n’est pas generale : & ne peut auoir lieu en cas de crime, non plus que les peines conuentioinelles apposees aux arbitrages, n’ont point de lieu, [*](l non distinguemus §.Iulianus de recept arbitr.)  s’il y va du crime. En second lieu ie tiens que l’ordonnance du college en cas ciuil ne doit quoir lieu, si tous les collegues n’y ont presté consentement, comme il se fait és arbitrages. Car en toutes communautez, quand il est question de ce qui est commun à tous en particulier, & diuisement, le consentement expres d’vn chacun y est[*](cap.dilecta.de excessib.prælat.l.per fundum.rustic.præd.& § religiosum.de rerum diuis iu institut.)  requis:mais s’il est question de ce qui est commun à tous par indiuis, & conioinctement, il suffist que la pluspart soit d’vne opinion, pour obliger le surplus:pourueu qu’il ne soit rien ordonné contre les statuts du college, estabilis par le souuerain, ou bien par le fondateur du corps & college, auctorisé par le souuerain. demeurant donc les ordonnances de la Republique, & les statuts en leur entier, le college peut faire ordonnance, qui oblige la moindre partie en nom collectif, & tous les collegues en particulier, [*](l.3.&4.quod cuiusque vniuersitat.)  pourueu q (que?) les deux tiers ayent assisté à l’assemblee, ores qu’ils n’ayent pas esté tous d’vn aduis, és choses qui concernent la communauté: mais la plus part de tous assemblez en corps, ne sont point tenus à leurs statuts, & beaucoup moins tout le college:non plus que le Prince[*](l princeps de legib.l. à titio §.nulla.de verb.obliga.)  à sa loy, ou le testateur à son[*](l.si quis in principio de legat.1.) testament. Ou les particuliers à leurs[*](l.ab emptione de pactis.)  conuentions, desquelles ils se peuuent departir d’vn commun consentement. & sufist des deux tiers du college, pour casser l’ordonnance faicte de tout le[*](Innocent.in cap.humilius de maioritate.Ludo.Rom.in tit.de arbitris.col.15.)  college. ce qui est general à toutes sortes de communautez estats corps & colleges, s’il n’est question que de choses communes à tous en nom collectif: ores que toute la communauté eust ordonné, que les statuts ne fussent cassez, si tous les collegues n’estoyent de cest aduis: car tousiours la pluspart de la communauté eust ordonné, que les statuts ne fussent cassez, si tous les collegues n’estoyent de cest aduis: car tousiours la pluspart de la communauté pour traiter, & decider les affaires communes, puisse obliger vn chacun du college. En quoy s’abusent ceux là qui ont[*](Panorm.ita scribit in cap.constitutus de appel.glo.in cap.si cui.de elect.lib.6.)  escrit, que les deux tiers du college ne peuuent rien faire, si le college a fait statut que tous y fussent. Car si cela auoit lieu, vn seul pourroit empescher en ce cas les aduis, arrests, & deliberations de toute la communauté: qui est contre la disposition formelle[*](l.quod maior.ad municipal.l.3.l.nominatim de decurio.C.l.vbi de tutor.l.3.de decretis.)  de la loy, qui veut que la pluspart en tous actes concernans la communauté, soit la plus forte: & que la pluspart[*](l.3.l.4.l.item.quod cuiusque vniuersitat.Bartol.Angel.Castrens.ibid.Anto.Panor.in cap.pastoralis.de rescript.§.I l.2.de prædiis curialium.)  des deux tiers, puisse donner loy à tous en particulier,
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Soit qui’ils ayent esté presens, ou absens. & mesmes és choses legeres il n’est besoin que tous soyent presens, pourueu que tous soyent[*](cap.si ad ea de concess.præbendæ cap.quod sicut.de elec.Panor.in cap.bonæ eod.Felin.in cap.cum omnes de constitut.)  appellez : mais és choses de poids, & consequence, il est besoin que les deux tiers soyent presens, ores qu’ils ne prestent pas tous leur consentement : s’il n’y a loy, ou ordonnance speciale, qui vueille que les deux tiers soyent d’vn aduis : comme il est requis és corps & colleges des iuges de ce Royaume par l’ordonnance de Gregoire X. pour l’election du Pape, il faut que les deux tiers des Cardinaux soyent d’vn aduis : comme en plusieurs elections des chefs de colelge, il est necessaire que les deux tiers du college soyent d’accord, comme, il estoit requis que tous les Tribuns fussent d’accord autrement vn seul empeschoit tout le college des Tribuns. & s’ils estoient tous d’accord on mettoit en l’acte ces mots PRO COLLEGIO. Autrement s’il n’y a statut ou ordonnance speciale, la pluspart des deux tiers sufist en tous actes, concernans la communauté des corps, & colleges. Mais aussi est-il necessaire, que le consentement duquel nous parlons, soit presté en assemblee du corps, ou college : car combien que tous les collegues eussent consenti separément à quelque chose, concernant ce qui est commun à tout le college si est-ce que l’acte ne peut auoir[*](l.2.de decur.C.Panor.Felin.Anton.Butrio.in cap.cum omnes.de constitut.) aucun effect, ny pour, ny contre ceux qui l’ont consenti, iaçoit que ce fust deuant notaires, car le college n’a pas fait, ce que tous les collegues ont fait[*](Accurs.In l.sicut quod cuiusque vniuer.Bart.in l.aut facta de pɶnis Panor.in cap.gratum.de postul.præla.)  separément. & ne sufist pas que tous ceux d’vn corps soyent appellez, si ce n’est en temps, & lieu ordonné par les statuts. En quoy plusieurs se sont trauaillez, à sçauoir qui sera celuy qui assemblera le college : & sont d’aduis, que le plus ancien du college a puissance[*](Innocent.in cap.1.de maiorit Anto.Butrio Imola.Panor.in cap.cum nobis olim de elect.Bart.in l.I.de albo scribendo.Panor.in cap.quæsiuit.de iis quæ fiunt à maiore parte.Bal.in l.I.de fide instrument.C.& in l.obseruare de decurio.C.Ludo Roman.in l.si vero.§.de viro fallent.54.soluto matri.Cardinal in cap.licet.de elect.Imol.in cap.cum omnes.de constitut.& in l.I.§.fuit quæsitum.ad rebel. Bal.in cap.I.col.6.de Iudic.Tiraq.in tract de iure primigen.nu.116.117.)  de faire appeller les autres, & les contumacer, non pas toutesfois qu’il puisse les condamner à l’amende : qui est chose ridicule, si la contumace ne peut estre punie par luy, ny par ceux du college, comme il est bien certain. Aussi les vns[*](Panor.sin oblitus in cap.cum omnes.de constitut.)  se sont departis de ceste opinion, & on tenu que les deux tiers du college, pour faire appeler les autres, se doiuent assembler.mais ils ne disent point qui fera appeler les deux tiers. Combien que s’il sufist de deux tiers pour faire, & arrester les affaires du corps, &[*](d.c.pastoralis.§ 1.de rescript.l.4.§.item.quod cuiusq ;vniuersitat.)  communauté, il ne se faut point trauailler du surplus. Toutesfois la coustume gardee presque en tous corps, & colleges est, que les plus anciens sont appeler les autres, ou bien ils s’assemblent au son de la cloche, ou de la trompette, comme il se faisoit anciennement en Grece, & en Rome, quand les Magistrats, qui auoyent ceste puissance de faire assembler le peuple ou le Senat, faisoyent publier leurs mandements à son de trompe, à tous en particulier, & non pas en nom collectif. & cela proprement s’appelloit concio, comme dit Feste Pompee. [*](Festus in verbo concio.)  & pouuoit le Magistrat proceder par amendes, & saisie de meubles contre ceux qui feroyent refus. Ainsi voyons nous[*](Philip.2.)  que Marc Antoine Consul menaça Ciceron de luy faire ruiner sa maison, s’il ne ve-
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noit au Senat. Il n’y a point difficulté, quand les Magistrats ont puissance de commander. Mais si le colelge n’a point de chef ny de Magistrat qui ayt pouuoir de contraindre ceux qui ne voudront obeyr, celuy qui a interest à faire assembler le colelge, doit obtenir commission du Magistrat, pour vser de[*](glos.in cap.si capitulo de concess.præben.)  contrainte. Donc pour conclure ceste question de la puissance des estats corps & communautez licites, nous dirons que la loy de Solon a lieu generalement en toute Republique, & est aprouuee des[*](in l.vlt.de collegiis.)  Iurisconsultes &[*](Panor.in cap olim omnes de constitut.in cap.nuper de decimis.Bald.in d cap :cum omnes.)  Canonistes, c’est à sçauoir qu’il est permis à tous corps, & communautez licites, faire telles ordonnances qu’ils aduiseront pour le mieux, pourueu que par icelles il ne soit derogé aux statuts du college faits, ou homologuez par le souuerain, ou contre les edits, & ordonnances de la Republique. Il n’estoit point defendu anciennement aux corps & colleges de faire ordonnance, sans deroger aux loix publiques, & y aposer telle, & si[*](l.vlt.de decretis ab ordine.)  grande peine qu’il plaisoit au college : mais depuis par les statuts, & ordonnances de chacun college & Republique, ce pouuoir a esté ordinairement retranché à certaine petite amende. Et ne suis pas de l’aduis de ceux[*](Panor.in cap.quæ in ecclesiarum de constitut.Angel.consil.267.Bart.in l.omnes populi ex §.in hoc.24 q.2.Innocent in cap cum accessissent de constitut.Io.Andr.in cap.cum omnes.eod.Ancaran.in cap.licet causam de probat.)   qui tiennent qe le college peut establir ordonnances, sans toutesfois peine quelconque.car la loy, l’ordonnance, le statut est inutil, & ridicule, si la peine n’est apposee contre ceux qui desobeyront : ou pour le moins que celuy qui fait l’ordonnance, n’ayt la puissance de la faire entretenir par peines arbitraires. Aussi voit-on en plusieurs lieux que les corps des mestiers, qui ont droict de communauté, ont tousiours quelque forme de coërtion, & de visiter les ouurages, & marchandises, les saisir, gaster, ou confisquer, s’il est rien fait contre les ordonnances :sauf toutesfois la cognoissance du Magistrat, s’il y a opposition.Quand ie dy droit de communauté, i’entends que les corps, & colleges puissent traiter en leurs assemblees seulement ce qui leur est commun :[*](Accurs.in l.2.quæ sit longa consuetud.C.)  mais il n’est pas permis traiter autres affaires, sous la peine[*](l.sub prætextu.de extraordin.crimin.l.semper.§.quibusdam de iure immunitatis.Bart.eod.)  establie aux corps, & assemblees illicites. Voy la quant à la puissance, droits, & priuileges des corps, & communautez en general.disons maintenant de la forme d les punir, s’il ont offensé. Combien qu’on peut dire qu’il n’echet point de peine, où il n’y a point d’offense. or est-il que le college, ou la communauté ne peut offense : veu mesmes que le college ne peut[*](l.3.§.I.de acq.poss.l.I.de libertis vniuersit.) consentir, ny rien faire par dol, ou fraude, comme dit la[*](l.sed ex dolo.§.I de dolo innocent.in cap.grauem de sentent. excommunicat. Angel.& Castrensis in d.§.I.) loy, & qu’il n’y a point d’action de dol contre vn corps, ou communauté, ores que tous les collegues d’vn mesme college, ou les habitans d’vne ville, ou les estats d’vn pays eussent consenti : chose toutesfois qui est impossible és corps, & communautez de villes, contrees, prouinces, ou Republiques :attendu que les enfans, & furieux ne peuuent consentir. mais d’autant que les actes faicts par la pluralité des collegues assemblez collegialement, ou d’vn corps de ville en assemblee legitime, sont reputez comme s’ils estoyent faits par tout le college, ou par tous les habitans d’vne ville, c’est pourquoy en ce cas toute la communauté est punie : comme
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il se fait és rebellions des villes, & seditions des communautez. Qui sont punies en crps par priuation de priuileges, droit de communauté, amendes, charges, seruitdes, & autres peines selon la qualité du forfait. mais telle punition ne doit auoir lieu, si la rebellion, ou autre crime ne s’est commis par l’adueu de la communauté, & arresté en l’assemblee :comme il fut iugé par arrest[*](ex l.semper §.2.quod vi.l.aliud de regul.)  de la cour de parlement, pour la communauté de Corbeil. & neantmoins s’il echet punition corporelle, on ne doit punir que ceux qui ont presté consentement, [*](in l aut facta.de pɶnis & ibi Bart.Panorum.in cap.gratum de postul.prælat.l.semper.§.1.quod vi.)  ores que la communauté, ou college oit condammné en corps. Car mesmes pour simple delict faict par plusieurs sans college, ny communauté, il n’y a sinon action contre vn chacun en particulier, & pour le tout, de sorte que l’vn ayant saisfait, les autres sont quites : mais si la chose s’est faicte par quelqu’vn suiuant l’aduis, conseil, & deliberation de tous, ils peuuent tous estre appellez & chacun solidairement, iaçoit que l’vn estant appellé les autres ne sont pas quites.[*](d.l.semper.)  Mais on peut dire qu’il n’y a point d’apparence que plusieurs, voire la pluspart d’vn college, ou communauté, soyent declairez innocens, & neantmoins qu’ils soyent punis en corps, és cas que i’ay dit cy dessus. A celà ie responds, qu’il est encres plus estrange, que les innocens soyent tirez au sort auec les meschans, & que ceux-là soyent punis sur lesquels tombera le sort : comme il se faisoit quand l’armee estoit decimee, pour s’estre portee lachement contre les ennemis, les plus hardis & vaillans, estoyent bien souuent tirez, & comme laches executez. C’est l’exemple duquel vsa la Senateur Cassius, [*](Tacit.lib.14.)  quand il persuada en plein Senat que on mist quatre cens esclaues à mort, ores qu’il n’y en eust pas vn qu’on peust dire coupable du meurtre commis en la personne de leur maistre. adioustant ces mots, Omne magnum exemplum habet aliquid ex iniquo, quod publica vtilitate compensatur. Ce n’est pas dira quelqu’vn, payer la debte, d’alleguer vn inconuenient. Ie responds que la plus belle iustice qu’on peut faire, c’est d’echeuir de plusieurs inconueniens le plus grand, quand il est question des forfaits, qu’il ne faut laisser impunis. car nous voyons que les plus sages[*](l.vulgaris.§.penul.de furtis ff.l.si plures de iniur.ff.)  & aduisez Iurisconsultes ont decidé, que s’il y a quelqu’vn tué, frapé, ou derobé par plusieurs, tous en sont tenus solidairement, encores qu’il n’y ayt qu’vn qui ayt fait le coup, ou qu’il soit du tout incogneu qui c’est : & neantmoins les Iurisconsultes[*](l.ita vulneratus fine ad l.aquil.)  n’ont point d’autre raison, que l’inconuenient qui aduient plus grand d’vn costé, quand on veut fuir l’autre :qui est le plus fort argument qu’on puisse auoir, pour esclaircir la verité de toutes choses, quand tous les autres defaillent. Nous ne parlons pas icy de ce que font les ennemis aux villes assiegees, & prises par force, pillans, tuans, saccageans aussi bien l’innocent, que le meschant : mais de ce que doit faire le Prince enuers ses sugets rebelles.combien que les Romains, lors qu’ils estoyent estimez les plus iustes peuples de la terre, n’ont pas tousiours suiui la reigle que nous auons posee :mais souuent ils ont puni, non seulement en corps, ains aussi en particulier tous les ha- 359 bitans des villes rebelles, apres les auoir prises. & neantmoins il ont tousiours gardé ce point, que les chefs ont esté punis plus griefuement, & conserué ceux qui ont resisté aux mutins : ayans esgard, fi en corps & communauté la rebellion estoit deliberee, & arrestee. Valerius Leuinus [*](lib.26.) Agringento capto, dit Tite Liue, qui capita rerum erant, virgis caesos securi percussit, caeteros praedamque vendidit. & en autre lieu, Quoniam authores defecti nis, inquit, meritas poenas à diis immortalibus, & à vobis babent. P. C. quid placet de innoxia multitudine fieri tandem ignotum est illis, & ciuitas data. & le Consul Fuluius, apres auoir pris Capouë, punit capitalement quatre vingts Senateurs, outre xxvii. qui s’estoyent empoisonnez: & trois censgentilshommes moururent prisonniers: le surplus des habitans furent vendus comme esclaues. Et quant aux autres villes, qui estoyent sous l’obeissance des Capoiians,il n’y eut que les chefs punis. Atella Calatiaque, dit Tite Liue, in deditionem accepta, ibi quoque in eos qui capita rerum erant animaduersum. L’autre Consul Appius vouloit aussi qu’on s’enquist des alliez, qui auoient eu secrettement part à la coniuration : mais Fuluius l’empescha disant que ce seroit solliciter les fideles & loyaux alliez à se rebeller, en adioustant soy aux trahistres Capoüans. Quoy que ce soit, nous trouuons que les Romains ont laissé bien peu de rebellions impunies, tant que la Repub. a esté populaire. Et quant aux Empereurs Romains, les vns ont vsé de grace, les autres de cruauté extreme. l’Empereùr Aurelian ayant mis le siege deuant la ville de Thyane, iura qu’il n’echaperoit pas vn chien, qui ne fust mis à mort, ayant forcé la ville, il defendit de tuer personne & lors qu’il fut sommé du serment qu’il auoit fait, il dist qu’il n’auoit entendu parler que des chiens, qu’il fist tous mettre à mort..[*](Vopiscus in Aureliano.) aussi Henry v. Empereur ayant condamné Bresse à estre rasee, & mise en friche, leur pardonna neantmoins affin que les iustes ne portassent la peine des iniustes : suiuant en cela la bonté de Dieu, qui promet pardonner a tout vn pays s’il y en a dix iustes. les autres ont ysé de cruautez barbares, tuans sans discretion bons, & mauuais, pour la faute de quelques vns. comme l’Empereur Caracala, lequel pour vanger sa douleur de quelques chansons qu’on disoit en Alexandrie contre luy, fist entremesler les soldats auec le peuple, pendant qu’on regardoit les ieux: & au signal donné ils tuerent vne infinité de peuple: ce qui auoit esté au parauant executé en Hierusalem, & depuis en Thessalonique, où l’Empereur Theodose le grand, fist tuer fept mil habitans pesle mesle, pour le meurtre commis en la personne de quelques magistrats, sans l’auoir deliberé, ny arresté en corps, & communauté. Xerxes Roy de Perse ysa d’vne autre vengeance non pas si grande, mais bien plus contumelieuse, faisant couper le nez à tous les habitans d’vne ville de Syrie, qui depuis fut appellee Rhinocura quasi pour semblable faute de quelques vns. Comme aussi le dictateur Sulla fist mourir tous les habitans de Perouze, & ne pardonna qu’à son hoste, lequel voulut aussi mourir, disant qu’il ne vouloit pas tenir la vie du meurtrier 360 de sa patrie, comme dit Plutarque. Cela pourrait estre supportable, quand les vaincus ayment mieux mourir que d’estre sugets: & non pas s’ils sont contents de seruir, ou d’obeir, comme les Pisans s’estans rebellez contre les Florentins leurs seigneurs, foubs la faueur de Charle viii. s’abandonnerent au Comte Valentin, qui ne les peut guarentir : & puis aux Geneuois qui n’en voulurent point, non plus que les Venitiens : & neantmoins apres vn long assiegement se rendirent aux Florentins, qui les traiterent doucement, & depuis sont demeurez bons sugets. mais Loüys Comte de Flandres dernier de sa maison, car apres sa mort le Comte tomba en la maison de Bourgongne, ayant reduit les Gantois à telle necessité pour leurs rebellions, de demander grace & pardon ne voulut pas les receuoir, ains leur fist dire qu’ils vinssent tous deuant luy la hard au col luy demander pardon, & qu’il aduiseroit ce qu’il auroit à faire. Ce qui meit ce pauure peuple en tel desespoir, qu’ils allerent iusques au nombre de cinq mil affronter l’armee du Conte de xl. mil hommes, qu’ils deffirent, & rendirent toutes les villes de Flandres soubs leur obeissance, excepté seulement Andenarde: & le Comte s’estant sauué de la defaite s’alla musser sous le lict d’vne pauure femme, qui le fist eschaper en cueilleur de pommes : & depuis n’ont iamais esté obeyssans aux Comtes. On aperceut alors qu’il n’y a rien plus vaillant contre son seigneur, que le suget desesperé : ny guerre plus iuste, que celle qui est necessaire, comme disoit vn ancien Senateur Romain. Ce peuple duquel i’ay parlé, outre la peine ineuitable, estoit reduit à souffrir vne contumelie pire que la mort. Car la contumelie est tousiours plus grande enuers les hommes genereux, que la mort. Et aduient quelquefois, qu’ils doublent la contumelie, & la cruauté ensemble : comme fist Federic ii. Empereur, enuers les Milanois: apres auoir tué les principaux, & rasé la ville, il vsa d’vne peine plus contumelieuse que cruelle enuers les autres: comme aussi fist Dagobert Roy de France, enuers les habitans de Poitiers, pour auoir donné secours à ses ennemis, il ne se contenta pas de tuer les habitans, ains aussi fist raser la ville, & l’ensemancer de sel. Mais tout ainsi que les Princes qui passent par souffrance, les seditions, & rebellions, des corps, & communautez de villes ou prouinces, donnent exemple aux autres de les suiure : aussi ceux-là qui exercent leur cruauté sans mesure, non seulement ils emportent la qualité de tyrans barbares, & cruels, ains aussi hazardent leur estat. Celuy meritera la loüange de iuste Prince & conseruera son estat, qui tiendra le moyen de punir les chefs, & autheurs des rebellions. comme fist Charle de France, qui depuis fut Roy de Naples : lequel ayant la commission pour chastier les habitans de Mont-pellier leur osta tout droict de communauté consulat, & iurisdiction : & ordonna que les murailles seroyent rasees, les cloches abatues, & les condamna à six vingts mil francs d?or. Il y en a qui ont escript que la moitié des biens des habitans furent confisquez: & entre les bourgeois 600. partie noyez, partie penus, & le reste bruslez. Neantmoins la chose fut depuis moderee en forte, qu’il n’y eut que les coupables exe- 361 cutez: comme en cas pareil il fut fait à la rebellion de Paris soubs Charle vi. qui fut encores plus douce: iaçoit qu’il n’y eust eu à Montpellier ny assemblee de ville, ny coniuration deliberee en corps. Et quand bien tous les habitans d’vne ville, en particulier, & en corps auroient deliberé, consenti, arresté vne rebellion , ou coniuration, si est-ce qu’il ne faut pas que le sage Prince s’auance de les punir tous: attendu le danger qu’il y a pour l’estat. Et pour ceste cause le Consul T. Quinctius voyant le peril qu’il y auoit de vouloir punir l’armee qu’il auoit soubs sa conduite, pour la rebellion, apres auoir apaisé les choses, il s’en retourna à Rome, & presenta requeste au peuple, par l’aduis du senat, qui fut enterinee sus le champ, Ne cui militum fraudi esset secessio. Et en cas semblable la rebellion des soldats à la ville de Sucrone, fut punie par l’execution de xxx. hommes seulement. certabatur, dit Tite Liue, utrum in autores tantum seditionis xxxv. animaduerteretur, an plurium supplicio vindicanda defectio magis esset quam seditio. vicit sententia leuior, vt vnde orta culpa esset, ibi poena consisteret, ad multitudinis castigationem satis esse. & peu apres en la harangue que Scipion fist à l’armee, il dit ces mots, Se non secus quam viscera secantem sua cum gemitu, & lacrimis xxx. hominum capitibus, expiasse octo millium noxam. Mais quand le Consul Appius, superbe, & haut à la main, voulut vser de sa puissance sus l’armee, les capitaines, & lieu-tenans, l’en destournerent. luy remonstrans, qu’il estoit fort dangereux d’eprouuer sa puissance, qui n’estoit fondee qu’en l’obeissance des sugets. Et combien que la punition se peust faire sans crainte: si est-ce qu’il n’en faut pas vser, & suffist en la punition des corps, & communautez, vt poena ad paucos, metus ad omnes perueniat: comme disoit vn ancien orateur. Encores ne faut-il pas que le Prince souuerain soit executeur de telles punitions: s’il se peut faire en son absence : affin que le cueur de ses sugets ne soit aucunement aliené de luy. ains au contraire il est besoin qu’il modere la peine, que ses lieu-tenans auront imposee. Nous en auons l’exemple d’Antioque le grand Roy d’Asie, lequel donna commission à Hermeas Connestable de chastier la rebellion des habitans de Seleucie, condamna le corps de la ville à six cens mil escus d’amende. Le roy Antioque rappella tous les bannis, & se contenta de lxxxx.mil escus: & restitua la ville en tous ses priuileges[*](Polybius lib 5.). Et sans aller plus loing, le Roy Henry ayant donné commission au Duc de Mont-morency Connestable, de chastier la rebellion du pays de Guyenne, & mesmement des habitans de Bourdeaux, otroya depuis abolition generale, & remist le rasement de la maison de ville, l’amende de deux cens mil liures, & les frais de la conduite de l’armee, en quoy les habitans de Bourdeaux estoient condamnez: & restitua le droit de corps & college de ville: exceptant seulement ceux qui auoient mis la main sus les officiers, & quelques priuileges, & domaine de la ville qui fut re- 362 tranché. L’Empereur Charle v. en vsa tout autrement, contre les habi-[*](Punition des Gantois.)-tans de Gand, car luy mesme en presence voulut saouler son appetit de la vengeance qu’il print de mil seditions, & rebellions qu’ils auoient accoustumé de faire de toute ancienneté, & qui estoient iusqucs alors demeurees impunies par la souffrance, ou impuissance des Comtes de Flandre. Et quasi au mesme temps, le Roy François i. alla en personne, pour chastier la rebellion des Rochellois, ausquels toutesfois il pardonna , sans faire mourir personne, disant qu’il n’auoit pas moins d’occasion de venger sa douleur que l’Empereur: & neantmoins qu’il aimoit mieux accroistre ses louanges à conseruer, qu’à ruiner ses sugets. Si on fait iugement de ces trois Princes on dira peut estre que l’vn a efté trop seuere en la punition d’vne communauté, le second a par trop affecté la douceur: car vne rebellion passee par souffrance, tost apres en attire vne autre: le troisiesme a moderé l’vn & l’autre, tenant la mediocrité entre la douceur & cruauté, qui est le moyen de la vraye iustice que la loy veut[*](l. respiciendum de poenis.) estre gardé en la punition des forfaits, mesmement où il est question de punir vne multitude, en communauté, ou sans communauté. Le mesme Empereur Charle v. pardonna vne faute capitale au premier chef de lese maiesté, quand tous les estats d’Espagne se rebellerent contre luy, lors qu’il partit pour aller prendre possession de l’Empire, combien qu’ils eussent ia tiré de prison, voire esseu le Duc de Calabre pour Roy, qui ne le voulut accepter. il n’y en eut pas vn puni : qui estoit sagement fait, car la maladie estant vniuerselle, il eust r’enflammé le seu qui estoit mal estaint. Reste à voir si la Republique se peut passer de corps & colleges. Nous auons dit que les hommes par societez & compagnies mutuelles, s’acheminerent aux alliances, & communautez des estats, corps, & colleges: pour composer en fin les Republiques que nous voyons: qui n’ont point de fondement plus seur apres Dieu , que l’amitié & bienueillance des vns enuers les autres: laquelle amitié ne se peut maintenir que par alliances, societez, estats, communautes, confrairies, corps & colleges. Et par ainsi demander si les communautez & colleges sont necessaires à la Republique, c’est demander si la Republique peut estre maintenue sans amitié, sans laquelle mesme le monde ne peut subsister. Ce que ie dy, pour autant qu’il y en a qui ont esté, & sont d’aduis que tous corps, & colleges soient abolis: & ne regardent pas que la famille & la Repub.mesme, ne sont rien autre chose, sinon communautez. Qui est l’erreur auquel les plus grands esprits s’aheurtent le plus souuent. car pour vne absurdité qui aduient d’vne bonne coustume, ou ordonnance, ils veulent rayer, & bifer l’ordonnance: sans auoir esgard au bien qui en reuscist d’ailleurs. Ie confesse bien que les colleges, & communautez mal reiglees, tirent apres soy beaucoup de factions, seditions, partialitez, monopoles, & quelquefois la ruine de toute la Republique & qu’au 363 lieu d’vne amitie sacree,& bienueillance charitable,on y void naistre des conjurations, & conspirations des vns enuers les autres. Et qui plus est, on a veu soubs vmbre de religion, que plusieurs colleges ont couué vne execrable & detestable impieté, il n’y a point de meilleur exemple que la confrairie des Bachanales en Rome, où il y auoit plus de sept mil personnes partie accusez, attains, conuaincus, & plusieurs executez & bannis, pour les meschancetez abominables qu’ils commettoient soubs voile de religion: qui a la plus belle, & la plus diuine apparence qu’on sçauroit imaginer: comme disoit le Consul, parlant au peuple Romain des impietez qu’il auoit auerees, Nihil in speciem[*](Liuius lib.39.) fallacius praua religion, vbi Deorum numen praetenditur sceleribus subit animum timor. Qui fut la cause d’abolir les confrairies des Bachanales par toute l'Italie, par arrest du Senat, qui fut homologué par le peuple & passa en force de Loy[*](Liuius eod. lib.), que deslors en auant on ne feroit aucuns sacrifices sinon en public. Ce que long temps au parauant vn sage Grec auoit suadé aux Atheniens, disant que les sacrifices nocturnes, luy estoient merueilleusement suspects. Aussi est-il beaucoup plus expedient en toute Repub.de permettre en public les assemblees, colleges, & confrairies, qui pretendent le fait de religion, ou les oster du tout, que les souffrir en secret, & à la desrobee. & comme disoit Caton le censeur, Ab nullo genere non summum periculum est, si coetus, & concilia, & secretas consultationes esse sinas. Car il n’y a coniuration qu’on ne puisse faire en telles assemblees secrettes, qui croissent peu à peu, & en fin l’apostume creue, qui infecte toute la Repub. comme il aduint en la ville de Munstre, où les Anabaptistes multiplierent si bien en secret, qu’ils enuahirent l’estat de Vvestphalie. & en Italie les colleges, & confrairies des Pithagoriens, attirerent à leur cordelle tant de disciples, que les plus grands seigneurs y coururent: & lors ils voulurent changer les estats populaires en Aristocraties, mais le people courut à sus, & en brusla fort grand nombre assemblez en vn lieu. ce qui troubla, dit Polybe[*](Polybius lib. 3.), presque tous les estats d’Italie,&: de la Grece. Et pour ceste cause les Empereurs, & presque tous les Princes, Papes, & conciles restituant aux Iuifs le droict des corps[*](toto titulo de Iudaeis. Cassiodor. lib. 5. ea. qui syncera. 45. dist. & in council. Tole__ de iudaeis 45. distin. cap quinto. cap. post miserabilem. de vsuris lib. 6. & xxviii. q. i.ca saepe vide consil. Ioan. de lignano. xix.) & colleges, que Tibere, Claude, & Domitian leur auoient osté anciennement, ils voulurent que leurs prieres se fissent en public. Ce que le Roy Pharaon leur vouloit bien ottroyer, mais Moyse luy dist, que les Ægyptiens les lapideroient. Et pour en dire la verité c’est chose fort malaisee, d’entretenir corps & colleges, pour quelque religion que ce soit quand elle est contraire à la religion du peuple, ou de la pluspart d’iceluy : qui bien souuent ne peut estre contenu, ny par loix, ny par magistrats, si la force des gardes n’est bien grande. car mesme on a veu Thomas Empereur de Constantinople, estre cruellement tué par le peuple en pleine Eglise, par ce qu’il vouloit abolir les images. On a veu aussi en la ville de Francfort quatre corps & colleges de diuerse religion publiquement ap- 364 Prouuees, & exercees: à sçauoir celle des Iuifs, des Catholiques, des protestans, & de la confession de Genefue: mais il aduint l’an M.D.LXII. au mois de May, que les protestans, s’asseurans des forces, & de la souueraineté de leurs partisans, se ruerent sus ceux de la confession de Genefue: qui fut cause qu’elle fut ostee. Ce qui n’est pas tant à craindre, quand les sectes sont receuës d’ancienneté, comme celle des Iuifs, ausquels les Princes d’Europe, & de Barbarie, ont presque tousiours accordé leurs anciens priuileges, & des corps, & colleges, pour l’entretenement de leur religion: en payant par eux certaines charges, comme ils faisoient aux Empereurs Romains l’impost qu’n appelloit[*](l.I.de auro coronario.C.) Aurum coronarium , que les Empereurs d’Almagne donnent ordinairement aux[*](Martin.de cazar.sectio.4.de princ.) Imperatrices: pour la confirmation de leurs priuileges, qui sont encor plus grands en Pologne & Lituanie qu’en lieu du monde, depuis qu’ils furent ottroyez par[*](aux ordonnances de Pologne.) Cazimir le Grand, Roy de Pologne, à la suasion d’vne Dame Iuifue nommee Hester: comme ils auoient eu anciennement du Roy de Perse, par le moyne d’vne Iuifue de mesme nom: où ils multiplierent si bien qu’il n’y auoit prouince à la grande Asie, qui n’eust vne colonie de Iuis, comme nous lisons én Ioseph, & Philon. Il se peut faire aussi, que les colleges des sectes sont si puissans, qu’il seroit impossible, ou bien difficile de les ruiner, sinon au peril, & danger de l’estat. En ce cas les plus aduisez Princes ont accoustumé  de faire comme les sages pilotes, qui se laschent aller à la tempeste, sachant bien que la resistance qu’ils feroient, seroit cause d’vn naufrage vniuersel, cela s’est veu sous l’Empire de Constans, lequel maintenoit les corps, & colleges des Arriens, no pastant pour l’affection qui leur portoit, ainsi que plusieurs ont escrit, que pour conseruer ses sugets, & son estat. Car mesme Theodose le Grand, qui fut tousiours contraire à leur opinion, maintint les vns, & les autres en paix, & obeissance, & plus encor Valens, & Valentinian, iaçoit que l’vn fust Arrian, l’autre Catholique:& depuis Zenon qui fist publier l’edit de paix, & vnion qu’ils applloyent Henosticon: & à son exemple Anastase fist publier l’edit doubliance:cherissant les prescheurs sages & modestes: & chassant ceux-là qui estoient trop[*](Euagrius lib.3 c 29.Nicephor.callistus lib.16.c 16.) vehemens. Mais il est certain que le Prince portant faueur à vne secte, & mesprisant l’autre, l’aneantira sans force, ny contrainte, ny violence quelconque:si Dieu ne la maintient. Car l’esprit des hommes re solus, plus se roidist, tant plus on luy resiste, & se lasche si on ne luy fait teste. Ioint aussi qu’il n’y a rien plus dangereux à vn Prince, que de faire preuue de ses forces contre les sugets, si on n’est bien asseuré d’en venir à chef. Car c’est armer, & monstrer les griffes au lyon pour combatre son maistre. Et si les plus sages Princes y sont fort empeschez, que doit on attendre d’vn Prince qui se voit assiegé de flateurs, & de calomniateurs, qui souflent à toute puissance le feu de sedition, pour embraser les plus grandes maisons? Comme soubs les  365 premiers Empereurs, on trouua des calomnies si lourdes, & impudentes, qu’il n’en fut onques au parauant inuenté de plus estranges, pour abolir les corps, & colleges des Chrestiens:car on les chargeoit d’estre Atheïstes, incestueux, & parricides, & manger le fruict qui[*](Idem Epiph.tradit de gnosticis, eos in mortario partus ex incestu natos oua cum farina melle & aromatis contundere ac pin sere, ex eoque placentas sacere consueuisse vt ex his vescerentur, idque sacramentum fuisse corporis & sanguinis.)  prouenoit de leurs incestes:aini qu’on peut voir aux Apologies de l’Orateur Athenagoras, & de Tertulian. la mesme accusation fut intentee contre les templiers soubs le regne de Philippe le Bel, qui fut cause d’en faire brusler grand nombre, & abolir tous leurs colleges:mais les Almans ont laissé par escrit que c’estoit vne pure calomnie, pour auoir leurs grands biens, & richesses. On fist le semblable enuers les corps, & colleges des Iuifs, tant en France soubs Dagobert, Philippe Auguste, & Philippe le long, que depuis en Espagne soubs Ferdinand Roy d’Arragon, & de Castille, lequel par pieté impitoyable les chassa de tout le païs, & s’enrichit de leurs biens. Donc pour resoudre ceste question, s’il est bon d’auoir des estats, colleges, & communautez, & si la Republique s’en peut passer:on peut dire, à mon aduis, qu’il n’y a rien meilleur pour maintenir les estats populaires, & ruyner les tyrannies. Car ces deux Republiques en soy contraires, se maintiennent, & ruynent, par moyens tous contraires. & par mesme suyte de raisons, les estats Aristocratiques, & iustes Roy autez, sont maintenus par la mediocrité de certains estats, corps, & communautez bien reiglees. & tout ainsi que l’estat populaire reçoit, & embrasse tous colleges, corps, & communautez, comme nous auons dit que fist Solon, establissant l’estat populaire des Atheniens: aussi le tyran s’efforce les abolir du tout: sachant bien que l’vnion, & amitié des sugets entr’eux, est sa ruyne ineuitable. Le bon Roy Numa, fut le premier qui erigea lees colleges, & confrairies des mestiers. Tarquin l’orgueilleux fut le premier qui les osta, & qui empescha les estats du peuple de s’assembler, & s’efoorcea mesmes de[*](Dionys.Halyc.lib.6.)  suprimer le corps du Senat, par la mort des Senateurs, sans vouloir pouruoir de nouueaux Senateurs: mais aussi tost que les sugets luy donnerent la chasse, on restablit les estats du peuple, on suploya le nombre des senateurs, on restitua les colleges abolis:qui furent tousiours maintenus, iusques à ce que le senat estant multiplié au nombre de cinq cens ou enuiron, & ayant tiré à soy presque la souueraineté, abolit la pluspart des[*](Asconius in Cornel.Salust.in orat.Portij Latronis.)  confrairies. Neantmoins Claude le Tribun, pour maintenir le peuple, en contrecarre de la noblesse, à laquelle il renoncea, & se faisant adopter par vn homme roturier, pour estre Tribun, restitua tous les colleges &[*](Cicero in Pison.)  confrairies, & les augmenta. Mais si tost que Ceesar fut[*](Tranquil.in Iul.)  Dictateur, il lens abolit pour maintenir sa puissance, & raualler celle du peuple. depuis Auguste ayant asseuré son estat, les[*](Tranquil.in Augusto.)  remist par edit expres. &[*](Tacit.lib.14.)  Neron le tyran les suprima. & tousiours les tyrans ont eu en haine les estats, corps, & communautez des peuples. & mesme Denys le tyran, ne vouloit pas seulement que les parens se visitassent l’vn autre, & permettoit, dit Plutarque 366 de les voler quand ils retournoient au soir de voir leurs amis: & Neron alloit souuent par les rues la nuit, frapant, & blessant tous ceux qui retournoient de souper auec leurs amis, tant il craignoit les assemblees, pour les coniurations qui se peuuent faire contre la tyrannie des mauuais Princes. Et neantmois la iuste Royauté n’a point de fondement plus asseuré, que les estats du peuple, corps, & colleges. car s’il est besoin de leuer deniers, assembler des forces, maintenir l’estat contre les ennemis, cela ne se & communauté. Aussi voit-on que ceux-là mesmes qui veulent abolir les estats des sugets, n’ont autre recours en leur necesité, sinon aux estats, & communautez, lesquels estans vnis ensemble, se fortifient pour la tuition & defense de leurs Princes:& mesmement aux estats generaux de tous les sugets, quand le Prince est present. Là on communique des affaires touchant le corps vniuersel de la Republique, & des membres d’icelle : là sont oüyes, & entendues les iustes plaintes, & doleances des pauures sugets, qui iamais autrement ne viennent aux oreilles des Princes : là sont descouuerts les larcins, concussions, & voleries qu’on fait soubs le nom des Princes qui n’en sçaent rien. Mais il est incroyable, combien les sugets sont aises de voir leur Roy presider en leurs estats : combien ils sont fiers d’estre veuz de luy : & ‘il oyt leurs plainctes, & reçoit leurs requestes, ores que bien souuent ils en soient deboutez, si sont ils bien glorieux d’auoir eu accés à leur Prince. Ce qui est mieux gardé en Espagne qu’en lieu du monde, où les estats par cy deuant estoient tenus de deux ou troisans l’vn : & en Angleterre aussi assez souuent. Toutesfois il y en a qui se sont efforcez par tous moyens, de changer les estats particuliers de Bretagne, Normandie, Bourgongne, & Languedoc, en elections, disant que les estats ne se sont qu’à la soule du peuple. mais ils meritent la response que fait Philippe de Comines à ceux qui disoient que c’estoit crime de leze maiesté d’assembler les estats. Ie ne veux pas nier qu’il n’y ait de l’abus, & des larcins, qui ont esté bien auerez par les extraits des estats de Bretagne, l’an M.D.LXVII. ie sçay bien aussi que les pensions des estats de Languedocreuenoient à plus de XXV. Mil francs, sans les frais des estats, qui ne coustoient gueres moins. Mais on ne peut nier, que par ce moyen le pays de Languedoc, n’ayt esté deschargé sous le Roy henry de cent mil liures tous les ans : & le pays de Normandie de quatre cens mil, qui furent égalees sus les autres gouuernemens qui n’ont point d’estats. & neantmoins il est bien certain, que les elections coustent deux fois autant au Roy & aux sugets, que les estats : & en matiere d’imposts, plus il y a d’officiers, plus y a de pilleries. & iamais les plainctes, & doleances des pays gouuernez par election ne sont veuës, leuës, ny presentees, ou quoy que soit on n’y a iamais d’égard, comme estans particulieres. & 367 Tout ainsi que plusieurs coups d’artillerie l’vn apres l’autre, n’ont pas si grand effect, pour abattre vn fort, que si tous ensemble sont delaschez : aussi les requestes particulieres s’en vont le plus souuent en fumee : mais quand les colleges, les communautez, les estats d’vn pays, d’vn peuple, d’vn Royaume font leurs plaintes au Roy, il luy est malaisé de les refuser. Combien qu’il y a mil autres vtilitez des estats en chacun pays, c’est à sçauoir le bien concernant la communauté de tout le pays, l’il est question de faire leuee d’hommes, ou d’argent contre les ennemis, ou bien de bastir forteresses, vir les chemins, refaire les ponts, nettoyer le pays de voleurs, & faire teste aux plus grands. Tout cela s’est mieux fait par cy deuant au pays de Languedoc par les Estats, qu’en autre prouince de ce Royaume. Ils ont ordonné douze cens liures par chacun an, pour l’institution de la ieunesse de tout le pays en la ville de Nymes, outre les autres colleges particuliers : ils ont basti les belles forteresses du Royaume : ils ont fait executer Buzac, le plus noble voleur qui a esté de nostre mémoire, duquel ny iuge, ny Magistrat, ny le parlement mesmes de Toulouze n’auoient peu auoir la raison : car il faisoit ses voleries par forme de iustice : & si hardi de s’attacher à luy. Ils ont aussi ordonné douze cens liures d’estat pour vn Preuost des Mareschaux, & outre cela XXV. Liures pour chacun proces qu’il rapportera des executions par luy faites. I’ay bien voulu coter en passant ces particularitez, pour faire entendre le grand bien qui reussist des estats, qui sont encores mieux reiglez és republiques des Suisses, & de l’empire d’Almagne, qu’en autres Repbliques de l’Europe. Car outre les estats de chacune ville, & canton, ils ont leurs estats generaux. Les dix circuits de l’empire, ont leurs estats separez, ausquels se raportent les estats particuliers des villes imperiales, & contrees : & les estats des circuits, se raportent aux estats de l’empire :qui fust long temps a ruiné sans ceste police. I’ay dit que la mediocrit, qui est loüable en toutes choses, se doit aussi garder és estats. Aristocratiques, & iustes Royautez, pour le regard des corps, & colleges. Car d’oster tous les corps, 7 communautez, c’est ruiner vn estat, & en faire vne barbare tyrannie :auusi est-il dangereux de permettre toutes assemblees, & toutes confrairies : car bien souuent on y couue des coniurations, ou des monopoles :nous en auons trop d’exemples. qui a esté la cause d’oster plusieurs fois les confrairies, par edits expres :qui toutesfois n’ont iamais peu estre executez, il vaut beaucoup mieux arracher les abus, comme les mauuaises herbes, que d’arracher les bonnes & mauuaises tout ensemble. Et pout euiter aux monopoles, il est expedient de diuiser les artisans en diuers endroits des villes, & non pas les ranger tous en vn quartier, comme il se fait és villes d’Afrique, & en plusieurs villes d’Europe. Car outre les incommoditez qu’il y a és grandes villes, de n’auoir en chacun quartier les artisans, qui sont necessaires ordinairement, il faut qu’il y ait des mo- 368 Nopoles, pour suruendre la marchandise, & les ouurages : ou de la ialousie, 7 des querelles, si l’vn en fait meilleur marché que l’autre, duant les yeux de celuy qui en a fait refus. I’ay dit des artisans ordinairement requis : car quant à ceux qui sont moins requis, comme les gens de marteau, on les peut ranger en mesme quartier, pour ne les mesler auec les gens de lettres, & de repos. Or tout ainsi qu’il n’y a rien meilleur pour la force & vnion des sugets que les corps & communautez, aussi n’y a il rien plus expedient pour asseruir les ennemis vaincus, que leur oster premierement les corps & colleges, comme tresbien pratiquerent les Romains apres auoir vaincu les Roys de Macedoine[*](Liuius lib.35.) : & depuis encores les Acheans assugetis, le Consul Mummius concilia[*](Strabo.) omnia singularum Achaiæ nationum, & Phocensium, ac Bœotorum, aut in alia parte Græciæ deleuit. puis apres les auoir rendus bons sugets & obeissans, il est dit, antiqua concilia genti cuique restituta.    369 TOVTE Republique prend origine de la famille, multipliant peu à peu : ou bien tout à coup s’establist d’vne multitude ramassee, ou d’vne colonie tyree d’autre Republique: comme vn nouuel essein d’abeilles : ou bien comme vn rameau pris d’vn arbre pour planter : lequel prenant vne fois racine, est plustost prest à porter fruict, que celuy qui vient de semence. Or l’vne, & l’autre Re-[*](Naissance de Republiques)-publique s’establist par la violence des plus forts : ou du consentement des vns, qui assugetissent volontairement aux autres leur pleine, & entiere liberté , pour en estre par eux disposé par puissance souueraine sans loy, ou bien à certaines loix, & conditions. Ainsi la Republique ayant pris son commencement, si elle est bien fondee, elle s’asseure contre la force exterieure, & contre les maladies interieures: & peu a peu croist en puissance, iusques à ce qu’elle soit venue au comble de sa perfection: qui est l’estat fleurissant: qui ne peut estre de longue duree, pour la varieté des choses humaines : qui sont si muables, & incertaines, que les plus hautes Republiques, bien souuent viennent à tomber tout à coup de leur pesanteur: les autres par la violence des ennemis sont alors ruynees, qu’elles se pensent plus asseurees: les autres vieillissent a la longue, & de leurs maladies interieures viennent à prendre fin. Et aduient ordinairement, que les plus belles Republiques, soufrent les plus grans changemens: & ne sont pas à blasmer pour cela, si le changement vient d’vne force exterieure : comme il aduient le plus souuent : car les beaux estats sont les plus enuiez. Et tout ainsi que Demetrius l’assiegeur n’estimoit rien plus malheureux, que celuy qui n’a iamais senti aduersité: comme si fortune iuqeoit vn tel homme si lasche, & si poltron , qu'il 370 ne merite qu’elle s’attache a luy : aussi voyons-nous des Republiques si mal conduittes, qu’elles font plustost pitié aux autres, que enuie. C’est pourquoy il est bien besoing, de voir d’où vient le changement d’vne Republique, au parauant que d’en iuger,ou la mettre en exemple pour estre suyuie. I’appelle changement de Republique, changement d’estat: quand la souueraineté d’vn peuple vient en la puissance d’vn Princ: ou la seigneurie des plus grands au menu peuple: ou bien au contraire. car changement de loix, de coustumes, de religion, de place: n’est autre chose qu’vne alteration : si la souueraineté demeure. & au contraire, il se peut faire que la Republique changera d’estat demeurant les loix, & coustumes, hormis ce qui touche la souueraineté: comme il aduint quand l’estat populaire de Florence fut changé en [*](Il ne faut mesurer l’aage des Republiques à l’aage des villes) Monarchie. & ne faut pas mesurer la duree d’vne Republique , a la fondation d’vne ville: comme a fait Paul Manuce, qui escrit que la Republique de Venize à duré xii. cens ans: ores qu’elle a changé par trois fois: comme nous dirons tantost. Il se peut faire aussi , que la ville, ny le peuple, ny les loix, n’auront aucun changement, ny dommage: & neantmoins la Republique perira : comme il aduient, quand vn Prince souuerain , se rend suget d’autruy volontairement: ou que par testament il fait heritier de son estat vne Republique populaire: comme [*](Roys qui ont fait les Romains heritiers.) Attalus Roy d’Asie, Coctius Roy des Alpes, Polemon Roy Damasie, firent la Republique des Romains heritiere de leurs estats. les Royaumes furent estaints auec les Roys, & changez en prouinces. qui n’est pas changement d’vn estat en autre : car la souueraineté est du tout abolie. & au contraire si d’vne cité, ou d’vne prouince se fait vn, ou plusieurs estats populaires, ou Royaumes, ce n’est pas changement de Re-[*](Diuision des changemens.)-publique, mais origine, & naissance d’vne, ou plusieurs Republiques nouuelles. comme il aduint quand au pays de Suisse, & des Grizons (qui estoient vicariats, & prouinces de l'Empire) se formerent dix- huict Republiques, tenans chacune son estat souuerain. Et quelquefois deux Republiques sont reduites en vne : comme les Republiques des Romains , & des Sabins, furent vnies en vn estat, & afin d’oster l’occasion des guerres ciuiles, ils ne furent appellez ny Romains, ny Sabins , mais Quirites: & les deux Roys quelque temps furent assez bons amis, iusques à ce que l’vn eust fait tuer l’autre. Ce n’estoit donc pas qu’vn peuple deuint suget de l’autre: comme il aduient quand l’vn estant vaincu se rend à l'autre, & soufre la loy du vainqueur. Qui est pour la resolution de la question de Cuneus lurisconsulte, qui demande si vne Republique vnie à l’autre est sugette d’icelle. ce que Bartole en la loy si conuenerit. de pignorat. act. a nié sans distinction, & le veut monstrer par l’exemple de Raymond Comte de Toulouze: n’ayant pas bien regardé le traité fait entre luy & les estats de Langue doc d’vne part, & Louys ix Roy de France d’autre, ou il fut dit que la fille vnique du Comte Raymond 371 espouseroit Alphons Comte de Poictiers frere du Roy: & s’ils mouroient sans hoirs legitimes procreez d’eux, le pays de Languedoc retourneroit de plein droict à la Couronne, sans toutesfois qu’on peust changer les coustumes du pays, ny pareillement imposer tailles, sans le consentement des Estats du pays. Ce qui a tousiours esté gardé: demeurant au surplus la maiesté souueraine aux Roys sur le pays, & habitans de Languedoc: comme il auoit esté au parauant que le Comte s’en fust exempté, mais il est bien certain qu’vn estat assugety à l’autre ne fait point Republique, ains seulement partie des sugets. Or tout changement est volontaire, ou necessaire, ou meslé de l’vn & de l’autre. & la necessité est naturelle, ou violente. car combien que la naissance soit plus belle que la mort, si est-ce toutesfois que ce torrent de nature fluide rauissant toutes choses, nous fait cognoistre que l’vn ne peut estre sans l’autre : mais tout ainsi qu’on iuge la mort la plus tolerable celle qui vient d’vne vieillesse caduque, ou d’vne maladie lente, & presque insensible : aussi peut on dire, que le changement d’vne Republique, qui vient quasi de vieillesse, & apres auoir duré vne longue suite de siecles, est necessaire, & non pas toutesfois violent: car on ne peut dire violent, ce qui vient d’vn cours ordinaire, & naturel a toutes chofes de ce monde. Et tout ainsi que le changement peut estre de bien en mal, aussi peut-il estre de bien en mieux : soit naturel, ou violent. mais cestui-cy se fait soudainement, l’autre peu à peu. Quant au changement volontaire, c’est le plus doux, & le plus facile de tous : quand celuy qui tient la puissance souueraine s’en despoüille, & change l’estat en vne autre forme: comme le changement d’estat populaire en Monarchie, soubs la dictature de Sulla, fut violent, & sanglant à merueilles: mais le changement qui se fist de Monarchie, couuerte soubs la dictature, en estat populaire, fut doux & gratieux: car il se despoüilla volontairement de la souueraineté, pour la rendre en peuple, sans force ny violence, & au grand contentement d’vn chacun. Ainsi l’estat Aristocratique de Sienne fut changé en populaire, au parauant la tyrannie de Pandulphe: du consentement des Seigneurs, qui s’en dessaisirent entre les mains du peuple, & quitterent la ville. Et tout ainsi que le changement de maladie en santé, ou de santé en maladie, peut aduenir des qualitez elementaires, ou nourriture: ou bien des qualitez interieures du corps, ou de l’ame: ou bien par la violence de celuy qui blece, ou qui guarist : ainsi la Republique peut soufrir changement, ou ruine totale par les amis, ou ennemis, exterieurs, ou interieurs : soit de bien en mal, ou de mal en bien : & bien souuent contre le gré des citoiens, qu’il faut contraindre, & forcer, quand on ne peut mieux, comme les furieux & forcenez : qu’on guarist contre leur gré. comme fist Lycurgue, qui changea les loix, & l’estat Royal en populaire, contre le gré des sugets, ou de la pluspart d’iceux: combien qu’en ce faisant il fut bien battu, & perdit l’vn des yeux, iaçoit qu’il quittast la part que luy & ses successeurs auoient au sceptre Royal, 372 comme Prince du sang, & des plus proches de la couronne. Et d’autant qu’il n’y a que trois sortes de Republiques, comme nous auons monstre [*](Six changemens de Republique.) cy dessus, aussi n’y a il que six changemens parfaits: c’est à sçauoir de Monarchie, en estat populaire : ou de populaire en Monarchie: & pareillement de Monarchie, en Aristocratie : ou d’Aristocratie en Monarchie: & d’Aristocratie, en estat populaire : ou d’estat populaire, en Aristocratie. & de chacun estat six changemens imparfaits: c’est à sçauoir d’estat Royal, en seigneurial : de seigneurial, en tyrannique: de tyrannie, en Royal: de Royal, en tyrannie: de tyrannie, en seigneurial: de seigneurial, en Royal, autant peut-on dire de l’Arjstocratie legitime, seigneuriale, ou factieuse : & de l’estat populaire, legitime, seigneurial, & turbulent. I’appelle changement imparfait, d’Aristocratie legitime en faction : ou d’estat Royal en tyrannique: parce qu’il n’y a que changement de qualitez de bons seigneurs, en mauuais: demeurant tousiours la Monarchie en l’vn, & l’Aristocratie en l’autre. Ie ne fay point mention du changement de Monarchie en Duarchie, ayant compris la Duarchie où deux Princes souuerains commandent en vne Republique, en l’espece d’oligarchie: autrement on pourroit aussi faire vne triarchie de trois Princes: comme il aduint soubs le Triumuirat de Marc Antoine, Auguste, & Lepide. car puis qu’on laisse l’vnité indiuisible, on entre en nombre, & le nombre plurier est contenu en deux, comme disent les[*](in l. vbi numerous de testibus.) Iurisconsultes. En quoy Aristote s’est mespris, qui appelle Royaume de Lacedemone où deux Princes souuerains commandoient au parauant Lycurgue. Mais outré ces changemens que i’ay dit, il aduient quelquesfois que l’estat est tenu en soufrance: comme apres la mort de Romule, le peuple Romain fut vn an sans Monarchie, ny estat populaire, ny Aristocratie: car les cent Senateurs, qui commandoient l’vn apres l’autre, n’auoient pas puissance souueraine, & ne commandoient que par commission. vray, est qu’on peut dire que la souueraineté estoit retournee au peuple : & la charge de commander aux Senateurs. Et quelquesfois il aduient que l’estat Royal, Aristocratique, ou populaire estainct, il s’ensuit vne pure anarchie : quand il n’y a ny souueraineté, ny Magistrats, ny commissaire, qui ait puissance de commander: comme il aduint entre le peuple Hebrieu, apres la[*](Iudicum cap. 27 & vlt.fine.) mort de Iephté: en Syracuse, apres la mort de Dion: en Florence, apres que la Noblesse fut chassee du peuple, qui demeura quelque temps sans gouuernement, comme le nauire sans patron ny gouuerneur: & apres la mort d’Abusahit Roy de Fez, le Royaume fut huit ans sans Roy, comme dit Leon d’Afrique: comme aussi apres les meurtres de plusieurs Sultans d’Egvpte, les Mammeluchs esleurent Campson Roy de Caramanie, ayans esté quelque temps en pure anarchie: & les Russiens estans las & recruds de guerres ciuiles par faute de Prince souuerain, enuoyerent querir trois Princes d ’Almagne l’an dccclxi. Le dernier poinct est quand l’estat s’estaint auec tout le peuple: com- 373 me il aduint ail peuple & seigneurie de Thebes, qu’Alexandre le Grand extermina auec leur ville: & aux Madianites, Amorriens, & autres peuples exterminez par les Hebrieux: qui firent perir, non seulement les Republiques, ains aussi les peuples de la Palestine: qui n’est pas changement d’vn estat en autre, ains la ruine d’iceluy, & du peuple ensemble. car il se peut bien faire, qu’vn membre de la Republique, vne Prouince soit exterminée, vne ville rasee, & tout le peuple d’icelle tué, que la Republique demeurera, comme il aduint de la ville d’Arzille au Royaume de Fez, que les Anglois raserent, mettant tout le peuple au trenchant du [*](Leon d’Afrique.) cousteau : & Sebaste au Royaume d’Amasie, que Tmerlan Roy des Tartares traita de mesmes: & la ville de Bizance, membre de l’Empire Romain, apres auoir soufert trois ans le siege de l’Empereur Seuere, en fin fut prise, sacagee, rasee, tout le peuple tué, & le territoire donné aux Perinthiens: qui y bastirent de rechef la ville depuis appellee Constantinople, & maintenant Stambola. Aussi la Monarchie a cela de special, que les Monarques souuent chassez par violence les vns par les autres, ne changent point l’estat : ainsi qu’en peu de mois il aduint de nostre memoire au Royaume de Telesin, où le Roy Abuchemo fut chassé par le peuple, & Abyamein esleu Roy : qui tost apres en fut chassé par Ariaden Barberousse: qui n’en fut pas long temps seigneur : car Abuchemo retournant auec les forces, de Charle v. Empereur, chassa Barberousse, & fist vne cruelle vengeance de ses sugets, se constituant vassal & tributaire de l’Empereur: mais tantost il en fut derechef chassé par Barberousse: sans que l’estat de Monarchie changeast, non plus que l'Empire Romain, pour auoir eu quatre Empereurs en vn an, l’vn tué par l’autre: demeurant neantmoins l’estat de Monarchie, pour le prix, & loyer du pl9fort. Et quelquefois le Monarque y est tiré par force, & contre sa volonté : comme Claude, & Gordian l’ayeul, qui furent trainez, & forcez d’accepter l’Empire Romain: & de nostre memoire les habitans de Tripoly en Barbarie, apres s’estre reuoltez du Roy de Thunes Iachia, esleurent Mucamen, qui tost [*](Hermite esleu, & couronné roy contre son vouloir.) apres fut empoisonné: & soudain ils forcerent vn hermite d’accepter la couronne & le Royaume: où il commanda contre son gré, iusques à ce que Pierre de Nauarre se fust emparé de la ville, & pris le Roy, qui fut enuoyé en Sicile, & depuis renuoyé en son hermitage par l’Empereur Charle v. Et tout ainsi que les hommes bien souuent meurent deuant qu’auoir attaint la vieillesse: les autres en la fleur de leur aage, plusieurs en ieunesse: aussi voyons nous quelques Republiques estre estaintes au parauant qu’elles ayent fleury en armes, ou en loix: & quelques vnes auorter, ou mourir dés leur naissance: comme la ville de Munstre, membre, de l’Empire d’Almaigne, demembree qu’elle fut de l’empire, par la faction des Anabaptistes, esleut Iean de Leidan Roy, qui changea l’estat, les loix, la religion: & fut trois ans Roy, pendant lesquels il fut tousiours assiegé, iusques à ce que la ville fut forcee, & le Roy executé publiquement. 374 Et quand ie dy l’estat fleurissant d’vne Republique, ie n’entens pas que elle vienne au comble de perfection, car il n’y a rien de parfait és choses caduques, & moins aux actions humaines, qu’en autre chose qui soit en ce monde :mais i’appelle l’estat fleurissant d’vne Republique, quand elle attaint le plus haut degré de sa perfection, & beauté:[*](l’estat fleurissant de Rome estoit au temps de Papirius Cursor.) ou pour mieux dire, alors qu’elle est moins imparfaite :ce qui ne peut estre cogneu, qu’apres la declination, & changement, ou ruine d’icelle, comme les Romains ont fait preuue de l’estat Royal, tyrannique, Aristocratique, & populaire :mais ils n’ont iamais esté plus illustres qu’en l’estat populaire : & l’estat populaire ne fleurit onques d’auantage en armes, & en loix, que du temps de Papirius Cursor. Illa aetate, qua nulla virtutum feracior fuit, nemo erat quo magis innixa res Romana, quàm in Papirio Cursore staret. Voyla le iugement, dit[*](lib.9.)  Tite Liue, qu’on faisoit de ce temps là. Car iamais depuis la discipline militaire, & domestique, les loix & ordonnances ne furent mieux executees, la foy mieux gardee, leur religion plus sainctement entretenuë, & les vices plus seuerement punis : aussi ne fut-il onques de plus vaillans hommes. Si on me dit qu’ils estoient pauures, que ils n’auoient point encores sorty d’Italie : ie dy qu’il ne faut pas mesuter la vertu au pied des richesses :ny la perfection d’vne Republique à l’esenduë de pays.[*](l’empire de Rome n’a point esté plus grand que sous Traian.) Iamais les Romains ne furent plus puissans, ny plus riches, ny plus grands que soubs l’Empire de Traian, qui passa l’Euphrate, conquesta grand part de l’Arabie heureuse, & bastit ce grand pont sus le Danube, où les ruines se voyent encores, & dompta les plus barbares, & farouches nations qui fussent alors : & neantmoins l’ambition, l’auarice, les voluptez & delices auoient tellement vaincu les Romains, que ils n’auoient rien que l’ombre de l’ancienne vertu. Aussi l’estat fleurissant des Lacedemoniens ne fut pas soubs les premiers Roys, ny soubs l’estat populaire, mais apres la route des Perses, iusques à ce qu’ils furent seigneurs de la Grece, & qu’ils ouurirent les portes de leurs villes, pour y faire entrer l’or & l’argent. Voyla les distinctions qu’il est besoin de remarquer, pour mieux comprendre les changemens des Republiques : qu’on n’a point touchees. Quant aux causes des changemens, combien qu’il y en ayt plusieurs, si est-ce qu’on les peut reduire à certain nombre : c’est à sçauoir, quand la posterité des Princes ayant failly, les plus grands sont entrez en guerre pour l’estat, ou bien à la pauureté trop grande de la pluspart des sugets, & richesses excessiues de peu de gens : ou bien à la diuision inegale des estats & honneurs : ou bien à l’ambition extreme de commander, ou à la vengeance des iniures : ou bien à la cruauté, & oppression des tyrans, ou à la crainte qu’on a d’estre chastié l’ayant merité : ou bien au changement de loix, ou de religion : ou bien pour ioüyr à plein sòuhait des plaisirs qu’on demande : ou bien pour chasser ceux qui souïllent le lieu d’honneur par voluptez excessiues, & bestiales. Ie deduiray ces causes par le menu, & s’il est besoin ie 375 les esclairciray d’examples. I’ay monstré cy dessus, que les Republiques ont commencé par tyrannies violentes, & puis que les vnes ont continué en Monarchies seigneuriales : les autres en Monarchies Royales par droict successif. Depuis les changemens diuers sont aduenus pour les causes que i’ay touchees. Et qu’ainsi soit, toutes les histoires sacrees, & prophanes sont d’accord, que la premiere souueraineté, & forme de Republique, a commencé par la Monarchie des Assyriens, & que le premier Prince Nimroth, que la pluspart appelle Ninus, par violence & tyrannie se fist souuerain :[*](Les premieres Monarchies ont commencé par violence.) & apres luy ses successeurs ont continué la Monarchie seigneuriale, s’attribuant l’entiere disposition des sugets, & de leurs biens : iusques à ce que Arbaces gouuerneur des Medois, chassa Sardanapale dernier Prince des Assyriens, & se fist Roy sans forme ny figure d’elections. La cause fut, pource que Sardanapaleestant fondu en plaisirs & delices, estoit plus souuent entre les femmes, qu’entre les hommes : qui est la chose que les hommes de cueur portent plus impatiemment, de se voir sugets de cluy qui n’a rien de l’homme que la figure. Nous voyons aussi que les Princes Medois descendus d’Artabazus, les Roys de Perse, d’Egypte, des Hebrieux, Macedoniens, Corinthiens, Sicioniens, Atheniens, Celtes, Lacedemoniens, sont venus par droict successif aux Royaumes & Principautez fondees pour la pluspart par force & violence : & depuis policez par iustice, & bonnes loix, iusques à ce que leur posterité vint à faillir, qui souuent tire apres soy changement d’estat : ou que les Princes abusans de leur puissance, & mal traitans leurs sugets, estoient chassez, ou tuez : & les sugets craignans retomber en tyrannie, s’ils donnoient la puissance souueraine à vn seul, ou bien ne voulans soufrir commandement de leur compaignon, fonderent les estats Aristocraties., se soucians peu du menu peuple. Commencement des Aristocratiques  & s’il s’en trouuoit quelquesvns des pauures, & populaires, qui voulust aussi auoir part à la seigneurie, on leur chantoit la fable des lieures qui vouloient commander aux lyons. Ou bien si la Monarchie changeoit en estat populaire, si est-ce neantmoins que les riches, ou nobles emportoient tous les estats, & offices : comme de fait Solon ayant fondé l’estat populaire, ne voulut pas que les pauures, & le menu peuple eust part aux estats :ny les Romains ayans chassé les ROYS, ores qu’ils eussent estably vn estat populaire, si est-ce que les estats & benefices estoient reseruez à la Noblesse seulement. Aussi lisons[*](Aristot.politic.lib.4.cap.13.) nous que les premiers tyrans estans chassez, les hommes d’armes, & Cheualiers de faict, estoient tousiours esleus aux estats, & le menu peuple debouté : iusques à ce que Aristide & Pericle en Athenes, Canuleius en Rome, & autres Tribuns ouurirent la porte des offices & benefices à tous sugets. Et depuis les peuples ayans decouuert à veuë d’œil, & par longue suite de siccles aperc eu, que les Monarchies estoient plus seures, plus vtiles, plus durables que les estats populaires, & Aristocraties, & entre les Monarchies celles qui estoient fondees en droict successif du masle le 376 plus proche, ils ont receu presque par tout le monde les Monarchies successiues :ou craignans la mort du Monarque sans hoirs masles, ont donné conseil aux Princes de choisir vn successeur : comme plusieurs Empereurs de Rome ont fait, & ce fait encores à present en plusieurs lieux[*](Leon d’Afrique.)  d’Afrique. Ou bien le droit d’election demeure au peuple, apres la mort des Princes sans successeurs : ou bien ayans puissance d’election, ores que les Princes ayent enfans masles : comme les Royaumes de Poloigne, Boheme, Hongrie, Dannemarc, Suede, Noruege, si les peuples ont eu vn cruel tyran, ils elisent vn Prince iuste, & debonnaire : s’ils ont eu vn Prince lasche, ou effeminé, ou contemplatif, ils cherchent vn vaillant capitaine : comme firent les Romains apres la mort du Roy Numa (qui ne fist autre chose que reigler la religion & la police) ils esleurent Tullus Hostilius bon capitaine. Et aduient ordinairement, qu’aux plus forts, & cruels tyrans succedent les Princes equitables & iustes, ayans veu l’issue miserable des tyrans, craignans tomber en mesme inconuenient : soit pour estre ainsi apris & enseignez : soit qui venant à la Couronne, on leur baille leur leçon par escript, retrenchant leur puissance. Ainsi voyons nous qu’apres la fin malheureuse de Marc Antoine succeda le grand Auguste, & gouuernal l’Empire fleurissant en armes, & en loix tressagement, & vertueuesement.[*](Les bons Princes ordinairement sont successeurs des tyrans.)  apres la mort miserable de Neron, suiuit la bonté de Galba :apres l’issue estrange du cruel Vitellius, succeda le sage Verpasian : au monstre Heliogabale :tué, & traisné à la mesme façon que Vitellius, succeda le vertueux Alexandre Seuere : chose bien estrange, veu qu’il estoit son cousin germain, esleué, & nourry auec luy, & que la puissance de commander en souueraineté a cela de malheureux, qu’elle fait souuent l’homme de bien deuenir meschant : l’humble, arrogant : le piteux, cruel : le vaillant, poltron. Et qui fut onques le Prince mieux nourry, & plus sage les premieres annees que Neron ? qui pourroit-on esgaler au commencement de Tibere, qui estoit si honneste, si sage, si vertueux, qu’il sembloit vn simple citoyen, dit[*](In Tiberio.) Suetone : car parlant au Senat, I’ay eu, disoit-il, ce bon heur de vous auoir pour maistres fauorables, & tant que ie viuray, ie vous recognoistray pour bons seigneurs : car il faut, disoit-il, que le bon Prince soit esclaue non seulement du Senat, ains aussi de tous les citoyens en general, & bien souuent de chacun en particulier. & ne faisoit rien au commencement, non pas les moindres choses, sans l’aduis du Senat : & neantmoins il deuint apres auoir gousté la puissance souueraine, le plus detestable tyran qui fut onques en cruautez, & sales voluptez. Aussi lisons nous, qu’Herodes l’aisné regna six ans en iuste Roy, comme dit Philon, & trente & vn an en cruel tyran, qui fist tuer soixante & dix Senateurs de la maison de Dauid, qui estoit tout le[*](Ioseph.)  Senat, horsmis Semneas :& puis fist mourir la plus noble femme qu’il eust, & trois de ses enfans, & donna charge de tuer tous les plus grands & vertueux hommes de tout le pays tost apres sa mort, assin qu’il fust pleuré : 377 & plusieurs autres cruautez detestables. I’ay remarqué ceux cy entre plusieurs autres, desquels le commancement estoit trop beau, pour continuer long temps, & la raison, à mon aduis, est que le Prince qui se monstre au commancement si sage, & si vertueux, dissimule, mettant vn beau voile sur son visage, comme on disoit que Tibere faisoit mieux qu’homme dumonde. Or il ne faut rien attendre que feintise de celuy qui s’est fait maistre de son visage. Mais celuy qui decouure bien tost l’imperfection qu’il a, bien qu’il ne soit pas sage, si ne peut-il estre fort meschant : & peut on espeter qu’il sera rond, & entier : ainsi qu’on disoit de Iean Roy de France, qui auoit le cueur si genereux, qu’il ne pouuoit voir celuy qui luy deplaisoit : aussi iamais on n’a remarqué de luy vn tour lache. Il ne faut donce pas s’emerueillier, s’il y a peu de vertueux princes : car s’il y a peu de vertueux hommes, & que de ce petit nombre les princes ordinairement ne sont pas choisis, c’est grand merueille s’il s’en trouue quelqu’vn fort excellent entre plusieurs : & quand il se voit si haut esleué, qu’il ne cognoist rien plus grand que soy apres Dieu, estant assiegé de tous les allechemens qui font trebucher les plus asseurez, c’est vn miracle s’il continue en sa vertu. Aussi la splendeur de Iustice estant ea vn prince, comme en vne haure guette, est si claire, qu’elle reluist encores bien fort long temps apres sa mort : [*](La bonté des Rois fait aimer leurs enfans quoy qu’ils soient tyrans.) & fait que ses ensans, quoy au’ils soient meschans, sont aymez pour la memoire du pere : comme Cambyses cruel & meschant, fut tousiours aymé, & adoré des sugets, & redouté des autres, pour l’amour du grand Cyrus son pere, duquel l’amour, & affection estoit si bien grauee au cueur du peuple, que mesmes ils aymoient, ainsi que dit Plutarque, les grands nez, & Aquilins, parce que Cyrus l’auoit ainsi. Et l’Empereur Commode, quoy qu’il fust cruel tyran, & qu’il eust vn iour commandé au grand Preuost de Rome, de mettre à mort tous les spectateurs du theatre, qui n’estoient pas moins de L.X. mil personnes, les voyant rire dequoy il faisoit si dextrement l’estat d’vn vray gladiateur : neantmoins il fut tousiours ay mé pourquoy les Republiques ne prennent pas changement pour la tyrannie du prince, s’il est fils d’vn vertueux pere. Car son estat est comme vn arbre tres gros, qui a autant de racines que de branches : mais le nouueau prince sans predecesseur est comme l’arbre haut esleué sans racine, qui doit sa ruine au premier vent impetueuex : de sorte que si le successeur & sils d’vn tyran, suit la trace du pere, luy & son estat sont en grand danger de prendre changement : car le fils n’a point de garend, & est ma ! voulu tant pour sa meschante vie, que pour celle de son pere : & s’il n’a support de ses voisins, ou qu’il ne soit bien appuyé de ses forces, ou que son estat soit fondé sus vn droict successif de plusieurs Roys, il est mal-aysé qu’il ne soit dechassé. I’ay dit droict successif de plusieurs Roys : parce que la vertu d’vn Prince nouueau, ne suffist pas pour garentir son fils tyran en son estat, qu’il ne prenne changement : comme il aduint à Hie- 378 rosme Roy de Sicile, qui succeda à Hieron son ayeul nouueau Prince, & qui de suget s’estoit fait souuerain, la vertu duquel estoit si grande, qu’il sembloit digne d’estre Monarque, alors mesmes qu’il n’estoit que simple bourgeois :[*](Vn nouueau Roy de bas lieu difficilement se maintient, s’il n’est bien sage & vertueux.) ainsi que dit Plutarque, & traita si doucement les sugets, qu’il maintint son estat pres de LX. ans, sans parade, & sans gardes : s’asseurant plus de l’amour des siens, que de la puissance des Romains, qui l’aymoient plus que tous leurs alliez. & neantmoins son successeur ayant rehaussé son estat, ses gardes, ses forces, ses pompes incogneuës au parauant : fut autant hay pour sa tyrannie, & mespris des sugets, &[*](Liuius lib.24.) arrogance insuportable, que son predecesseur estoit aymé : & pour le comble de ses malheurs, ne fist comte du Senat de son païs, auquel son ayeul auoit tousiours demandé conseil : & apres auoir quité l’alliance des Romains, qui estoit le seul appuy de sa maison, fut tué cruellement par ses sugets, auec tous ses parens & amis, & la monarchie aussi tost changee en estat populaire. Il en print autant au ieune Denis, prince du mesme pays, & fils de Denis laisné, qui auoit aussi empieté l’estat par force. ayant continué la tyrannie, sans apui, ny alliance d’aucun Prince, si tost qu’il se fut declairé ennemi de Dion son oncle, il fut chassé, & la monarchie bien tost apres changee en estat populaire. Nous lisons pareillement qu’Herodes l’aisné, fils d’Antipater simple capitaine, establi Roy de Iudee sous la protection, & à la faueur de Cesar, & continué par Marc Antoine, & Auguste, bastit plusieurs forteresses pour asseurer son estat, & pour gaigner le cueur des sugets employa tous ses tresors, iusques à sa vaisselle pour soulager la pauureté du menu peuple au temps de famine, & relascha la tierce partie des charges & cognoissant que pour tout cela il ne gaignoit rien. Print le serment de fidelité des sugets, gaignans les plus grands par faueurs, & bienfaits, & neantmoins il estoit si hay des sugets, qu’estant tombé malade il sceut que chancun s’en resioüissoit : mais les Iuifs apres sa mort enuoyerent cinquante Ambassadeurs à Rome pour estre sugets des Romains. & quoy que l’Empereur Auguste portast faueur à Herodes, ayant eu neuf cens mil escuz par testament : si est-ce que les successeurs d’Herodes, & tous ses parens qui estoient en bien grand nombre, perirent tous en pauure estat, en moins de LX. ans : parce que ils n’auoient point de predecesseurs Roys, & que sa proüesse & vigueur failloit en ses successeurs. Or ces changemens aduiennent d’autant plustost, si le tyran est par trop exacteur, ou cruel, ou effeminé en voluptez illicites : ou s’il est le tout ensemble : comme estoit Neron, Tibere, Caligula. mais la paillardise a plus ruiné de Princes, que toutes les autres causes : aussi est elle beaucoup plus dangereuse à vn Prince pour son estat que la cruauté : car la crauté retient les hommes timides, & laches, & donne vne terreur aux sugets : mais la paillardise tire apres soy la haine, & le mespris du tyran : d’autant que chacun iuge, que l’homme effeminé a tousiours le cueur lasche : & qu’il est indigne de commander à tout, vn peuple, n’ayant pas la puissance sur soymesmes. Aussi voit-on que Sardanapale Roy de 379 Assyrie, Canades Roy de Perse, Denis le ieune & Hierosme Roys de Sicile : Heliogabale, Amyntas, Childeric, Periandre, Pisistrate, Tarquin, Aristocrate Roy des Messeniens, Timocrate Roy de Cyrene, Andronic Empereur de Constantinople, Roderic d’Espaigne, Appius Claudius, Galeace Sforce, Alexandre de Medicis, le Cardinal Petruce tyran de Siene, Lugtac, & Megal Roys d’Escosse, ont to9 perdu leurs estats pour leur paillardise : & la pluspart tuez sur le fait. Et n’y a pas long temps que les villes Dalmendin, & Delmedine furent demembrees du Royaume de Fez, & reduites soubs la puissance des Portuguez, pour vne fille rauie à son mary par le gouuerneur, qui depuis fut tué: & Abusahid Roy de Fez, fut massacré, auec six de ses enfans par vn sien secretaire, pour auoir abusé de sa femme, comme nous lisons en Leon d’Afrique. & de nostre memoire le peuple de Constantine ayma mieux soufrir le commandement Delcaied Chrestien renié, que d’obeir au fils du Roy de Thunes: & pour mesme cause Muleasses Roy de Thunes, perdit son estat: & neantmoins il estoit si fondu en delices, que mesmes retournant d’Almaigne sans esperance que l’Empereur Charles v. luy deust aucunement ayder, & banni qu’il, estoit de son Royaume, il dependoit iusques à cent escus pour apprester vn pan, comme dit Paul loue, & pour mieux gouster le plaisir de la musique, il se faisoit bander les yeux : toutesfois le iugement de Dieu fut tel, que ses enfans l’aueuglerent auec vne barre de fer chaud. Mais [*](Pourquoy la paillardise a pl ruiné de Princes que la cruauté.) pour la cruauté d’vn Prince, l’estat ne changera pas aysément, s’il n’est plus cruel que les bestes sauuages : comme Phalaris, Alexandre Pherean, Nero, Vitel, Domitian, Commode, Caracal, Maximin, Ecelin de Padouë, Iean Marie de Milan, qui tous ont esté tuez, ou chassez, & leurs estats tyranniques, pour la pluspart changez en estats populaires. Ce qui aduient, non pas tant pour la cruauté enuers le menu peuple, (duquel on ne fait ny mise, ny recepte en l’estat tyrannique) que pour la cruauté commise en la personne des grands, & des mieux alliez: & quelquesfois aussi pour la contumelie, qui est plus odieuse aux gens d’honneur que la cruauté: comme il aduint au Roy Childeric, qui fut tué auec sa femme enceinte par Bodile, qu’il auoit fait fouetter de verges. Et Iustin iii. Empereur fut tué par Atelie general de son armee duquel il auoit tué le fils, & prostitué la femme par contumelie. Et pour mesme cause Archelaus Roy de Macedoine, fut tué par celuy qu’il auoit mis entre les mains du Poete Euripide, pour le foüeter: & l’estat Aristocratique de Metelin fut changé en populaire, par ce qu’il aduint à quelques gentils hommes allans par les rues fraper à coups de bastons, & par moquerie tous ceux qu’ils rencontroient: [*](Aristot. Polit. 50. cap. 10.) il se trouua vn Megacles qui print ceste occasion d’emouuoir la commune, pour se getter sur la noblesse, & la tuer, & l’occasion qu’on print de chasser Henry Roy de Suede, fut qu’il tua d’vn coup de dague vn gentil homme luy faisant requeste alors la noblesse & le peuple émeu le constitua prisonnier donnant le Royaume à son ieune frere, qui regne 380 à present. Et presque tousiours les meurtriers des tyrans, ont emporte l‘estat, ou les plus hauts magistrats pour loyer de leurs faits: comme l’vn & l’autre Brutus emporterent les plus grands estats de Rome: le premier pour auoir chassé le Roy Tarquin : le second pour auoir tue Cesar. Et Arsace gouuerneur des Medois, ayant reduit Sardanapale Roy d'Assyrie à telle extremité, qu’il se brusla tout vif, auec ses femmes, & tresors, pour loyer emporta le Royaume. Et Loüys de Gonzague ayant tué Bonacolse tyran de Mantoüe, fut esleu seigneur par les sugets: sa posterité depuis deux cens cinquante ans a continué en l’estat. Et les Venitiens emporterent la seigneurie de Padoüe, ayant tué le tyran Ecelin. Les autres n’ont rien que la vengeance deuant les yeux, n’ayant ny la crainte de Dieu, ny le respect de leur patrie, ny l’amour de leurs parens: comme celuy qui pour se vanger du Roy Roderic, qui auoit raui sa femme, fist venir les Maures Mahometans en Espaigne qui chasserent le Roy, & vserent de cent mille cruautez, apres auoir empieté l’Espaigne qu’ils ont tenue sept cens ans. Et quelquesfois l’ambition est si grande, que les meurtriers des tyrans, n’esperent, & n’attendent autre loyer que l’honneur, sçachans bien qu’ils ne pourront eschaper la mort : comme Armodius, & Aristogiton en Athenes, & les meurtriers de Domitian & de Caligula Empereurs. Chose qui aduient le plus souuent es estats populaires, où les tyrans nouueaux s’ils n’ont grandes forces, ne sont iamais asseurez. On a veu Alexandre de Medicis, auquel fut donné l’estat de Florence estant gendre de l’Empereur Charle v. neueu du Pape Clement, enuironné de grosse garnison, & tousiours armé, de sorte qu’il n’y auoit moyen d’en venir à bout, comme il sembloit : neantmoins son propre cousin Laurens de Medicis, qui commandoit apres luy auec toute puissance, pour le desarmer, luy suborna sa propre soeur, & la fist coucher auec luy pour le tuer, comme il fist, sans autre esperance d’empieter l’estat, & auec le danger extreme de sa vie, s’il n’eust eschapé soudain apres le coup: (combien que depuis il fut tué à Venize) & n’esperoit autre fruit du meurtre de son proche parent, & amy familier, que de rendre la liberté au peuple. Son [*](Loyers de ceux qui ont tué les tyrans.) successeur Cosme, ayant empieté l’estat auec force & puissance, quoy que il emportast le bruit d’estre l’vn des plus sages Princes qui fust de son aage, ny long temps au parauant luy : punissant à toute rigueur les blasphemes, les Sodomies, & assasinats, & qui estoit au fait de la Iustice droit & entier, au raport mesmes de ses ennemis: neantmoins il a esté cent fois en danger de sa personne, pour les coniurations contre luy dressees par ses sugets: qui ne pouuoient endurer de maistre, quoy qu’il fust iuste vertueux: & depuis que son successeur est venu à l’estat ,il a desia descouuert plusieurs coniurations contre sa personne, & son estat. Et pour ceste cause Denis de Syracuse, estant esleu capitaine se fist maistre, & changea l’estat populaire en Monarchie, mais il auoit quarante mil hommes d’armes tousiours prests à marcher, & grosse garnison autour de sa per- 381 sonne, & plusieurs fortes places, pour tenir seulement le peuple de Syracuse & partie de la Sicile en sugetion. & neantmoins il n’estoit pas tyran, ainsi que nous appellons les tyrans, c’est à dire cruel, vitieux, & meschant: & ne fut onques attrait des femmes d’autruy : ains au contraire, il tansa bien aygrement son fils, comme dit Plutarque, pour auoir enleué la fille de l’vn de ses sugets, disant qu’il n’auroit iamais successeur en l’estat, s’il continuoit d’en vser ainsi : comme il aduint : car il fut chassé bien tost apres la mort du pere. Si on me dit que la force, & la crainte sont deux mauuais maistres pour maintenir vn estat, il est bien vray: mais si est-il besoin d’en vser ainsi au nouueau Prince qui par force change l’estat populaire en Monarchie. chose qui est du tout contraire à la Monarchie Royale, qui moins a de gardes, & plus est asseuree. c’est pourquoy le sage Roy Numa chassa les trois cens archers que Romule auoit pour sa garde, disant qu’il ne se vouloit point defier d’vn peuple qui s’estoit fié en luy, ny commander à vn peuple qui se defyroit de luy. Mais Seruius, d’esclaue s’estant fait Roy, s’enuironna de bonnes gardes, car pour iuste, doux, & gracieux qu’il fust, il est impossible qu’il se maintienne longuement sans forces, garnisons, & forteresses. Et iamais y eut-il Prince plus gracieux, plus magnifique, plus noble, plus genereux, & bening que Cesar? & neantmoins toutes ces grandes vertus n’ont peu le maintenir, ny le garentir que son propre fils naturel, auec plusieurs autres coniurez, ne le tuassent cruellement. Quand on l’aduertit d’auoir gardes autour de sa personne : il respondit franchement qu’il aymoit mieux estre vne fois tué, que de languir tousiours en crainte. & ne pouuoit faillir aussi, ayant pardonné à ses plus grands ennemis, & voulant changer en Monarchie la liberté du plus belliqueux peuple qui fut onques. Auguste son succes-[*](Auguste en effect estoit vray Monarque.)-seur n’en vsa pas ainsi : car premierement il fist mourir tous les coniurez de Cesar sans aucune mercy (non pas tant pour vanger la mort de son oncle, que pour garder sa vie) ayant autour de sa personne bonnes gardes : & apres la defaicte de Marc Anthoine, il retint quarante legions és prouinces, & gouuernemens des frontieres, desquelles il disposoit à son plaisir: & commettoit au gouuernement d’icelles, non pas de grands Seigneurs, mais des moins nobles, remettant en la disposition du peuple, & du Senat, l’institution de quelques Magistrats, & l'ottroy des moindres prouinces, ce qu’il faisoit en apparence: car en effect il disposoit de tout, prenant par la main, & recommandant au peuple ceux que il vouloit auancer aux estats, & honneurs : & se mettoit sans relasche à faire Iustice, receuoir, & respondre les requestes d’vn chacun : & luy-mesmes auoit les registres des finances, des forces, & de tout l’estat deuant ses yeux, faisant response aux gouuerneurs de sa main propre, si la chose le meritoit: ayant neantmoins tousiours les forces de tout l’empire en sa puissance: & pres de sa personne trois legions. En quoy il appert assez euidammcnt qu’il estoit seul Monarque, & Prince souuerain, 382 quelque belle qualité de Prince qu’on donnast aux vns, & aux autres en apparence. Encores auec tant de puissance, de sagesse, & de Iustice que ce grand Prince auoit, on luy dressa plusieurs embusches, quoy que les plus furieux fussent morts. mais les sugets ayans peu à peu cogneu sa iustice, & sageffe, & gousté la douceur d’vne haute paix, & tranquillité asseuree, au lieu des cruelles, & sanglantes guerres ciuiles: & qu’ils auoient à faire plus tost à vn pere, qu’à vn seigneur, comme dit Seneque, ils commencerent à l’aymer, & reuerer: & luy de sa part chassa ses gardes, allant tantost chez l’vn, puis chez l’autre sans compagnie: & getta les fondements de la Monarchie, auec le plus heureux succez que iamais a fait Prince : Or toutes [*](Les estats populaires changent ordinairement en monarchies pour la puissance trop grande donnee à vn magistrate.) les Monarchies nouuellement establies par le changement d’Aristocratie, ou d’estat populaire, ont quasi pris commencement, alors que l’vn des Magistrats, ou capitaines, ou gouuerneurs ayant la force en main, s’est fait de compagnon, maistre & souuerain : ou que l’estranger les a assugeties: ou bien que voluntairement ils se sont soubmis aux loix, & commandemens d’autruy. Quant au premier point, & qui est le plus ordinaire changement, nous en auons assez d’exemples comme les Pisistratides en Athenes : les Cypselydes en Corinthe: Thrasibule, Gelon, Denis, Hieron, Agathocle en Syracuse: Panece, & Icete en Leonce :Phalaris à Girgenti: Phidon en Argos: Periandre en Ambrace : Archelaus en Candie : Euagore en Cypre : Polycrate en Samos : Anaxilaus en Rhege: Nicocle en Sicyone: Alexandre en Phenee: Mamerque en Catane: les dix commissaires en Rome, & apres eux Sylla & Cesar: la maison de Lescale à Veronne: les Bentiuolles à Boulongne : les Manfrois à Fauence: les Ma-[*](En matiere d’estat celuy est maistre de la Republique, qui est maistre de la force.)-latestes à Arimini: les Baillons à Perouze : les Vitelles àTiserne: les Sforces au Duché de Milan: & plusieurs autres, qui de simples capitaines, & gouuerneurs se sont faits seigneurs par force. Car, en matiere d’estat, on peut tenir pour maxime indubitable, que celuy est maistre de l’estat, qui est maistre des forces. C’est pourquoy és Republiques Aristocratiqucs, & populaires bien ordonnees les grands honneurs sont ottroyez sans aucune puissance de commander: & ceux qui ont plus de puissance, ne peuuent rien commander sans compagnon. ou bien s’il est impossible de diuiser le commandement à plusieurs, comme il est fort dangereux en guerre: le temps de la commission, ou du Magistrat est court. Ainsi faisoient Ies Romains mettant deux conuils, & les Carthaginois deux Suffetes, qui auoyent puissance de commander chacun son iour: car combien que la dissension qui est ordinaire entre ceux qui sont egaux en puissance, empesche quelquesfois l’execution des choses vtiles, si est-ce que telle Republique n’est pas si sugette d’estre tournee en Monarchie, que s’il n’y a qu’vn souuerain magistrat, comme le grand Archon d’Athenes, le Pritanne des Rhodiots, le capitaine des Acheans, & des AEtoles, le Gonfalonnier des Florentins, le Duc des Genes. Pour mesme cause le dictateur en Rome, ne duroit sinon autant que la charge le requeroit, qui ne 383 passoit iamais six mois pour le plus: & quelquesfois n'a duré qu’vn iour. Et le temps expiré, la puissance de commander cessoit: & si plus long temps le dictateur retenoit les forces, il pouuoit estre accusé de leze maiesté. Et mesmes en Thebes, tant que l’estat fut populaire, la loy vouloit que le general de l’armee fust mis à mort, si plus d’vn iour il auoit retenu la force, apres son temps, qui fut la cause que le capitaine Epamynondas & Pelopidas furent condamnez à mort, pour auoir retenu la force quatre mois apres le temps, quoy que la necessité l’eust contraint de ce faire. Et pour la mesme raison presque tous Magistrats estoient annuels és Republiques populaires, & Aristocratiques. Et encores à Venise les six conseillers d’estat qui assistent au Duc, ne sont que six mois en charge. & celuy qui auoit la garde de la principale forteresse d’Athenes, n’auoit les clefs qu’vn iour seulement : non plus que le capitaine du chasteau de Rhaguse, qui est pris au sort, & mené la teste enuelopee au chasteau. Et se faut garder le plus qu’il est possible, que les loix, & ordonnances, touchant le temps des Magistrats, ne soient changees, ny leur charge prorogee, si la necessité n’y est bien grande : comme les Romains feirent à Camil, auquel la dictature fut prorogee pour six mois: ce qui n’auoit onques esté ottroyé à personne. Et mesmes par la loy Sempronia, il fut estroitement defendu que les gouuernemens, & prouinces ne fussent ottroyees plus de cinq ans. Et si la loy eust esté gardee, Cesar n’eust pas empieté l’estat, comme il fist ayant eu le gouuernement des Gaules pour cinq ans dauantage que l’ordonnance ne vouloit, à laquelle il fut derogé pour son regard. Qui fut vne faute notable: veu qu’ils auoient affaire au plus ambitieux homme qui fut onques, & qui fonda si bien sa puissance pour la continuer, qu’il donna pour vne fois à Paul Consul neuf cens mil escus, affin qu’il ne s’opposast à ses entreprises: & au Tribun Curion quinze cens mil escus, pour tenir son parti. Dauantage on luy donna dix legions soudoyees, tant qu’il feroit la guerre. Ceste grande puissance, estoit iointe au cueur le plus hardi qui fust alors, & le plus vaillant qui fust onques, & de si noble maison, qu’il osa bien dire deuant le peuple Romain, qu’il estoit extrait des dieux du costé paternel, & des Roys du costé maternel: & si sobre, que son ennemi Caton disoit qu’il n’y auoit point eu de sobre tyran que cestui-là: & si vigilant, que Ciceron qui coniura sa mort, l’appelloit en vne epistre monstre de prudence & diligence incroyable: [*](ad Atticum.) & au surplus magnifique, & populaire s’il en fut onques: & qui n’espargnoit rien en ieux, tournois, festins, largesses & autres apasts. en quoy faisant, il voloit la faueur du menu peuple aux despens du public, & gaignoit l’honneur d’homme gratieux & charitable enuers les pauures. Et neantmoins ayant gaigné par ce moyen la souueraineté, il ne pensa qu’à roigner les forces du peuple, & leur oster leurs priuileges: car de trois cens vingt mil citoyens, qui prenoient blé du public, il n’en retint que cent cinquante mil, & enuoya quatre vingts mil citoyens outre mer